Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

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Chapitre IV.

Religions et sectes qui existent en Égypte.

§ I.

Islamisme. — Ses dogmes.

Le Coran. — Unité de Dieu et mission de Mahomet. — Les anges. — Résurrection et jugement dernier. — Paradis. — Enfer. — Purgatoire.

1. — La religion musulmane est celle qui domine en Égypte; elle y fut introduite au VIIe siècle, par la conquête d’Amrou. Avant cette époque, l’Égypte, province du Bas-Empire, était chrétienne; mais la foi religieuse y avait été brisée et compromise par les nombreux schismes qui, dès les premiers siècles du christianisme, la déchirèrent en Orient. Aussi, les chrétiens d’Égypte, peu éclairés et las de toutes ces disputes, n’opposèrent-ils qu’une faible résistance au prosélytisme des sectateurs de Mahomet.

/220/ On a en général, sur l’islamisme, des idées si peu exactes, si fausses même, que je crois nécessaire d’en tracer une esquisse rapide; du reste, je ne compte pas faire ici l’apologie d’une religion qui n’est pas la mienne. Je ne veux qu’en exposer brièvement les dogmes, la morale, le culte. On ne pourrait pas porter de jugement sur un peuple aussi religieux que le peuple arabe, si l’on n’avait que des données erronées sur le mobile le plus puissant de sa vie publique et de sa vie privée.

2. Le Coran. — On sait que ce livre est regardé par les Arabes comme émané de Dieu. Il est écrit en arabe littéral. Les ulémas prétendent que son style est sublime et qu’on ne peut l’imiter en élégance, en beauté, en concision. Le Coran est donc pour les musulmans le livre par excellence. Ils le lisent ou l’entendent lire cinq fois par jour; quelques-uns l’apprennent par cœur; tous en retiennent les versets ou les chapitres fondamentaux. Le Coran est composé de cent vingt fragments que les fidèles croient avoir été apportés à Mahomet par l’ange Gabriel, pendant les vingt-trois années qui s’écoulèrent depuis que ce prophète atteignit l’âge de quarante ans, époque à laquelle il commença à remplir sa mission religieuse, jusqu’à sa mort.

3. Unité de Dieu et mission de Mahomet. — Les principes élémentaires de l’islamisme sont simples; ils se réduisent à deux: la croyance en l’unité de Dieu, exprimée par la formule: « Il n’y a de Dieu que Dieu; » et la foi en la mission de Mahomet: « Mahomet /221/ est le prophète de Dieu. » C’est autour du dogme de l’unité divine que Mahomet rallia les tribus de l’Arabie, plongées, avant lui, dans l’idolatrie la plus grossière, et fonda à la fois leur religion et leur puissante nationalité.

Mahomet, en prêchant l’islamisme, annonçait qu’il n’y avait jamais eu qu’une seule religion véritable dont il se donnait pour le restaurateur inspiré. « Toutes les fois, disait-il, que cette religion a été négligée ou corrompue dans l’essentiel, Dieu, à des époques diverses, a envoyé du ciel des livres à différents prophètes: le Pentateuque à Moïse, le Psautier à David; d’autres livres à d’autres prophètes, enfin l’Evangile à Jésus. Ces livres sont tous vrais, mais le Coran, descendu du ciel le dernier, doit être suivi, jusqu’au jour du jugement, dans les lois qu’il a établies; il est la parole, la lumière de Dieu; il est éternel, incréé; l’original en est entre les mains de Dieu et ne peut être changé ni abrogé. »

4. Les anges. — L’islamisme enseigne que Dieu a des anges, dont un certain nombre veillent sur les actions des hommes. L’ange Gabriel est le ministre des vengeances célestes; Azraël est chargé de recevoir l’âme des hommes à leur dernier soupir, et Israfil de sonner la trompette de la résurrection générale.

5. Résurrection et jugement dernier. — Les musulmans croient à la résurrection générale. « Nous vous avons créés de terre, dit le Coran, vous y retournerez et nous vous en ferons sortir une seconde fois. » xx.

/222/ La résurrection sera suivie du jugement dernier. « Le jugement universel ne durera qu’un clin d’œil, ou sera plus prompt encore, parce que rien ne limite la puissance de Dieu, xvi... Ceux qui se présenteront avec de bonnes œuvres recevront un prix glorieux et seront exempts des frayeurs du grand jour. Ceux qui n’apporteront que des crimes seront précipités dans le feu, le visage prosterné. » xxvii.

6. Paradis. — Celui qui fait toutes les choses prescrites est placé au jour du jugement dans le paradis. « Les élus, s’écrie Mahomet, habiteront le jardin des délices; ils reposeront sur des lits enrichis d’or et de pierreries précieuses. Ils se regarderont avec bienveillance; ils seront servis par des enfants doués d’une éternelle jeunesse, qui leur présenteront du vin exquis, dans des coupes de différentes formes. La vapeur n’alourdira point leur tète et n’obscurcira point leur raison. Ils auront à souhait les fruits qu’ils désireront et la chair des oiseaux les plus rares. Près d’eux, seront des houris aux beaux yeux noirs. La blancheur de leur teint égale l’éclat des perles. »

Le paradis musulman n’est pas seulement un lieu de délices malérielies, comme on le croit généralement. Le bonheur de la vue de Dieu est infiniment supérieur aux autres biens qu’il renferme. Les trésors du ciel sont éternels: « Dieu les destine aux croyants qui ont mis en lui leur confiance; à ceux qui évitent l’iniquité et le crime, et qui font taire leur colère pour pardonner; à ceux qui, soumis à Dieu, font la prière, règlent leurs actions par la pru- /223/ dence, et versent dans le sein de l’indigent une partie de leurs richesses. » xlii, 34-36.

7. Enfer. — Les méchants qui ne rachètent pas leurs méfaits par l’aumòne et la prière souffrent en enfer dix fois tout ce qu’ils ont fait souffrir aux autres.

8. Purgatoire. — Mahomet, qui a fait tant d’emprunts aux christianisme que l’on a dit de sa religion qu’elle n’était au fond qu’un secte chrétienne, a suivi, relativement à la création et la chute de l’homme, les traditions bibliques. Placé sur la terre, l’homme doit y travailler à sa sanctification. « Dieu nous a mis sur la terre pour gagner le séjour éternel. » xxxix, 74. Il devient juste par la foi et les bonnes œuvres: « Je pardonnerai à ceux qui joindront au repentir la foi et les bonnes œuvres. Ils marcheront dans la voie du salut. » Dieu peut accorder le pardon à un croyant mort sans s’être repenti d’un grand péché, mais ce n’est qu’après une expiation de sa faute dans un lien de souffrances qui ressemble assez au purgatoire chrétien.


§ II.

Morale de l’islamisme.

Vertus. — Prescriptions de la piété. — Le fatalisme — Rapports de l’homme avec la femme.

9. Vertus. — Le Coran recommande la pratique de toutes les vertus et condamne les vices et les cri- /224/ mes que la morale chrétienne a condamnés. La vertu qui est surtout en honneur dans l’islamisme est la bienfaisance. Le bon musulman doit donner aux indigents le dixième de son revenu. Il ne doit pas faire parade de ses bonnes œuvres. Le Coran prohibe l’usure. Il prêche l’oubli des injures, la franchise, la modestie, la générosité, la chasteté, la patience, etc.

10. Prescriptions de la piété. — Aux yeux des musulmans, la piété est la première des vertus; sans elle, les meilleures actions ne sont pas agréables à Dieu. Ceux qui veulent l’acquérir doivent garder de tout péché leurs sept membres, de peur qu’ils ne deviennent pour eux les sept portes de l’enfer. Ces membres sont les oreilles, les yeux, la langue, les mains, les pieds, le ventre et les parties sexuelles.

1° Il ne faut écouter aucun instrument de musique; ne point prêter l’oreille au mensonge, à la médisance, aux discours obscènes; ne point entendre chanter, pas même le Coran ni aucune prière.

2° Il faut éloigner ses yeux des choses dont la vue est prohibée. Il est défendu à tout fidèle, de quelque sexe qu’il soit, de regarder un homme du nombril au genou, et à la femme, de regarder du nombril au genou une personne de son sexe.

Le musulman ne peut regarder du nombril au genou, ni même au dos et au ventre, les femmes avec lesquelles il ne peut se marier. Quant aux autres, il commet un crime s’il voit plus que leur visage, la paume de leurs mains ou leurs pieds, que ce soit la passion qui le guide ou non, n’importe la laideur ou /225/ la beauté de la personne regardée, son âge ou celui de l’homme qui regarde. Ces règles ne s’étendent pas à la femme légitime ou à l’esclave. Il faut encore s’abstenir d’épier, par les fentes des portes, l’intérieur de la maison d’autrui, et de regarder les musulmans d’un œil de mépris.

3° La langue doit se garder du mensonge, de la calomnie et de la médisance. Il faut éviter de se louer soi-même, de reprendre quelqu’un hors de propos, de violer ses promesses et de ne pas garder la fidélité due au texte d’un traité.

Le blasphème est une faute énorme qui enlève à celui qui s’en rend coupable le mérite de ses bonnes œuvres antérieures. S’il est marié, son mariage est dissous. Lorsqu’il se repent, il est considéré comme musulman néophyte.

4° Lever la main à tort sur quelqu’un, s’emparer de sa nourriture, toucher sans nécessité à ce qui est essentiellement immonde, par exemple à un animal mort, c’est enfreindre la loi religieuse.

5° Il faut se garder d’aller dans de mauvais lieux, d’entrer dans la propriété d’autrui sans sa permission, de frapper sans sujet son prochain; de gâter son tapis, sa natte, ou tout autre objet qui lui appartient.

6° Quant aux péchés dont le ventre est coupable, il faut s’abstenir des aliments prohibés, de la gourmandise et de tout excès.

7° Enfin, les péchés dont les parties sexuelles sont les instruments, et que la loi condamne encore /226/ plus que les autres, sont: la fornication, le péché contre nature, le commerce avec sa femme pendant le temps de ses infirmités périodiques ainsi que pendant ses couches.

11. Le fatalisme. — On voit que le dogme de la fatalité n’enlève pas à la liberté humaine, dans le cercle de la morale, le mérite et le démérite. On a, du reste, beaucoup exagéré l’influence que l’on attribue à la prédestination sur la conduite et les sentiments du musulman. Sans doute cette croyance a dû lui inspirer beaucoup de résignation aux vicissitudes de la fortune, aux malheurs privés et publics; mais il est faux qu’elle ait tué en lui, comme on l’a prétendu, toute sensibilité.

Le fatalisme n’enchaîne pas les musulmans à une stupide immobilité. La loi religieuse, quoiqu’elle l’avertisse que fuir les maux que Dieu lui envoie, c’est prétendre à l’immortalité, lui recommande néanmoins d’éteindre l’incendie qui brùle sa maison, d’en sortir lorsqu’elle menace ruine ou qu’elle est secouée par un tremblement de terre, de fuir devant l’inondation, en un mot de prendre toutes les précautions dictées par la sagesse humaine,

12. Rapports de l’homme avec la femme. — Les rapports de l’homme avec la femme ont été réglés par la morale de l’islamisme d’une manière plus sage qu’on ne le croit vulgairement. La polygamie est permise, il est vrai, comme dans toutes les religions de l’Orient; mais elle est restreinte. D’après les paroles expresses du Coran, un homme ne peut pas /227/ avoir plus de quatre épouses légitimes; et, s’il redoute quelque inconvénient de ce nombre de femmes libres, il lui est recommandé de n’en prendre qu’une, ou bien de remplacer les épouses légitimes par des esclaves. La condition des femmes a été améliorée en Orient par la loi de Mahomet. On ne peut épouser une femme sans lui assurer une dot en cas de répudiation. Les sœurs héritent conjointement avec les frères, et reçoivent une demipart. L’esclave rendue mère obtient sa liberté. Le mariage, défendu avec les femmes idolâtres, est permis avec les juives et les chrétiennes. Le Coran proclame la supériorité de l’homme sur la femme; mais il veut que cette supériorité se constate par une bienveillante protection. « Les hommes, dit-il, sont supérieurs aux femmes parce que Dieu leur a donné la prééminence sur elles, et qu’ils les dotent de leurs biens. Les femmes doivent être obéissantes et taire les secrets de leurs époux. Les maris qui ont à souffrir de leur désobéissance peuvent les punir, les laisser seules dans leur lit et même les frapper. La soumission des femmes doit les mettre à l’abri des mauvais traitements; attachez-les par des bienfaits. »


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§ III.

Culte.

Les cinq prières quotidiennes. — Purifications. — Les Mosquées. — Nazirs, Imans, Cheiks, Katifs, Muezzins, Cayyins. — Ramazan. — Le grand et le petit Baïram. — Pèlerinage de la Mecque. — Santons. — Les quatre rites orthodoxes. — Pratique de la religion chez les musulmans. — Aliments prohibés. — Devoirs religieux des femmes. — Infractions aux lois morales. — Tolérance envers les chrétiens recommandée par le Coran.

15. Les cinq prières quotidiennes. — La prière est la principale des pratiques de la religion musulmane. Il faut la faire cinq fois par jour. Au fègre, le matin, descend un ange qui reste jusqu’au dour, à midi; il inscrit les noms de ceux qui ont prié. A midi, sa liste est close; malheur à ceux qui n’ont pas fait la prière! Cependant ils peuvent, en priant et jeûnant plus qu’il ne l’est ordonné, effacer cette faute. Un autre ange demeure de midi à l’asr (trois heures et demie); un autre de l’asr au magreb (coucher du soleil); et enfin le dernier, du magreb à l’eche (deux heures après le coucher du soleil). « Publie la gloire du Très-Haut avant le coucher et le lever du soleil, pendant la nuit et aux extrémités du jour, afin que ton cœur soit content de lui-même. » xx, 130. « Tourne ton front en priant vers le temple antique qu’Abraham, aïeul d’Ismaël, consacra au Seigneur (la Caaba). En quelque lieu que tu sois, porte tes regards vers ce sanctuaire auguste. »

/229/ 14. Purifications. — Les purifications forment une des parties les plus essentielles du culte musulman. La loi ne permet au croyant l’exercice d’aucun acte religieux, s’il ne s’est lavé auparavant de toute souillure corporelle. Il y a trois sortes de purifications: le lavage, l’ablution, la lotion. La première est commandée pour les souillures matérielles, soit du corps, soit de l’habit, soit de l’endroit où l’on prie. Pour éviter celle-ci, afin de ne pas s’agenouiller sur un lieu impur, les musulmans font porter par leurs esclaves un petit tapis, appelé en arabe sedjadeh, qu’ils déploient à l’heure de la prière. Ceux qui n’ont pas de tapis se placent sur leur manteau. L’ablution (el oudhouou) consiste à se laver le visage, la bouche, les narines, la barbe, les mains, les bras jusqu’au coude, et les pieds jusqu’à la cheville. On prie en l’accomplissant. La lotion a lieu pour les souillures telles que l’acte de cohabitation, les infirmités périodiques de la femme, les couches, etc. Cette pratique des purifications est l’une des plus sages qu’ait établies l’islamisme. Sous le prétexte d’un acte religieux, elle prescrit aux Orientaux des mesures de propreté et d’hygiène dont l’emploi répété, excellent partout, est encore plus convenable dans les climats chauds.

15. Les mosquées. — Les cérémonies religieuses des musulmans sont nombreuses, ainsi que leurs fêtes, qu’ils célèbrent avec pompe. Les mosquées sont toujours extrêmement propres. Elles ne contiennent point de décorations. Elles ne renferment ni chaises /230/ ni bancs. Le sol y est couvert, en été, de nattes, en hiver, de tapis, sur lesquels les musulmans se tiennent assis sur les talons. On sait qu’ils déposent leurs chaussures avant d’entrer dans les mosquées. Leurs gestes, leurs regards y sont calmes et modestes, leur attitude est recueillie. Dans les plus grandes, on voit néanmoins, pendant une partie de la journée, des hommes qui causent ensemble, mangent, dorment, travaillent même. Quoique s’y livrant à de pareilles occupations, les musulmans ont pour leurs mosquées le plus grand respect. Avant l’expédition française, il en était plusieurs devant lesquelles il n’était pas permis aux chrétiens et aux juifs de passer à cheval. Bonaparte fit cesser cet usage, en opposant aux ulémas un argument sans réplique: « Si c’est par respect pour vos mosquées, leur dit-il, que vous ne laissez pas passer devant elles à cheval les membres des religions différentes de la vôtre, pourquoi ne vous astreignez-vous pas, vous aussi, à cette loi? Est-il raisonnable d’exiger pour les objets de votre culte, et de la part des étrangers, des témoignages de vénération que vous ne leur donnez pas vous-mêmes? » Aujourd’hui, la tolérance est arrivée à un tel point, que les Européens peuvent entrer sans danger dans les mosquées. Il est à regretter que plusieurs d’entre eux n’aient pas assez de déférence pour les préjugés du pays, et dédaignent de se soumettre à la tenue décente que réclame la destination de ces lieux.

Ce qu’il y a d’intéressant surtout dans les mosquées, ce sont les fondations qui leur sont agrégées. /231/ Aux plus importantes sont annexées des espèces d’hôtelleries, des écoles publiques et des collèges appelés médressés, où l’on forme à l’étude de la religion ou des lois les imans et les muezzins pour le service du culte, les cadis et les naïbs pour la judicature.

Le nombre de ces temples est très-grand, trop grand même, en Égypte. On en compte quatre cents au Caire, dont le plus célèbre est celui d’El-Azhar (1). Ils sont tous anciens, et la plupart d’une très-belle architecture. On en construit très-peu aujourd’hui; on ne fait plus de beaux édifices tels que ceux qu’élevaient les califes.

(1) La mosquée d’El-Azhar est comme la Sorbonne de l’Égypte; on y vient pour s’instruire, de tout l’Orient. La philosophie d’Aristote, les éléments de la langue arabe, l’interprétation de l’histoire des califes y sont enseignés. On trouve dans l’intérieur de cet édifice des quartiers appelés Rouâgs, où logent les étudiants. Il y a celui des Syriens, celui des Persans, des Kurdes, des Nubiens, des Turcs, des Indiens, des Moghrebins, des habitants de l’Heidjâz, etc. — Tous sont entretenus aux frais de la mosquée.

16. Nazirs, Imans, Cheiks, Katifs, Muezzins, Cayyins. — Chaque mosquée est dirigée par un nazir, qui a la manutention des fonds qui lui sont alloués pour son entretien, ou des legs pieux qu’elle possède, et qui nomme les ministres de la religion, aussi bien que les serviteurs inférieurs. D’ordinaire deux imans sont employés à desservir la mosquée. Ils ont charge de prêcher ou de réciter, aux heures fixes, les cinq prières quotidiennes, appelées Namaz. Au surplus, les ministres de l’islamisme ne forment pas un corps absolument distinct dans la société. Le caractère dont /232/ ils sont revêtus n’est pas ineffaçable comme celui des prêtres de la religion catholique. Renvoyés, en effet, par le nazir, ils perdent, avec leur place, leur titre d’imans. Ils se marient; et comme le salaire qu’ils gagnent au service de la mosquée est très-petit (1 piastre ou 25 c. par jour), ils pourvoient à leur entretien et à celui de leur famille en exerçant une profession, quelquefois un métier. Il en est qui sont droguistes ou parfumeurs; quelques-uns maîtres d’école. Ceux qui n’ont pas d’occupation spéciale vont réciter le Coran, moyennant récompense, dans les maisons particulières. On les choisit principalement parmi les pauvres étudiants de la mosquée d’El-Azhar.

Les imans ne forment que la classe moyenne des ministres de la religion musulmane. Au-dessus d’eux se trouvent, dans la hiérarchie de ceux des ulémas qui sont chargés des fonctions religieuses, les cheiks, auxquels est spécialement dévolue la prédication du vendredi, et les katifs, qui disent, dans ce jour sacré, les cinq prières que les imans récitent pendant le reste de la semaine. Au-dessous de ceux-ci sont les muezzins, qui, du haut des minarets, annoncent la prière, et les cayyins, serviteurs subalternes de la mosquée.

17. Ramazan. — Une pratique très-connue de nom en Europe est le jeûne du ramazan. Ce jeûne dure pendant un mois; on ne voit pas dans son institution la valeur hygiénique du carême chrétien et juif, car il n’est pas affecté à une saison fixe; il passe alternativement par les différents mois de /233/ l’année, et accomplit son évolution à travers toutes les saisons, dans l’espace de trente-trois ans. Le ramazan n’est pas, comme on se le figure chez nous, un mois de bacchanales pour les musulmans; c’est un temps de jeune sévère. Arrivé à l’âge de quatorze ans, chaque mahométan est astreint à le pratiquer. « Ce mois, dit le prophète, dans lequel le Coran est descendu du ciel pour être le guide, la lumière des hommes et la règle de leurs devoirs, est le temps destiné à l’abstinence. Le manger et le boire vous sont permis jusquà l’instant où vous pourrez, à la clarté du jour, distinguer un fil blanc d’un fil noir. Accomplissez ensuite le jeûne jusqu’à la nuit. » Les prescriptions de la loi sont observées avec un scrupule au-dessus de toute expression. Bien peu de personnes se permettent de l’enfreindre, encore n’osent-elles le faire qu’en secret. L’abstinence n’est pas bornée seulement à la privation, pendant le jour, de toute boisson ou de tout aliment; on l’a poussée jusqu’à défendre de priser, de fumer ou de respirer les parfums. Les plus fervents n’avalent pas même leur salive. Les femmes enceintes ne sont pas soumises au jeûne. Le voyage, la maladie en dispensent aussi; mais, même dans ces conditions, il en est bien peu qui veuillent profiter de radoucissement que la religion fait en leur faveur à la rigueur du commandement sacré. Il est des dévots qui, faisant les voyages pénibles du désert, au milieu des plus fortes chaleurs, refusent une goutte d’eau à leur palais desséché et résistent à la soif la plus ardente. J’ai vu /234/ moi-même des malades altérés par la fièvre ne pas vouloir consentir à prendre des médicaments et trouver la mort dans l’observation fanatique du jeûne.

18. Le grand et le petit Baïram. — Le ramazan est suivi d’une fête qui dure trois jours, désignée sous le nom de petit Baïram. Pendant cette fête, l’austérité du mois de carême fait place, chez les musulmans, à l’effusion de joie la plus vive. Dans ces trois jours de bonheur, les musulmans se font les souhaits les plus heureux et se pardonnent leurs torts réciproques. Le grand Baïram ou Courban-Baïram vient soixante et dix jours après et en dure quatre. Il célèbre la mémoire du sacrifice d’Abraham. Le grand et le petit Baïram sont les seules fêtes de l’année pendant lesquelles tout travail est suspendu.

19. Pèlerinage de la Mecque. — Il est commandé aux musulmans de faire, au moins une fois dans leur vie, le pèlerinage de la Mecque et du mont Arafat. Deux cas les en exemptent: la pauvreté ou la maladie. Ceux de la secte hanéfy peuvent envoyer à leur place aux lieux saints un représentant dont ils payent les dépenses. Beaucoup se dispensent d’accomplir cette prescription religieuse.

Les pèlerins qui obtiennent, après avoir visité la Mecque et le mont Arafat, le titre de hadjis, prennent deux points de départ pour aller en Arabie: Damas ou le Caire. Les musulmans de l’Afrique, les Turcs de l’Albanie et de la Roumélie se rallient ordinairement dans cette dernière ville. Les Turcs de l’Asie Mineure, les Persans se réunissent à Damas.

/235/ C’est ordinairement le 27 du mois de chewal que s’achemine la caravane du Caire. Quelques jours avant a lieu la procession du mahmil, caisse carrée en bois, dans laquelle sont contenus deux exemplaires du Coran, qui sont envoyés annuellement à la Mecque.

Le mahmil, le bagage de l’émir el hadji (chef des pèlerins), la caisse qui contient le trésor envoyé par le sultan au tombeau du prophète, le kishwe, chemise de soie noire damasquinée, brodée au Caire, et qui est destinée à recouvrir la sainte Caaba; toutes ces choses sont portées par la procession dans la plaine de Haschoui, au nord du Caire, et de là sont dirigées vers le lac des Pèlerins (Birket-el-hadji), dernière halte où se réunissent les pèlerins pour le départ définitif. Ils se partagent en trois caravanes: l’une suit la route de terre par le désert; elle marche principalement la nuit; elle campe d’ordinaire le matin, deux heures après le lever du soleil, pour se mettre encore en route le soir, deux heures après qu’il s’est couché. Le voyage par terre dure environ quarante jours. Ceux qui redoutent les périls ou les fatigues du désert vont à Djedda par la mer Rouge; ils s’embarquent à Suez ou à Kosseyr.

C’est pendant les fêtes du Courban-Baïram, dans les premiers jours du mois de zel-hedji, que les pèlerins doivent se trouver réunis à la Mecque. La Caaba surtout est l’objet de leur dévotion: on sait que c’est un petit édifice d’environ 56 pieds de long sur 48 de large et 80 de hauteur. Les Arabes pré- /236/ tendent qu’il fut bâti par Ismaël, qui eut pour sa construction deux auxiliaires descendus du ciel: Abraham et l’ange Gabriel. C’est celui-ci, d’après eux, qui porta au patriarche la fameuse pierre noire conservée depuis si longtemps dans la Caaba, et qui n’est autre chose qu’une basalte.

C’est au mont Arafat, à six lieues de la Mecque, que, d’après les traditions arabes, a eu lieu le sacrifice d’Abraham: le pèlerinage n’est accompli que lorsque l’on s’est rendu au sommet de cette montagne pour assister, pendant la nuit du 9 zel-hadji, à la prière qui s’y récite. Le jour suivant les pèlerins doivent se rendre dans la plaine de Mouna, où ils achèvent les pratiques prescrites par de nombreux sacrifices de chèvres, de chevreaux, de chamelles. On évalue à 50 ou 40 mille le nombre des bêtes à cornes qui sont immolées en cette circonstance.

L’époque du retour au Caire de la caravane de la Mecque est le commencement du mois de safer, surnommé, à cause de cela, Nislet-el-hadji (arrivée des pèlerins). Les parents ou les amis des hadjis vont à leur rencontre et les ramènent joyeusement chez eux, ou mêlent leurs cris de douleur à la musique triomphale qui fête la caravane, s’ils apprennent que ceux qu’ils brûlaient de revoir ont succombé aux privations et aux fatigues du pieux voyage. Les hadjis survivants sont entourés de respect; on les regarde comme empreints d’un cachet de sainteté; on invoque leur intercession auprès de Dieu.

Les femmes ne sont pas soumises au pèlerinage /237/ de la Mecque; elles peuvent l’entreprendre, mais, chose bizarre! il ne leur est pas permis de monter au sommet de l’Arafat si elles ne sont accompagnées de leurs maris. Celles qui ne sont pas mariées doivent prendre un époux dans cette circonstance. Il est vrai que c’est une pure formalité, et que ces fictives unions sont rompues après la cérémonie par un facile divorce. On a vu néanmoins quelques uns des maris improvisés ainsi abuser de leurs droits fortuits et éphémères.

20. Santons. — Les musulmans ont une multitude de saints qu’il vénèrent, auxquels ils élèvent des monuments, et qui sont connus sous le nom de santons. Mais il n’y a pas, comme chez nous, de formalités de canonisation. L’opinion publique est le tribunal souvent peu éclairé qui proclame la sainteté. Les ulémas instruits ne se prétent pas à ses écarts et ne reconnaissent pas le genre de saints qu’elle institue.

Les insensés, les maniaques ne sont pas nécessairement saints, comme on le croit; le Coran ordonne pour eux le respect, mais il ne les sanctifie pas; les préjugés seuls ont forcé jusqu’à ce point le sens de la loi.

21. Les quatre rites orthodoxes. — On sait que les musulmans sont divisés en quatre rites orthodoxes, le Hanéfy, le Schafiy, le Maleky et le Hanbèly. C’est le premier de ces rites qui est le plus communément suivi en Égypte comme dans le reste de l’empire ottoman.

/238/ 22. Pratique de la religion chez les musulmans. — Ce qui frappe chez le musulman c’est l’imperturbable solidité de sa foi. Elle est tellement enracinée en lui, qu’aucun doute ne vient jamais l’assaillir dans son esprit. Il a de sa croyance une si haute idée qu’il ne comprend pas comment le monde entier n’embrasse pas l’islamisme. Les musulmans nous appellent infidèles, parce qu’ils ne nous voient pas observateurs scrupuleux des pratiques religieuses; ils nous appellent impies parce qu’ils ne nous voient pas prier. Ils ne sont jamais retenus par le respect humain ni pour l’aveu de leurs croyances ni pour l’exécution de ses pratiques. Ils défendent hautement leur foi lorsqu’elle est attaquée. Chaque lieu leur est bon pour faire la prière: la rue, un champ, une maison privée; ils la récitent dans une assemblée, fùt-elle même composée de gens étrangers à leur religion.

On a préjugé en Europe des progrès de l’incrédulité chez les musulmans, surtout par l’infraction que quelques-uns d’entre eux ont faite au texte du Coran qui leur défend l’usage du vin. Cette prohibition, que le prophète prononça, dit-on, après avoir vu l’état d’abrutissement d’un homme ivre, est, du reste, conçue sous un excellent point de vue d’hygiène, et sa pratique est des mieux entendues dans des climats comme ceux de l’Arabie, de l’Afrique, où du reste le vin et les liqueurs fermentées ne sont pas indigènes. Mais quoique quelques Turcs des classes élevées l’aient violée, il ne faut pas croire que l’incrédulité, renfermée dans le cercle étroit d’un petit nombre d’es- /239/ prits forts, qui s’imaginent avoir acquis notre civilisation lorsqu’ils ont imité notre indifférence en matière religieuse, mine sérieusement l’islamisme.

25. Aliments prohibés. — C’est un des mérites de la religion mahométane que le soin qu’elle a pris de faire de pieuses obligations d’une multitude de précautions et de mesures hygiéniques d’une très-grande utilité. Ce soin, quoique aboutissant quelquefois à des détails trop minutieux et gratuitement vexatoires, n’en est pas moins très-bon dans son principe. En même temps qu’il atteignait les boissons et transformait des mesures de propreté extérieure en rigoureuses pratiques, on conçoit qu’il devait embrasser aussi la nourriture. Il a scrupuleusement pourvu à ce point important. Des aliments ont été défendus aux fidèles comme immondes: ce sont, ainsi que pour les juifs, la chair du porc, et de plus celle du cheval, du mulet, de l’âne, de la tortue et de l’éléphant; sont également immondes tous les animaux carnassiers, les oiseaux de proie et les reptiles. Le lait des juments et des ânesses est prohibé. On ne peut le boire qu’après un temps de séquestration déterminé, jugé suffisant pour sa purification. Dans aucun cas on ne doit faire usage des parties naturelles, ni des reins, ni des entrailles des animaux. Le sang est sévèrement défendu; aussi la loi religieuse ordonnet-elle d’égorger les animaux, c’est-à-dire de leur couper la tète avec toutes les artères et de leur faire perdre tout leur sang avant de les manger (1). /240/ Les musulmans goûtent peu le plaisir de la chasse et sont peu friands de gibier à cause de la difficulté qu’il y a de le saigner complètement.

(1) Cette prohibition du sang vient sans doute de ce que les fon- /240/ dateurs des législations religieuses juive et musulmane croyaient que cette humeur était celle qui était exposée à s’altérer le plus dans l’économie animale. La doctrine de l’humorisme est celle qui a dû régner la première.

24. Devoirs religieux des femmes. — Les femmes ne sont pas astreintes comme les hommes aux devoirs religieux. Elles vont rarement dans les mosquées. Le prophète ne le leur a pas défendu, mais il a dit qu’il était mieux qu’elles priassent dans leurs maisons. Les musulmans, qui semblent penser que la présence de leurs femmes est propre à inspirer des idées toutes différentes de celles qui conviennent à la sainteté du temple, ont presque fait une prohibition du conseil de Mahomet.

25. Infractions aux lois morales. — L’observation des formes religieuses ne coïncide pas toujours, chez les musulmans, avec celle de la morale. Le fanatisme entretenu par l’ignorance allie souvent le vice aux plus austères pratiques. On en voit qui, en même temps qu’ils se privent d’un peu d’eau pour étancher leur soif lorsque cela leur est permis, volent sans scrupule, si l’occasion s’en présente, et commettent même des crimes plus coupables. Ainsi, malgré les menaces religieuses les plus sévères, ils s’adonnent à la pédérastie; ce vice, il faut le dire, est moins commun parmi les Arabes que parmi les Turcs, mais on rencontre davantage chez les pre- /241/ miers un vice plus inconnu encore à l’Europe, la bestialité. Ils sont enclins à la dissimulation et au mensonge. Les serments par Dieu et par le prophète sont la chose du monde à laquelle il faut le moins se fier dans leurs bouches.

26. Tolérance envers les chrétiens recommandée par le Coran. — Les musulmans sont renommés en Europe pour leur haine contre les chrétiens. Si des actes de férocité, commis pendant les fureurs de la guerre, leur ont mérité cette réputation, ce n’est pas sur les principes de l’islamisme qu’il faut en faire peser la responsabilité. Le Coran recommande souvent à ses sectateurs la tolérance pour les chrétiens; les versets suivants, écrits dans ce sens, me paraissent mériter d’être cités:

« Les chrétiens seront jugés d’après l’Evangile. Ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs.

« Chante la gloire de Marie, qui conserve sa virginité intacte. Nous soufflâmes sur elle notre esprit: elle et son fils firent l’admiration de l’univers.

« O fidèles, votre religion est une. Je suis votre Dieu. Adorez-moi! Les juifs et les chrétiens sont divisés dans leurs croyances; tous reviendront à nous.

« Nous avons prescrit à chaque peuple ses rites sacrés. Qu’ils les observent, et qu’ils ne disputent point sur la religion. Appelle-les à Dieu; tu es dans le véritable chemin.

« Ne disputez avec les juifs et les chrétiens qu’en /242/ termes honnêtes et modérés. Confondez ceux d’entre eux qui sont impies. »

Malgré la tolérance prèchée, comme on le voit, par le Coran, et quoiqu’on puisse dire qu’elle soit pratiquée en un certain sens, puisque les musulmans ne persécutent pas les chrétiens, ils professent néanmoins pour eux un souverain mépris. Les actes publics s’en ressentent; le témoignage d’un chrétien n’est pas admis contre un musulman. Le mékemet (tribunal), dans ses décisions, accole souvent au nom d’un chrétien l’épithète d’infidèle et même celle de damné, s’il est mort. Jadis les chrétiens ne pouvaient pas occuper de places et étaient exclus des honneurs sociaux. Si l’un d’eux était condamné au supplice, c’était le plus infamant qu’on lui infligeait.

Il faut dire que le fanatisme de la populace a souvent empêché l’effet des bonnes intentions des gouvernants en faveur des autres religions. Les Arabes sont en général plus tolérants que les autres nations musulmanes, et les Égyptiens, soit à cause de la douceur naturelle de leur caractère, soit à cause des rapports qu’ils ont eus avec les Européens lors de la conquête de Bonaparte, le sont encore davantage.


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§ IV.

Autres religions et diverses sectes.

Juifs. — Cophtes jacobites. — Cophtes catholiques. — Grecs schismatiques. — Grecs catholiques. — Arméniens. — Catholiques latins. — Grecs catholiques. — Rivalité des sectes chrétiennes. — Tolérance du vice-roi.

27. Les religions ou sectes que l’on rencontre encore en Égypte sont celles des juifs; des cophtes, des Arméniens et des Grecs schismatiques; des cophtes, des Arméniens et des Grecs orthodoxes; enfin des catholiques du rit latin. Les sectateurs de ces différentes Églises s’élèvent ensemble à plus de 200,000 âmes.

28. Juifs. — On compte environ 7,000 juifs, dont la plus grande partie habitent, au Caire, un quartier distinct. Il y a parmi eux environ 1,200 caraïtes. Cette religion est plus méprisée encore chez les musulmans qu’elle ne l’était en Europe dans les siècles de barbarie. Méhémet-Ali les a du reste émancipés des avanies qu’ils subissaient autrefois; il leur accorde la même protection qu’aux autres cultes; ils ont huit synagogues.

29. Cophtes jacobites. — Les cophtes schismatiques sont la secte chrétienne la plus nombreuse; on en compte 150,000 environ. Ils ont cent trente églises ou couvents. Leur chef spirituel est un patriarche nommé par des évoques et archevêques. C’est lui qui choisit les directeurs chargés de l’adminis- /244/ tration des couvents et des églises. On sait que le rit cophte est exclusivement limité à l’Égypte. Les cophtes se confessent; ils communient sous les deux espèces et se lavent le corps avant d’approcher de la sainte table. Ils se font circoncire comme les israélites. Leur secte est celle qui fut établie par l’hérésie d’Eutychès. Les cophtes sont aussi connus sous les noms de monophysites et de monothélites. Leurs prêtres se marient, mais l’étal monacal exige le célibat. C’est parmi les moines que les évoques sont pris. Tous les offices sont célébrés en langue cophte, langue que ne comprennent plus les prêtres eux-mêmes, qui d’ailleurs sont très-ignorants.

30. Cophtes catholiques. — Il y a en Égypte 5,000 cophtes catholiques. Le catholicisme ne date pas chez eux depuis longtemps. Ils ont un évêque; leurs prêtres sont plus instruits que ceux des jacobites. Il semble que le catholicisme ait contribué à leur donner aussi, sur le reste de la population cophte, la supériorité des lumières.

31. Grecs schismatiques. — Il y a environ 3,500 Grecs schismatiques. On les range en deux classes: ceux qui sont du pays même, ce sont les plus nombreux, et ceux qui y sont venus attirés par le commerce. On pense que les premiers, répandus dans la basse Égypte et descendants des anciennes colonies grecques, adoptèrent le rit schismatique à cause de leurs fréquents rapports avec leur ancienne métropole politique, Constantinople. Comme les Grecs étrangers, ils obéissent, dans le domaine spirituel, à /245/ un patriarche envové de Stamboul. Ils ont au Caire trois monuments religieux, qui sont le couvent de Saint-George, celui de Sainte-Catherine et une église dédiée à saint Nicolas.

32. Grecs catholiques. — Il y a des catholiques du rit grec au nombre d’environ 3,500. La plupart sont Syriens. Il n’y a que quelques années qu’ils sont soumis à la juridiction d’un patriarche.

33. Arméniens. — Les Arméniens sont au nombre de 2,000 environ. Ils sont la plupart du rit schismatique; ils ont leurs prêtres, leurs églises et un patriarche. Il y a quelques Arméniens catholiques qui ont, pour célébrer les cérémonies de leur culte, un temple spécial.

34. Catholiques latins. — Les catholiques du rit latin sont en général formés par la population européenne. Les pères de terre sainte, religieux de saint François, desservent les différentes églises latines, qui sont sous la juridiction du révérendissime de terre sainte.

Les missionnaires de la propagande ont aussi des églises en Égypte. Le pape a tout récemment nommé un évéque.

Les établissements religieux du catholicisme ont été placés de tout temps sous la protection spéciale de la France. On sait que François Ier et Louis XIV les avaient couverts de leur tutelle, par leurs ordonnances.

35. Rivalité des sectes chrétiennes. — Le gouvernement de Méhémet-Ali accorde une égale protec- /246/ tion à ces différents cultes ou rites, sans se préoccuper des divisions qui les séparent. D’ailleurs, aux yeux des musulmans, toutes les sectes, quelles qu’elles soient, sont également infidèles. Il existe, entre les diverses croyances qui se partagent le petit nombre d’Égyptiens qui ne sont pas mahométans, une antipathie naturelle, une jalousie, des rivalités qui, dans tous les temps, ont entretenu parmi eux des dissensions profondes; elles sont aujourd’hui sans conséquence, parce que Méhémet-Ali, impartial pour tous, ne favorise aucun culte au détriment des autres. Le seul inconvénient qui en résulte; c’est la déconsidération qu’elles jettent, dans l’esprit des musulmans, sur le christianisme en général; mais, avant le vice-roi, elles avaient des suites plus graves. Ennemis acharnés les uns des autres, les différents cultes achetaient la protection du gouvernement; c’était celui qui donnait le plus d’argent qui avait raison et obtenait le plus de privilèges. On voyait alors d’intrigants sectaires obtenir par haine religieuse la vie de certaines personnes, la démolilion des églises du culte contre lequel ils étaient irrités, et lui attirer des persécutions de tout genre. On conçoit que de pareilles animosités, poussées jusqu’à ce point, devaient donner aux musulmans une triste idée des vertus religieuses des chrétiens.

36. Tolérance du vice-roi. — Le vice-roi donne un bel exemple de tolérance en appelant les diverses religions, dans les prières publiques, à invoquer pour tous le Dieu commun; on voit chaque année une cé- /247/ rémonie à la fois touchante et philosophique conçue dans cet esprit: ce sont les prières ordonnées pour la crue du Nil. Le point de réunion est la petite île de Raoudah; là, tout près du nilomètre, on voit les ministres des différentes sectes musulmanes, les juifs, les chrétiens de tous les rites, élevant les mains au ciel, invoquer, chacun dans leur langue et d’après leur rituel particulier, le Dieu de tous.