Massaja
Lettere

Vol. 1

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Al conte Federico de Falloux
ministro della istruzione pubblica e dei culti – Parigi

P. 571

Massowa (Abyssinie) 22 février 1849

... Cette intéressante contrée de l’Afrique qui comprend les deux vicariats de l’Abyssinie et des Gallas offre les plus belles espérances, et je ne [p. 572] crois pas exagérer en disant qu’elle est à la veille de devenir une florissante colonie catholique. Mais /161/ comme l’intérieur de ce pays manque de gouvernement régulier, condition essentielle cependant pour pouvoir y fonder des établissements d’éducation, si nécessaires pour nous aider à parvenir à notre but, nous nous voyons contraints à nous fixer sur quelques points de la côte pour profiter du bienfait de l’influence européenne, bien que sur le littoral les dispositions des populations soient moins bonnes. Nous avons principalement en vue la côte de Massowa, laquelle, tant qu’elle resterà soumise au gouvernement égyptien, pourra servir à nos projets. Quant à cette partie du littoral qui s’étend depuis le détroit de Bab-el-Mandel, dans le golfe arabique, jusqu’à Zanzibar, au delà de la ligne équinoxiale, il ne faut pas y songer pour le moment. Ce n’est pas que les indigènes ne soient très bien disposés à nous recevoir; ils nous sont même sympathiques, à en juger au moins par ceux que j’ai vus, et cela parce qu’ils nous considèrent comme Français.

Mais nous serions contrariés par l’influence de certains gouvernements d’Europe qui sont, au fond, moins tolérants que les musulmans eux-mèmes et qui nous font l’honneur de nous traiter comme des émissaires français. Pour moi personnellement, il est vrai, ma qualité d’évèque me sauvegarde, mais la bonne volonté ne leur manque pas même à mon égard. Il serait bien à souhaiter que la République française s’employàt enfin franchement à cette mission qu’elle tient de la Providence divine, aussi bien pour ce qui concerne les choses qui se passent hors des frontières que pour ce qui concerne les affaires intérieures.

Si d’ailleurs elle n’ouvre pas les yeux et n’écoute pas les renseignements qui lui sont donnés par des personnes autres que moi, mais qui sont animées d’un esprit véritablement catholique et français, elle verrà bientôt la porte fermée à son commerce dans ces contrées, en même temps qu’elle les fermerà aussi, par cela même, aux missions catholiques, parce que celles-ci portent sa devise...

Si vous ou quelque autre personne zélée pour la cause catholique et française pouvait faire comprendre cette vérité au gouvernement afin de le déterminer à prendre quelque prompte résolution à cet égard, quel service ne rendrait pas cette personne à la religion et à sa patrie. Un ou deux points bien occupés par la France sur le littoral dans cette contrée suffirait pour lui donner une immense influence sur l’intérieur même du pays, résultat si désiré non seulement par les missionnaires, mais même par les négociants français, lesquels se voient enlever par le monopole des autres nations, tous les avantages qu’offrent ces pays dont les productions sont des plus intéressantes et des plus riches.

A dire vrai, j’écris ces choses avec peine parce qu’elles sont bien un peu hors de ma sphère, quoique dignes de tout notre intérêt: c’est pour cela que je les recommande à votre sagesse et à votre prudence.

† F. Guillaume Massaja,
Evêque de Cassia, Vicaire apostolique des Gallas.