Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

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Chapitre Premier.

Aperçu physique.

§ I.

Situation, forme, limites et divisios géographiques.

1. Situation, forme, limites. — On croirait volontiers, à l’inspection d’une carte ordinaire de l’Égypte, qu’il faut comprendre sous ce nom toute la partie orientale de l’Afrique qui se trouve placée entre la première cataracte du Nil au midi, la Méditerranée au nord, le désert Libyque à l’ouest, et la mer Rouge à l’est; c’est là l’idée que s’en font un grand nombre de personnes. Elle n’est pas tout à fait exacte. L’Égypte n’est, à proprement parler, qu’une étroite vallée dont le Nil est l’artère, qui suit toutes les sinuosités du fleuve, s’évase elle-même là où il se bifurque, et borde ses deux branches jusqu’à ce qu’elles aillent confondre leurs eaux avec celles de la mer. Ainsi définie, l’Égypte, placée entre le 24e et le 52e degrés de latitude, le 28e et le 51e de longitude, est bornée au sud par la Nubie, dont la première cataracte la sépare; au /2/ nord par la Méditerranée, sur laquelle elle étend une ligne littorale de soixante-dix lieues, depuis l’ancienne Taposiris (la tour des Arabes) jusqu’à l’extrémité orientale du lac Mensaleh, où se trouvent les ruines de Péluse (quelques-uns la portent de ce côté vingt lieues plus loin, jusqu’à El-Arisch); à l’ouest par les monts Libyques, et à l’est par les monts Arabiques. Ces deux chaînes l’étreignent dans toute sa longueur. Elles se serrent de près jusqu’à la hauteur du Kaire. Arrivées là, elles cessent leur Nel testo: parallèle.
Corr. negli Errata
parallélisme, se dirigent l’une vers le nord-est, l’autre vers le nord-ouest, et vont, celle-ci s’arrêter aux côtes de la Méditerrance, celle-là se joindre aux montagnes de l’Arabie Pétrée et se relier aux chaînes de la Syrie.

2. Divisions géographiques. — Les Orientaux appellent l’Égypte du nom de Misr; les Grecs empruntèrent le nom que nous lui avons conservé de celui que portait primitivement le Nil. Ils eurent raison, car l’Égypte, comme on l’a fort bien dit, n’est autre chose que le lit du fleuve qui la traversée et qui l’a créée.

La partie de la vallée du Nil qui forme l’Égypte se développe sur une longueur de plus de deux cents lieues. Elle est ordinairement divisée par les géographes en Haute, Moyenne et Basse-Égypte. La Haute, appelée Saïd, et la Moyenne, Oues-Tanièh, renferment le terrain de l’une et de l’autre rive du fleuve, compris entre les deux lignes de montagnes dont nous venons de parler. La Haute-Égypte commence à la première cataracte; la Moyenne finit au /3/ Caire. Elles forment, à la suite l’une de l’autre, un ruban sinueux dont la largeur varie entre une et quatre lieues, excepté dans la partie de la Moyenne à laquelle est annexé un appendice elliptique de terrain cultivable, encaissé dans la chaîne libyque, et qui constitue la riche province connue sous le nom de Faïoum. La Basse-Égypte, appelée par les Arabes Bahireh, est une plaine triangulaire qui a son sommet au-dessous du Caire, au Veutre de la Vache, lieu où le Nil partage ses eaux en deux branches: l’un de ses angles, à l’isthme de Suez; et l’autre à la tour des Arabes; dont les deux côtés, à l’est et à l’ouest, sont limités par les déserts et s’étendent parallèlement aux deux branches du Nil, qui forment cette île si fameuse et si fertile, à laquelle les Grecs donnèrent, à cause de sa configuration, le nom de Delta.

3. Superficie. — On évalue à environ seize cents lieues carrées la superficie de l’Égypte. Deux cent quarante-cinq sont occupées par la Haute, deux cent cinquante-cinq par la Moyenne, et le reste par la Basse. La surface totale est répartie de la manière suivante:

Terraincultivable1000lieues carrées
inculte200
Fleuve, canaux367
Sables68
Iles du fleuve11

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§ II.

Aspect et formation géologique du sol.

Sol cultivable. — Sa forme. — Formation du sol cultivable, alluvions. — Limon du Nil. — Aspects du sol cultivable. — Montagnes. — Leur forme, leur hauteur et leur pente générale. — Leur composition géologique. — Déserts. — Leur formation. — Oasis. — Aspect du désert.

4. Sol cultivable. — Sa forme. — L’Égypte proprement dite n’est, comme nous l’avons fait observer, que la vallée que traverse le Nil; mais elle offre divers traits spéciaux qui la distinguent des vallées ordinaires. En général, les vallées au milieu desquelles coulent les grands fleuves forment une espèce de berceau dans le fond duquel les eaux trouvent leur lit. L’Égypte présente une disposition inverse. Les rives sont plus élevées que le reste du sol, qui descend en une pente appréciable, à mesure qu’il s’éloigne du Nil. Il résulte de cette disposition du terrain, que pour peu que le fleuve élève ses eaux au-dessus de ses berges, elles se répandent sur toute la surface, et peuvent couvrir la totalité du pays cultivé.

5. Formation du sol cultivable. Alluvions. — Par son plan légèrement incliné vers le nord, l’Égypte annonce l’apport graduel de l’alluvion. Les anciens disaient que le Delta était un présent du Nil. Les prêtres égyptiens racontaient aux voyageurs grecs que, du temps de leur premier roi, Mènes, l’Égypte /5/ n’était, jusqu’au lac Mœris, qu’un vaste marais. La science moderne a démontré la vérité de leurs assertions. Il est certain que le terrain cultivable de l’Égypte a été formé par les dépôts de limon du Nil. Les couches inférieures de ce sol présentent des pétrifications d’animaux marins, des pierres ponces, des cailloux roulés, des scories, des basaltes, des jaspes, des matières volcaniques, qu’ont dû couvrir longtemps les eaux de la mer, refoulées peu à peu par l’alluvion envahissante. Les progrès des dépôts du Nil nous sont révélés par des faits incontestables. Ainsi Rosette, Damiette, qui, à des époques peu reculées, étaient baignées par la Méditerranée, s’en trouvent éloignées aujourd’hui de plusieurs lieues; ainsi encore, les terres ont plus d’élévation sur les deux rives du fleuve que vers la base des montagnes, ce qui vient évidemment de ce que les inondations plus fréquentes sur les points les plus rapprochés des eaux, y laissent, à l’époque de leurs débordements, des dépôts plus considérables. Enfin, ce qui prouve encore mieux, si c’est possible, la vérité de ce phénomène géologique, c’est l’enfoncement des bases des anciens édifices, couverts aujourd’hui par les terres en culture. Quoiqu’il soit très-difficile de fixer, d’une manière certaine, la progression périodique de l’exhaussement, des recherches approfondies ont permis aux géologues de l’expédition française de l’évaluer approximativement à cent vingt-six millimètres par siècle.

Les couches du sol cultivable n’ont pas sur tous /6/ les points la même profondeur. Les fréquentes déviations du Nil, la vitesse plus ou moins rapide de son cours en sont les causes réelles appréciables; là où ses eaux roulent avec impétuosité, l’argile est emportée ou n’a pas le temps de se déposer; là où elles sont stagnantes, leurs sédiments sont plus abondants.

6. Limon du Nil. — Le limon pur qui forme le terrain cultivable est composé, d’après l’analyse qui en fut faite par la commission française:

  1. 1° D’alumine, qui en constitue les trois cinquièmes.
  2. 2° De carbonate de chaux, qui équivaut à un peu plus d’un cinquième.
  3. 3° De carbonate libre, pour environ un dixième.
  4. 4° De cinq ou six centièmes d’oxyde de fer, qui communiquent aux eaux la teinte rouge qu’elles ont pendant l’inondation.
  5. 5° De deux ou trois centièmes de carbonate de magnésie.
  6. 6° De quelques atomes de silice assez divisés pour demeurer en suspension dans les eaux.

Le Nil charrie aussi, pendant les débordements, une quantité considérable de sable quartzeux. La partie la plus grossière tombe au fond du fleuve et produit l’exhaussement de son lit; une autre partie est très-irrégulièrement étendue sur les terres voisines; le reste est charrié jusqu’à la mer, et concourt à produire l’allongement du Delta.

7. Aspects du sol cultivable. — Le sol éprouve périodiquement chaque année des changements très-notables dans son aspect; le conquérant arabe de /7/ l’Égypte, Amrou, a très-bien décrit ces métamorphoses variées, dans la lettre, si souvent citée, qu’il écrivit au calife Omar sur l’Égypte, « Peins-toi, dit-il, ô prince des fidèles, un pays qui offre tour à tour l’image d’un désert poudreux, d’une plaine liquide el argentine, d’un marécage noir et limoneux, d’une prairie verte et ondoyante, d’un parterre orné de fleurs et d’un guérêt couvert d’épis jaunissants. » En effet, nous voyons d’abord le terrain sans culture, à l’exception de quelques points artificiellement arrosés; nu, aride, il offre dans toute sa surface des retraites ou fentes dont la largeur varie entre six pouces et un pied, la profondeur entre cinq et six pieds. Insensiblement il se dessèche, et l’on a de la peine à croire qu’un semblable état succède annuellement à de riches et abondantes moissons. C’est la première période.

La deuxième est marquée par l’inondation qui fait de toute la grande valiée un lac immense, semé de villages, de monticules, de groupes d’arbres, et lui donne l’aspect de l’archipel le plus pittoresque.

La troisième période est courte, car à peine le sol a-t-il reparu, que le soleil absorbe l’humidité dont il est imprégné, tandis que le laboureur lui confie les graines, espoir de la récolte prochaine.

La quatrième période suit d’une manière si immédiate, que son apparition est presque inappréciable. C’est l’époque de la végétation qui couvre le pays d’immenses nappes de verdure.

Enfin, à la cinquième période, toutes les plantes /8/ se chargent de fleurs, et les champs se couvrent d’épis. Ces divers changements n’ont pas lieu à la mème époque sur tous les points de l’Égypte; les régions les plus rapprochées du tropique sont les premières à les présenter.

8. Montagnes. — Leur forme. — La nature semble avoir placé les montagnes qui longent l’Égypte pour la garantir de l’envahissement des sables des déserts. Arides et dépouillées, parce qu’elles sont inaccessibles aux eaux fécondantes du Nil, parce qu’elles ne reçoivent des pluies que trop rarement ou en trop faible quantité pour la végétation, elles se détachent des deux côtés du fleuve en blocs continus plus larges qu’élevés. Les montagnes qui sont à l’est du Nil sont plus rapprochées du fleuve, dont elles forment souvent elles-mêmes la rive. La chaîne libyque en est plus éloignée, et quelquefois au point d’être à peine aperçue du Nil. Les premières avancent sur le Nil leurs sommets proéminents, tandis que leur milieu vertical et leur base rentrent en courbe concave, et présentent dans leur longueur des sillons que l’on dirait avoir été creusés, à d’autres époques, par l’action de courants d’eau qui auraient rongé leurs flancs.

9. Hauteur et pente générale. — La chaîne arabique, lorsqu’elle forme le Mokattam près du Caire, arrive à peine à une hauteur de deux cents mètres. En avançant dans le sud, elle s’élève progressivement. Ainsi, à soixante lieues du Caire, dans la province de Syout, elle atteint les quatre cinquièmes /9/ environ de sa plus grande hauteur qui est de six à sept cents mètres; elle arrive à ce dernier terme un peu au delà de Thèbes, s’y maintient quelque temps, puis s’abaisse jusqu’à la première cataracte, où elle ne forme plus que de simples collines, pour se relever plus loin à la hauteur qu’elle a dans la Moyenne-Égypte.

On dit généralement que la chaîne libyenne est plus basse que l’arabique. On peut affirmer néanmoins qu’elle l’égale en hauteur moyenne, et que l’apparence seule lui a donné son renom d’infériorité. Plus distante en effet que l’autre des eaux du Nil, souvent, du bord du fleuve, on la prendrait pour une bande de vapeurs indécises qui encadrent l’horizon à l’ouest.

A l’est du Mokattam, les montagnes qui se dirigent sur la mer Rouge et l’isthme de Suez vont toujours en s’élevant. Le contraire arrive pour la chaîne libyque, qui s’incline sans cesse à partir de la hauteur du Caire. On peut, d’après ces données, se faire une idée de l’inclinaison générale du massif dans lequel est creusée la vallée du Nil. Il présente deux pentes: l’une, du sud au nord conforme au cours du fleuve; l’autre, de l’est à l’ouest. Ces deux inclinaisons combinées donnent la ligne de la plus grande pente qui se dirige du sud-est au nord-ouest et décline un peu vers l’ouest.

10. Composition géologique. — Les cataractes du Nil ne sont probablement que les derniers degrés d’inclinaison de la chaîne primitive que le fleuve est /10/ obligé de traverser, et qui impriment à son cours des sinuosités conformes à la direction de la chaîne principale elle-même. Celle-ci, que l’on peut se représenter comme s’étendant de la première cataracte, dans le sens du golfe oriental de la mer Rouge, présente le caractère des terrains de première formation. Au nord, ce sont les porphyres; vers le midi, les granits; le schiste occupe les positions intermédiaires; entre le nord et ces parties moyennes se trouvent des roches diverses, généralement composées de spath lamellaire et d’amphibole.

Le terrain primitif conduit au terrain secondaire suivant une direction à peu près parallèle à celle que nous avons indiquée pour la chaîne principale. La constitution du sol dans le nord de la ligne à l’ouest du fleuve, et jusque vers le littoral de la Méditerranée, est celle des terrains secondaires. Le calcaire y domine avec cette interposition de grès et de poudingue que l’on remarque presque toujours entre les terrains secondaires et les terrains primitifs.

Les flancs incultes, sauvages, déchirés des montagnes dont nous venons de parler, présentent plusieurs intersections transversales, des gorges qui ouvrent aux voyageurs et au commerce plusieurs passages à travers les déserts, pour la mer Rouge, les oasis, etc.

11. Déserts. — Leur formation. — Les terrains sablonneux, incultes, qui se trouvent au delà des deux chaînes de montagnes dont nous avons parlé plus haut, forment les déserts de l’Égypte.

La surface des déserts contient des graviers, des /11/ cailloux roulés et des sables. Les sables sont composés uniquement de grains quartzeux, sans mélange d’aucune autre matière. Les flots paraissent les avoir couverts à d’autres époques. On les voit s’accumuler sur plusieurs points en monticules de formes et de hauteurs différentes. Des plantes ou d’autres corps solides sont ordinairement les noyaux primitifs sur lesquels les sables viennent se superposer. La plupart des monticules qui se forment ainsi sont eux-mêmes déplacés par l’action des vents, qui les poussent sans cesse dans leur direction; et s’il en est qui demeurent stationnaires, les formes que leur imprime l’action capricieuse de ces courants d’air sont si bizarres, que, même rapproché d’eux, on a peine à distinguer les divers mamelons qui les composent.

12. Oasis. — La plus grande partie des déserts est absolument aride, ou n’offre, pour toute végétation, que des broussailles rabougries. Les rares pluies de l’hiver laissent en effet des dépôts d’eau dans les plis du terrain. Sur les lieux bas qui jouissent de ce peu d’humidité, des germes se développent, et l’on voit s’épanouir quelques bouquets d’herbe. Mais tout disparait aux approches de l’été.

D’autres parties, en bien petit nombre, sont, grâce aux sources d’eaux qu’elles renferment, cultivables toute l’année. Elles sont connues sous le nom d’oasis, mot dérivé de l’ancienne langue de l’Égypte, dans laquelle il signifiait habitation, demeure. On les a fort bien représentées comme des îles fertiles, jetées au milieu des immenses mers de sable. Cinq /12/ oasis se rattachent à l’Égypte; elles sont situées dans le désert de Libye. La première que l’on rencontre, en descendant du midi au nord, est celle de Karghè, placée à la hauteur de Thèbes; elle est séparée de l’Égypte par une distance de quarante lieues, et s’étend, parallèlement au Nil, sur une longueur de vingt-cinq lieues environ. Les anciens la nommaient Oasis Magna. A vingt lieues à l’ouest de cette oasis, se trouve celle de Dahkel, qui a à peu près douze lieues de longueur sur six de largeur. En descendant l’Égypte jusqu’à la Méditerranée, on rencontre encore la petite oasis de Farafreh, à environ soixante et quinze lieues des terres; celle de Beryeh (Oasis Parva), à trente-cinq lieues de l’Égypte-Moyenne, et dont les deux dimensions sont de cinq et huit lieues; enfin, celle de Siouah, si fameuse dans l’antiquité, sous le nom d’Oasis de Jupiter-Ammon, et par le pèlerinage que fit Alexandre au temple de cette divinité qu’elle renfermait. Située sous la même latitude à peu près que le Fayoum, une distance de cent lieues l’en sépare; elle a cinq lieues de long sur quatre de large. Les oasis contiennent en général des terrains très-fertiles qui produisent du sucre, du café, de la garance et principalement de l’indigo.

13. Aspect du désert. — Le désert produit, sur celui qui le voit pour la première fois, une impression solennelle. Il provoque l’àme aux pensées grandioses; je ne suis pas étonné que les chrétiens des premiers siècles aient choisi ces solitudes profondes, comme le lieu où l’homme peut se mettre le plus /13/ directement en rapport avec la Divinité, et entrer en muette contemplation devant ses insondables grandeurs. Tout ce que les poètes ont écrit sur les immensités de l’Océan peut s’appliquer au désert. L’isolement que l’on ressent, au milieu de ces espaces, est plus grand encore, car on y est sous l’impression d’un silence dont on ne peut pas donner une idée à celui qui n’en a pas ressenti les effets, et qui n’est pas même interrompu par un murmure monotone comme celui des vagues. Le premier sentiment que l’on éprouve, au milieu de ces plaines sans bornes, dont les teintes blanchâtres, animées par les feux du soleil, ressemblent à un vaste horizon neigeux, c’est le sentiment de l’indépendance et la conscience d’une liberté aussi inimitée que les espaces dans l’immensité desquels plonge la vue. Là on se représente l’état du premier homme après la création; comme lui on se sent maître, on se sent roi, et l’on aspire avec un vif bonheur l’air du désert, dont la pureté dilate voluptueusement les poitrines accoutumées à la lourde atmosphère des lieux habités.


§ III.

Climat et météores.

Saisons. — Température. — Mirage. — Vents. — Kamsin. — Nessim ou zéphyr. — Brouillards. — Nuages. — Rosées. — Nokta. — Humidité. — Poussiére. — Trombes de sable. — Pluie. — Grêle. — Neige. — Observations météorologiques.

14. Saisons. — Le commencement, la durée et la fin des époques de chaleur, de froid, etc., ne sont /14/ pas les mêmes, en Égypte, que sous nos climats tempérés. L’action de l’hiver y est peu ou point sensible, surtout dans les régions voisines du tropique. Le printemps et l’automne se confondent, pour ne fournir qu’une seule saison d’environ six mois, et le reste de l’année est absorbé par le règne des fortes chaleurs.

15. Température. — Ce que l’on a dit en général des chaleurs de l’Égypte est beaucoup exagéré; d’ailleurs elles ne sont pas uniformes dans toutes les parties de la contrée. Il en est où elles ne sont pas plus fortes que dans plusieurs régions méridionales de l’Europe, l’Espagne et l’Italie, par exemple. Voici d’ailleurs un exposé de la température moyenne des différentes zones de l’Égypte.

Dans le Delta, le thermomètre marque ordinairement, pendant les trois mois d’hiver, de 12 à 14 degrés au-dessus de zéro; pendant le printemps, de 16 à 24; pendant l’été, de 24 à 26, quelquefois 28 et 29; et pendant l’automne, de 24 à 18.

En ajoutant deux degrés de plus par saison, on peut avoir approximativement la température moyenne de l’Égypte intermédiaire.

Lorsqu’on remonte la Haute-Égypte, on voit la chaleur s’augmenter progressivement. A Syout, vers le milieu de cette région, le thermomètre s’élève jusqu’à 34; à Assouan, limite de la Nubie, jusqu’à 36 et quelquefois 38.

L’un des caractères les plus remarquables de la température de l’Égypte, c’est la variation qu’elle /15/ éprouve dans la transition du jour à la nuit. Nulle part cette transition n’est aussi tranchée. Un vent du nord, dont le souffle diminue considérablement la chaleur de l’air, s’élève ordinairement au coucher du soleil, et la température nocturne donne toujours de huit à douze degrés de moins que celle du jour. Aussi les nuits de l’Égypte ne sont-elles jamais étouffées. Embellies par un ciel admirablement serein, amenant dans l’atmosphère une suave fraîcheur, elles sont pleines de charmes, et il est aisé de comprendre la prédilection avec laquelle les Arabes les ont chantées dans leurs poésies.

16. Mirage. — C’est la chaleur de la température qui, en agissant sur la vaste surface plane que présente le sol de la Basse-Égypte, donne naissance au singulier phénomène, connu sous le nom de mirage; c’est lorsque le sol a été suffisamment échauffé par la présence du soleil, dans le courant de la journée, que le mirage se produit. Alors, le terrain parait terminé à une lieue environ par une inondation générale. Les villages qui sont placés au delà de cette distance ressemblent à des îles situées au milieu d’un grand lac, et dont on serait séparé par une étendue d’eau plus ou moins considérable. Cette nappe d’eau fantastique réfléchit l’image de chaque objet qui se trouve dans son rayon, comme le ferait un lac véritable; mais à mesure que l’on s’approche d’un village qui paraît placé dans l’inondation, le bord de l’eau apparente s’éloigne; le bras de mer, qui semblait vous séparer de votre but, se ré- /16/ trécit: il disparaît enfin entièrement et se reproduit sur-lechamp, pour un nouveau groupe d’habitations plus éloigné ou toute autre chose placée en saillie à la distance voulue. On se souvient des déceptions cruelles que ce phénomène fit subir à la soif ardente de nos soldats, pendant leur marche dans le désert, d’Alexandrie au Caire.

17. Vents. — Volney a donné sur les vents de l’Égypte un aperçu si complet, quoique résumé, que je ne crois pouvoir mieux faire que de le citer textuellement: « En Égypte, dit-il, lorsque le soleil se rapproche de nos zones, les vents qui se tenaient dans la partie de l’est passent aux rumbs du nord et s’y fixent. Pendant juin, ils soufflent constamment nord et nord-ouest. Ils continuent, en juillet, de souffler nord, variant à droite et à gauche, du nord-ouest au nord-est. Sur la fin de juillet et la moitié de septembre, ils se fixent nord pur, et ils sont modérés, plus vifs le jour, plus calmes la nuit.

« Sur la fin de septembre, lorsque le soleil repasse la ligne, les vents reviennent vers l’est, et, sans y être fixés, ils en soufflent plus que d’aucun autre rumb, le nord seul excepté. A mesure que le soleil passe à l’autre tropique, les vents deviennent plus variables, plus tumultueux; leurs régions les plus constantes sont le nord, le nord-ouest et l’ouest. Ils se maintiennent tels en décembre, janvier et février, qui, pour l’Égypte comme pour nous, sont la saison d’hiver. Alors les vapeurs de la Méditerranée, entassées et appesanties par le froid de l’air, se rapprochent /17/ de la terre, et forment les brouillards et les pluies. Sur la fin de février et de mars, quand le soleil revient vers l’équateur, les vents tiennent plus que dans aucun temps des rumbs du midi. C’est dans ce dernier mois, et pendant celui d’avril, qu’on voit régner le sud pur, le sud-est et le sud-ouest; ils sont mêlés d’ouest, de nord et d’est; celui-ci devient le plus habituel sur la fin d’avril, et, pendant mai, il partage avec le nord l’empire de la mer. »

18. Kamsin. — C’est vers l’équinoxe que se lève le kamsin, vent violent du sud dont le nom signifie en arabe cinquante: ce mot lui a été appliqué parce que la période pendant lequelle il souffle dure environ cinquante jours. Les Arabes lui ont encore donné le nom de semoun, qui signifie poison. Volney et plusieurs autres voyageurs en ont si longuement parlé, que je me bornerai à en faire une très-courte description. A son apparition, le ciel revêt une teinte rougeâtre; l’atmosphère n’est plus qu’une immense nuée de poussière; une chaleur excessive dessèche la transpiration cutanée; le thermomètre Réaumur s’élève quelquefois jusqu’à 40 degrés; on respire avec peine; on éprouve un malaise général, une prostration complète, souvent suivie d’ophtlalmie, de céphalalgie, d’apoplexie, de dyssenterie aiguë; sous l’influence de ce vent funeste, l’état des malades s’aggrave, et, s’il règne une épidémie, la mortalité s’accroît dans des proportions sensibles. Parfois le kamsin prend un tel degré de violence, qu’on est porté à croire aux récits fabuleux de caravanes, d’ar- /18/ mées entières, anéanties par le redoutable vent du désert. Heureusement, pendant la période des cinquante jours, il ne souffle avec quelque violence qu’à cinq ou six reprises, et la durée de ses plus fortes rafales dépasse rarement vingt-quatre ou quarante-huit heures. J’ai été plusieurs fois surpris par des coups de kamsin qui soulevaient autour de moi des tourbillons de cailloux, qui m’auraient immanquablement meurtri, si je ne m’étais dérobé à leurs terribles atteintes.

Le peuple croit, en Égypte, que le kamsin commence régulièrement chaque année le deuxième jour de la Pàque: c’est une erreur. La Pâque n’arrive pas tous les ans à la même époque; le kamsin commence donc, périodiquement il est vrai, mais à des époques indéterminées, aux environs de l’équinoxe.

19. Nessim ou zéphyr. — La veille du jour où le kamsin est attendu, musulmans, juifs et chrétiens tous quittent l’enceinte de la ville pour aller respirer les dernières haleines du salutaire nessim. Ils croient, par ce moyen, se prémunir contre le vent malfaisant du midi.

20. Brouillards. — En hiver et â d’autres époques rares, indéterminées, il se forme des brouillards quelquefois si épais, que l’on peut à peine distinguer les objets à quelques pas de distance. On se croirait transporté alors sous le ciel brumeux de Paris ou de Londres. Mais ce phénomène est de courte durée, sous l’active influence du soleil de l’Égypte.

21. Nuages. — Dans la même saison, le ciel se /19/ couvre de nuages, qui disparaissent le plus souvent dès l’aurore. Leur passage se fait ordinairement du nord au sud. Leur présence est signalée quelquefois par des éclairs et des bruits de tonnerre qui frappent l’imagination superstitieuse de l’Égyptien; et il arrive parfois que l’étranger, dans ces moments de convulsion de la nature, soit lui-même involontairement ému et se trouve rappelé à des regrets de patrie.

22. Rosées. — Les rosées, rares en hiver, abondent en été, surtout dans la Basse-Égypte, pendant que soufflent les vents d’ouest et du nord qui apportent les évaporations des eaux de la Méditerranée. Elles disparaissent avec les vents du sud, parce que ceux-ci ne trouvent que des déserts arides sur leur passage.

23. Nokta. — Les Égyptiens appellent nokta (goutte) une rosée bienfaisante qui tombe dans la nuit du 17 au 18 juin, et à laquelle ils donnent la propriété de purifier l’air et de faire cesser les maladies et particulièrement la peste.

Il est évident que le phénomène du nokta ne peut avoir aucune influence déterminante sur l’épidémie; sa venue est simultanée avec celle des chaleurs qui, seules, opèrent le changement qu’on lui attribue. Les auteurs anciens parlent de l’usage, oublié aujourd’hui, de soumettre à l’action du nokta une portion d’argile desséchée, dont le degré d’imbibition indiquait le plus ou moins d’abodance de la crue des eaux du Nil.

24. Humidité. — Dans la Basse-Égypte, il règne /20/ constamment une grande humidité; elle provient sans doute du voisinage de la mer, de la nature basse du sol que couvrent de vastes marécages, ou bien encore des abondantes rosées qu’il reçoit. Elle corrode tous les métaux, et particulièrement le fer qu’elle oxyde promptement. Elle rend difficile l’entretien des armes et des instruments d’art, et détériore en peu de temps l’argenterie et les vêtements brodés en or et en argent, si l’on n’a pas la précaution de soustraire ces diverses matières à son action. Elle diminue, à mesure qu’on avance vers le tropique; elle acquiert son maximum d’intensité pendant la crue du Nil, époque des rosées.

20. Poussière. — Lorsque l’humidité produite par l’inondation et les rosées a cessé, le sol se dessèche rapidement, sa surface devient friable et se résout en poussière, qu’un vent un peu violent soulève de toutes parts en immenses tourbillons. Cette poussière est tellement fine, qu’elle pénètre dans les lieux les plus hermétiquement fermés. Les Égyptiens peignent par une hyperbole expressive la facilité avec laquelle cette poudre importune s’introduit partout, lorsqu’ils disent qu’elle peut même pénétrer à travers la coque d’un œuf. On se rendra facilement compte de son action délétère sur les végétaux qu’elle couvre et dessèche, sur les animaux, et en particulier sur l’homme, dont elle empêche la transpiration en obstruant les pores, et fatigue la respiration en s’insinuant dans les bronches. Enfin, elle altère les machines délicates, celles entre autres qui sont employées /21/ à la filature du coton, à la fabrication des tissus de soie, de lin, etc.

26. Trombes de sable. — Il y a peu de pays où, comme en Égypte, la poussière soit soulevée en trombes par des tourbillons de vents: ces trombes forment de gigantesques colonnes tournoyantes, qui s’élèvent perpendiculairement jusqu’aux nues, quelquefois demeurant immobiles, mais d’ordinaire marchant pendant plusieurs minutes avec rapidité, jusqu’à ce qu’un arbre, un mur, une maison, un accident de terrain les brisent, ou qu’un moment de calme les laisse s’affaisser sur elles-mêmes.

27. Pluie. — On croit généralement qu’il ne pleut jamais en Égypte; cette erreur a été répandue par quelques écrivains modernes qui n’ont sans doute visité le pays qu’aux époques de sécheresse complète. Il pleut beaucoup dans la Basse-Égypte; les pluies commencent ordinairement dans le mois d’octobre, continuent en novembre et décembre, et finissent en mars. Pendant celte période de temps, il y a peu de semaines sans pluie, et on l’a vue souvent se prolonger plusieurs jours de suite. Il pleut annuellement dans le Delta à vingt-cinq ou trente reprises à peu près, et au Caire la moitié moins et en moindre quantité. En 1824, il y eut dans celte ville huit jours d’une pluie si violente, qu’elle causa l’écroulement de plusieurs maisons et des dégâts de tout genre. Les pluies sont extrêmement rares dans la Haute-Égypte; elles n’y apparaissent qu’à de longs intervalles. Cependant on a vu quelquefois, dans /22/ l’espace compris entre le Caire et Kenneh, des orages, précédés par les éclairs et le tonnerre, se résoudre en courtes mais abondantes ondées. Au-dessus de Kenneh, les pluies sont des accidents encore plus extraordinaires; on se souvient néanmoins d’en avoir vu tomber à Assouan.

Quelques personnes ont cru que les nombreuses plantations, effectuées par le vice-roi, ont déjà influé sur le climat de l’Égypte, en augmentant la fréquence et la durée des pluies annuelles. Cette opinion ne paraît pas avoir des fondements sérieux; car en comparant les tables météorologiques, dressées pendant les trois années de l’expédition française, avec celles que nous donnons à la fin de ce paragraphe, on voit qu’il n’y a pas eu à cet égard de variation sensible dans une période de quarante ans. En effet, le nombre des jours de pluie observés pendant l’expédition française a été en moyenne de 10 à 16; pendant les cinq dernières années, il a été de 12 à 13 (1).

(1) M. Jomard a traité spécialement la question des pluies dans un mémoire adressa à l’Académie des sciences. Il y a établi d’une manière irréfulable, 1° que l’erreur commune sur l’absence des pluies en Égyple ne peut plus être soutenue; [2°] qu’il pleut aujourd’hui dans la même misure qu’il y a quarante ans, et probablement comme depuis plusieurs siècles; 3° que les nouvelles plantations faites en Égypte sont encore sans influence sur la quantité annuelle de la pluie.

28. Grêle. — Si la grêle est rare dans la Basse-Égypte, elle l’est plus encore dans l’Égypte supérieure. Cependant les Français, qui se trouvaient à /23/ Kenneh « en l’an VIII, virent tomber une grêle abondante dont les grains égalaient en volume an moins une grosse noisette. » Depuis, diverses chutes de grêle se sont succédé, à de longs intervalles, et en 1828, à Abouzabel, nous pûmes en remplir facilement plusieurs vases. Nous remarquâmes même des grêlons de la grosseur d’une petite noix. Il en résulta beaucoup de dégâts dans les campagnes; ils blessèrent quelques individus, et tuèrent même plusieurs animaux.

29. Neige. — Pour l’Égypte, la neige est un accident encore plus extraordinaire que la grêle. On n’en a jamais vu que sur le littoral et à peu de lieues des divers points qui le jalonnent. Lorsqu’en 1833 la neige tomba à Alexandrie, à Rosette et s’étendit jusqu’à l’Atféh, les vieillards de ces contrées, interrogeant vainement leurs plus anciens souvenirs, déclarèrent n’avoir jamais rien vu de semblable.

30. — Je crois faire une chose agréable aux personnes qui désireront avoir une idée exacte et complète de la température de l’Égypte, en imprimant ici les observations météorologiques recueillies au Caire, pendant cinq années, par M. Destouches, pharmacien inspecteur au service du vice-roi. Si on les compare avec celles qui furent faites au Caire par la commission scientifique de l’expédition française, on voit que le climat de l’Égypte n’a pas éprouvé de variation sensible depuis une période de plus de quarante années.

Voici, par exemple, les observations thermomé- /24/ triques de la commission réduites en degrés centigrades; elles donnent pour:

 Janvier13,3
 Février14,»
 Mars17,5
 Avril22,2
 Mai24,3
 Juin28,6
 Juillet30,2
 Août29,»
 Septembre28,3
 Octobre22,7
 Novembre18,8
 Décembre16,2

On se convaincra par les tableaux suivants que le thermomètre présente toujours, en moyenne, à peu près les mêmes chiffres.

Il sera facile de juger par induction, d’après ces données, de l’intensité de la chaleur dans les lieux exposés au soleil. A Syène, à la limite extrême de la Haute-Égypte, le thermomètre centigrade s’élève de 60 à 70 degrés dans les sables et au soleil. Au Caire, dans les mêmes circonstances, il monte jusqu’à 40 et 50.

Nota. Les chiffres des colonnes comprises sous le titre de vents et d’état du ciel indiquent le nombre des modifications atmosphériques désignées qui ont eu lieu pendant chaque mois. Ces chiffres prouvent l’extrême mobilité des phénomènes météorologiques qui constituent le climat de l’Égypte.


/25/

Observations météorologiques faites au Caire pendant les années 1835, 36, 37, 38 et 39, par Destouches, membre du conseil général de santé d’Egypte

1835. Récapitulation de l’année

Mois. Baro-
mètre.
Ther-
mo-
mètre.
Hyg-
ro-
mètre.
Vents Pluie. Ètat du ciel. Trem-
ble-
ment de
terre.
Nord. Est. Ouest. Sud. Nord-
est.
Nord-
ouest.
Sud-
est.
Sud-
ouest.
Kam-
sin.
Ora-
ge.
Grêle. Pluie. Brou
illard.
Cou
vert.
Nuage. Clair.
Janvier. 763 12,2 72 33 15 8 3 22 6 5 1 » Mètre.
0,0164
2 » 4 2 8 19 60 »
Février. 760 15,4 67 9 7 15 5 3 9 4 32 » » » » » 1 19 19 45 »
Mars. 759 17,5 62 25 » 18 2 12 16 » 20 » » » » » » 12 13 68 »
Avril. 764 24,4 54 22 8 16 2 15 20 1 6 » 0,0175 3 [*] 1 » 8 11 68 »
Mai. 755 25,7 52 37 14 3 1 26 10 1 1 3 » » » » » 15 9 69 »
Juin. 759 27,7 50 42 4 5 » 25 13 » 1 » » » » » » 6 16 68 »
Julliet. 756 30    52 72 » » » 9 12 » » » » » » » » 5 19 69 »
Août. 756 29,9 53 76 » » » 8 8 » 1 » » » » » » 15 14 64 »
Septembre. 759 26,8 52 57 5 4 » 21 3 » » » » » » » 4 1 9 76 »
Octobre. 760 24,3 54 42 » » 13 29 1 1 7 2 » » » » 5 5 5 78 »
Novembre. 762 19,6 56 26 2 18 8 7 11 » 18 » 0,0154 » » 4 2 11 20 53 »
Décembre. 761 15    59 5 1 28 24 4 15 2 14 » 0,0106 » » 7 2 13 31 40 »
Moyennes
et totaux.
759 22,4 57 446 55 116 58 181 124 14 101 5 0,0599 5 1 16 16 118 185 752 »

[*] Les grêlons avaient 0, m. 006 de diamètre. Nota nella tabella


/26/

1836. Récapitulation de l’année

Mois. Baro-
mètre.
Ther-
mo-
mètre.
Hyg-
ro-
mètre.
Vents Pluie. Ètat du ciel. Trem-
ble-
ment de
terre.
Nord. Est. Ouest. Sud. Nord-
est.
Nord-
ouest.
Sud-
est.
Sud-
ouest.
Kam-
sin.
Ora-
ge.
Grêle. Pluie. Brou-
illard.
Cou-
vert.
Nuage. Clair.
Janvier. 764 11,3 55 21 7 12 28 6 10 2 7 » Mètre.
0,0003
» » 1 3 11 26 52 »
Février. 759 14,9 48 7 1 29 17 5 8 » 20 » » » » » 1 18 8 60 »
Mars. 762 18,1 48 25 » 16 15 10 12 » 15 » 0,0008 1 » 2 2 6 13 70 »
Avril. 758 21,1 46 31 2 9 10 12 13 » 13 8 » » » » » 13 9 68 »
Mai. 760 22,9 47 28 8 8 6 17 19 » 7 5 » » » » » 20 10 63 »
Juin. 759 27    41 58 » 4 » 1 27 » » » » » » » » 8 34 48 »
Julliet. 757 29,4 46 77 » 2 » 6 8 » » » » » » » » 5 26 62 »
Août. 757 29,4 52 77 « 1 » 8 7 » » » » » » » » 9 21 63 »
Septembre. 760 27,8 56 76 1 » » 13 » » » » » » » » 1 4 24 61 »
Octobre. 759 25,3 56 42 6 3 » 32 6 » 4 1 0,0210 » » 1 » 12 25 55 »
Novembre. 762 20    55 27 » 27 » » 32 » 4 3 » 1 » » 16 5 9 60 »
Décembre. 763 16,3 57 42 2 20 » 5 19 » 5 1 0,0030 2 » 1 8 8 22 54 »
Moyennes
et totaux.
760 22    58 501 27 131 76 125 161 2 75 18 0,0251 4 » 5 31 119 227 716 »

/27/

1837. Récapitulation de l’année

Mois. Baro-
mètre.
Ther-
mo-
mètre.
Hyg-
ro-
mètre.
Vents Pluie. Ètat du ciel. Trem-
ble-
ment de
terre.
Nord. Est. Ouest. Sud. Nord-
est.
Nord-
ouest.
Sud-
est.
Sud-
ouest.
Kam-
sin.
Ora-
ge.
Grêle. Pluie. Brou-
illard.
Cou-
vert.
Nuage. Clair.
Janvier. 764 15,3 60 52 1 17 1 4 13 » 5 » Mètre
0,0120
» » 2 13 8 19 51 1
Février. 762 4,9 59 28 » 29 » 4 20 » 3 » 0,0063 1 » 3 5 4 19 52* »
Mars. 758 19,7 50 35 2 14 5 9 22 » 6 4 0,0089 » » 3 1 14 16 59 1
Avril. 759 22,1 41 34 2 29 4 2 13 » 6 6 0,0002 » » 1 » 21 20 48 »
Mai. 759 27,8 38 37 5 23 » 5 16 1 6 3 0,0001 » » 1 » 4 22 66 »
Juin. 759 30,4 38 60 4 5 » 13 7 » 1 » » » » » » 1 21 68 »
Julliet. 758 30,6 45 82 » » » 9 2 » » » » » » » » 3 29 61 »
Août. 758 29,3 45 77 » » » 15 1 » » » » » » » 1 5 25 62 »
Septembre. 759 28,8 50 59 6 » » 25 » » » » » » » » 2 7 24 57 »
Octobre. 762 23,4 60 33 2 6 » 36 16 » » » » » » » 1 » 22 70 »
Novembre. 761 19,1 69 15 3 12 6 26 11 » 17 » 0,0072 » » 5 10 10 33 32 »
Décembre. 762 14,6 66 23 2 12 7 8 19 » 22 » 0,0154 » » 4 6 2 27 54 »
Moyennes
et totaux.
760 23 52 535 27 147 23 156 140 1 66 13 0,0501 1 » 19 39 79 277 680 2

*. Nel testo: 5. La cifra 52 necessaria per l’esattezza dell’addizione si trova nell’ed. Bruxelles 1840. Vedi la Presentazione.


/28/

1838. Récapitulation de l’année

Mois. Baro-
mètre.
Ther-
mo-
mètre.
Hyg-
ro-
mètre.
Vents Pluie. Ètat du ciel. Trem-
ble-
ment de
terre.
Nord. Est. Ouest. Sud. Nord-
est.
Nord-
ouest.
Sud-
est.
Sud-
ouest.
Kam-
sin.
Ora-
ge.
Grêle. Pluie. Brou-
illard.
Cou-
vert.
Nuage. Clair.
Janvier. 764 14,2 68 41 9 3 2 20 15 » 3 » Mètre
»
» » » 3 12 29 49 »
Février. 760 16,6 52 11 1 16 8 17 14 » 17 » » » » » » 4 22 58 »
Mars. 760 18,5 55 41 4 10 » 21 8 1 8 1 » » » » 2 5 14 72 »
Avril. 757 21,9 47 26 1 24 3 7 18 » 11 11 0,0050 » » 1 » 14 24 51 »
Mai. 759 25,5 38 21 1 28 » 8 27 » 8 3 0,0080 1 » 2 1 6 12 71 »
Juin. 757 28,5 47 53 7 2 » 23 5 » » » » » » » 1 » 9 80 »
Julliet. 759 28,3 52 87 » »* » 5 1 » » » » » » » » » 23 70 »
Août. 759 28,4 53 85 » » » 2 7 » » » » » » » » 2 24 67 »
Septembre. 760 26,9 61 77 2 1* » 7 3 » » » » » » » » 2 26 62 »
Octobre. 762 23,8 65 58 1 14 2 7 12 » 9 » » » » » 1 4 23 65 »
Novembre. 762 20    62 20 2 34 » 3 25 » 6 » 0,0030 » » 2 » 4 37 47 »
Décembre. 762 15,9 71 25 6 17 2 7 6 » 9 » 0,0111 1 » 6 4 13 33 39 »
Moyennes
et totaux.
760 22,4 56 545 34 150 17 127 141 1 71 15 0,0271 2 » 11 12 66 276 731 »

*. Col. VENTS/Ouest: nell’ed. Bruxelles 1840 i valori sono scambiati: Julliet: 1 – Septembre: ».


/29/

1839. Récapitulation de l’année

Mois. Baro-
mètre.
Ther-
mo-
mètre.
Hyg-
ro-
mètre.
Vents Pluie. Ètat du ciel. Trem-
ble-
ment de
terre.
Nord. Est. Ouest. Sud. Nord-
est.
Nord-
ouest.
Sud-
est.
Sud-
ouest.
Kam-
sin.
Ora-
ge.
Grêle. Pluie. Brou-
illard.
Cou-
vert.
Nuage. Clair.
Janvier. 761 13,8 62 13 1 25 14 2 22 2 14 1 Mètre
0,0015
» » 2 4 20 30 37 »
Février. 762 14,9 72 32 1 19 7 7 16 » 2 2 0,0030 1 » 2 1 22 31 28 »
Mars. 760 17,3 50 32 1 14 8 5 28 » 5 » 0,0010 » » 1 » 12 19 61 »
Avril. 759 20,6 45 50 » 21 1 » 14 » 4 3 » » » » » 15 25 50 »
Mai. 759 24,4 45 36 9 9 » 17 10 » 3 1 » » » » » 4 16 73 »
Juin. 758 28    45 68 » 1 » 13 8 » » » » » » » » 3 11 76 »
Julliet. 759 29,4 41 76 » 6 » » 11 » » » » » » » » » 17 76 »
Août. 759 30,2 50 68 1 2 » 13 9 » » » » » » » » » 23 70 »
Septembre. 759 26,5 58 83 » » » 5 » 2 » » » » » » » 2 18 70 »
Octobre. 761 23,7 67 70 1 » 4 12 1 5 » » » 1 » » » 3 25 65 »
Novembre. 761 20,3 63 26 3 12 8 17 14 1 9 » 0,0011 » » 2 4 » 19 65 »
Décembre. 761 15,8 72 6 5 35 9 4 13 » 21 » 0,0013 » » 1 6 12 25 49 »
Moyennes
et totaux.
760 22,1 56 560 22 144 51 95 155 10 58 7 0,0079 2 » 8 15 93 259 720 »

/30/

Récapitulation des cinq années

Mois. Baro-
mètre.
Ther-
mo-
mètre.
Hyg-
ro-
mètre.
Vents Pluie. Ètat du ciel. Trem-
ble-
ment de
terre.
Nord. Est. Ouest. Sud. Nord-
est.
Nord-
ouest.
Sud-
est.
Sud-
ouest.
Kam-
sin.
Ora-
ge.
Grêle. Pluie. Brou-
illard.
Cou-
vert.
Nuage. Clair.
1835. 759 22,4 57 446 55 116 58 181 124 14 101 5 Mètre
0,0599
5 1 16 16 118 185 752 »
1836. 760 22    58 501 27 131 76 125 161 2 75 18 0,0251 4 » 5 31 119 227 716 »
1837. 760 23    52 535 27 147 23 156 140 1 66 13 0,0501 1 » 19 39 79 277 680 2
1838. 760 22,4 56 545 34 150 17 147 141 1 71 15 0,0271 2 » 11 25 66 276 731 »
1839. 760 22,1 56 560 22 144 51 95 155 10 58 7 0,0079 2 » 8 15 93 259 720 »
Moyenne
des cinq
années.
760 22,4 56 517 33 138 45 141 144 6 74 11 0,0340 3 » 12 25 95 245 720 »

/31/

§ IV.

Le Nil.

Noms donnés au Nil et honneurs qui lui furent rendus par les anciens Égyptiens. — Sources du Nil. — Cataractes. — Lit. — Rives. — Crues. — Débordements. — Inondations. — Coupe du kalisch. — Courants. — Volume d’eau. — Nilomètre. — Retrait des eaux. — Filtration. — Qualité des eaux.

31. Noms donnés au Nil et honneurs qui lui furent rendus par les anciens Égyptiens. — Le Nil doit son nom actuel à l’un des rois de l’antique Égypte, Nilus, qui fit exécuter plusieurs travaux importants pour l’économie de ses eaux. Il était connu auparavant, par les Grecs, sous le nom d’Ægyptus qu’il tirait aussi de celui d’un pharaon. Pleins de reconnaissance pour les bienfaits de ce majestueux courant, auquel l’Égypte devait à la fois l’existence et la fertilité de son sol, les prêtres l’appelaient Horus et Zéidorus, mots qui signifiaient soleil et fertilité. Vivement frappés des merveilles que le Nil présentait sans cesse à leurs yeux, ils proclamèrent que l’humidité était le principe de toutes choses; ils virent dans leur fleuve sacré une image sensible d’Ammon, leur divinité suprême. Ils lui rendirent un culte pompeux; une ville fut fondée qui porta son nom; elle renfermait un temple élevé en son honneur. Le Nil y était représenté sous la forme d’un vieillard. Sa statue avait /32/ été taillée en marbre noir, à cause de l’origine éthiopienne de ses eaux. La tête couronnée d’épis, il s’appuyait sur un sphinx; un crocodile, un hippopotame, un dauphin étaient couchés à ses pieds. Seize enfants, dont les gracieuses attitudes rappelaient, par un ingénieux et poétique symbole, les heureux effets des crues du fleuve lorsqu’elles arrivaient à la hauteur de seize coudées, se pressaient en cercle autour de lui.

32. Sources du Nil. — Divers souverains de l’antiquité, Sésostris, Cambyse, Alexandre, les Ptolémées, César et Néron firent faire des recherches pour découvrir les sources du Nil. Toutes les tentatives furent inutiles. Aussi les anciens avaient-ils caractérisé les entreprises sans issue par ce proverbe: Caput Nili quœrere. Les voyageurs modernes, malgré tous leurs efforts, ne sont pas parvenus encore à faire mentir cette épigramme. L’opinion la plus généralement admise est que les sources du Nil sont situées dans les montagnes de la Lune (Gebel-el-Gamar). En s’éloignant de ses sources supposées, le Nil, qui porte d’abord le nom de fleuve Blanc (Bahr-el-Abyad) reçoit par la rive orientale, dans le Sennâr, à environ cent quatre-vingts lieues d’Assouan, le fleuve Bleu (Bahr-el-Azrek), que quelques voyageurs avaient pris pour le Nil lui-même, et plus bas le Nel testo: le Tanaze ou Artaboras.
Corr. negli Errata
Taccaze ou Astaboras. Cette rivière est le dernier de ses affluents. Depuis le lieu où il reçoit ses eaux jusqu’au Delta, c’est-à-dire pendant une étendue de quatre cent cinquante lieues, le Nil n’est alimenté par aucune /33/ rivière, « exemple unique dans l’histoire hydrographique du globe, » dit M. de Humboldt.

33. Cataractes. — Les cataractes du Nil ont joui pendant longtemps d’une renommée fabuleuse; celle de Syène surtout dépassait en célébrité les autres accidents de même nature que l’on rencontre en remontant le cours du fleuve. Cicéron et Sénèque n’hésitaient pas à rapporter que cette chute d’eau était si considérable, que le fracas qu’elle faisait frappait de surdité les habitants du voisinage. On a eu, même dans des temps peu éloignés de nous, une opinion aussi exagérée de son importance.

La première cataracte, la seule dont nous devions nous occuper puisque les autres ne se trouvent pas en Égypte, est formée par une montagne transversale que le Nil a dû couper, dans le principe, pour se frayer un chemin. Pendant une étendue d’environ deux lieues, le cours du fleuve est barré par des blocs de granit dont plusieurs s’élèvent à pic à une grande hauteur, dont quelques-uns forment des îles assez considérables et le plus grand nombre des écueils. Déchiré par tous ces obstacles, le fleuve refoule ses ondes, les divise avec violence, ou les roulant par-dessus les rochers les plus bas, forme de petites cascades; on entend d’assez loin le bruit des eaux qui se brisent, tombent, tourbillonnent et s’engouffrent. Ce passage serait très-dangereux pour la navigation, si une espèce de chenal n’avait été pratiqué dans la rive gauche; pendant les hautes eaux, tous les écueils de cette rive sont recouverts; durant les /34/ basses eaux, les barques remontent le courant à la cordelle et en serrant de près la côte; en le descendant elles sont entraînées avec rapidité.

34. Lit. — A partir de la première cataracte, le Nil coule du midi au nord pendant 216 lieues jusqu’à 4 lieues au-dessous du Caire, où il se partage en deux grandes branches. L’une se porte vers le nord-est, et l’autre vers le nord-ouest, directions qu’elles suivent jusqu’à la Méditerranée, où elles forment: celle-ci, la bouche de Rosette; celle-là, la bouche de Damiette, après avoir baigné les murs de ces deux villes et avoir parcouru chacune une ligne d’environ 50 lieues (1). Le lit du fleuve est entièrement composé de sable et d’argile, sa largeur et sa profondeur ne sont pas à beaucoup près les mêmes partout; tantôt il est resserré et profond; tantôt il s’étend sur un espace de plus d’un quart de lieue, guéable quelquefois sur presque toute sa largeur.

(1) On sait que dans l’antiquité le Nil avait sept embouchures qui étaient, d’orient en occident: 1° la branche Pélusiaque ou Bubastique; 2° la branche Tanitique ou Saïtique, aujourd’hui confondue dans le lac Menzalch; 3° la branche Mendézienne ou de Dibeh, également contenue dans le lac Menzaleh; 4° la branche Phatnitique ou Bucolique, qui est celle de Damiette; 5° la branche Sebennitique ou de Bourlos; 6° la branche Bolbiline ou de Rosette; 7° la branche Canopique ou d’Aboukir.

35. Rives. — Plus on avance vers la première cataracte, plus l’élévation des rives du Nil sur le niveau de ses eaux est sensible. Durant les basses eaux, elle est, dans l’Égypte supérieure, de 30 à 40 pieds. Elle est de 20 à 25 aux environs du Caire et va en diminuant /35/ progressivement jusqu’aux bords de la Méditerranée, où elle s’annule. Mais à l’époque des crues, les eaux font disparaître ces divers degrés d’élévation, et souvent elles atteignent et inondent les surfaces les plus élevées. Subordonnées à la nature du sol, à la force du courant et à la manière dont les eaux les frappent, les rives du Nil se détachent, coupées tantôt à pic, tantôt à talus plus ou moins inclinés.

Elles ne sont pas comme celles de nombreux fleuves d’Europe garnies d’arbres et de plantes aquatiques; cependant des groupes de palmiers, d’acacias, de mûriers, etc., les ornent par intervalles et charment les regards du voyageur, soit qu’ils forment les avenues des habitations, ou que, disposés en cercle autour des sakiès (1), ils protègent de leur ombrage l’homme et les bestiaux, occupés à déverser dans les champs l’eau fécondante du fleuve béni.

(1) Puits à roue dont il sera parlé dans le courant de cet ouvraige.

Le Nil baigne les pieds de presque toutes les villes, des principaux villages dans la Haute-Égypte et dans une partie de l’Égypte inférieure; ses rives sont jalonnées de hameaux placés à des distances très-rapprochées les unes des autres: situation qui offre un aspect assez riant, et donne au voyageur la facilité de se procurer les objets indispensables à la subsistance journalière.

36. Crues. — Comme tous les fleuves intertropicaux, le Nil grossit toutes les années après le solstice d’été. On s’est beaucoup occupé des causes de ce phé- /36/ nomène régulier, annuel, fécondant. Celles qu’on lui donnait jusqu’à présent étaient loin d’être les véritables. On croyait que les nuages qui traversent l’Égypte, chassés par les vents du nord, étaient ceux qui allaient s’accumuler vers les montagnes de la chaîne éthiopienne, et là, se résolvant en pluie, formaient de la réunion de leurs eaux, écoulées par différents versants, les crues annuelles du fleuve. On était allé jusqu’à prétendre que les vents du nord, indépendamment des nuages qu’ils amenaient, étaient aussi la cause des crues. D’après cette opinion, ces vents refouleraient les eaux du Nil vers le sud, c’est-à-dire en sens inverse du courant, et celles-ci, contrariées dans leur cours, s’élèveraient et inonderaient les terrains. Mais il faut remarquer que les vents du nord ne régnent qu’à l’époque à laquelle le Nil commence déjà à monter en Égypte même, c’est-à-dire dans le mois de juillet. A Kartoum, lieu où il se forme de la réunion du fleuve Bleu et du fleuve Blanc, il s’élève dès le mois d’avril; on ne peut donc supposer que les vents du nord amènent en Abyssinie et dans les chaînes éthiopiques, où se trouvent tous les affluents du Nil, les vapeurs auxquelles on attribue l’augmentation des eaux du fleuve. D’ailleurs, et ceci tranche la question, aucun des légers nuages que l’on voit passer, en Égypte, dans la direction du nord au sud, n’atteint la Nubie. Ils sont tous dissipés avant d’arriver à Dongolah. Il faut donc chercher ailleurs la cause de l’inondation.

Dans le Sennâr, les mois d’avril, de mai et de /37/ juin amènent des pluies sans interruption. A cette époque, le vent souffle dans la direction du sud-est. Chaque jour, vers midi, les nuages s’accumulent de ce côté de l’horizon. Pendant toute la soirée, et jusqu’à deux heures du matin il fait un temps affreux. Le vent mugit avec impétuosité; le tonnerre fait entendre sans repos d’horribles roulements, et la pluie tombe avec violence. Ce temps continue, dans le Sennâr, jusqu’à la fin du mois de juin, et ce n’est que lorsque l’inondation y est pour ainsi dire complète, que les pluies se répandent; or, on a observé qu’elles ne font jamais monter les eaux, mais servent seulement à les entretenir pendant quelque temps (1). Ce n’est donc pas là encore la cause de ce phénomène.

(1) Les crues, dans le Sennâr, ne se déversent pas sur le terrain, comme en Égypte; les eaux restent dans leur lit.

L’opinion la plus vraisemblable et qui a prévalu aujourd’hui, est que les crues proviennent des orages formés par les vapeurs de l’océan Indien, poussées vers l’Abyssinie par un vent de sud-est, et retenues dans cette région par la haute chaîne de montagnes où elles tombent en pluie.

Les premières eaux qui grossissent le Nil passent à Kartoum, comme je l’ai dit plus haut, dans les premiers jours d’avril; tandis qu’au Caire ce n’est que dans la dernière quinzaine de juin que l’on remarque une légère augmentation dans le volume du fleuve. Elles mettent donc environ trois mois à faire à cette époque un chemin d’à peu près quatre cent quatre-vingts lieues, que la vitesse du courant leur /38/ permettrait de parcourir en un peu plus d’un mois. Mais on s’explique aisément ce retard, en songeant aux diverses saignées, aux infiltrations nombreuses qui dérobent au fleuve ses premières eaux, avant qu’il n’arrive dans la Moyenne et la Haute-Égypte.

Les crues n’ont pas toujours lieu d’une manière graduelle, régulière; souvent elles s’élèvent considérablement tout à coup, pour demeurer stationnaires, diminuer et augmenter de nouveau. Quelquefois leur progression est extrêmement rapide, inappréciable. Dans la Moyenne et la Basse-Égypte, les eaux commencent à s’élever vers la fin de juin ou le commencement de juillet; elles atteignent leur plus haut degré d’élévation à la fin de septembre ou au commencement de juillet; elles atteignent leur plus haut degré d’élévation à la fin de septembre ou au commencement d’octobre, et arrivent à leur étiage aux mois de mars, avril et mai.

37. Inondations. — Ceux qui ne connaissent l’Égypte que de nom croient que le Nil déborde et inonde les campagnes comme un déluge; mais loin de là: l’inondation s’opère presque partout au moyen de canaux irrigateurs, qui portent les eaux dans l’intérieur des terres. L’inondation n’est presque jamais générale; les eaux sont réparties, distribuées sur une surface plus ou moins étendue et circonscrite par des digues, d’où on les laisse s’échapper par divers points, lorsque les premières terres ont été suffisamment abreuvées. Il est peu de terrains qui soient arrosés par la spontanéité des eaux; l’homme n’abandonne presque rien au caprice du fleuve.

38. Coupe du Kalisch. — Lorsque le Nil arrive au /39/ point voulu pour l’inondation, qui a lieu ordinairement du 15 au 20 août, on procède avec pompe à l’ouverture du Kalisch ou canal qui traverse le Caire et va se répandre, avec ses diverses ramifications, sur une grande partie des provinces qui bordent la rive orientale de la branche de Damiette. La veille du jour de la grande solennité, dans la nuit, mille clartés, mille feux artificiels, représentant divers emblèmes, éclatent et se mêlent aux détonations du salpêtre, au bruit des fanfares et aux chants retentissants de l’Arabe. A côté du canal, des barques resplendissantes de lumières et richement pavoisées sillonnent les eaux du fleuve, descendent ou remontent son courant. Le lendemain, les troupes sont sous les armes; on pointe le canon sur la digue; on jette dans l’onde l’emblème du sacrifice humain; le feu du canon fait tomber la digue, et les eaux du Nil se précipitent en bouillonnant dans le canal (1).

(1) D’anciens autours ont prétendu que, dans l’antiquité, pendant la célébration de cette fête, les Egyptiens offraient au Nil, en sacrifice, un jeune garçon et une jeune fille parés de fleurs.

On a refusé d’ajouter foi à l’existence d’une coutume aussi barbare chez un peuple éclairé comme l’était le peuple égyptien. On a pensé que les historiens qui l’ont accusé de faire au Nil ces odieux sacrifices humains avaient été induits en erreur par un usage analogue à celui qui existe aujourd’hui encore, et qui consistait à jeter dans le fleuve, avant l’ouverture du Kalisch, une espèce de simulacre humain couronné de fleurs. Quoi qu’il en soit, et quoiqu’il paraisse certain que la coutume des sacrifices humains n’a pas été pratiquée, au moins du temps des Grecs et des Romains, un historien arabe, Mustany, raconte que l’année où Amrou fit la conquête de l’Égvpte, le Nil n’avant pas crû dans la saison accoutumée, les chefs du peuple /40/ vinrent trouver ce conquérant et le prièrent de leur permettre, suivant l’usage antique, de parer une jeune vierge de riches vêtements et de la jeter dans le fleuve: le général mahométan s’y opposa fortement. Mais la crue du Nil ne s’étant pas manifestée pendant les trois mois qui suivirent le solstice d’été, les Égyptiens alarmés vinrent la solliciter de nouveau: il écrivit à Omar pour lui rendre compte de cet événement. Le calife lui répondit: « Amrou, j’approuve votre conduite et la fermeté que vous avez montrée; la loi mahometane doit abolir ces coutumes barbares. Lorsque vous aurez lu cette lettre, jetez dans le fleuve le billet qu’elle renferme. »

Amrou y trouva ces mots:

« Au nom de Dieu, clément et miséricordieux, le Seigneur répande sa bénédiction sur Mahomet et sur sa famille! Abd-Allah-Omar, fils de Khettâb, prince des fidèles, au Nil: Si c’est ta propre vertu qui te fait couler jusqu’à nos jours en Égypte, suspens ton cours; mais si c’est par la volonté de Dieu tout-puissaut que tu l’arroses de tes eaux, nous te supplions de l’ordonner de les répandre encore. La paix soit avec la prophète. Le salut et la bénédiction reposent sur sa famille! »

Aussitôt, continue l’historien, les eaux montèrent de plusieurs coudées.

/40/ 39. Courant du Nil. — La pente du terrain où roule le fleuve, depuis Assouan jusqu’à la mer, est peu considérable. A deux cent cinquante lieues de son embouchure, à cinq lieues au-dessous d’Assouan, il est élevé de 543 pieds au-dessus du niveau de la Méditerranée; à Thèbes (cent quatre-vingts lieues de l’embouchure), de 357 pieds; à Syout (cent vingt-cinq lieues), de 287 pieds; et enfin au Caire, où il n’est plus qu’à cinquante lieues de la mer, sa hauteur est, dans les hautes eaux, d’environ 40 pieds. Le Nil parcourt trois milles à l’heure dans la période de sa crue, deux milles durant les basses eaux. Les /41/ sinuosités qu’il est obligé de décrire, les obstacles qu’il rencontre, la largeur plus ou moins considérable de son lit diminuent ou augmentent la rapidité de son courant.

40. Volume d’eau. — Dans la période du débordement, comme dans celle de l’étiage du Nil, une grande partie de ses eaux va se perdre dans la Méditerranée, et de nombreuses terres restent stériles par l’effet de la profondeur du lit du fleuve, et du manque de moyens artificiels pour les élever au-dessus des rives et les rendre profitables à l’agriculture. D’après les calculs exacts faits par M. l’ingénieur Linant, voici quels sont les volumes d’eau que le Nil roule, pendant vingt-quatre heures, dans les basses et les plus hautes eaux.

Basses eaux.
   Mètres cubes.
 Par la branchede Rosette79 532 551,728
 Id.de Damiette71 033 840,640
   150 566 392,368
Hautes eaux.
   Mètres cubes.
 Par la branchede Rosette478 317 838,960
 Id.de Damiette227 196 828,480
   705 514 667,440

Ce serait ici le lieu, sous un certain rapport, de /42/ parler du barrage du Nil; mais j’ai préféré traiter ce sujet dans le chapitre consacré aux travaux publics actuels, auquel je renvoie le lecteur.

41. Mekyas, Nilomètre. — L’inondation ayant toujours été pour l’Égypte un événement vital, on a eu de tout temps intérêt à mesurer les crues. Aussi les anciens Égyptiens avaient-ils établi des nilomètres sur divers points du cours du Nil, pour connaître d’avance, à la hauteur de ses eaux, si l’inondation serait favorable ou non à l’agriculture; il en existait un à Memphis et un autre à Philæ, dont on voit encore les ruines. Le seul monument de ce genre, que contienne actuellement l’Égypte, est situé dans l’angle sud de la petite île de Raoudah, placée en face du vieux Caire, et qui doit son nom poétique (parterre de fleurs) à sa fertilité. Les Arabes appellent ce nilomètre mekyas (instrument de mesure). Le mekyas de Raoudah consiste en une colonne de marbre blanc, élevée au centre d’un puits carré, dans lequel une ouverture est pratiquée aux eaux du Nil, et dont on peut atteindre le fond au moyen d’escaliers établis sur ses parois. La colonne, taillée à huit pans, est graduée en seize divisions nommées coudées. La coudée égyptienne, qui se divise en six palmes de quatre doigts, équivaut, d’après une évaluation faite pendant l’expédition d’Égypte, Nel testo: 0,540 millimètres.
Il valore corretto è nell’ed. Bruxelles 1840
à 540 millimètres. En rapportant le mouvement du Nil à la graduation de ce nilomètre, on reconnaît que le fleuve, qui ne descend presque jamais au-dessous de la troisième coudée, doit monter de vingt-quatre à trente doigts au- /43/ dessus de la seizième, c’est-à-dire couvrir le chapiteau, pour annoncer le plus haut point d’abondance; ce qui constitue une crue effective de treize coudées trois quarts, équivalant à vingt-trois pieds. Pendant l’époque d’ascension des eaux du fleuve, des crieurs publics vont annoncer dans les rues du Caire les degrés qu’elles atteignent successivement. (1)

(1) L’usage des criées publiques, sur lesquelles se basent chaque année les espérances du peuple égyptien, remonte à la plus haule antiquité. Les Arabes auraient voulu l’abulir lors de la conquête. Il arrivait en effet que, lorsque les crues n’atteignaient pas la hauteur regardée comme la seule propre à amener une bonne récolte, la population s’effrayait d’avance, se désespérait d’une manière fâcheuse, et que le commerce se trouvait dangereusement troublé. Quelque fondés que fussent leurs motifs, les Arabes n’osèrent pas aller violemment, sur ce point, à l’encontre de l’opinion populaire. Celle-ci entoure le mekyas d’un respect religieux.

Le mekyas de Raoudah fut fondé par le calife ommiade Soleyman, l’an 97 de l’hégire. Le calife abasside El-Mamoun le fit reconstruire l’an 199 de l’hégire; des inscriptions placées dans l’intérieur de la colonne constatent cette restauration. Un autre calife, Mostanser-Billah, le répara dans la suite, et le couvrit d’un dôme qu’il fit soutenir par des colonnes. Les Mamelouks le dégradèrent pendant l’expédition française. Mais nos ingénieurs le réparèrent à leur tour, et décorèrent d’un portique son entrée extérieure; ils gravèrent, au-dessus de la porte, une inscription en arabe et en français, indiquant l’époque de cette nouvelle restauration.

42. Retrait des eaux. — Les semailles suivent, /44/ comme nous l’avons déjà dit, le retrait artificiel ou spontané des eaux; la végétation s’opère alors avec une rapidité prodigieuse; la nature et l’homme ont paré la campagne des plus riches couleurs. Le sol, inculte lui-même, n’est point insensible à l’influence bienfaisante du Nil. Dans les grandes inondations, les eaux atteignent quelquefois le désert, et là où il n’existe pas un atome de terre végétale, des plantes succèdent à leur action immédiate, et la culture s’empare des régions où elles arrivent.

43. Filtrations. — La fécondation des terres n’a pas lieu par l’action exclusive des débordements du Nil. S’il en était ainsi, il n’y aurait qu’une seule récolte, et beaucoup de plantes acquerraient difficilement leur développement nécessaire. La filtration est le plus puissant auxiliaire de la végétation; elle s’opère en passant à travers les couches légères, sablonneuses, sous-jacentes des terrains cultivables. Elle est due à la pression que les eaux du fleuve exercent sur les rives, à la pente et à la nature poreuse du terrain qu’elles rencontrent. Son action est d’autant plus forte que le volume d’eau du Nil est plus considérable. Lorsqu’elle a lieu, il s’établit sur les rives deux courants qui suivent une direction inverse; l’eau pénètre insensiblement plus avant dans l’intérieur, elle s’étend jusqu’au pied des montagnes, et ce n’est que lorsque la filtration est complète que la masse du liquide établit son niveau. A l’époque de la baisse du Nil, la filtration a lieu en sens contraire, c’est-à-dire que les eaux qui infiltraient la /45/ rive descendent en même temps que celles du fleuve; et les terrains atteints les derniers par l’infiltration sont aussi les derniers à se dessécher.

Les eaux qui remplissent les canaux pendant l’inondation, et qui y sont retenues par des barrages lorsque le volume du Nil diminue, maintiennent encore la filtration, après que le fleuve ne l’alimente plus directement. La filtration est exploitée au profit de l’agriculture par des puits à roue appelés sakiès, creusés en grand nombre dans l’intérieur des terres, et dont nous parlerons dans le paragraphe consacré à l’agriculture.

44. Qualités des eaux du Nil. — Troubles à l’époque de la crue, elles déposent facilement les matières argileuses qu’elles contiennent en suspension et se clarifient ainsi peu à peu. Elles ont une saveur agréable et ne dérangent jamais l’exercice des fonctions digestives. Extrêmement légères, on peut en boire à satiété sans que mal s’ensuive; elles passent facilement par la transpiration et les urines. L’analyse chimique a fait reconnaître qu’elles sont d’une grande pureté, qu’elles sont très-bonnes pour la préparation des aliments et même pour les arts chimiques. Elles peuvent remplacer l’eau de la pluie et l’eau distillée, difficile à obtenir en grande quantité dans une région où les combustibles sont rares.

Les anciens ne se contentaient pas de rendre hommage à la bonté des eaux du Nil; ils lui attribuaient encore des propriétés mystérieuses. Si l’on en croit Pline, elles avaient la vertu de rendre les /46/ femmes fécondes; et c’est pour cette raison sans doute que Ptolémée Philadelphe avait soin d’envoyer à sa fille Bérénice, qu’il avait mariée à Antiochus, roi de Syrie, de l’eau du Nil pour qu’elle en fit sa boisson exclusive. Le grand honneur dans lequel l’eau du Nil était tenue dans l’antiquité lui a été continué encore dans les temps modernes. Pendant longtemps on en a toujours entretenu à Constantinople un approvisionnement, à l’usage des sultans et de leurs familles.


§ V.

Lacs de l’Égypte.

Classification. — Le Maréotis. — Le Mahdyeh. — L’Edkou. — Le Bourlos. — Le Menzaleh. — Le Birket-el-Balah. — Le Sebakah Bardoual. — Le lac Amer. — Les lacs de Natron. — Le Birket-el-Keroun. — La vallée du fleuve sans eau.

45. — On compte en Égypte dix lacs, dont sept communiquent avec la Méditerranée.

Ceux-ci sont:

  1. 1° Le Boheyreh-el-Maryout, ancien lac Maréotis;
  2. 2° Le lac Mahdyeh ou d’Aboukyr;
  3. 3° Le lac d’Edkou;
  4. 4° Le lac Bourlos;
  5. 5° Le lac Menzaleh;
  6. 6° Le Birket-el-Balah (étang des Dattes);
  7. 7° Le Sebakah Bardoual, ancien lac Sirbon.

/47/ Les trois autres sont:

  1. 8° Le lac Amer;
  2. 9° Les lacs de Natron;
  3. 10° Le Birket-el-Keroun, ancien lac Mœris.

46. Lac Maréotis (Boheyreh-el-Maryout). — Le lac Maréotis, le premier que l’on rencontre sur la base du Delta en venant de l’ouest, est situé entre la Tour des Arabes et Alexandrie, dont il fertilisait autrefois les environs. Ce lac contenait encore au XVIe siècle des eaux douces que lui apportaient des canaux du Nil. Mais l’impéritie et la fatale insouciance du gouvernement des Mamelouks le laissèrent se dessécher. Lorsque l’armée française descendit en Égypte, le Maréotis n’était plus qu’une plaine sablonneuse, dont la partie la plus basse retenait les eaux de la pluie, qui y séjournaient une grande partie de l’hiver. Mais, le 4 avril 1801, l’armée anglo-turque coupa les digues du canal d’Alexandrie vers l’extrémité occidentale du lac Mahdyeh: les eaux de ce lac, aussi salées que celles de la mer, se répandirent successivement par trois ou quatre ouvertures dans le Maréotis, et mirent soixante-six jours à le remplir. Le déluge provoqué par les Anglais submergea quarante villes et les terres cultivées qui les entouraient (1).

(1) Méhémet-Ali a fait barrer la communication du lac avec la mer. Le Maréotis ne reçoit plus que les eaux pluviales et les surverses du canal Mahmoudieh. Ces eaux couvrent sa surface pendant l’hiver. Mais, en été, elles s’évaporent, et, le fond du lac ayant /48/ été longtemps imprégné par les eaux de la mer, elles laissent sur lui une couche saline assez épaisse qui lui donne l’aspect d’un terrain couvert de neige. Le sel, qui se cristallise ainsi, est exploité. Le vice-roi a conçu le projet de remettre en culture le sol du Maréotis.

47. Boheyreh Mahdyeh. — Ce lac tire son nom d’un /48/ passage d’eau (2) situé sur la route d’Alexandrie à Rosette, par lequel il communique avec la mer. Il est situé entre Aboukir et le lac d’Edkou. Il est salé et de formation nouvelle. Le détroit par lequel il se lie à la mer occupe à peu près l’emplacement de l’ancienne bouche Canopique. On trouve sur la langue de terre sablonneuse qui le sépare de la Méditerranée des vestiges d’une digue longue de 3,000 mètres, que cette mer rompit en 1715, époque à laquelle elle commença à submerger le Mahdyeh. Ce lac offre une surface de près de 14,000 hectares.

(2) Mahdyeh veut dire en arabe passage d’eau.

48. Lac d’Edkou. — Il tire son nom d’un village situé sur ses bords; il est placé entre le Mahdyeh et la branche de Rosette. Les eaux du Nil l’alimentent. Il était presque entièrement desséché à l’époque de l’expédition française, parce que les digues des canaux qui le remplissent n’avaient pas été ouvertes depuis longtemps. L’une de ces digues fut rompue en 1800; mais l’inondation fut si abondante que les eaux du lac s’élevèrent de 50 à 60 centimètres au-dessus du niveau de la mer et s’ouvrirent une bouche d’environ 150 mètres de largeur. La superficie de ce lac est d’un peu moins de 34,000 hectares.

49. Lac Bourlos. — Le lac Bourlos occupe la /49/ base du Delta et s’étend d’une branche du Nil à l’autre. Ce lac est peu profond. Il reçoit divers canaux et communique avec la mer par une ouverture; il a environ 25 lieues de longueur. Sa surface est de 112,000 hectares.

50. Lac Menzaleh. — Le lac Menzaleh s’étend depuis Damiette jusqu’aux ruines de Péluse. Sa plus grande dimension est de près de 84,000 mètres; sa plus petite, de 22,000, et sa surface, de 184,000 hectares. Il communique avec la mer par deux bouches praticables, celles de Dibéh et d’Omm-Sarèdj, dans lesquelles on a reconnu les bouches Mendésienne et Tanitique des anciens. Ses eaux sont d’une saveur moins désagréable que celles de la mer; elles sont potables pendant l’inondation du Nil, qui leur verse alors les siennes par le canal de Moeys.

51. Birket-el-Balah (étang des Dattes). — On appelle ainsi des lagunes, espèces de marécages formés par le lac Menzaleh dans sa partie méridionale. Elles occupent une superficie d’environ 13,000 hectares.

52. Sehakah Bardoual. — C’est le nom moderne du lac Sirbon, situé à l’est des ruines de Péluse et dans le voisinage d’El-Arisch, le long de la côte maritime. Les descriptions que nous en ont laissées Strabon et Diodore de Sicile sont encore applicables à son état actuel. Diodore nous dit que « des corps d’armée ont péri faute de connaître ces marais profonds, que les vents recouvrent de sables qui en cachent les abîmes. Le sable vaseux, ajoute-t-il, ne cède d’abord que peu à peu sous les pieds, comme /50/ pour séduire les voyageurs, qui continuent d’avancer jusqu’à ce que, s’apercevant de leur erreur, les secours qu’ils tâchent de se donner les uns aux autres ne peuvent plus les sauver. Tous les efforts qu’ils font ne servent qu’à attirer le sable des parties voisines, qui achève d’engloutir ces malheureux voyageurs. C’est pour cela qu’on a donné à cette plaine fangeuse le nom de Barathrum, qui veut dire abîme. »

53. Lac Amer. — Situé vers le milieu de l’isthme de Suez, ce lac, sur l’emplacement duquel la mer Rouge a dû autrefois étendre ses eaux, servit de transition pour l’ancien canal qui faisait communiquer la mer Rouge au Nil.

54. Lacs de Natron. — A douze heures de marche à l’ouest du village de Terraneh, dans la Basse-Égypte, on rencontre une vallée dont la partie basse renferme quelques lagunes qui prennent leur nom de lacs de Natron d’une substance salino-pierreuse qu’elles produisent.

Ces lacs sont au nombre de six. Leurs bords sont échancrés de petits golfes d’où l’eau transsude, se forme en fontaines et s’échappe en petits ruisseaux qui se rendent dans le fond des bassins. Leurs bords sont recouverts de natron.

Il est à peu près certain que le fond de ces lacs est inférieur au lit du Nil et même au niveau de la Méditerranée, et l’opinion la plus probable attribue leur alimentation aux filtrations des eaux du fleuve, à travers l’espace de dix lieues environ, qui les sépare de leur vallée. Les hausses et les baisses des /51/ eaux des lacs sont en effet régulières, et correspondent, en proportion inverse, aux crues du Nil. C’est en hiver et pendant trois mois que les filtrations du fleuve donnent aux eaux des lacs leur volume le plus élevé.

Les divers sels contenus dans ces lacs sont des muriate, carbonate et sulfate de soude: lorsque l’évaporation des eaux a lieu, ces substances, qu’elles ont amenées avec elles, se solidifient, et c’est alors l’époque où elles sont exploitées.

Les eaux de deux des lacs sont colorées en rouge par une substance végéto-animale. Lorsqu’on les fait évaporer, le sel marin, qui cristallise le premier, retient cette couleur rouge, et acquiert un parfum agréable, qui ressemble à celui de la rose.

Il y a auprès des lacs de Natron plusieurs couvents de cophtes.

53. Lac Mœris (Birket-el-Keroun). — Le lac de l’Égypte qui offre le plus d’intérêt et sans contredit le Birket-el-Keroun. La réputation dont il a joui pendant l’antiquité, et les immenses services qu’il a rendus à l’Égypte, en font l’une des particularités de cette contrée qui méritent le plus d’attirer l’attention.

Le lac Mœris occupe le fond d’une large vallée circulaire que la chaîne Libyque forme, comme nous l’avons déjà dit, à la hauteur de la Moyenne-Égypte. Cette vallée, qui était le nome Arsinoïte des anciens Égyptiens, s’appelle Fayoum, mot que les Arabes ont formé de Piom et Phaïom, qui signifiaient, dans /52/ l’antique langue égyptienne, lieu marécageux. Ce qui reste de l’ancien lac est appelé aujourd’hui Birket-el-Keroun ou lac de Caron. C’est à cet immense bassin que se rattache la fable de Caron, le farouche nocher du Styx, qui d’après la mythologie antique, passait aux enfers les ombres des morts. Sans doute les anciens Égyptiens traversaient une partie du lac pour aller déposer leurs momies dans une nécropole, et cet usage a fourni le prétexte d’une fable qui a joué un grand rôle dans le polythéisme grec et romain.

Les anciens, Hérodote surtout, avaient répandu sur l’origine du lac Mœris une erreur qui a trompé plusieurs géographes modernes et qui est encore vulgaire, mais que la science est unanime aujourd’hui à repousser. D’après l’historien grec, le roi Mœris aurait fait creuser le lac du Fayoum, pour en faire un réservoir propre à recevoir le trop plein des inondations surabondantes du Nil, à les rendre ensuite, dans le cas où les crues auraient été insuffisantes, et à subvenir en tout temps aux besoins de l’agriculture. Mais il est évident que ce lac n’a pu être creusé de main d’homme, car cette opération aurait exigé le déplacement de plus de onze cents milliards de mètres cubes de terres ou de roches. Hérodote basait son assertion sur ce que deux pyramides d’une grande hauteur, dont l’une était surmontée par un colosse, s’élevaient audessus des eaux. Mais on peut admettre que Mœris profita de la disposition naturelle de la vallée de Fayoum, dont le fond paraît inférieur de beaucoup an lit du Nil, pour y /53/ conduire les eaux du fleuve, et qu’il fit élever les pyramides avant d’avoir entrepris ce magnifique travail. On peut encore supposer que ces pyramides existaient antérieurement à Mœris.

Le lac Mœris, dont le Birket-el-Keroun n’occupe aujourd’hui que le bas-fond, n’avait pas moins autrefois de Nel testo: soixante lieues carrées.
Corr. negli Errata
soixante et quinze lieues de tour. Il recevait les eaux du Nil par un canal, connu aujourd’hui sous le nom de Bahr Jousseff (canal de Joseph), dont on avait frayé l’entrée à travers la chaîne Libyque, et qui s’irradiait sur le Fayoum en plusieurs cours d’eau qui, après avoir fertilisé tout le terrain cultivable, allaient se perdre dans le lac.

On n’est pas entièrement d’accord sur la voie par laquelle ce vaste réceptacle rendait à l’Égypte les eaux qu’il avait reçues. Hérodote prétend que le même canal qui les lui avait portées pendant six mois les rapportait dans la vallée du Nil pendant l’autre période de l’année. Mais il est beaucoup plus logique de penser que les eaux s’écoulaient par le canal appelé aujourd’hui Bahr-Bela-Ma ou fleuve sans eau (1).

(1) Je renvoie le lecteur au savant mémoire publié par M. Jomard sur le Birket-el-Keroun, dans le grand ouvrage sur l’Égypte. Les questions qui se rattachent au lac Mœcris y sont traitées à fond et avec l’érudition que l’on connaît à cet illustre membre de l’Institut.

56. Fleuve sans eau. — La vallée du fleuve sans eau, liée à l’extrémité occidentale du lac Mœris, s’avance vers le nord à travers le désert, et parallèlement au cours du Nil. Elle passe à une heure et demie de distance des lacs de Natron, et allait se terminer autrefois /54/ au lac Maréotis. Le lit du fleuve sans eau, qui tire son nom actuel de son état de sécheresse ordinaire, avait été creusé, tout porte à le croire, au moins en partie. Il formait un véritable appendice du lac Mœris, un second lac à la suite du premier, et c’est de sa formation, et non de celle du lac principal, qu’il faut faire honneur à la puissance de l’homme. La vallée du fleuve sans eau présente jusqu’à trois lieues de développement d’un bord à l’autre. Elle est aujourd’hui stérile et ne renferme point de sources. On y trouve beaucoup de bois pétrifié ainsi que des animaux fossiles.