Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

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Chapitre III.

Population, habitations, villes et villages de l’Égypte.

§ I.

Population.

Population de l’Égypte dans l’antiquité. — Population actuelle. — Causes de la dépopulation de l’Egypte. — Ce qu’a fait Méhémet-Ali dans l’intérêt de sa repopulation. — Obstacles qui paralysent dans le présent les heureux effets des réformes du vice-roi.

1. Population de l’Égypte dans l’antiquité. — L’Égypte, dans les temps de son antique splendeur, dut avoir, comme tous les États prospères, une population nombreuse; s’il faut en croire Strabon et Diodore de Sicile, elle aurait compté, sous Sésostris et sous les Ptolémées, de sept à huit millions d’habitants.

Les historiens arabes vont jusqu’à prétendre que, lors de la conquête de ce pays par Amrou, sa population s’élevait à vingt millions d’âmes, et qu’il contenait vingt mille villes ou villages. Ces chiffres se /166/ ressentent de l’exagération dont les Orientaux imprégnent tous leurs écrits. On leur trouvera cependant moins d’invraisemblance et même quelque fondement si, estimant la population d’un pays par celle que ses moyens naturels lui permettent de nourrir, on prend, pour données d’une induction de ce genre appliquée à l’Égypte, l’étendue de son territoire, la nature de son sol et la quantité de ses terres cultivables; or, la surface de la vallée du Nil équivaut au sixième de celle de la France; cette surface est une vallée d’une fertilité proverbiale; elle est, s’il m’est permis de parler ainsi, élastique: l’agriculture peut l’élargir à volonté, et conquérir le désert en conduisant sur ses sables les eaux du Nil. Avec de pareils éléments de richesse intérieure, je crois probable que l’Égypte, avant sa complète décadence, avait au moins le tiers des habitants que lui donnent les évaluations des Arabes.

2. Population actuelle. — Au commencement de ce siècle, lors de l’expédition française, on n’estimait plus sa population qu’à 2.000.000 d’àmes; il y a, il est vrai, de l’inexactitude dans ce nombre, car il est bien démontré qu’elle est aujourd’hui de plus de 3,000,000 d’habitants.

Il est impossible d’appuyer ce chiffre sur des données exactes, il n’y a pas en effet d’état civil en Égypte. Les évaluations ont été faites sur le nombre approximatif des maisons. On a supposé qu’en moyenne les maisons du Caire contenaient huit personnes et celles du reste de l’Égypte quatre. On peut estimer à en- /167/ viron quatorze cent mille le chiffre de la population mâle, dont le tiers, à peu près, est en état de porter les armes; la population totale peut se classer de la manière suivante:

Égyptiens musulmans2,600,000
Égyptiens chrétiens (cophtes)150,000
Osmanlis ou Turcs12,000
Arabes bédouins70,000
Nègres20,000
Barabras5,000
Abyssiniens5,000
Esclaves circassiens, mingréliens, géorgiens5,000
Juifs7,000
Syriens5,000
Grecs raïas3,000
Arméniens2,000
Grecs Francs2,000
Italiens2,000
Maltais1,000
Françaisde 7 à 800
Anglaisde 80 à 100
Autrichiensde 60 à 100
Russesde 20 à 30
Espagnolsde 15 à 20
Suisses, Belges, Hollandais, Prussiens, Suédois, Danois, environ100

Je répète que ces chiffres ne sont pas officiels, je ne les ai déterminés que pour donner une approximation.

/168/ 3. Causes de la dépopulation de l’Égypte. — En comparant la population de l’Égypte antique avec celle qu’elle contient en ce moment, on ne peut s’empêcher de s’interroger avec tristesse sur les causes du décroissenient rapide de la race humaine, dans une contrée envers laquelle la nature a pourtant été si prodigue. Serrée sur ses flancs par le désert, serait-elle forcée de céder peu à peu du terrain à ce cruel envahisseur? Serait-il vrai, comme le prétendent quelques géologues (1), qu’une loi naturelle destinerait la Haute-Égypte à être submergée par le Saharah, qui a déjà enseveli sous ses sables une large partie de l’ancienne Thébaïde? L’humanité serait-elle expulsée ainsi, par une puissance irrésistible, de l’une de ses plus antiques demeures? nous ne le pensons pas; nous croyons qu’en Égypte l’homme peut triompher du désert, et ne doit accuser que son incurie des progrès de cet élément de destruction.

(1) Cuvier, Discours sur les revolutions de la surface du globe.

La vie pour l’Égypte, c’est le Nil: la mort, c’est le désert; le Nil l’a créée, il en est toujours l’àme: abandonné à l’impulsion qui le mène, le désert la corrode et la détruit lentement. Mais le fleuve peut dompter le sable, car il le féconde. Pour conserver, pour agrandir même cette belle péninsule égyptienne qui s’avance de deux cents lieues à travers les mers sablonneuses, il s’agit donc d’opposer le fleuve au désert. La prospérité de l’Égypte et l’augmentation du nombre de ses habitants dépendent du ména- /169/ gement des eaux du Nil; elles sont solidairement attachées au développement et à l’entretien des irrigations. Or, pour donner à des intérêts si importants une surveillance constante et des soins assidus, il faut une pensée et une force gouvernementales toujours une. L’Égypte est donc le pays qui demande le plus à être gouverné; son existence matérielle, la conservation de son sol et partant de sa population, réclament de la vigueur et de la continuité dans l’exercice du pouvoir qui la dirige. Mais, par une ironique fatalité, aucune contrée n’a été, depuis mille ans, plus mal gouvernée; aucune n’a vu se succéder, pendant de courts espaces de temps, des pouvoirs aussi barbares, aussi destructeurs dans leurs instincts, aussi paresseux, aussi inintelligents dans leur administration.

Quelque part que l’on recherche les causes de la dépopulation de l’Égypte, depuis Amrou, on les voit donc toujours remonter à ses gouvernements; il vaudrait mieux dire aux anarchies diverses qui ont usurpé dans son sein le nom du gouvernement, sans en exercer les utiles fonctions.

Si, voyant leurs champs se couvrir d’une aride superficie et manquant de moyens de subsistance, de nombreuses familles ont émigré; si d’autres se sont rapidement éteintes dans la misère; à qui la faute, sinon au pouvoir ou plutôt à l’absence de tout pouvoir digne de ce nom?

Si des épidémies ont ravagé l’Égypte; si elles s’y sont installées à demeure, qui a été coupable de ne /170/ pas les avoir prévenues dans leurs principes ou combattues dans leurs conséquences? De la part de qui, en ce cas, l’ignorance et l’insouciance étaient-elles des crimes? C’est encore sur les gouvernements que pèse l’accusation, ou c’est de l’absence de gouvernement qu’il faut de nouveau se plaindre.

A la faveur de la longue anarchie qui était devenue l’état ordinaire de l’Égypte, des nuées de chefs subalternes tenaient de la loi du sabre le droit d’en mutiler et d’en tuer les habitants. Sous l’étreinte de ces mille petits despotes, comment aurait-elle pu reprendre santé et vigueur? Continuellement ensanglanté par des guerres intestines, dévasté sans relâche par des hordes de conquérants, ce pays s’en allait dépérissant peu à peu comme rongé par une lèpre incurable.

4. Ce qu’a fait Méhémet-Ali dans l’intérêt de la repopulation de l’Égypte. — Certes, parvenir à fonder un pouvoir fort au milieu d’une contrée aussi moralement et matériellement délabrée, établir une unité robuste là où une monarchie séculaire avait tout fractionné, donner à ce pouvoir nouveau assez de vitalité pour qu’on puisse se promettre la continuité de son action par sa transmission héréditaire dans la même famille, c’est, ce me semble, l’œuvre d’un merveilleux génie; c’est le commencement, et le seul commencement possible de la régénération et de la repopulation de l’Égypte. On ne pouvait pas attendre davantage de Méhémet-Ali; on n’avait pas même le droit d’exiger qu’il fît autant.

/171/ Ses ennemis l’accusent néanmoins d’épuiser l’Égypte; ils lui font un crime surtout de sa dépopulation actuelle, et lui reprochent de l’augmenter par l’entretien de forces militaires qui excèdent les ressources du pays.

Si l’on admet que, pour renaître à la civilisation et revenir aux temps de sa prospérité si fameuse, l’Égypte avait besoin, avant tout, d’un gouvernement fort et durable, il faut excuser les moyens par lesquels Méhémet-Ali a assuré la force et la durée de sa puissance. C’est surtout dans les pays barbares où tout s’incline devant le despotisme du fait, où le mot même de droit commun est inconnu, que la fin justifie les moyens. On manque donc ou de logique ou de bonne foi lorsqu’on veut rendre le vice-roi responsable des maux passagers qu’a dû causer l’accomplissement de ses projets, maux d’ailleurs qui ne sont que la suite de ces souffrances chroniques dont il a pris à tâche de guérir l’Égypte.

Sans doute, l’Égypte est aujourd’hui dépeuplée; mais à moins que l’on exigeât de lui l’emploi et la réussite du procédé mythologique de Deucalion, le vice-roi ne pouvait la doter d’une population improvisée. Au milieu même des circonstances les plus favorables, la civilisation est l’œuvre du temps; on ne régénère pas un peuple d’un coup de baguette; on ne le multiplie pas avec un simple fiat. Il suffit donc, pour sa gloire, à Méhémet-Ali, d’abord d’avoir rendu tous les progrès possibles, puis de leur avoir donné une vigoureuse impulsion, là où l’immobilité /172/ de la mort semblait s’être installée pour toujours, au milieu des ruines.

Or Méhémet-Ali, loin d’avoir épuisé d’hommes la vallée du Nil, a fait immensément au contraire, dans l’intérêt de sa repopulation future. Napoléon avait dit: « Encore vingt ans d’une administration comme celle des Mamelouks et l’Égypte perd le tiers de ses terres cultivables. » Le vice-roi a su prévenir les effets de cette prédiction; il a ouvert de nombreux canaux qui ont porté l’abondance dans les campagnes; il a perfectionné le système d’irrigation; il a refoulé ainsi le désert, et augmenté, dans des proportions énormes, la production de l’Égypte. Pour éloigner les causes des maladies, pour en détruire les effets, il a appelé des médecins étrangers et a créé une école de médecine et des hôpitaux. Avant lui, la petite vérole moissonnait le tiers des enfants; cette cause de dépopulation a disparu devant l’introduction de la vaccine. Il a détruit le pouvoir arbitraire que s’arrogeaient les fonctionnaires; l’ordre le plus rigoureux règne dans toute la partie de l’Afrique qui lui est soumise, et qui était autrefois en proie aux brigandages de tribus avides de butin. On y jouit aujourd’hui de plus de sécurité, peut-être, que dans les Etats les mieux gouvernés de l’Europe.

5. Obstacles qui paralysent dans le présent les heureux effets des réformes du vice-roi. — Les forces militaires de l’Égypte sont, il est vrai, considérables, mais elles n’opposent pas d’obstacles absolus à l’accroissement de la population. Le fellah trouve en /173/ effet dans les régiments un bien-être dont il est loin de jouir chez lui: aussi la mortalité est-elle moindre parmi les soldats que parmi les paysans; d’un autre côté les militaires peuvent se marier et presque tous ont des femmes. Il est certainement à désirer, dans l’intérêt de la prospérité intérieure de l’Égypte, que les bras de ses soldats soient rendus aux travaux agricoles. Si Méhémet-Ali n’avait pas à défendre son indépendance contre des mauvais vouloirs qu’on ne peut qualifier; s’il lui était permis de consacrer aux provinces qu’il gouverne tous ses soins, toutes ses pensées, peu d’années lui suffiraient pour répandre parmi ses sujets sinon la richesse, du moins l’aisance. Aujourd’hui, en effet, fortifications, arsenaux, constructions publiques, tous les travaux fondamentaux sont achevés, tous les frais de matériel sont faits; l’Égypte n’aurait plus qu’à recueillir les avantages que lui promettent les réformes récentes, si l’existence politique de celui à qui elle les doit n’était pas sans cesse mise en question. Les maux qui pèsent encore sur elle, c’est à l’Europe à les faire cesser en tranchant, une fois pour toutes, les difficultés du problème oriental. Si elle ne marche pas encore d’un pas assuré dans les voies de la prospérité et de la civilisation, c’est aux puissances occidentales qu’il appartient de lui donner l’impulsion définitive, en mettant un terme aux longues anxiétés dans lesquelles la tiennent le statu quo et les incertitudes de la politique actuelle.


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§ II.

Maisons d’habitation. — Édifices publics.

Maisons des villes. — Leur apparence extérieure. — Porte d’entrée. — Croisées. — Terrasse. — Tour. — Logement des femmes. — Maisons des villages. — Mosquées. — Fontaines, abreuvoirs, bains. — Cafés, bazars, okels.

6. Maisons des villes. — Les maisons des villes sont généralement plus spacieuses et plus belles que celles des villages. Il semble que ce fait, qui se rencontre partout, soit plus frappant encore en Égypte, où la population des villages est pauvre et où l’aisance et la richesse se sont presque exclusivement réfugiées dans les villes.

Les matériaux employés dans les villes pour la construction des maisons sont des pierres calcaires, des grès, tirés des montagnes qui les avoisinent, et des briques cuites ou simplement desséchées au soleil.

Ces maisons n’ont le plus souvent qu’un rez-de-chaussée et un étage, rarement deux. Elles ne sont communément pas grandes, car chacune n’est occupée que par une seule famille. On comprend aisément cet usage, lorsque l’on sait que les mœurs musulmanes concentrent la vie domestique dans l’isolement, et, à cause des femmes, ferment l’accès de l’intérieur à tout rapport intime et familier. Le /175/ musulman est d’ordinaire, pour le même motif, propriétaire de la maison qu’il habite.

7. Leur apparence extérieure. — Du but exclusivement personnel qu’a la demeure du musulman naissent dans sa construction, dans sa distribution intérieure, dans l’aspect qu’elle présente au dehors les caractères spéciaux qui la distinguent. Chez elle, tout ne concourt qu’à assurer au propriétaire les commodités qu’il recherche et à l’envelopper de mystère; mais rien n’est sacrifié au goût, aux exigences du public. Ainsi la plupart des maisons, élevées sans symétrie, dans des rues irrégulières, ne sont pas recrépies, et souvent celles de riches particuliers, dans l’intérieur desquelles le luxe étale les ornements les plus distingués, n’ont qu’une misérable apparence. Peut-être y a-t-il à cette négligence de la forme extérieure une autre cause qu’une dédaigneuse indifférence pour l’agrément du public; peut-être n’est-elle qu’une précaution contre l’envie des grands et des puissants, à la cupidité desquels les Orientaux avaient appris, par une longue expérience, qu’il était trop dangereux d’offrir des tentations.

8. Porte d’entrée. — On entre, en général, dans ces maisons par des portes très-basses. Ces portes s’ouvrent toujours en dedans; elles ne sont formées que d’une seule pièce. Lorsqu’elles sont ouvertes, la vue est arrêtée par un mur qui fait face à l’entrée, et forme une espèce de tambour par le côté duquel on pénètre dans la maison. Les portes sont fermées intérieurement par une forte barre en bois, qui court /176/ transversalement dans le mur, où on la fait glisser lorsqu’on veut ouvrir, et d’où on la tire lorsqu’on ferme. Il y a quelquefois aussi des serrures de divers genres que je crois inutile de décrire.

9. Croisées. — Les façades sont percées par de grandes fenêtres fermées par des grillages très-serrés, qui permettent au vent et à la lumière de pénétrer dans les appartements, mais dérobent aux regards les personnes ou les objets qui sont placés derrière eux. Les parties de l’édifice situées au-dessus du rez-de-chaussée, dans lesquelles sont ouvertes les fenêtres, s’avancent de deux ou trois pieds sur les fondements, et forment des balcons couverts. Le treillis des jalousies, appelé muscharabyeh, est fait avec de petits morceaux de bois tournés, que l’on adapte ensemble de manière à composer des dessins compliqués et gracieux. Dans les maisons pauvres, les grillages sont en roseaux ou branches de palmiers. Dans les maisons des personnes aisées, des vitrages ferment en outre les croisées et protègent l’intérieur contre la poussière.

10. Terrasse. — La toiture est horizontale; elle est recouverte par une terrasse bordée d’un parapet de hauteur d’homme. La terrasse sert d’étendoir, mais principalement de lieu de récréation, dans les maisons qui ne renferment ni cours ni jardins; le maître, son harem, ses esclaves, y montent pour respirer la délicieuse fraîcheur des soirées et se délasser des fatigues du jour. Le plancher des terrasses est recouvert, en général, d’un mastic /177/ léger, composé du mélange de la cendre des fours avec de la chaux et du plâtre. Dans les maisons opulentes, elles sont dallées en pierres calcaires, sciées en très-minces carreaux.

11. Cour. — Chaque maison renferme presque toujours une cour intérieure, qui a le double avantage de lui donner de la lumière et de l’air. Autour de la cour se trouvent les pièces où l’on renferme les poules, les chèvres, etc., les écuries des bêtes de somme, les magasins de décharge, le moulin, le four, la cuisine, le logement des domestiques et l’appartement où le maître reçoit ses visites, et que l’on nomme Mandarah; c’est aussi dans la cour que le puits est creusé.

12. Logement des femmes. — La partie supérieure des bâtiments est spécialement destinée aux femmes. Elle renferme une grande salle, divan du maître, qui équivaut au salon de réception des maisons européennes: les chambres à coucher du maître, des femmes et des esclaves de son harem, des cabinets, etc.

13. Diverses particularités. — Toutes les maisons musulmanes sont, à peu de variations près, construites sur le même type et divisées de la même manière; les légères différences qu’elles présentent entre elles sont corrélatives au rang et à la fortune de leurs propriétaires: chez les riches, par exemple, on trouve presque toujours un jardin intérieur, domaine exclusif des femmes, qui vont y chercher les distractions Nel testo: que leur réclusion les empêche de demander à de fréquentes promenades extérieures.
Corr. negli Errata
que leur réclusion les empêche. /178/ Les demeures des grands seigneurs ont quelquefois deux cours et deux jardins, et des corps de bâtisse séparés pour les hommes et le harem.

Les maisons égyptiennes sont communément dallées en pierres calcaires; dans celles qui appartiennent à des personnes opulentes, les appartements sont souvent lambrissés en marbre. On y trouve des bains. Le mandarah, pavé en mosaïque, contient au centre un bassin qui reçoit l’eau jaillissante d’une fontaine. Les appartements supérieurs ont souvent aussi leurs bassins, alimentés par des jets d’eau. Il n’existe de cheminée dans aucune autre pièce que la cuisine; au contraire, les latrines sont très-nombreuses; chaque appartement, à peu près, a les siennes. Les vitrages des fenêtres ne s’ouvrent pas, comme chez nous, à deux battants; on les élève en les faisant glisser dans des coulisses. Comme la ventilation est un point très-important pour une habitation égyptienne, on pratique souvent dans la terrasse une ouverture que l’on surmonte d’un auvent tourné vers le nord: arrêté par cette barrière, dans laquelle il s’engouffre, le vent se répand dans l’intérieur de la maison.

C’est le style arabe qui a présidé à la construction de presque toutes les maisons de l’Égypte. On sait de quelles délicieuses fantaisies l’architecture arabe enrichit ses ouvrages; on connaît l’art charmant avec lequel elle réunit dans les ornements qu’elle sème avec profusion la régularité des combinaisons à la /179/ vivacité des caprices. On peut dire que les brillants détails que les maisons égyptiennes lui doivent sont leur seule beauté. Déjà en effet j’ai parlé de la triste défectuosité de leur apparence au dehors; elles ne sont pas plus irréprochables dans leur distribution intérieure: la plus grande irrégularité règne dans la disposition des pièces; souvent les appartements sont de différente hauteur, et, quoique faisant partie d’un même étage, ne sont pas soumis au même niveau. Favoriser l’isolement, ménager des retraites cachées, voilà le but qui préoccupe constamment l’architecte, but qu’il n’atteint jamais qu’aux dépens de l’harmonie des parties et de l’unité de l’ensemble.

Depuis quelques années, le système des constructions s’est beaucoup modifié. Le style constantinopolitain, genre bâtard, fusion de mauvais goût du style grec dégénéré avec le style arabe, a été adopté. Plusieurs constructions en bois ont été élevées, d’après ce système, dans lequel les fenêtres ogivales ont été remplacées par de grandes croisées rectangulaires, et le luxe des arabesques, par le poli uniforme des surfaces.

14. Boutiques. — Les maisons situées dans les quartiers marchands ont des magasins au rez-de-chaussée. Ces boutiques sont très-petites; elles ont en général de 12 à 15 pieds de largeur sur autant de profondeur. On n’y remarque aucun brillant étalage. Un banc de pierre en interdit l’entrée au public, qui fait ses achats en restant au dehors.

/180/ 15. Maisons des villages. — Ce n’est guère que dans les villes de la Basse-Égypte que les maisons sont construites en pierres et en briques cuites; là en effet, les pluies étant fréquentes, les édifices exigent plus de solidité que dans la Haute-Égypte, où elles sont rares. Dans celle-ci, on ne se sert ordinairement que de briques carrées, séchées au soleil, ou simplement de terre. Cette partie du pays ne contient pas de villes proprement dites, mais des villages. C’est surtout dans les villages que se trouvent les habitations des pauvres: rien n’est misérable comme ces demeures; ce sont des espèces de huttes ou de chaumières, qui s’élèvent à peine de quelques pieds au-dessus du sol; leurs murs fragiles sont formés de boue ou de briques de terre, que cimente et tapisse la fiente des animaux. Elles sont éclairées et aérées par de petites ouvertures; leurs toits sont couverts de branches et de feuilles de palmiers. Le fellah vit dans leur étroite enceinte avec ses animaux domestiques. Dans un grand nombre de villages, des pigeonniers de forme carrée, mais dont les murs sont légèrement inclinés à talus, surmontent les toits des chaumières.

16. Mosquées (1). — Les mosquées sont les temples des musulmans. La piété des souverains et des riches les a répandues, en grand nombre, sur toute l’Égypte; la seule ville du Caire en contient plus de quatre cents. Ordinairement ces édifices consistent /181/ en portiques dont les rangées s’élèvent autour d’une cour carrée; au centre de cette cour, se trouve un bassin destiné aux ablutions. Le côté du bâtiment où est situé le sanctuaire est tourné vers la Mecque; il est plus spacieux que les autres et contient deux ou trois rangs de colonnes, qui forment autant de nefs parallèles au mur extérieur.

(1) Voir le chapitre de la Religion.

Une petite niche, nommée mehrab, qui indique la direction de la Mecque, est adossée au milieu de la muraille du fond du sanctuaire. A sa droite est le mimber ou chaire à prêcher. Vis-à-vis le mehrab s’élèvent les pupitres qui supportent les exemplaires du Coran et une petite tribune soutenue par des colonnes d’où l’iman annonce l’heure de la prière.

Au-dessus des mosquées, les minarets détachent dans l’azur du ciel leuis flèches légères. Ces tours, du haut desquelles les muezzins annoncent aux fidèles les heures canoniques de la prière, donnent aux villes musulmanes, du milieu desquelles on les voit saillir en aiguilles élancées, une physionomie particulière. L’intérieur des mosquées est revêtu de ces sculptures déliées, dans l’élégante variété desquelles se complaît l’imagination exubérante des artistes arabes. On sait que le prophète, voulant frapper au cœur l’idolâtrie, a sévèrement défendu la reproduction par le crayon, le pinceau ou le ciseau, de tout être vivant. Aussi ne rencontre-t-on jamais dans les monuments musulmans de figures d’hommes ou d’animaux. L’imagination de l’artiste arabe n’interroge, parmi toutes les formes de beauté dont se /182/ revêt la nature, que la végétation, sa parure la plus brillante. Aussi les sculptures arabes ne présentent-elles jamais que d’ingénieux entrelacs de branches, de feuilles et de fleurs, et doivent-elles à cette singularité le caractère original qui les distingue.

Souvent les voyageurs, frappés de l’état de délabrement dans lequel se trouvent la plupart des mosquées, ne savent comment le concilier avec la piété ardente des mahométans et le respect qu’ils professent pour les édifices de leur culte. Mais c’est ce respect même, poussé à l’excès, qui est la cause de leur négligence apparente. Ils craignent en effet de violer la sainteté de ces monuments, en leur faisant des réparations; ce n’est que lorsqu’ils menacent ruine qu’ils se décident à les abattre pour les reconstruire.

17. Fontaines, abreuvoirs, bains. — Presque toujours des fondations utiles sont annexées aux mosquées: par exemple, des fontaines, des abreuvoirs, des bains, des écoles, des hôtelleries. Les fontaines ou plutôt les citernes (sebil) sont très-répandues en Égypte. C’est lorsque le Nil commence à s’élever que l’on y fait la distribution de l’eau. Ces sebils, ordinairement de forme circulaire, sont richement décorées de grilles en bronze, de colonnes de marbre, de vitraux coloriés et d’inscriptions. — Les abreuvoirs publics consistent en un seul bassin; quelques-uns sont recouverts d’une niche ou d’une arcade; il en est même qui, abrités sous un portique, présentent un aspect monumental. — Le climat de l’Égypte /183/ et les prescriptions religieuses ont nécessité l’usage des bains: aussi compte-t-on partout un grand nombre de bains publics.

18. Cafés, bazars, okels. — On se tromperait beaucoup si l’on s’imaginait que les cafés d’Orient ressemblent en rien aux nôtres; ce sont des salles entourées de bancs en pierre, et recouvertes de nattes dans lesquelles les Égyptiens vont fumer, prendre le café et écouter les conteurs. Les cafés sont très-nombreux. Les bazars ne sont guère que des rues couvertes, garnies de boutiques, où la populationse presse. Les okels sont de grands édifices destinés aux besoins du commerce. Ils sont formés de bâtiments élevés autour d’une cour carrée qui contient ordinairement un oratoire et une fontaine, et dans le pourtour de laquelle s’ouvrent de vastes magasins voûtés et à l’abri des incendies. Les étages supérieurs sont divisés en chambres et servent d’hôtellerie aux négociants étrangers.

19. Villes et villages de l’Égypte. — Ce que j’ai dit des maisons égyptiennes doit faire présumer que les villes qu’elles composent ne sont rien moins que belles. En effet, non-seulement les rues ne sont pas bordées de maisons dont l’aspect satisfasse la vue; mais encore, comme elles ne sont soumises à aucune loi d’alignement, comme chaque propriétaire ne consulte que sa fantaisie et sa commodité lorsqu’il se construit une demeure, il dédaigne souvent de faire confronter la façade de sa maison avec la voie publique, et lui donne une position oblique à la /184/ rue. Du reste, les rues sont souvent si étroites que les musharabyehs des maisons qui se font face se touchent presque, empêchent la circulation de l’air et interceptent les rayons du soleil. Elles ne sont pas pavées, et tantôt une poussière épaisse, tantôt une fange bourbeuse en rendent le parcours désagréable et difficile. Quelques-unes sont larges, mais toutes sont tortueuses: aussi, coupées par de nombreuses impasses, se mêlant entre elles au hasard et sans ordre, forment elles souvent des labyrinthes inextricables pour quiconque n’en a pas l’habitude.

Les villes sont divisées en quartiers; souvent ces quartiers sont fermés par de grandes portes, confiées, comme au Caire, à des gardiens qui font le guet pendant la nuit. Ces quartiers portent des noms; les rues ont aussi leurs dénominations, mais celles-ci ne sont pas inscrites; de même les maisons ne sont pas numérotées. Il n’y a pas d’éclairage public; seulement les personnes aisées mettent, pendant la nuit, de petits lampions devant leurs portes.

Le site des villes et des villages a été pris le plus souvent au hasard et choisi sans observations des règles de la salubrité publique, pour lesquelles les habitants de l’Égypte, ceux des villages surtout, montrent l’indifférence la plus funeste. On les voit abandonner, avec une déplorable insouciance, leurs demeures aux outrages de la vétusté; ils laissent se lézarder les murs de leurs maisons, qui deviennent bientôt le réceptacle d’une multitude d’insectes et de reptiles. Ils dédaignent de déblayer les ruines /185/ nombreuses qui s’amoncellent chaque jour sur le sol, et, par-dessus ces débris, ils jettent sans répugnance des immondices infectes.


§ III.

Divisions territoriales.

Divisions dans l’antiquité. — Sous les Mamelouks. — Divisions actuelles. 1er, 2e, 3e, 4e, 6e, 7e moudyrlicks.

20. Divisions dans l’antiquité. — L’Égypte était divisée, sous les Pharaons, en trente-six nomes subdivisés à leur tour en de plus petites sections. Quatorze de ces préfectures étaient comprises dans la Basse-Égypte et vingt-deux dans la Haute. Les Ptolémées conservèrent cette classification. Lorsque, sous Auguste, l’Égypte devint province romaine, cet empereur la jugea trop importante pour la confier à un seul proconsul: il en fit douze prétures.

21. Divisions sous les Mamelouks. — Sous les Mamelouks elle était considérée comme formant quinze provinces; la Basse-Égypte en contenait neuf: Baïreh, Rosette, Garbieh, Menouf, Damiette, Mansourah, Charkieh, Kelyoub et Giseh; la Moyenne, trois: Atfeh, Fayoum et Benisouef; la Haute, trois: Syout, Girgeh et Thèbes.

Ces divisions furent maintenues par Bonaparte.

22. Divisions actuelles. — Méhémet-Ali les a changées, et a soumis le pays à de nouvelles classifications administratives, propres à assurer la centralisation /186/ du pouvoir et l’unité de son action. L’Égypte a été divisée par lui en sept gouvernements principaux, régis par des intendants nommés moudyrs. Les Moudyrlicks sont divisés en départements et les départements en cantons, qui renferment dans leur circonscription plusieurs villages.

La Basse-Égypte comprend quatre Moudyrlicks; la Moyenne et la Haute, trois; le nombre total des départements est de soixante-quatre. On compte près de trois mille cinq cents villages.

Je vais indiquer la circonscription des Moudyrlicks, les départements dont il se composent et les villes et villages les plus importants qu’ils renferment.

23. 1er Moudyrlick, formé des provinces de Baïreh: départements de Ramanyeh, Neguileh, Chebreiss, Damanhour. C’est à l’extrémité nord-ouest de cette province que se trouve Alexandrie (Iskanderyeh); villages importants: Aboukyr, Deirout, Terraneh.

Giseh: déparlement de Giseh et Bedricheyn; villes: Myt-Ranymet (Memphis), Daschkom, Sakkarah. Le Caire, qui n’est pas compris dans le gouvernement du moudyr, est dans la province de Giseh;

Kélyoub: départements de Kélyoub, Marg, Benhâ el Asal et Tahâ; vill.: Choubra, Kankah, Abouzabel, Mataryeh.

24. 2e Moudyrlick, formé des provinces de Menouf: départements de Achmoun Gireys, Beydjour, Chybyn el Koum, Melyg, Ebyâr; vill.: Menouf;

Garbyeh: départements de Fouah, Zefteh, Tantah, Djafaryeh, el-Chabâsât, Mehalet-el-Kebyreh, Na- /187/ baro, Cherbyn, Damiette; vill.: Rashid (Rosette), qui n’est pas sous la juridiction du moudyr, Mehallet-el-Kebir.

25. 3e Moudyrlick, formé de la province de Mansourah: départements de Myt Ghamar, Senbellâoueyn, Mansourah, el-Ouady, Mehallet-el-Damceneh, Menzaleh; vill. Farescour, el-Arisch, Tineh, auprès des ruines de Péluse.

26. 4e Moudyrlick, formé des provinces de Charkyeh: départements de Chebeyt-el-Nakaryeh, Azyzyeh, Belbeys, Heya, Abou-Kebyr, Kofour-Nedjem.

Atfeh, formant un seul département: vill. el-Tabyn.

27. Un Moudyrlick dans la Moyenne-Égypte, comprenant le Fayoum et Benisouef, est formé de six départements: Qemen-el-Arous, deux départements dans le Fayoum, Benisouef, el Fechn et Abou-Girgé. Principaux villages: el-Zâouyeh, Aboucyr-el-Malaq, Medinet-el-Fayoum, el Lâhoun, Massaral Daraouêh.

28. La Haute-Égypte est divisée en deux moudyrlicks.

Le premier comprend les départements de Beny-Mazâr, Minyeh, Sakyet-moussé, Deyrout, Mellaouy, Qousyeh, La località de Manfalout è citata a volte come Monfalout o Maufalout. Le correzioni non sono sempre indicate. Manfalout, Doueyr, Cherouq, Syout, Souhàs, Tahtâ, Ackhmyn, Bardys, Girgeh, Farchout, Fâoubas.

Le deuxième comprend les départements de Keneh, Kous, Esné, Edfou. Villages remarquables: Denderah, Medinet-Abou (ruines de Thèbes).


/188/

§ IV.

Les villes les plus remarquables de l’Égypte actuelle.

Alexandrie. — Aboukir. — Rosette. — Damiette. — Damanhour. — Ramanyeh. — Fouah. — Mansourah. — Mehallet-el-Kebir. — Tantah. — Autres villes de la Basse-Égypte. — le Caire. — Benysouef. — Medinet-el-Fayoum. — Fiddemin. — Minieh. — Achmouneyn. — Manfalout. — Syout. — Ackhmyn. — Girgeh. — Keneh. — Kous. — Esné. — Assouan. — Suez. — Kosseyr.

Je vais parler rapidement des villes les plus importantes de l’Égypte actuelle; je commencerai par celles qu’offre la Basse-Égypte, je remonterai ensuite le cours du fleuve: c’est la marche la plus naturelle, car c’est celle que doivent suivre les voyageurs européens qui viennent visiter cette contrée.

29. Alexandrie. — « Alexandre, a dit Napoléon, s’est plus illustré en fondant Alexandrie et en méditant d’y transporter le siège de son empire, que par ses plus éclatantes victoires. Cette ville devait être la capitale du monde. Elle est située entre l’Asie et l’Afrique, à portée des Indes et de l’Europe. Son port est le seul mouillage des cinq cents lieues de côtes qui s’étendent depuis Tunis, ou l’ancienne Carthage, jusqu’à Alexandrette; il est à l’une des anciennes embouchures du Nil. Toutes les escadres de l’univers pourraient y mouiller, et, dans le vieux port, elles sont à l’abri des vents et de toute attaque. »

Alexandrie est située sous les 51° 13′ 5″ lat. N. et 27° /189/ 35′ 30″ long.; elle est bâtie, près du lac Maréotis, sur un isthme qui joint à la terre ferme la presqu’île qui couvre ses deux ports. Le Port-Neuf, placé à l’est, est très-ouvert et n’offre pas aux navires de mouillage sûr pendant les gros temps. C’est à l’extrémité du mole qui le protège, que se trouve le fort du Phare, bâti sur l’emplacement où s’élevait, pendant l’antiquité, le phare si célèbre des Ptolémées. Le Port-Vieux, situé à l’ouest, ouvre aux navires un bassin très-profond et très-sùr; les passes par lesquelles on y pénètre sont difficiles pour les vaisseaux d’un fort tirant d’eau. Avant Méhémet-Ali, l’entrée en était interdite aux navires des chrétiens, qui ne pouvaient aborder que par la rade dangereuse de l’est.

Plan d’Alexandrie

Plan d’Alexandrie
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Mappa tra le pagine 188 e 189

Entourée d’un côté par la mer, de l’autre par les sables, Alexandrie est placée dans une position insulaire. La ville actuelle, ainsi qu’on l’a souvent remarqué, n’a guère reçu en héritage de la cité antique que son nom et des ruines. Celle-ci avait été construite par l’architecte Dinocrates, sur les plans mêmes d’Alexandre. Au rapport de Pline, elle avait environ cinq lieues de tour et contenait une population de 300,000 citoyens et autant d’esclaves; une rue de 2,000 pieds de long sur 100 de large la traversait du nord au sud, et était coupée à angle droit par une autre rue presque aussi belle. Des palais magnifiques, des temples, des gymnases, des cirques, des théâtres, des monuments de toute sorte se pressaient dans son enceinte.

Lorsque Alexandrie fut prise par Amrou, elle for- /190/ mait, d’après les historiens arabes, trois villes, Menné, Nekité et Iskandérié. Dans son rapport au calife Omar, Amrou dit qu’elle contenait 4,000 palais, 4,000 bains, 400 théâtres ou édifices publics et 12,000 magasins. Vers l’an 1212 de notre ère, un successeur de Saladin l’entoura d’une enceinte de deux lieues de circuit, flanquée de cent tours, qui subsiste encore aujourd’hui, et a été réparée par Méhémet-Ali. Sous la domination musulmane, et principalement sous les Mamelouks, Alexandrie déchut rapidement; aussi n’était-elle plus, à l’époque de l’invasion française, qu’une bourgade et un repaire de pirates; sa population s’élevait à peine à 8,000 âmes; ses fortifications tombaient en ruine; les Bédouins venaient jusqu’aux pieds de ses murailles commettre impunément leurs pillages, et à peine pouvait-on aller, sans escorte, visiter la colonne de Pompée, à dix minutes de la ville.

Le séjour des Français en Égypte ne fut pas assez long pour leur permettre de replacer Alexandrie à la hauteur où ses destinées l’appellent naturellement. Ils ne purent que la doter de fortifications nouvelles et réparer les anciennes qui tombaient en ruine lorsqu’ils s’en emparèrent.

Méhémet-Ali fut à peine arrivé au pouvoir qu’il comprit avec la vivacité et la sûreté de son coup d’œil la triple importance militaire, maritime et commerciale que la nature avait donnée à Alexandrie.

Cette ville est la clef militaire de l’Égypte; c’est le point sur lequel doivent porter nécessairement les /191/ premières attaques des ennemis; il était donc d’un intérêt majeur de veiller au perfectionnement et à l’entretien de ses fortifications. La descente des Anglais, en 1807, dut faire sentir au vice-roi que la moindre négligence à cet égard pourrait devenir fatale.

Les ports d’Alexandrie sont les seuls que renferme l’Égypte; si des flottes sont nécessaires pour protéger l’indépendance de ce pays, que les puissances européennes ne peuvent menacer que par mer, c’est Alexandrie qui leur offre un asile vaste et inattaquable; c’est de cet avantage naturel qu’il fallait profiter: Méhémet Ali n’a pas fait défaut à cette nécessité. Il a fait d’Alexandrie son port militaire; il y a établi son arsenal.

L’importance commerciale de tout point du littoral méditerranéen de l’Égypte est subordonnée à la facilité de ses relations avec le Caire, centre commercial, industriel et politique. Dans l’antiquité, Alexandrie se reliait au cœur de l’Égypte par la branche du Nil à l’extrémité de laquelle elle était placée; lorsque cette branche fut peu à peu comblée par les atterrissements, les premiers conquérants arabes rattachèrent Alexandrie au Caire par un canal dont les historiens orientaux nous ont laissé de magnitiques descriptions. Mais sous l’administration des Mamelouks, ce canal dépérit promptement et ne fut bientôt plus qu’un simple fossé, desséché pendant la plus grande partie de l’année. Alors Alexandrie perdit sa position commerciale, qui échut à /192/ Rosette. Mais Méhémet-Ali la lui a rendue, en la rejoignant au Caire par un canal navigable, auquel il a donné, en l’honneur du sultan Mahmoud, le nom de Mahmoudieh. Maintenant tout le commerce de l’Égypte s’est donc concentré à Alexandrie. Le ministre du commerce a son administration dans cette ville; c’est là qu’il vend aux négociants européens les produits d’exportation.

Triplement régénérée, Alexandrie a vu sa population s’accroître rapidement et atteindre le chiffre de 60,000 âmes, dont les équipages des flottes et les ouvriers de l’arsenal forment environ le tiers. On compte, dans les deux tiers restant, vingt mille Arabes indigènes, six mille Turcs, dix mille Juifs ou Cophtes et cinq mille Européens. Je ne parle pas de la population flottante attirée soit par les affaires, soit par la curiosité des voyages.

L’aspect de la ville, on le concevra aisément, s’est complètement modifié depuis ces dernières années. Les immenses cimetières qui se trouvaient dans l’intérieur ont été rejetés au dehors. Les mares d’eau stagnante qui y croupissaient ont été desséchées et comblées. Les rues n’ont pas été pavées, il est vrai, mais elles sont tenues avec propreté. Des constructions de tout genre, des arsenaux, des palais, des casernes, des fabriques, des hôpitaux, etc., ont été bâtis sur un grand nombre de points. Une partie considérable des murs d’enceinte, qui s’élevaient sur les bords de la mer, a été abattue pour faire place aux agrandissements de la ville.

/193/ C’est sur la presqu’île connue sous le nom de Ras-el-Tyn (cap des Figuiers) que se trouvent l’arsenal de la marine, le palais du vice-roi et plusieurs autres constructions occupées par le service de l’administration et du gouvernement.

L’isthme qui unit Ras-el-Tyn à la terre ferme est occupé par la ville turque, bâtie d’après le type ordinaire des cités musulmanes.

Ensuite vient le quartier des Européens. Alexandrie avait autrefois son quartier franc, c’est-à-dire celui qui était habité par les Francs ou Européens. Ce quartier était bien supérieur aux diverses parties de la ville occupées par les indigènes. Mais c’est surtout depuis le gouvernement de Méhémet-Ali, car c’est depuis lors que la résidence des consuls généraux a été définitivement fixée à Alexandrie, qu’il a pris un bel aspect. Lorsqu’en Nel testo: 1824.
Corr. negli Errata
1825 je débarquai dans cette ville, on ne distinguait, dans le quartier franc, que quelques okels. Aujourd’hui, il a entièrement changé de face; il s’est étendu depuis le centre du Port-Neuf jusqu’à l’aiguille de Cléopâtre. On voit actuellement, dans le voisinage de ce monument, une très-belle place formant un rectangle d’environ huit cents pas de long sur cent cinquante de large. Les maisons qui entourent cette place ont été bâties à l’européenne, sur des plans fort élégants. Quelques-unes appartiennent à Ibrahim-Pacha. C’est sur cette place que logent les principaux consuls; le palais consulaire de France se distingue parmi tous les autres par sa belle apparence.

/194/ On remarque dans l’enceinte deux monticules de 200 pieds de hauteur environ, couronnés par deux forts construits par l’armée française et dont l’un conserve le nom et consacre la mémoire du brave général de génie Caffarelli-Dufalga, mort au siège de Saint-Jean-d’Acre. La colline du fort Caffarelli, la plus proche de la ville, est formée par un amas de décombres qui ne datent probablement que de l’époque des Arabes. L’autre, qui porte le nom de Kom-el-Dyck (1) est un rocher calcaire, et couvre l’emplacement occupé, dans l’antiquité, par un théâtre. On n’y voyait aujourd’hui que quelques misérables cabanes d’Arabes; autrefois les Européens riches, ayant reconnu la salubrité de ce lieu, s’y sont fait bâtir des maisons de plaisance, qu’ils ont entourées de jardins.

(1) Colline du Coq.

Les environs d’Alexandrie sont couverts, jusqu’à deux lieues à la ronde, d’immenses ruines, qui prouvent qu’il n’y a rien d’exagéré dans ce que les historiens ont rapporté sur les merveilles de la ville ancieinie. Les matériaux avec lesquels la ville arabe avait été construite, ont été fournis par ces ruines; encore ne les avait-on tirés que de la superficie du sol. Mais on trouve des décombres considérables et très-importants en creusant, quelquefois même jusqu’à 60 pieds de profondeur.

Les établissements ou édifices publics que possède Alexandrie sont: l’arsenal (2), les magnifiques palais du vice-roi à Ras-el-Tyn, se composant /195/ du harem, du divan, ou appartements particuliers de Méhémet-Ali, et du palais des étrangers, où le vice-roi donne l’hospitalité la plus généreuse aux voyageurs de distinction. Alexandrie a une intendance de santé et plusieurs hôpitaux; l’un d’eux, celui de la marine, dit de Mahmoudieh, peut contenir de 12 à 1500 malades; un autre, celui de l’armée de terre, dit de Ras-el-Tyn, 5 à 600. On compte dans cette ville trente mosquées.

(2) En voir la description dans le chapitre sur la Marine.

30. Aboukir. — En suivant la côte à l’est d’Alexandrie, on rencontre, avant d’arriver au lac d’Edko, une plage devenue fameuse par le terrible échec maritime qui étouffa dans leur germe les conséquences de notre expédition d’Égypte, et par la belle victoire que Bonaparte y remporta sur les Turcs, l’année suivante, à son retour de Syrie. Ce lieu, doublement illustre, qui réveille dans toute âme française un souvenir de deuil et un souvenir de gloire, est Aboukir.

Le village qui lui donne son nom occupe l’emplacement sur lequel se trouvait la Busiris des anciens, ville renommée par son temple consacré à Isis et la fête annuelle que les Égyptiens y célébraient.

Aujourd’hui la position d’Aboukir est très-imporlante sous le point de vue militaire. Si elle n’était pas bien défendue, elle pourrait offrir à une expédition d’envahissement un lieu de descente. La valeur de cette position a été comprise par le vice-roi, qui, en y établissant des fortifications, l’a rendue inexpugnable, d’après le témoignage des hommes de l’art.

/196/ 31. Rosette. — Au delà du lac Mahdieh et sur la rive gauche de la branche occidentale du Nil, à laquelle elle donne son nom, se trouve la ville de Rosette. Elle est située à une lieue et demie de la mer, sous le 31° 25′ de latitude boréale et le 28° 8′ 5″ de longitude, méridien de Paris. On se rend à Rosette par terre en longeant le rivage. Lorsqu’on y arrive par mer, il faut traverser un passage assez dangereux qui obstrue l’embouchure du Nil. Ce passage, nommé Boghâz, est ouvert par le courant dans la barre que forment les bancs de sable, résultat des dépôts accumulés du fleuve. Cette ouverture est très-variable: de là les difficultés qu’elle présente.

Dès que l’on a franchi le boghâz, un spectacle ravissant s’offre à la vue: c’est la riche plaine du Delta, avec ses immenses tapis de verdure ou ses moissons dorées, parsemée de groupes de dattiers, de villages ou de villes surmontées par les flèches aiguës des minarets, qui s’étend sur la rive droite du Nil sans rencontrer d’autre borne que l’horizon.

La ville de Rosette est appelé Raschid par les Arabes, qui attribuent sa fondation au fameux calife Haroun-el-Raschid. Elle acquit de l’importance commerciale lorsque Alexandrie tomba en décadence; mais maintenant que le canal Mahmoudieh a rendu à celle-ci tous les avantages de sa position, Rosette a été abandonnée par les négociants, et sa population a considérablement décru; elle s’élève à peine aujourd’hui à 15,000 habitants. Rosette est renommée pour ses rizières et pour ses jardins, dont on a beau- /197/ coup exagéré la beauté, et qui sont dans le goût des vergers orientaux, dont j’ai déjà essayé de donner une idée.

Cette ville a près d’une lieue de long sur un quart de lieue de large. On y remarque une assez belle mosquée, une filature de coton, des machines à monder le riz, une entre autres qui est mue par la vapeur, une vaste caserne. Au sud de Rosette se trouve un ermitage fameux dans le pays, élevé en l’honneur d’un saint arabe dont le nom, Abou-Mandour, signi[fi]e père de l’éclat. Du haut du minaret de cette fondation pieuse, un magnifique panorama, qui embrasse la terre et la mer, se déroule aux yeux du spectateur.

32. Damiette. — La ville de Damiette (Damyât) est située sur la rive orientale de la branche du Nil qui portait autrefois le nom de Phatnitique. Elle est à deux lieues de distance de la mer, à demi-lieue du lac Menzaleh, sous les 29° 29′15″ de longitude et. 31° 25′ 43″ de latitude. Elle n’occupe pas le même emplacement que la ville sarrasine illustrée par les croisades. Les croisés attaquèrent plusieurs fois celle-ci, qui tomba en leur pouvoir en 1218, et dont saint Louis s’empara en 1249. Lorsque ce prince la rendit aux musulmans pour prix de sa liberté, ceux-ci la détruisirnit et allèrent élever à deux lieues de distance une nouvelle cité, qui est la ville actuelle.

Les environs de Damiette sont renommés pour leurs rizières. Cette ville est elle-même l’entrepôt des riz de l’Égypte. Elle fait avec la Syrie un commerce assez important. Ses manufactures de toile /198/ avaient autrefois beaucoup de réputation. Des évaluations exagérées ont porté le nombre de ses habitants à 60 ou 80 mille; il n’est réellement aujourd’hui que de 25 à 30 mille.

Les édifices les plus remarquables que renferme Damiette sont des mosquées et les vastes magasins à riz que le vice-roi a fait construire. Méhémet-Ali y a aussi établi de belles casernes et l’école d’infanterie.

33. Damanhour. — La première ville que l’on rencontre en revenant vers l’ouest du Delta est Damanhour, ville assez grande, située à peu de distance du canal de Mahmoudieh; elle contient de 8 à 10 mille habitants.

34. Rahmanieh, — petite ville située sur le Nil et non loin de laquelle se trouvent les ruines de l’ancienne Saïs. C’est aussi auprès de Rahmanieh qu’était Naucratis, la seule ville que les anciens Égyptiens eussent ouverte au commerce étranger.

35. Fouah, — sur le Nil, entre Ramanieh et Rosette et en face de l’ouverture du Mahmoudieh. Elle était, au XVIe siècle, assez importante; mais elle avait considérablement déchu depuis que le canal d’Alexandrie, qui la liait avec cette ville et en faisait un entrepôt commercial, s’était ensablé. Elle a repris aujourd’hui quelque valeur; le vice-roi y a fondé une fabrique de tarbouchs ou bonnets à l’imitation de ceux de Tunis, une filature de coton et un moulin à écosser le riz.

36. Mansourah, — sur la rive droite de la branche de Damiette et à environ douze lieues de cette ville. /199/ Mansourah a été illustrée par l’échec que saint Louis y subit. On y montre encore, sur une petite place faisant face au Nil, le lieu dans lequel ce pieux roi passa sa captivité. On trouve de plus à Mansourah les ruines d’une voûte nommée Basar-el-Gadim, sous laquelle saint Louis signa la paix et la reddition de Damiette. C’est entre cette ville et Mansourah que se trouve Fareskour, où il éprouva la première défaite qui trompa sa valeur et ses espérances.

37. Mehallet-el-Kebir, — Cette ville, située dans l’intérieur du Delta, dans le voisinage de la branche de Damiette, occupe, suivant quelques géographes, l’emplacement de l’ancienne Xoïs, et suivant d’autres, celui de Cynopolis. Elle est assez grande. Quoique déchue de la prospérité dont elle a joui à une autre époque, elle compte encore de 16 à 18 mille habitants. Ses fabriques de toile de lin jouissaient d’une très-grande réputation. Le vice-roi y a établi une belle manufacture où l’on file le coton et tisse les toiles.

38. Tantah. — A droite de Mehallet-el-Kebir on rencontre, en remontant, Tantah, petite ville célèbre par les pèlerins nombreux qu’attire dans son sein une fondation religieuse, et par ses foires annuelles. L’objet du pèlerinage est une mosquée dédiée à un santon nommé Saïd le Bédouin. Cette mosquée est une des plus belles et des plus riches de l’Égypte. L’intercession de Saïd le Bédouin passe pour donner la fécondité aux femmes, pour opérer des guérisons miraculeuses, etc. Aussi vient-on l’invoquer de tous /200/ les points de l’Égypte; la plus grande partie des musulmans qui vont à la Mecque font une station à Tantah.

L’époque choisie par les pèlerins est en général la fête du saint, celle où a lieu la foire connue sous le nom de el Chouroum Balbiè: c’est la plus importante des trois foires dont cette ville est le théâtre. Les deux autres sont celles de Moulet de Sidi Adela et de Rajabieh. Pendant la grande foire de Chouroum, une affluence immense encombre Tantah; des marchands s’y rendent de la Turquie, de la Perse, des Indes et de plusieurs parties de l’Afrique. Ils y apportent des toiles peintes, des mouchoirs, des toiles de tout genre, des soieries, des jouets d’enfants, des poteries, des plumes d’autruche, des esclaves, etc. Ils étalent leurs marchandises dans les okels ou dans des baraques qui, formant une double rangée, occupent quelquefois en longueur quatre lieues de terrain. Ceux qu’un but pieux a attirés auprès de la mosquée de Saïd le Bédouin plantent leurs tentes dans le voisinage de la ville. Des baladins, des filles de joie, des danseuses, des musiciens ambulants, viennent exercer au milieu de toute cette foule leurs talents ou leur industrie. Quatre mille hommes sont envoyés à Tantah pendant la foire pour y protéger l’ordre; mais ils ne peuvent pas empêcher les filous de commettre de nombreux actes d’escroquerie.

Lorsque les foires ont cessé à Tantah, cette ville, qui présentait une physionomie si animée et offrait /201/ à la curiosité du voyageur un spectacle plein d’attrait, devient déserte et revêt un aspect triste et désolé.

39. Les autres villes de la Basse-Égypte dignes de quelque mention sont:

Menouf, village assez considérable situé près du sommet de Tangle du Délia; il contient une mosquée où l’on remarque d’élégantes colonnes.

A l’est de la branche de Damiette et sur la route de la Syrie:

Belbeys, que Bonaparte fortifia. C’est non loin de cette ville qu’était située, sous les Ptolémées, celle d’Onion, où Onias. fils d’un grand prêtre hébreu, avait fait construire un temple sur le modèle de celui de Jérusalem, et dans lequel on pratiquait les cérémonies du culte juif.

Salahyeh, point central de la province de Charkyeh.

Abouzabel, Kankah. — Ces deux villages ont acquis de l’importance pendant les derniers temps; ils sont situés tous les deux sur la route de Salahyeh au Caire, à quatre lieues nord de cette dernière ville et autant du Nil. Ils sont distants l’un de l’autre d’une demi-lieue. Ils ont chacun environ 1,500 habitants. C’est dans l’intervalle qui les sépare que se trouve une immense plaine inculte d’un terrain assez ferme, et faisant face au désert de Gessen (celui de l’isthme de Suez). C’est dans ce lieu que les 80.000 hommes amenés par le grand vizir se trouvaient campés lorsqu’ils furent défaits par 9,000 Français, commandés par Kléber. C’est là aussi que furent /202/ établis le camp d’instruction des troupes régulières et les premières écoles d’état-major d’artillerie, ainsi que l’école de médecine d’Abouzabel.

Mataryeh, près du Caire, sur les ruines de l’ancienne Héliopolis, l’une des plus belles et des plus fameuses villes de l’Égypte antique. Des traditions qui se rattachent aux humbles débuts de notre religion sont conservées dans ce village; on y montre en effet le puits où Joseph, Marie et l’enfant Jésus se désaltérèrent pendant leur fuite en Égypte, et le sycomore qui leur prêta son ombre. Ces pieux souvenirs sont également vénérés des musulmans et des chrétiens. Mataryeh est devenu à jamais célèbre par la grande victoire de Kléber.

40. Le Caire. — Le Caire est sous les 30° 2′ 21″ de latitude nord et 28° 58′ 30″ de longitude. Il est situé dans une plaine sablonneuse, à 400 toises de la rive droite du Nil, à cinq lieues et demie du sommet du Delta et au pied des derniers mamelons du Mokattam. La ville principale, appelée grand Caire, est placée entre le bourg de Boulâq, qui lui sert de port au nord, et le vieux Caire, qui lui rend le même service pour la navigation méridionale du Nil.

Le vieux Caire occupe l’emplacement sur lequel s’élevait Babylone d’Égypte. Pendant qu’Amrou assiégeait cette dernière ville, une colombe établit son nid sur sa tente. Touché de ce fait, qu’il regardait comme un présage céleste, le général arabe, partant pour s’emparer d’Alexandrie, ne voulut pas déranger la colombe, laissa sa tente dressée et, à son re- /203/ tour, fonda autour d’elle la nouvelle capitale de l’Égypte, qu’il appela Misr-Fostat (1).

(1) Fostat signifie, en arabe, tente.

Plan du Caire
et de ses environs

Plan du Caire
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Mappa tra le pagine 202 e 203

Mais les destinées de cette ville ne devaient pas être longtemps prospères. Vers l’année 1167, les croisés, conduits par Amaury, roi de Jérusalem, marchèrent sur Fostat. À leur approche, le gouverneur de cette ville la brûla; l’incendie dura cinquante jours; les habitants se réfugièrent dans les campagnes voisines et groupèrent leurs habitations autour de la ville d’el-Kaherah, fondée en 958 par un général de Moeys, le premier des califes fatimites d’Égypte, et qui avait acquis déjà quelque importance. Cette cité nouvelle prit la place de l’ancienne métropole, et dut son agrandissement définitif, ses fortifications et ses embellissements au grand Saladin.

Telle a été l’origine du Caire, auquel les Arabes donnent le nom de Misr, qu’ont porté en Orient les capitales successives de l’Égypte. C’est de l’épithèle d’el Kaherah, qui signifie la victorieuse, que nous avons fait en Europe le Caire.

Plus longue que large, cette ville, la première de l’empire ottoman après Constantinople, occupe une superficie de près de 900 hectares et a plus de 25,000 mètres de circonférence. Elle est environnée de collines poudreuses, formées par l’entassement des décombres dont les fragiles constructions égyptiennes jonchent sans cesse le sol (2). Une enceinte /204/ élevée par Saladin et flanquée de tours l’environnait jadis entièrement; elle n’existe plus aujourd’hui qu’en partie; la ville, en s’agrandissant beaucoup du côté du nord et de l’ouest, a dépassé cette barrière; elle l’a respectée au midi et à l’est. Elle est traversée dans sa longueur par un canal (kalisch).

(2) Ces collines sont assez élevées. Lors de l’expédition, les Français placèrent sur leurs sommets des redoutes qui tenaient la ville en /204/ respect. Mais comme ces buttes forment un épais rempart qui empêche la circulation de l’air dans le Caire, ils avaient conçu le projet de les détruire. Ils reculèrent néanmoins devant les difficultés d’une entreprise aussi immense, qu’ils n’auraient pas eu le temps d’ailleurs d’achever. Le premier, Ihrahim-Pacha a eu la hardiesse de mettre la main à cette œuvre. Il a fait enlever les deux plus grandes buttes qui, hautes d’environ deux cents mètres, occupaient, entre Boulâq et l’embouchure du Kalisch, un espace d’environ un kilometre carré. Les travaux ont duré cinq ans. Les décombres enlevés ont servi à combler des mares d’eau stagnante qui avoisinaient le Caire. Aujourd’hui, l’emplacement nivelé est couvert de magnifiques plantations. De son côté, le vice-roi a fait disparaître une de ces collines de décombres qui obstruait le chemin de Choubra et faisait suite à celles dont je viens de parler. Je n’hésite pas à regarder la destruction de ces buttes comme l’un des travaux les plus considérables qui aient été faits en Égypte sous le règne de Méhémet-Ali.

Le Caire contient près de trente mille maisons et une population d’environ 300,000 âmes.

La ville est divisée en quartiers (en arabe hârat); elle en contient plus de cinquante. Les principaux, en allant du nord au sud, sont: el-Charaouy, el-Esbekyeh, el-Nasârah, quartier des Cophtes, des Arméniens, des Syriens, etc.; el-Roum, ou le quartier grec; el-Youd, ou le quartier juif; el-Afrang, ou le quartier franc; el-Mousky, el-Zoueyleh, Bâb-el-Ghadr, el-Azhar, el-Moyed, Bâb-el-Khârq, el- /205/ Hanafy, Birket-el-Fyl, el-Moghaârbeh, Touloun, le plus ancien des quartiers du Caire; el-Roumeyleh, Kârâmeydân, el-Kalàh, ou la cidatelle.

Il y a au Caire plus de soixante et dix portes, dont quelques-unes sont intérieures; les principales sont, au sud: Bâb-el-Sayd, Bâb-Touloun, Bâb-el-Seydeh, Bâb-el-Qarafeh; à l’est: Bâb-el-Ouizyr, Bâb-el-Ghorayb; à l’ouest, du côté du Nil: Bâb-el-Louq, Bâb-el-Nâsryeh; au nord: Bâb-el-Hasanyeh, Bâb-el-Nasr, ou porte du secours; Bâb-el-Fotouh, ou porte de la victoire: ces deux dernières sont de remarquables morceaux d’architecture; Bâb-el-Nasr remonte à l’époque de Saladin; Bâbel-Ghadr, Bâb-el-Hadyd.

Les rues, comme celles de toutes les villes musulmanes, sont tortueuses; elles se replient sur elles-mêmes; elles se brisent; elles sont coupées par des ruelles qui n’ont quelquefois pas plus de 3 à 4 pieds de largeur, et par de nombreuses impasses (1). On compte plus de deux cent quarante rues principales, environ trois cents traverses et autant d’impasses. Les rues changent souvent de nom. Parmi les plus importantes, il en est deux qui traversent la ville dans sa longueur: la première est celle qui va de Bâb-el-Seydeh à Bâb-el-Hasanyeh: elle est longue de 4,600 mètres; la seconde longe la rive droite du canal ou kalisch depuis le double pont du sud, appelé Kanàtar-el-Sebâa, jusqu’auprès de la porte de /206/ Cha’ryeh. Cinq rues coupent la ville dans sa largeur. Parmi elles, trois se dirigent de la citadelle vers le Nil.

(1) Rue, en arabe, se dit: sekkah, taryq, hâret, mahadj; ruelle, derb; impasse, a’tfeh.

On remarque au Caire quatre places principales: ce sont, au sud de la ville, celles de Qarâmeydan et de Roumeyleh; vers le centre, Birket-el-Fyl; et au nord-ouest, l’Esbekyeh. Celle-ci est la plus grande; sa superficie est égale à l’intérieur du Champ-de-Mars de Paris. C’est sur le côté occidental de l’Esbekyeh que l’on voit la maison qui fut habitée, pendant l’expédition, par le général Bonaparte. A l’époque de l’inondation, ces places sont submergées, excepté celle de l’Esbekyeh, qui vient d’être exhaussée, nivelée, plantée d’arbres et entourée d’un canal.

C’est dans le centre de la ville que se trouvent les bazars. Plusieurs méritent d’être cités: tels sont celui de Ghourneh, où l’on vend les châles de cachemire, les mousselines et les toileries étrangères; el Achrafyeh, où se tiennent les marchands de papier; le Kan-el-Khalyly, occupé par les joailliers, les quincailliers, les marchands de cuivre et de tapis; le Nâhhassyn, par les orfévres; le Boudoukanyeh, par les droguistes et les merciers; le Hamzaouy, par les marchands drapiers; le Serougieh, par les selliers; le Souq-el-Sellat, par les armuriers; le Gémalyeh, par les marchands de café et de tabac de Syrie. Dans la grande rue de Margouch, on vend au détail les toileries du pays. L’okel des Gellabs sert au trafic des esclaves qui arrivent de l’intérieur de l’Afrique.

Il y a au Caire 400 mosquées, dont beaucoup, il /207/ est vrai, sont en ruines. Les plus remarquables, sous le rapport de l’architecture, sont celles d’Amrou, bâtie l’an 20 de l’hégire (640 de J. C), d’El-Hâkem-el-Obéidy, l’an 400 (1007) sous la dynastie des Fatimites; du sultan Hassan, construite par lui en 757 (1354): (on travailla pendant trois années à cette dernière, et Makrysy assure que, chaque jour, l’on y dépensait 1,000 mithkals d’or (1); la mosquée de Teyloun, bàtie l’an 238 (850) par le sultan Ebn-Teyloun; colle d’El-Moyed, bâtie l’an 820 (1415) par le sultan Abou-el-Nasr-el-Moyed; celle du sultan Kalaoun-sef-el-Dyn; celle du sultan Barquouq, bâtie en 1070 (1655); celle du sultan el-Ghoury, bâtie en 933 (1522); celle de Kayd-Bey, bâtie en 870 (1463); celle de Seté-el-Zeinab, bâtie l’an 300 (910); enfin la mosquée d’El-Azhar, la plus célèbre de toutes.

(1) Le mithkal équivaut à 24 carats.

Les chrétiens des diverses sectes ont environ trente églises ou chapelles; les juifs comptent dix synagogues.

Il y a dans les quartiers commerçants et industriels près de treize cents okels. Cette ville renferme en outre douze cents cafés, trois cents citernes et soixante et dix bains, dont les principaux, remarquables par leur grandeur ou leur richesse, sont ceux d’Hamman-Yesbak, d’El-Soultan, d’El-Moyed, d’El-Tanbaleh, de Margouch, de Sounqor, d’El-Soukkarieh, etc. Les trois villes des tombeaux, ainsi que les appellent les Arabes, les plus célèbres par leur /208/ étendue, sont situées hors du Caire. Elles occupent en surface plus du quart de celle de la ville; ce sont au nord l’enceinte de Qoubbeh, à l’est le Tourâd-Qaîd-bey, au midi le Tourâd-el-Seydeh-Omm-Qâsim. Dans ces vastes cimetières, on trouve les tombeaux des califes, dont plusieurs sont de très-beaux morceaux d’architecture. Celui de Qoubeh renferme le tombeau de Malek-Adhel et d’autres sépultures également remarquables des sultans et des beys Mamelouks.

Il n’existait autrefois au Caire comme hôpital que le Moristan; j’en parlerai dans le chapitre consacré à l’état actuel de la médecine en Égypte. Il y a aujourd’hui sur la place de l’Ezbekyeh un bel hôpital civil qui contient sept cents lits, dont la moitié pour les hommes et la moitié pour les femmes. Dans ce même établissement se trouvent la Maternité, l’école d’accoument et l’hospice des insensés. Il y a de plus le magnifique hôpital militaire de Kasr-el-Ain, situé entre le grand Caire et le vieux Caire, dans le lieu où était l’ancienne ferme d’Ibrahim-Bey, sur les bords du Nil. Cet hôpital renferme dix-huit cents lits.

Outre un grand nombre d’écoles particulières annexées aux fondations pieuses, telles que les mosquées, les fontaines, les citernes, le Caire compte plusieurs édifices consacrés à l’enseignement.

On voit dans l’intérieur de la ville de très-beaux palais, ceux du vice-roi, d’Ibrahim-Pacha, d’Abbas-Pacha et du Defterdâr-Bey, qui entourent l’Esbekyeh; celui d’Ibrahim-Pacha-Koutchouk (le jeune), /209/ vers le centre de la ville, celui de Mahmoud-Bey, et beaucoup d’autres que je me dispense de citer. Sur les bords du Nil s’élèvent le palais d’Ibrahim-Pacha et celui du Defterdâr-Bey. Tous ces édifices sont remarquables par leur étendue et leur construction.

La citadelle est située au sud du Caire, sur la dernière hauteur du Mokattan, et domine la ville. Elle fut construite par Saladin; mais, comme position militaire, elle est loin d’avoir de l’importance, car elle est dominée elle-même par une hauteur sur laquelle Méhémet-Ali a placé un petit fort, qui pare en partie à l’inconvénient de sa situation. On arrive à la citadelle par deux rampes taillées dans le roc, dont l’une, au nord, conduit à la porte nommée Porte des Arabes, et l’autre, à l’est, aboutit à celle qui est connue sous le nom de Porte des Janissaires. La citadelle fut presque entièrement ruinée, en 1824, par l’explosion d’un magasin à poudre creusé dans le roc. Tous les édifices qui s’y trouvaient furent abattus en totalité ou en partie. Depuis lors, Méhémet-Ali les a fait reconstruire presque en entier.

C’est dans la citadelle que se trouve le palais occupé par le pacha lorsqu’il vient au Caire. On y remarque aussi le Puits de Joseph, ainsi appelé à cause du prénom de Joussouf que portait le grand Saladin qui le fit creuser. Ce puits est de forme carrée et divisé en deux parties; sa profondeur totale est de 280 pieds; son fond est au niveau du Nil. On y descend par un escalier tournant. Un manège à roues, que deux bœufs font mouvoir, élève l’eau de la partie inférieure au /210/ niveau de la supérieure, d’où, par le même moyen, on la fait monter jusqu’à la hauteur du sol. Le puits a été creusé pour parer au cas où l’aqueduc qui porte l’eau du Nil à la citadelle viendrait à être coupé. Elle contient d’ailleurs plusieurs citernes, dont une, entre autres, suffirait à la boisson de quelques milliers d’hommes, pendant une année.

On voit dans la citadelle de belles ruines du palais de Saladin. Aujourd’hui le vice-roi y fait construire une mosquée. On y trouve encore un arsenal de construction, une fonderie de canons, une manufacture d’armes portatives, des ateliers où l’on fabrique tous les objets d’équipement pour la cavalerie et l’infanterie, une imprimerie, et l’hôtel des monnaies, qui consomme annuelleiuent, en or, environ la valeur de 5,000,000.

Le mouvement de la population commence au Caire à six heures du matin; il s’interrompt, pendant la période de la forte chaleur, de midi à trois heures. Tous les voyageurs qui ont écrit sur l’Égypte ont parlé de l’effet pittoresque que produit dans les rues, dans les bazars, dans les places, la foule bariolée qui les remplit. Tous ont dit les nombreux contrastes qu’elle présente: le riche puissant aux vêtements splendides et chargés d’or, à côté du pauvre déguenillé; l’homme affairé passant rapidement devant l’indolent santon qui reçoit, étendu avec indifférence, les attouchements des femmes superstitieuses qui espèrent obtenir de son contact une guérison ou toute autre faveur miraculeuse; puis tous Pagina numerata erroneamente 112 /211/ ces hommes de diverses nations, de religions ou de sectes différentes, qui se distinguent les uns des autres par leurs caractères physiques et leurs costumes originaux; au milieu d’eux, les femmes qui, sous leurs vêtements qui cachent toutes les formes et ne laissent voir de leur visage que les yeux, ressemblent à des fantômes; puis encore, fendant la foule, ici le baudet aiguillonné par le jeune et pétulant ânier, là le grave et lent chameau, plus loin le cheval du grand seigneur magnifiquement enharnaché, et la mule de l’homme de loi au pas doux et mesuré; enfin ces nombreux bateleurs qui amusent les passants, ces conteurs qui, dans les cafés, charment la contemplation du fumeur oisif. Aux singularités de sa population ajoutez la physionomie toute particulière que donnent au Caire ses maisons à terrasses, ses rues qui serpentent; les innombrables minarets qui la surmontent, el vous vous représenterez une ville comme il n’en existe nulle part ailleurs, une cité tout empreinte du génie arabe, une vraie ville des Mille et une Nuits.

Le faubourg de Boulâq est au nord du Caire; il n’en est séparé que par une plaine de peu d’étendue; il est placé au bord du Nil, et sert, comme je l’ai dit plus haut, de port pour les rapports commerciaux que le Caire entrelient avec la Basse-Égypte. Il renferme des fabriques de drap, de coton filé, de toile, une corderie, une fonderie, le chantier de construction des barques du Nil, des okels, des magasins; le beau palais d’Ismaïl-Pacha, dans lequel se trouve l’école polytechnique.

/212/ Le vieux Caire contient les entrepôts de céréales, appelés ordinairement Greniers de Joseph: ils se composent de sept cours carrées dont les murs sont en briques. D’énormes monceaux de blé, de lentilles, de fèves, etc., s’élèvent au milieu de ces cours à de très-grandes hauteurs et forment de véritables monticules.

41. Benisouef, — sous le 28° 52′ 15″ de longitude et le 29° 9′ 12″ de latitude; cette ville, l’ancienne Ptolemaïdon, doit, d’après ses habitants, son nom moderne, qui signifie les enfants des sabres, à un combat à l’arme blanche dont elle aurait été le théâtre. Sa population s’élève à environ 6,000 âmes. Benisouef est une des villes les plus commerçantes de l’Égypte Moyenne. Ses fabriques de tapis de laine, de couvertures, de milays, espèces de manteaux en coton, avaient autrefois une grande réputation. On y voit aujourd’hui une importante fabrique de toiles de coton. Benisouef est située auprès de l’une des embouchures du Bahr Ioussef (canal de Joseph), qui va répandre ses eaux et la fertilité dans le Fayoum. Elle doit à cette position une partie de l’importance commerciale qu’elle a conservée encore de nos jours.

42. Medinet-el-Fayoum. — C’est la ville principale du Fayoum. Elle est située à l’entrée de cette riche province. Elle a été construite avec les matériaux et en partie sur l’emplacement de l’ancienne Crocodilopolis, dont Ptolémée Philadelphe changea le nom en celui d’Arsinoé, en l’honneur de sa sœur. Cette ville a environ une lieue de circuit. Un embranche-/213//ment du Bahr Ioussef la traverse. Elle était autrefois le séjour de plaisance ou le lieu de retraite des Mamelouks. Elle a aujourd’hui environ 12.000 habitants.

43. Fiddemin. — C’est le plus joli village du Fayoum. Il est formé de deux groupes d’habitations, dont l’un est occupé par les musulmans et l’autre par les cophtes. Il est entouré d’arbres fruitiers, dont les ombrages touffus embellissent son aspect. Ses habitants montrent aux voyageurs un olivier antique qu’ils regardent comme le père de tous ceux qui existent en Égypte, et auquel ils donnent une existence de dix siècles. Cet arbre produit annuellement environ quatre cents kilogrammes d’olives. Il est pour les habitants de Fiddemin l’objet d’une espèce de culte.

44. Minieh, — sous les 28° 28′ 35″ de longitude et 28° 8′ 20″ de latitude, à gauche du Nil; cette ville est assez bien bâtie; quelques-unes de ses rues sont régulières. Elle renferme plusieurs mosquées remarquables. On y trouve une fabrique de toiles de coton.

45. Achmouneyn. — Ville de 7 à 8,000 habitants, sur la rive gauche du Nil.

46. Manfalout. — Assez grand village sur la rive gauche du Nil. Sa population est de 5,000 âmes.

47. Syout. — Cette ville est située sous les 28° 23′ 17″ de long. et 27° 13′ 14″ de lat. Elle est considérée comme la capitale de la Haute-Égypte. — La campagne qui l’environne est magnifique. — Elle a été construite /214/ sur l’emplacement de l’ancienne Lycopolis, à un quart de lieue de distance du Nil. C’était dans son enceinte que venaient se réfugier autrefois les Mamelouks expulses de la Basse-Égypte: aussi a-t-elle conservé quelque chose d’aristocratique dans son aspect. Ses rues sont plus larges et plus propres que celles des autres villes de l’Égypte. On y remarque des bazars, deux mosquées très-belles, un palais qu’Ibrahim-Pacha fit construire pendant qu’il gouvernait la Haute-Égypte, et un magnifique bain public annexé à une mosquée que le Defterdâr-Bey a érigée. Syout possède une filature et une fabrique de toiles de coton. Cette ville est la principale station des caravanes de la Nubie et du Soudan. La population de Syout est de 20,000 âmes.

48. Ackhmyn, — petite ville de 10,000 âmes de population, dont mille chrétiens, sur la droite du Nil. Elle renferme une manufacture de colon. C’était la Panopolis des anciens.

49. Girgeh, — sous les 29° 34′ 51″ de long. et 26° 22′ 20″ de lat., près des ruines de Ptolémaïs et sur la rive gauche du Nil. Après le Caire et Alexandrie, la ville de Girgeh est la plus grande de l’Égypte; c’était aussi l’une de celles où les Mamelouks mécontents allaient se rallier; elle était d’ailleurs autrefois la capitale du Saïd. On y voit aujourd’hui encore huit belles mosquées, un vaste bazar et une filature de colon. Sur une population de 8 à 10,000 âmes, on y compte environ 500 chrétiens; elle contient un couvent de missionnaires catholiques.

/215/ 50. Keneh, — sous les 30° 24′ 30″ de long. et 26° 11′ 20″ de lat. (Cœnopolîs des anciens). Cette ville est située sur la rive droite du Nil; elle a à peu près 10,000 habitants; elle est placée à l’embouchure de la vallée de Kosseyr, et sert, par conséquent, de lieu de passage aux caravanes qui se rendent à là Mecque ou viennent d’Arabie par la voie de Kosseyr. Il paraît que, dans l’antiquité, un canal, dont il ne reste plus de vestiges, et qui liait le Nil à la mer Rouge, avait son ouverture à Keneh. Keneh est renommée dans toute l’Égypte pour la fabrication des bardaques (en arabe goulés). On appelle ainsi des vases poreux faits avec de l’argile desséchée au soleil, qui ont la propriété de rafraîchir l’eau. Il y a à Keneh une manufacture de coton. C’est en face de cette ville que se trouve Denderah, village qui a remplacé la Tentyris des anciens, et où l’on admire l’un des temples antiques les plus beaux et les mieux conservés.

51. Kous (Apollinopolis Parva). — petite ville assez commerçante sur la rive droite du Nil.

52. Esné (Latopolis), — sur la rive gauche du Nil; cette ville est assez commerçante. Les caravanes du Darfour et du Sennâr en font une de leurs stations. On y tient un grand marché de chameaux renommé dans toute l’Égypte. Esné est entouré de ruines, dont je parlerai dans le chapitre que je consacre aux antiquités égyptiennes.

53. Assouan, — sous les 30° 34′ 39″ de longitude et 24° 8′ 6″ de latitude. Cette ville est la /216/ dernière que l’on rencontre en Égypte du côté de la Nubie. Sa position a du lui donner, dans tous les temps, une grande importance. Elle était, dans l’antiquité, sous le nom de Syène, une place forte. Les Arabes soignèrent aussi ses fortifications; mais, après la chute des califes fatimites, elle fut entièrement ruinée par les tribus nubiennes, qui l’occupèrent successivement. En s’emparant de l’Égypte, Sélim la fit rebâtir sur la rive orientale du Nil, auprès de la première cataracte. La ville actuelle est échelonnée sur le penchant d’un coteau planté de dattiers. Ses maisons, entourées de bouquets de verdure, présentent un aspect pittoresque et riant. Sa population, de 4.000 âmes environ, est composée d’Arabes, de Barabras, de Cophtes et de quelques Turcs employés.

C’est en face d’Assouan que se trouve la petite île d’Eléphantine; un peu au-dessus de la cataracte est celle de Philæ. Quoique de peu d’étendue, car elle n’a que 1,300 pieds de longueur, elle est une mine inépuisable de précieuses antiquités. Il y croît des dattiers; elle est en partie cultivée.

Il nous reste à dire quelques mots de deux villes qui ne font pas essentiellement partie de l’Égypte, puisqu’elles sont en dehors de la vallée du Nil, mais qui en dépendent et lui servent de ports sur la mer Rouge.

54. Suez, — située sous les 30° 15′ 5″ long. et 29° 59′ 6″ lat. Cette ville eut beaucoup d’importance dans l’antiquité, à cause du transit du commerce des Indes. Elle fut d’abord nommée Arsinoé et plus /217/ tard Cléopatride. Aujourd’hui son port n’a guère de relations suivies qu’avec les villes maritimes des côtes de la mer Rouge. Le commerce avec l’Arabie l’alimente. Une partie des pèlerins qui se rendent annuellement à la Mecque viennent s’y embarquer. La ligne des paquebots des Indes a donné, dans ces derniers temps, un peu plus d’intérêt à cette ville, qui est très-fréquentée maintenant par les Anglais. Des diligences transportent les voyageurs du Caire à Suez. Il y a dans celle-ci un consul anglais. Elle a aujourd’hui à peu près 1.500 âmes de population. Quoique peu distante du Caire, Suez en diffère totalement, soit par sa physionomie, soit par les mœurs de ses habitants. Elle est comme l’avantposte des Indes. Nous reviendrons sur cette ville, dans le chapitre des travaux publics, au sujet des grandes communications projetées entre le Nil et la mer Rouge.

Kosseyr. — J’ai dit que la vallée qui s’étend de Keneh à Kosseyr est la route que l’on suit pour arriver à cette ville. Kosseyr a un petit port sur la mer Rouge, avec le littoral de laquelle elle fait quelque commerce. Elle est l’une des stations des paquebots anglais. Elle renferme deux agents consulaires, l’un anglais, l’autre français. Sa population est d’environ 1,200 habitants. Elle fait partie du département de Keneh

/218/

Distances réciproques de différents points de l’Égypte (1).

du Caire à Alexandrie,41,6 lieues
—  à Rosette,38,3
—  à Damiette,36.
—  à Salahyeh,24.
—  à Belbeys,10,8
—  à Suez,28.
—  à Benisouef,22,2
—  à Minieh,49,2
—  à Syout,73.
—  à Girgeh,100.
—  à Keneh.119,5
—  à Thèbes,130,9
—  à Esneh,141,3
—  à Edfou,152,2
—  à Assouan,174.
D’Alexandrie à Rosette,12,8
De Rosette à Damiette,28,9.

(1) Les distances du Caire aux points de la Haute-Égypte sont les résultais des mesures prises entre différents points intermédiaires, en suivant le cours du Nil.