Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

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Chapitre IX.

Agriculture, industrie, commerce.

§ I.

Terrains cultivables et cultivés de l’Égypte.

1. L’agriculture est la spécialité de l’Égypte. On dirait même que, en lui refusant les principaux éléments de l’industrie, la nature, dans ce grand système de division du travail par lequel elle semble avoir donné un rôle caractéristique à chaque contrée, a voulu lui assigner une mission exclusivement agricole.

Nous avons déjà vu quelle est la composition du sol de l’Égypte, et quels sont les produits de ce pays; nous allons dire quelques mots maintenant sur les circonstances particulières dans lesquelles l’agriculture s’y trouve, sur les procédés employés par les fellahs, et donner plus de détails sur les principales productions agricoles.

Mais avant tout, je vais présenter un tableau des terrains cultivables et des terrains cultivés de l’Égypte.

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I.

2. Tableau des terrains cultivables et des terrains cultivés de l’Égypte.

Basse-Égypte.

Noms des provinces.

Terrains cultivés.

Ebadies.

Les terrains ebadies sont des terrains qui ont été compris dans l’arpentage, mais qui ne sont pas cultivés et ne payent pas contribution.

155,500; de ce nombre il y en a maintenant une partie de cultivés, que l’on peut évaluer à 30,000, ce qui doit être ajouté au nombre de feddans cultivés et diminué de celui des feddans incultes. Ainsi:

Incultes 1,581,000
30,000
Feddans incultes 1,551,000
 —  cultivés 2,249,000
Total 3,800,000
Garbieh 450,000 40,900
Ménouf 300,000 10,000
Charkieh 360,000 53,000
Mansourah 320,000 15,200
Baïreh 245,000 22,000
Kelyoub 290,000 8,000
Gizeh 254,000 6,400
Terrains cultivès 2,219,000
 — cultivables 3,800,000
 — incultes 1,581,000

Moyenne-Égypte.

Minieh 152,800 50,900

667,200. On peut eu compter 25,000 de cultivés maintenant. Ainsi:

868,000
25,000
Feddans incultes. 843,600
 — cultivés 750,400
Total 1,594,000
Beny Mazar 148,200 49,100
Fechn 161,000 39,200
Benisouef 139.400 31,000
Le Fayoum 124,000 497,000
Terrains cultivés 725,400
 — cultivables 1,594,000
 — incultes 868,600

Haute-Égypte.

Esneh 47,337 26,654

297,240. De ce nombre on peut en compter 10,000 de cultivés maintenant. Ainsi:

773,174
10,000
Feddans incultes 763,174
— cultivés 856,826
Tot. des terrains 1,620,000
Kenneh 102,390 54,232
Farchout 98,828 48,666
Girgeh 101,217 49,192
Louhâs 134,169 37,366
Syout 163,554 30,030
Manfalout 98,964 26,754
Mellaouy 100,367 24,306
Terrains cultivés 846,826
 — cultivables 1,620,000
 — incultes 773,174

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Récapitulation.

Terrains cultivés.

Terrains incultes.

Totaux.

}

Total des terrains de l’Égypte

Basse-Égypte 2,249,000 1,551,000 3,800,000 7,014,000 fedd.
Haute-Égypte 856,826 763,174 1,620.000
Moyenne-Égypte 750,400 843,600 1,594,000
3,856,226 3,157,774 7,014,000

§ II.

Irrigations.

Arrosement par les canaux. — Arrosement par les puits. — Sakyehs. — Chadoufs.

5. Les habitants de l’Égypte durent rechercher les moyens de tirer le plus grand parti possible de la richesse que le Nil leur apportait annuellement. La construction des canaux et leur entretien furent par conséquent pour eux un sujet de préoccupations spéciales; la fertilité de l’Égypte a pour cause les inondations du Nil. Dès la plus haute antiquité, amener l’eau du fleuve sur la plus grande partie possible du territoire, tel fut le problème qu’ils se proposèrent, et à la solution duquel fut attachée la prospérité agricole du pays.

Aujourd’hui encore, c’est de l’économie des eaux du Nil que dépendent les richesses de l’Égypte. Le système d’irrigation a les mêmes effets que dans l’antiquité, il est déterminé d’après les mêmes principes.

Dans la Haute-Égypte, les canaux, comme des /266/ branches qui s’écarteraient d’un tronc généreux, sont dirigés vers les deux chaînes de montagnes qui encaissent la vallée; parvenus à leurs pieds, ils se prolongent parallèlement au désert, et enlacent les terres de leurs réseaux fécondants.

Avant l’inondation, on élève des digues à la tête des canaux d’irrigation creusés de distance en distance sur les deux rives du fleuve.

Lorsque le Nil a commencé à croître, on coupe ces obstacles, et les eaux entrant dans les canaux viennent s’arrêter contre de nouvelles digues, débordent et submergent le terrain qu’elles enferment. Plus la crue est considérable, plus les eaux s’élèvent en amont des barrages dont je viens de parler, et plus est étendu l’espace qu’elles submergent. Après qu’elles se sont suffisamment répandues sur cet espace, on ouvre les digues contre lesquelles elles s’amoncelaient; s’échappant à travers l’issue, elles se déversent alors dans le lit du canal, le remplissent et vont s’arrêter contre de nouvelles digues qui donnent naissance au même débordement et à une inondation analogue, et sont coupées à leur tour, de sorte que le phénomène se répète tant que le volume des eaux est assez considérable pour le produire.

Les prises d’eau dans le fleuve sont renouvelées de distance en distance au moyen de canaux particuliers qui réparent les pertes des dérivations supérieures. Il existe des canaux secondaires pour reporter au Nil les eaux qui ont séjourné assez longtemps sur les terres.

/267/ Ainsi pendant l’inondation, on peut se représenter la vallée comme formant, depuis le Nil jusqu’aux montagnes ou à la lisière des déserts, des étages successifs sur les gradins desquels viennent s’étendre de grandes nappes d’eau.

Afin que les eaux restent sur les terres et ne retombent point dans le fleuve, les rives sont bordées de digues qui servent de chemin lors de l’inondation, de sorte que, dans plusieurs endroits, pendant cette période de l’année, les eaux retenues par ces digues sont plus élevées que le niveau du fleuve. L’entretien des digues principales qui vont d’un village à l’autre est donc de la plus grande importance. De même, celui des divers barrages qui produisent les débordements successifs des canaux mérite aussi les plus grands soins: il faut qu’une sage prévoyance préside à leur rupture afin que les villages éloignés ne soient pas frustrés au profit de ceux qui bordent le fleuve.

Les eaux du Nil sont donc comme un trésor dont l’administration, avec l’unité de son action et la puissance de ses moyens, est l’unique économe possible et naturel. Prudente, habile et forte, elle en maîtrise tous les éléments nécessaires qu’elle distribue à son gré sur la surface du pays. Ignorante, paresseuse ou faible, elle laisse s’échapper inutilement la richesse et la vie dont la gestion lui est confiée.

4. Arrosement par les puits. — Nous avons vu dans le premier volume (1) que la fécondation des /268/ terres n’a pas lieu par l’action exclusive des débordements du Nil; que, s’il en était ainsi, l’Égypte, qui serait le pays le plus fertile du monde durant une courte période de l’année, serait desséchée et aride pendant les autres saisons. Nous avons vu que la filtration des eaux à travers les couches sablonneuses qui servent de base aux terrains cultivables aidait d’une manière puissante l’agriculture égyptienne, et entretenait la végétation pendant toute l’année. Voici comment de tous temps on a tiré parti en Égypte de la filtration.

(1) Page 44.

Lorsque les eaux supérieures du Nil s’étaient retirées, afin d’élever au niveau du sol les eaux sous-jacentes, les anciens inventèrent des puits à chapelets connus aujourd’hui sous le nom de sakyehs. La machine qui élève les eaux n’est autre chose qu’un treuil sur lequel s’enroule une corde garnie de pots en terre; ces pots tirent l’eau du fond d’un puits. Le treuil est mis en mouvement par un manège auquel sont attelés des bœufs. Dans la Basse-Égypte et dans le Delta, on emploie une roue verticale, qui élève l’eau dans des pots de terre attachés à des cordes et formant une série continue; une large roue horizontale, tournée par des buffles ou des bœufs, met en mouvement la roue verticale et les pots.

Ces machines sont très-simples; elles sont fabriquées et arrangées par les paysans eux-mêmes. Jusqu’à présent, on a essayé infructueusement beaucoup d’autres systèmes hydrauliques plus compliqués, qui demandent des soins intelligents et veulent être /269/ réparés par des artistes habiles. Mais on a été toujours forcé de revenir au système primitif des sakyehs; il existe aujourd’hui dans la haute et Basse-Égypte cinquante mille sakyehs.

Les sakyehs servent principalement dans les lieux les plus éloignés du Nil et pour les cultures auxquelles l’inondation serait nuisible. Aux environs des villes, les jardins sont arrosés par des puits à roue.

Sur les bords du Nil et des canaux, surtout pendant les six premiers mois qui précèdent l’inondation, on se sert d’une machine différente, plus simple encore, et qui a été souvent décrite par les voyageurs. Je veux parier du chadouf (1). Le chadouf est composé d’un levier suspendu vers le tiers de sa longueur sur une traverse horizontale que soutiennent deux montants verticaux établis au sommet des berges du Nil ou du canal où l’on puise l’eau. La branche la plus courte du levier porte un contre-poids de terre durcie; et sa branche la plus longue, une verge de bois attachée par un lien flexible, de manière que, pendant le mouvement de rotation du levier, cette verge reste toujours verticale. A son extrémité inférieure est suspendu le sceau en cuir. Un homme placé sur une saillie de terre puise l’eau dans le seau, l’élève à la hauteur de sa poitrine et la verse dans un petit canal, qui la conduit sur les terrains où on /270/ en a besoin, et, si cela est nécessaire, dans un puisard, où elle est reprise de nouveau par une semblable machine qui la transmet à une troisième, etc., jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à la hauteur du terrain qu’elle doit arroser. Chaque chadouf élève l’eau à 3 mètres environ de hauteur; on en place trois ou quatre au-dessus les uns des autres, suivant les localités. Les expériences faites sur une de ces machines par les savants de l’expédition française ont appris qu’un ouvrier égyptien peut élever, au moyen du chadouf, près de 50 litres d’eau par minute à une hauteur d’environ 3 mètres, ce qui est fort au-dessus de la force ordinaire d’un homme, telle qu’on la calcule dans dans notre climat d’Europe. On évalue qu’en moyenne les sakyehs donnent des résultats cinq fois plus considérables que les chadoufs. Dans la Haute-Égypte, où le Nil est plus encaissé que dans la basse, l’usage des chadoufs est plus répandu encore que dans le Delta. On voit jusqu’à cinq ou six étages de ces machines placées l’une au-dessus de l’autre pour faire parvenir l’eau jusqu’au-dessus des terres. Dans la même partie de la contrée, l’embouchure des canaux n’étant pas assez profonde, ils restent à sec pendant la plus grande partie de l’année; mais on supplée artificiellement à cet inconvénient en introduisant de l’eau par le moyen des puits à balancier. On voit donc à ces embouchures une grande quantité de chadoufs rassemblés sur le rivage. Les hommes employés au service des chadoufs passent des journées entières et souvent /271/ des nuits à tirer de l’eau du fleuve et à la répandre sur la terre. Tous les voyageurs qui ont parcouru le Nil pendant les basses eaux ont été frappés du spectacle des nombreux chadoufs qui bordent les rives du fleuve, sans cesse mis en mouvement par des hommes presque entièrement nus, qui, pour régulariser le balancement qu’ils impriment à ces longues perches, accompagnent leurs travaux en répétant, sur un rhythme uniforme, de monotones cantilènes.

(1) J’ai suivi, pour la description de ces divers moyens d’irrigation et des instruments aratoires, celle qui a été donnée avec beaucoup d’exactitude dans les Mémoires de l’Institut d’Égypte sur l’agriculture.

Les terres inondées ne donnent guère qu’une seule récolte; celles que l’on peut féconder pendant toute l’année par l’arrosement produisent jusqu’à trois et même quatre récoltes par an.


§ III.

Instruments aratoires et procédés agricoles.

Charrue. — Rateau. — Moissons. — Noreg. — Assolement. — Attachement des fellahs pour les anciennes pratiques. — Ferme modèle.

5. Le travail agricole est si facile en Égypte que les instruments aratoires sont d’une simplicité tout à fait élémentaire et tels qu’ils furent employés (les inscriptions en font foi) par les premiers habitants de la vallée du Nil.

La charrue égyptienne, nommée en arabe meharrat, consiste en deux pièces de bois réunies à leurs extrémités. On en fait varier l’ouverture au moyen d’une cheville qui est fixée à la pièce inférieure et qui /272/ passe dans un trou pratiqué à la pièce supérieure. La cheville est percée de plusieurs trous, dans lesquels on introduit une clavette qui rend invariable l’ouverture de l’angle, qui se trouve plus ou moins grand, suivant qu’on veut donner plus ou moins de profondeur au labour. La pièce la plus longue sert de timon. A son extrémité est une pièce transversale à laquelle les bœufs sont attelés; ce joug est posé sur le cou des animaux et retenu par des cordes de palmier. A la pièce inférieure sont assemblés, à tenons et mortaises, deux montants en bois qui donnent au laboureur la facilité de diriger la charrue et d’enfoncer le soc en fer, en forme de bêche, dont elle est armée.

Le laboureur conduit cette charrue en tenant des deux mains ou d’une seule la cheville supérieure qui traverse les deux montants.

Lorsque les terres ont été labourées, pour en aplanir la surface les cultivateurs égyptiens font passer dessus un tronc de palmier qui est traîné transversalement par un ou deux bœufs, quelquefois pour rendre ce tronc plus pesant ils s’asseyent sur cette espèce de rouleau; pour déverser le terrain qui doit être arrosé artificiellement on se sert d’un rabot appelé massouga: c’est une planche de près d’un mètre de longueur à laquelle sont annexés d’un côté un manche et de l’autre une corde; un ou deux hommes tirent celle-ci, tandis que la machine est dirigée de l’autre côté par celui qui en tient le manche. Lorsque les semailles sont faites, on ne revient dans /273/ le champ que pour le sarcler, l’arroser, et faire la récolte. On coupe la plante à la faucille, lorsqu’on ne l’arrache pas.

Lorsque la récolte est terminée, on réunit en gerbes ou en bottes les plantes de grande culture, et on les amasse sur un emplacement particulier situé, soit dans le champ même où la moisson a été faite, soit dans un endroit peu éloigné. Les Égyptiens qui, pendant la plus grande partie de l’été, n’ont pas à craindre la pluie et jamais la gelée, n’ont pas besoin de granges.

Dans la partie la plus élevée du Saïd les céréales sont foulées aux pieds des bœufs, après avoir été étendues sur une aire.

Dans le reste de l’Égypte, cette opération s’exécute à l’aide d’une machine appelée noreg. Le noreg est composé d’un châssis horizontal formé de quatre pièces assemblées d’équerre entre elles. Deux de ces pièces reçoivent deux essieux en bois, sur lesquels sont fixées trois ou quatre roues en fer plat, d’environ deux millimètres d’épaisseur et de quatre décimètres de haut. Tout l’assemblage est ainsi mobile sur ses roues, dont la disposition est telle que celles qui sont traversées par le même essieu correspondent au milieu de l’espace compris entre celles que traverse l’essieu suivant. Ce châssis est surmonté d’une espèce de siège en grosse menuiserie ou se place le conducteur des bœufs qui y sont attelés; un anneau de fer fixé dans la traverse intérieure du châssis sert à attacher avec une corde un timon volant à l’extré- /274/ mité duquel est un joug transversal que l’on fait passer sur le cou de ces animaux: les gerbes de grains de toute espèce que l’on destine à être battues au moyen de cette machine sont déliées et étendues sur une aire de huit à dix-huit mètres de rayon; on fait ensuite promener circulairement la machine sur cette aire, les gerbes sont ainsi foulées aux pieds des bœufs à diverses reprises, ce qui fait sortir les grains de l’épi; tandis que pendant la même opération la paille se trouve hachée par les roues de fer dont le noreg est armé.

Les terres fécondées par le limon que déposent les eaux du Nil produisent une végétation continuelle; les fellahs ne les laissent jamais reposer, ils se bornent seulement à alterner les cultures.

Les fellahs, de même que les peuples ignorants, tiennent avec obstination aux procédés agricoles que leur ont légués leurs pères: il est vrai que les travaux de l’agriculture sont si peu pénibles en Égypte, où il semble que la nature agisse toute seule et ne demande presque rien autre chose à l’homme que l’entretien des irrigations, que l’on n’a pas besoin, pour y obtenir de grands résultats, des procédés avancés découverts par la science moderne. Néanmoins comme l’action de la science est bonne et profitable partout, il n’est pas douteux qu’elle produirait en Égypte d’excellents effets; c’est ce que le vice-roi a compris; aussi a-t-il envoyé plusieurs jeunes gens en Europe pour s’instruire des progrès que la science agricole a faits au milieu de nous. Plusieurs /275/ jeunes Arabes ont suivi, sous la direction de M. Mathieu de Domballe, l’enseignement de l’institution de Roville, et Méhémet-Ali a fait établir auprès de Choubra une ferme modèle dont on a déjà obtenu quelque résultat, et dont on retirera infailliblement un grand parti, lorsqu’il sera permis au vice-roi de n’avoir plus d’autre préoccupation que de développer toutes les ressources pacifiques de l’Égypte, dont il est contraint aujourd’hui d’exagérer en quelque sorte la puissance guerrière.


§ IV.

Des grandes cultures de l’Égypte.

Saisons agricoles — Culture d’hiver: Blé, — orge, — fèves, — lentilles, — lupin et fenugrec, — safranum, trèfle. — Cultures el keidy: Coton, indigo. — Cultures d’été: Dourah, — riz, — chanvre. — Vers à soie. — Tableau des productions de l’Égypte.

6. Saisons agricoles. — L’inondation du Nil divise l’année en trois périodes agricoles, et c’était probablement pour cela que les anciens Égyptiens avaient adopté pour leur année civile trois saisons de cent vingt jours chacune. Pendant que les eaux du Nil, parvenues à leur plus grand volume, se déversent sur les terres, au moyen de la rupture des digues, ont lieu les cultures qui n’ont besoin d’aucun arrosement jusqu’à la récolte, et qui sont désignées par la dénomination d’el-bâyady. Les cultures entreprises pendant la même saison sur des terres qui, n’ayant point été inondées ou n’ayant /276/ pas conservé assez longtemps les eaux du Nil, ont besoin d’arrosements artificiels, reçoivent le nom d’el-chetaouy, ou cultures d’hiver; les récoltes el-bâyady ou el-chetaouy sont suivies des cultures appelées el-seyfy ou el-keydy; ces cultures correspondent à l’époque où les eaux du Nil sont à leur étiage; elles exigent des arrosements artificiels.

Lorsque la crue du Nil commence, ont lieu les cultures distinguées par les noms de el-demiry lorsqu’elles se font dans les terres basses, et d’el-nabary lorsqu’elles se font dans les terrains élevés, sur lesquels on a besoin de faire monter l’eau.

7. Cultures d’hiver: Le blé (1). — Les céréales sont cultivées sur les terres inondées; c’est après l’écoulement des eaux qu’on les confie à la terre.

(1) J’ai puisé, dans la partie statistique de l’Histoire de l’Égypte sous Mohammed-Ali, par M. Mengin, la plupart des détails suivants. M. Mengin a consacré dans son ouvrage une grande part à l’agriculture.

Le blé se sème ordinairement, dans la Haute-Égypte, vers le mois de novembre, et dans le Délta vers le commencement de décembre. On sème par feddan un tiers d’ardeb du Caire, quelques jours après, sans enlever au grain les vesces ni les autres corps étrangers qu’il renferme. Les récoltes ont lieu vers le commencement de mars dans la Haute-Égypte et en avril dans le Delta. Nous avons déjà dit, dans le paragraphe consacré aux végétaux, le produit du blé en Égypte. On cultive aussi du blé, pendant le printemps, dans les champs où l’on a re- /277/ cueilli du trèfle; ce froment est obtenu au moyen des arrosements; il est de meilleure qualité que le blé bayâdy, mais en revanche exige plus de frais.

8. Orge. — Après avoir donné un léger labour à la terre, on jette par feddan six ou huit mesures de grains d’orge. La récolte se fait quatre ou cinq mois après.

9. Fèves. — Les fèves sont semées à peu près à la même époque ordinairement sur le limon du Nil, qu’on remue avec le rabot afin d’enterrer légèrement les graines. Elles restent en terre environ quatre mois et demi; on en sème par feddan de dix à douze mesures (1).

(1) L’ardeb du Caire se divise en 24 mesures. Voy. le chap. des poids, mesures, monnaies, etc.

10. Lentilles. — On commence à les semer en novembre, sans donner à la terre aucune préparation; on jette par feddan six ou sept mesures. La récolte se fait trois ou quatre mois après.

11. Pois chiches. — Ils sont aussi semés au mois de novembre sur des terres qu’on ne laboure que pour recouvrir les graines semées à la volée; on en sème sept ou huit mesures par feddan.

12. Lupin et fenugrec. — Ils sont semés dans les terrains faibles. Les procédés de culture sont les mêmes que pour les grains dont nous venons de parler.

13. Safranum. — Il est semé à la même époque; la terre ne reçoit aucune préparation, elle est ramenée sur les semences avec le râteau. On en jette trois mesures par feddan. Le safranum est récolté au mois /278/ de mars; après la récolte on le recueille en gerbes et on le porte aux lieux où on doit le séparer de sa graine; on l’y laisse pendant quinze ou vingt jours, et, lorsqu’il est bien desséché, on le bat avec deux bâtons pour le dégrainer.

14. Trèfle. — Le trèfle est l’une des cultures les plus importantes de la saison qui suit l’écoulement des eaux, car il fournit la nourriture des nombreux bestiaux que renferme l’Égypte.

15. Cultures el keidy: Coton. — La culture du coton est nouvelle; c’est un Français, M. Jumel, qui, en 1821, indiqua au vice-roi toutes les ressources qu’on pouvait en tirer. Jusqu’alors, celui que donnait l’Égypte était de qualité inférieure. Quelques plantes de cet arbuste, venues des Indes, se trouvaient dans les jardins du Caire, où elles servaient d’ornenaents; M. Jumel les remarqua et en étendit la culture sur une échelle immense. Le nom de M. Jumel est resté au coton d’Égypte, qui est devenu la principale branche des produits agricoles du vice-roi. Le sol de l’Égypte convient à la culture du coton Jumel; on le sème dans tous les terrains, mais on choisit de préférence les terres grasses, fortes, qui conservent l’humidité, où l’arbuste puisse acquérir une sève abondante et fournir des capsules bien remplies. On recherche aussi la proximité du Nil, afin d’arroser plus aisément et à moins de frais.

Les terrains où l’on sème le coton doivent être à l’abri des débordements du fleuve, car le séjour des eaux ferait périr les plantes. Les fellahs ont grand /279/ soin de protéger par des digues les terres qui seraient sujettes à être inondées dans le moment de la haute crue. Cependant les cotonniers sont arrosés périodiquement au moyen des sakyehs ou des chadoufs. En hiver, on leur donne de l’eau tous les quinze jours; au printemps, s’il y a beaucoup de rosée, tous les douze jours, et en été tous les huit jours.

On sème le coton en mars et avril dans la Basse-Égypte; auparavant on donne un seul labour à la terre, et deux ou davantage si la terre est faible. Dans le Saïd, on laboure partout à environ trente-six centimètres de profondeur. On trace ensuite des sillons à la distance d’un mètre. Après le labour, on brise les mottes et on nivelle les terres qui ne subissent aucune autre préparation; on pratique des trous de trois à quatre pouces de diamètre sur autant de profondeur; on y dépose de deux à quatre grains que l’on a eu soin de faire tremper pendant vingt-quatre heures dans l’eau pour hâter leur germination; on laisse entre les pieds des cotonniers environ un mètre de distance. Dans les plantations voisines des villes, les fellahs, pour tirer parti de tout le terrain, sèment des légumes et d’autres végétaux dans ces intervalles. A l’époque de l’inondation, on sarcle à la main les herbes parasites qui croissent autour des cotonniers.

La seconde année on ne remue la terre que pour faire un nouveau sarclage, et le cotonnier, qui avait acquis d’un mètre à un mètre et demi dans la pre- /280/ mière année, se développe encore, mais dans de moindres proportions.

Dès la première année, on taille les cotonniers avec une espèce de serpette; on leur enlève toutes les branches dont on se sert pour combustibles, et cette opération donne plus de force à l’arbuste et le garantit du froid qui ferait périr les branches.

La récolte du coton commence, pour la première année, en juillet, et finit en janvier quand il ne fait pas froid.

Le rapport d’un cotonnier est d’une livre un quart brut pour la première année; pour la deuxième, d’une livre un quart à deux livres; la troisième donne le même produit, mais pendant les années subséquentes la plante perd sa fécondité; aussi a-t-on reconnu qu’il convenait de la renouveler après trois ans. Du reste, elle produirait encore longtemps; on en a vu qui après cinquante ans donnaient encore des capsules. Au bout de trois ans, le cotonnier s’élève et produit un feuillage épais.

Un homme peut cultiver jusqu’à quatre feddans de terre contenant ensemble quatre mille cotonniers. Lors de la récolte, un ouvrier peut ramasser, dans une journée, de quinze à dix-huit livres de coton. Pour l’égrenage, on se sert d’une machine composée de deux cylindres d’environ neuf pouces de diamètre, placés l’un sur l’autre et fixés à deux montants. Ils sont mis en mouvement par une roue qu’un homme fait tourner avec son pied; c’est entre eux que passe le duvet; les graines s’arrêtent et vont /281/ d’un autre côté. Un ouvrier égrène ordinairement de douze à quinze livres de coton par jour.

Pour emballer le coton, les fellahs se bornent à le presser avec leur pied à mesure qu’ils le mettent en balle; mais depuis quelques années le vice-roi a fait venir d’Angleterre des presses dont on fait usage en Amérique, et il a ordonné la confection de plusieurs autres machines semblables. La balle, telle que la pressent les fellahs, a un mètre et demi de hauteur sur un mètre de largeur environ. Par le moyen de la machine américaine, elle n’a qu’un mètre de hauteur sur un demi de largeur.

16. Indigo. — La culture de l’indigo est une des plus considérables. Cette importation étrangère a fort bien réussi; c’est principalement dans la Haute-Égypte et le Fayoum que l’indigo est cultivé; on le sème après l’inondation dans les terres grasses, sablonneuses, et qui, voisines du Nil ou des canaux, peuvent être facilement arrosées. Avant les semences, les fellahs donnent un labour à leurs terrains, le divisent en petits carrés qu’ils traversent de rigoles assez rapprochées, dans lesquelles ils placent les graines. Les indigotiers sont arrosés tous les huit ou dix jours. Lorsque les plantes commencent à fleurir, on fait une première récolte de feuilles; lorsqu’elles sont arrivées à leur maurité, on récolte en même temps les semences.

17. Cultures d’été: Dourah. — Le dourah indigène, base principale de la nourriture des fellahs, qui le préfèrent au blé, se sème à la fin de mars, dans /282/ les champs où l’on a déjà fait la récolte du trèfle; on brûle les herbes parasites qui couvrent le terrain sur lequel on va jeter le dourah, et après cette opération, qui rend la terre plus féconde, on lui donne un seul labour; on dépose dans des trous faits à la pioche trois ou quatre grains; on les recouvre; on divise la terre en carrés de quatre à cinq pieds, fermés par des digues autour desquelles on fait couler l’eau, que l’on conduit ensuite dans les sillons tracés avec le hoyau. Lorsqu’un carré a été suffisamment arrosé, on fait parvenir l’eau dans un autre carré, et ainsi de suite. Souvent on ne l’arrose même pas, mais alors les produits sont de qualité inférieure et moins abondants.

La récolte du dourah se fait pendant le mois de juillet; on coupe les tiges à la faucille; les fellahs qui le recueillent en grande quantité font la séparation des grains au moyen du noreg.

On cultive pendant l’automne une variété de dourah nommé dourah blanc.

Le maïs, que les Égyptiens appellent chamy, est semé deux fois par an, dans l’automne et dans l’été.

On sème environ un quart d’ardeb par feddan; le produit varie entre 4 et 10. Le maïs rend du 10 au 14.

18. Riz. — La culture du riz, qui est une des principales de la Basse-Égypte, se fait d’une manière particulière; nous avons déjà dit que les rizières sont communes dans la Basse-Égypte, surtout aux environs de Damiette et de Rosette.

/283/ Avant de mettre en terre les semences du riz, on les place dans des couffes que l’on tient dans l’eau de dix à quinze jours, jusqu’à ce que le grain soit assez amolli. On les étend ensuite sur des nattes, et en tas de trente pieds de long, d’environ quatre de large, et d’un d’élévation. On les couvre de trèfle ou de paille, et lorsque la chaleur les a fait germer, ce qui arrive au bout de deux ou trois jours, on les sème sur un terrain qui auparavant a été recouvert d’eau pendant plusieurs jours. On fait ensuite des labours croisés sur les carrés que l’on laisse reposer, pour les labourer de nouveau et les submerger, et enfin aplanir leurs surfaces avec le râteau. C’est alors que l’on jette les semences qui s’enfoncent par leur propre poids dans la terre saturée d’humidité. Au bout de trois jours, on amène de nouveau l’eau sur les carrés ensemencés; on l’y laisse pendant le même temps, puis on la fait écouler de nouveau. Les arrosements ont lieu de la même manière jusqu’à la maturité du riz. Si les rizières demeuraient à sec pendant quelque temps, la récolte serait compromise. Celle-ci se fait au mois de novembre; le riz est coupé avec la faucille, lié en gerbes, transporté sur une aire, et égrené par un traîneau semblable au noreg, que deux bœufs promènent pendant plusieurs heures sur les gerbes déliées. Après que les grains ont été passés au crible, on les expose au soleil pour être desséchés, et on les dépouille de leur balle en les faisant passer par un mortier, dans lequel ils sont battus par deux pilons mus par un /284/ mécanisme particulier. Après que le riz est blanchi, il est passé de nouveau sous les pilons avec une quantité de sel équivalente au cinquième de la sienne.

19. Chanvre. — Les terrains préférés pour la culture du chanvre sont ceux qui sont situés au bord du Nil, au bord des canaux et dans des conditions d’humidité permanente. Avant de recevoir le chanvre, les terrains qui lui sont destinés doivent être préparés comme ceux du coton Jumel. C’est aux mois de janvier et février que se font les semences. Au bout de quatre jours, l’herbe commence à paraître. On la laisse se développer pendant quinze jours; on la sarcle ensuite, opération que l’on renouvelle tous les huit jours. Le chanvre demeure en terre trois mois et trois mois et demi; on reconnaît la maturité à sa couleur. Après l’avoir moissonné, on le laisse exposé pendant vingt jours à l’air, afin de le faire sécher. On le bat ensuite pour en séparer les graines. La partie filamenteuse se met en macération pendant quinze jours; on la desserre ensuite si elle est dans un état convenable, et on l’expose au soleil pendant six jours; puis on la nettoie, et on la porte dans les chounehs, ainsi que les graines.

20. Lin. — Le lin est cultivé de deux manières. D’après l’une, la terre à laquelle il est destiné ne reçoit aucune préparation ni avant ni après les semences. Dès que les eaux sont écoulées, on jette la graine. Dans l’autre système, les fellahs labourent la terre en deux sens, puis la divisent en petits /285/ carrés sur lesquels ils sèment à la volée et se contentent d’arroser une seule fois. Quand le germe s’est développé, qu’il commence à produire des brins, on couvre les champs de terres alcalines, on arrose ensuite pendant la croissance des tiges jusqu’à leur maturité, qui arrive pendant le mois de mars. Alors les fellahs arrachent les tiges, qu’ils étendent pour les faire sécher, et lient en petites gerbes, afin d’extraire les graines, soit en pressant les sommités ou en les secouant sur un vase de terre. Le premier procédé est employé dans la Basse-Égypte et le second dans le Saïd. Après le battage, on passe les capsules dans une espèce de moulin qui détache les graines de leurs balles. L’opération finie, on lie en bottes bien serrées les tiges privées de leur graine; on les expose pendant quelque temps au soleil et à la rosée; puis on les place dans des mares, dans des canaux, en ayant soin de les placer verticalement et en les chargeant de pierres, afin qu’elles ne surnagent pas. Cette submersion dure ordmairement vingt-cinq jours, au bout desquels on retire les tiges et on les expose au soleil pour les faire sécher. Lorsque la dessiccation est arrivée au point convenable, on les brise en les frappant sur la pierre avec un bâton; puis on secoue le lin pour le dégager des fragments de tige qu’il renferme, puis enfin on le passe à travers les dents d’un peigne.

21. Vers à soie. — Méhémet-Ali a donné une grande impulsion à l’éducation des vers à soie; nous /286/ avons vu (1) qu’il a fait planter plus de trois millions de mûriers dans la Basse-Égypte. C’est au mois de janvier que ces arbres bourgeonnent. L’éclosion des vers a lieu au mois de mars, et même plus tôt, si on ne tient les graines dans des lieux bien frais. Entre la naissance et la première venue s’écoule une période de dix à quinze jours environ, et dont la longueur, variable entre ces deux termes, dépend de la chaleur de la température. Entre la première et la seconde, on compte douze jours; de douze à quinze entre la seconde et la troisième, et enfin, entre la troisième et la quatrième, quinze jours à peu près. Il y a donc un intervalle de deux mois entre la naissance des vers et le moment où ils filent les cocons.

(1) Tome i, page 81.

On ne connaît pas en Égypte les maladies épidémiques des vers. L’excès de chaleur, la poussière, la rosée, sont quelquefois cause d’accidents; les rafales du vent brûlant du midi les dessèchent et les carbonisent.

Une once de semence donne plus de 7,000 cocons. Chaque cocon pèse d’une demi-drachme à une drachme. En 1833, la récolte a été de 6,150 okes. La ponte des papillons ne demande aucun soin très-particulier, car les mâles s’accouplent d’eux-mêmes avec les femelles. Vingt jours suffisent pour que le cocon soit parfait. On conserve les semences en hiver en les plaçant dans des sacs ou des caisses que l’on descend au fond des puits.

/287/ 22. Produits de l’Égypte. — Voici le chiffre des principaux produits de l’Égypte pendant l’année 1833; ce tableau donnera un aperçu de leur importance, qui ne varie pas:

Hectol.

Blé2,668,000
Fèves1,288,000
Orge1,196,000
Maïs294,400
Dourah1,380,000
Lentilles128,800
Pois chiches46,000
Lupins36,800
Fenugrec110,400
Riz de Rosette55,200
Riz de Damiette92,000
Graine de lin40,480
 — de laitue14,720
 — de sésame33,120
 — de carthame2,760

Kilogram.

Coton arbuste4,891,700
 — herbacé200,115
Sucre382,449
Safranum26,600
Henneh1,555,450
Lin800,460
Indigo947,100
Opium18,450
Soie7,995

/288/

§ V.

Industrie.

23. Il y a dans l’industrie égyptienne deux parties distintes à étudier: l’une doit être consacrée à la grande industrie, c’est-à-dire aux nombreux établissements manufacturiers que Méhémet-Ali a fondés en Égypte sur une vaste échelle; dans la seconde, nous nous occuperons des petites industries locales et des divers métiers qui font vivre une partie de la population.

I.

Fabriques.

Filatures et fabriques de toile de coton: — de Boulac, du Caire, de la Basse-Égypte, du Saïd. — Fabriques de toile de lin. — Blanchisserie de Boulac. — Impression des indiennes et des mouchoirs. — Fabriques de tissus de soie — Corderies. — Manufacture de draps à Boulac, — de tissus de laine, — de tarbouchs à Fouah. — Fonderie de fer coulé. — Manufacture d’armes portatives. — Fabriques de sucre. — Moulins à huile. — Indigoteries. — Fabriques de poudre, de salpêtre et de produits chimiques. — Considérations sur les manufactures en Égypte.

Le vice-roi a fondé un très-grand nombre de fabriques: des filatures de coton, des fabriques de toiles de lin, d’indiennes, de draps, de tissus de laine, de bonnets et d’étoffes de soie, des fonderies de fer, des manufactures d’armes, etc.

24. Filatures, et fabriques de toiles de coton. — Il existe en Égypte un assez grand nombre de filatures de /289/ coton; on en compte quinze logeant quatorze cent cinquante-neuf mules-jenny, dont cent quinze en gros, et treize cent quatorze en fin; plus de douze cents métiers à tisser donnent en hiver plus de trois mille cinq cents pièces par jour, et six mille en été. La production annuelle de ces derniers s’élève à deux millions de pièces.

La plus belle manufacture est celle de Malta, qui se trouve à Boulac, faubourg commercial et industriel du Caire. — Dans le même établissement on file le coton et on en lisse la toile. — Elle a été fondée avec le plus grand luxe; elle tient en activité vingt-huit chariots et vingt-quatre cardes et drosses. Ces machines sont mues au moyen de quatorze tambours, mis en mouvement eux-mêmes par un manège attelé de huit bœufs. Chaque chariot occupe un homme et trois enfants occupés à renouer les fils que le mouvemeut de la machine fait casser. L’établissement de Malta renferme en outre deux cents métiers à tisser le fil de coton; on y fait des mousselines et des batistes. Il y a dans les environs de Malta deux filatures de coton dites d’Ibrahim-Aga et de Sébatieh.

Au Caire, le quartier de Khoroufech contient un établissement analogue. Il renferme cent chariots, dont dix pour filer gros, et le reste pour filer fin. Les premiers portent cent huit fuseaux sur une seule ligne, et les seconds deux cent seize.

Dans la Basse-Égypte il y a neuf filatures et manufactures de tissus de coton. Kélioub en possède une à laquelle un vaste local est consacré; elle ren- /290/ ferme soixante et dix chariots et trente cardes, qui sont mis eu mouvement par trois manèges. Dans le village de Chybyn, dans la province de Menouf, soixante et dix chariots et trente cardes, mus par deux manèges, filent le coton. A Mehallet-el-Kebir, cent vingt chariots et soixante cardes et drosses, mus par trois manèges, produisent le fil que deux cents métiers à tisser confectionnent en toile.

La filature de Zephté, dans la province de Garbié, renferme soixante et quinze chariots et cinquante cardes et drosses, que trois manèges mettent en mouvement.

Le village de Mit-Gamar possède un ètablissement identique.

La filature de Mansourah renferme cent vingt chariots et quatre-vingts cardes, mus par quatre manèges; cent soixante métiers tissent le coton qui sort de la filature.

Damiette a une filature semblable et un même nombre de métiers à tisser.

Damanhour compte cent chariots et quatre-vingts cardes.

La manufacture de Rosette a cent cinquante chariots et quatre-vingts cardes, mis en mouvement par quatre manèges; on y tisse les toiles à voiles.

La Haute-Égypte a, elle aussi, ses filatures, dont le nombre a augmenté depuis plusieurs années. A Béni-Souef et à Syout se trouvent les plus importantes. Le vice-roi en a fait élever en outre à Mynyeh, à Farchout, à Tahta et Girgeh, à Keneh et à Loueh.

/291/ 25. Fabriques de toiles de lin. — Les fabriques de toiles de lin sont également réparties dans plusieurs provinces, principalement de la Basse-Égypte. Les toiles qu’elles produisent servent à la consommation du pays; elles s’élèvent à trois millions de pièces par an, dont une quantité assez grande est exportée à Trieste et à Livourne. Il y a dans l’Égypte trente mille métiers à tisser le lin.

Entre Boulac et Choubrâh, se trouve un vaste enclos nommé Moubeydah (blanchisserie), où l’on soumet les toiles aux différentes opérations du blanchiment. On imprime aussi, dans cet établissement, environ huit cents pièces d’indienne par mois, à la planche et à la mécanique à rouleau. Depuis ces dernières années, les indiennes d’Égypte ont fait concurrence à celles d’Angleterre et d’Allemagne, dont l’importation a diminué. Elles se distinguent par la finesse de la toile, la beauté des dessins et la permanence des couleurs. On imprime également à Moubeydah des mouchoirs de mousseline dont les femmes font un grand usage dans leur coiffure.

26. Fabriques de soie. — On a tissé de tout temps en Égypte des étoffes en soie et coton, mais Méhémet-Ali, à qui ce pays doit l’introduction du mûrier sur une grande échelle, a donné un développement très-considérable à cette industrie. Il a fait venir de Constantinople des ouvriers afin de travailler la soie comme on le fait dans cette ville et dans les Indes. On compte aujourd’hui environ deux cents métiers employés au tissage des soies et du fil d’or; les ou- /292/ vriers travaillent à la tâche; ils sont assez habiles, font de bons tissus, et donnent à leurs dessins une certaine élégance.

27. Corderies. — Le chanvre, qui est récolté en moins grande quantité qu’avant que la culture du coton eût pris l’extension que lui a donnée le vice-roi, n’est pas employé à faire des tissus; on s’en sert exclusivement pour les cordages dont la marine a besoin. Il y a une corderie au Caire, d’où l’on envoie des câbles à l’arsenal d’Alexandrie.

28. Manufactures de draps. — Il y a à Boulac une fabrique de draps qui, quoique n’ayant pas donné dès le principe des résultats satisfaisanîs, a été très-utile dans la suite, depuis que cinq Français, pris dans les fabriques de draps du Languedoc, ont formé, pendant une direction de quatre ans, des fileurs, des tisserands, des foulonniers, des tondeurs, des teinturiers et des presseurs indigènes. De plus, le vice-roi a envoyé s’instruire dans les fabriques de Sedan et d’Elbeuf de jeunes Arabes qui, de retour dans le pays, ont pu mettre leur apprentissage à profit.

Les laines employées sont celles d’Égypte, dont les meilleures viennent de Damanhour et de la province de Minieh. On se sert aussi de celle de Tunis.

Les draps que l’on obtient sont forts et de bon usage; ils sont employés pour les vêtements de l’armée; les couleurs qu’on leur donne sont le bleu foncé, le bleu d’azur, la garance, le bronze, le vert foncé. Chaque mois on confectionne environ 13,540 mètres.

/293/ On fabrique aussi des tissus de laine pour vêtir les marins, ainsi que des couvertures de lit; on se sert pour cela des grosses laines de la Haute-Égypte. Il y a en Égypte quatre mille métiers à lisser la laine.

29. Fabrique de bonnets. — C’est à Fouah que se trouve établie la fabrique de tarbouchs fondée par le vice-roi; cet établissement a parfaitement réussi. Il donne à peu de frais des produits excellents. Dans le principe, il fut mis sous la direction d’un négociant barbaresque, et les ouvriers qu’on y employa furent appelés de Tunis, qui jouit dans tout l’Orient d’une réputation méritée pour la fabrication des fezs ou tarbouchs. Les Arabes ont été initiés à leur confection. Les laines employées pour ces bonnets sont celles d’Alicante; après avoir été tricotés et foulés, les tarbouchs sont teints en rouge avec du kermès, de la noix de galle, du tartre et de l’alun. La fabrique de Fouah donne par jour soixante douzaines de bonnets qui servent à la coiffure de l’armée et à la consommation du pays.

30. Fabriques de sucre. — Le sucre est produit en assez grande quantité dans la Haute-Égypte, mais les procédés au moyen desquels on en fait l’extraction sont encore arriérés; c’est à Reyremoun, dans la province de Minieh, que le gouvernement établit en 1818 une fabrique sur le modèle de celles des Antilles. Plus tard, on en a établi deux autres à Sakiet-Moucé, dans la province du Minieh, et à El-Roudah. A Reyremoun, on a fabriqué, en 1833, douze mille neuf /294/ cent quatre-vingt-quinze quintaux de sucre brut; à Sakiet-Moucé, cinq mille deux cents; et à El-Roudah, trois mille deux cents. — On distille dans ces usines d’assez grandes quantités de rhum.

51. Indigoteries. — Des fabriques d’indigo ont été récemment fondées, des Indiens ont été appelés en Égypte pour apprendre aux Arabes la préparation de l’indigo. Un sixième de la récolte de cette plante est consacré au besoin de ces fabriques qui sont établies à Schoubra, Chahabyeh, dans la province de Kélioub, à Azaziehs, dans la province de Garbieh, à Midgamar, à Mansourah, à Menouf, à Biar, à Achmouneïn, à Birket-el-Kassab, à Mehallet-el-Kebir, à Giseh, à Aboutig, à Tahta, à Syout, à Mellaouy, à Manfalout et à Fechn.

32. Moulins d’huile. — La Basse-Égypte contient cent vingt moulins destinés à extraire l’huile de la graine de lin. Il y a aussi des machines pour extraire l’huile de sésame; quarante moulins sont consacrés, au Caire, à faire de l’huile de carthame. Dans la Haute-Égypte, on en extrait de la laitue. Les huiles entrent dans le monopole du gouvernement.

33. Fabrique de poudre, de salpêtre et de produits chimiques. — Il y a au Mékyas, à la pointe de l’île de Raondah, une fabrique de poudre, placée sous la direction d’un Français, ancien employé de la poudrière de Saint-Chamas, dans le département des Bouches-du-Rhône; le gouvernement en tire la poudre nécessaire à ses besoins.

M. Haim, chimiste français, a formé plusieurs éta- /295/ blissements importants pour la fabrication des produits chimiques des manufactures, et principalement de l’acide sulfurique. Il a sous sa direction plusieurs salpêtrières, où, comme je l’ai déjà dit (1), on obtient le salpêtre par le moyen de l’évaporation. Les fabriques de ce genre sont au nombre de six. Je vais les énumérer en indiquant le chiffre des produits qu’elles ont donnés pendant l’année 1833:

Fabrique du Cairequintaux 9,621
 — de Bedrichryn1,689
 — d’Achmouneyn1,533
 — du Fayoum1,279
 — d’Hânas1,250
 — de Terraneh412

(1) Tome i, page 64.

34. Fonderie de fer coulé. — Il y a à Boulac une magnifique fonderie dont l’édifice seul a coûté la valeur d’un million et demi de francs; elle a été établie sur le plan de celle de Londres par un ingénieur anglais, M. Galloway; un contre-maître et cinq ouvriers anglais ont la direction des travaux; ils ont sous eux une cinquantaine d’ouvriers arabes. On coule chaque jour environ cinquante quintaux de fer destinés à la marine et aux machines nécessaires aux fabriques.

L’arsenal du Caire contient une fonderie qui pourvoit à tous les besoins de l’artillerie et de la marine. On y voit un laminoir pour les feuilles de cuivre employées dans les équipements des vaisseaux /296/ et mis en mouvement par une machine à vapeur à haute pression de la force de vingt chevaux.

35. Manufacture d’armes portatives. — L’établissement manufacturier de l’Égypte le plus remarquable est, sans contredit, la manufacture d’armes portatives. Je ne crois pas pouvoir mieux faire que de citer le jugement qu’en a porté M. le duc de Raguse, dont l’opinion compétente doit faire autorité:

« Ce qui ne peut être assez louangé, dit le maréchal, c’est une manufacture d’armes portatives d’où sortent les produits les plus parfaits. Il y en a trois en Égypte. J’ai visité avec le plus grand soin celles de la citadelle; les armes que l’on y fabrique ont toutes la perfection de celles provenant de nos manufactures: c’est le modèle français; on prend les mêmes précautions que chez nous pour assurer la qualité des armes: on a adopté la même division du travail, le même contrôle est établi. Tout est fait à la pièce et en entreprise, et d’après un tarif. Enfin cette manufacture est aussi belle, aussi bonne et aussi économiquement conduite que les meilleures que nous ayons en France. »

36. Considérations sur les manufactures en Égypte. — L’introduction des fabriques en Égypte a rencontré beaucoup de détracteurs. Les critiques ont allégué pour motif:

1° Que les machines nécessaires ne pouvaient être construites sur les lieux et que par conséquent l’Égypte serait toujours tributaire de l’Europe pour les moyens fondamentaux de son industrie;

/297/ 2° Qu’il est très-difficile d’entretenir des machines dans un pays où la chaleur, la poussière, l’humidité sont tour à tour des causes de détérioration inévitable;

3° Que le peuple égyptien manque de toutes les qualités qui constituent la vocation industrielle d’une nation; qu’il est nonchalant, imprévoyant, ennemi de toute précision, et n’est doué à aucun degré de ce génie inventif que l’industrie réclame dans ceux qui la cultivent;

4° Que l’état n’est pas fait pour donner à l’industrie son impulsion normale; qu’elle exige pour se développer activement une concurrence disputée, et veut être activement dirigée par des hommes intéressés de près à ses progrès, et non par des agents subalternes que n’aiguillonne ni l’émulation ni le désir d’un bénéfice particulier;

5° Qu’il est impossible aux Arabes dans l’état de civilisation où ils se trouvent de produire aussi bien que les peuples occidentaux, chez lesquels les sciences physiques et mathématiques sont communément étudiées et font chaque jour des progrès importants;

6° Que l’Égypte ne pourra jamais se servir des machines à vapeur, attendu qu’elle est tributaire de l’étranger pour le combustible, que, privée de chutes d’eau ou de fleuves au courant rapide, elle ne peut employer de puissants moyens hydrauliques, et que la force des animaux est insuffisante de notre temps pour les grands travaux et ne peut convenir qu’à une industrie tout à fait élémentaire;

/298/ 7° Enfin, que tout convie l’Égypte à ne pas sortir de sa sphère agricole, la fécondité de son sol et son climat, le caractère de ses habitants, etc.

Ou ne peut disconvenir que ces objections ne soient fondées. Elles sont sans doute vraies, si on les envisage à un point de vue absolu. Les faits d’ailleurs se sont chargés de les justifier en partie. Souvent des produits plus imparfaits que ceux d’Europe ont coûté davantage; et peut-être que, séduit par un sentiment d’amour-propre et de gloire nationale, le vice-roi n’a pas été assez retenu dans ses expériences industrielles.

Cependant on doit reconnaître qu’une haute vue politique a inspiré Méhémet-Ali lorsqu’il a établi ses nombreuses manufactures; il voulait donner à l’Égypte tout les éléments de l’indépendance; et, dans ce but, il faut avouer qu’il ne devait pas négliger de lui assurer les moyens de secouer le joug industriel de l’étranger.

Il ne faut pas non plus prétendre, au nom des lois rigoureuses de l’économie politique, déshériter l’Égypte de plusieurs produits industriels, pour lesquels elle réunit des conditions très-favorables: tels sont, par exemple, les fils et les tissus de coton, de lin, de laine, etc. L’abondance des matières premières et le bas prix de la main-d’œuvre rendent l’Égypte éminemment propre à ces productions. Toutefois, ceux mêmes qui sont le plus portés à approuver les idées manufacturières du vice-roi ne sauraient trop lui conseiller de laisser, pendant quelque temps en- /299/ core, la direction de ces fabriques à des Européens expérimentés. On ne peut pas se dissimuler, en effet, que si l’exploitation des usines a été souvent onéreuse, et n’a récompensé par aucun avantage sérieux les sacrifices qu’elle a causés, il faut en accuser la facilité trop grande avec laquelle le gouvernement égyptien a voulu s’affranchir prématurément des secours des contremaîtres et des directeurs européens, pour les remplacer par des Turcs ou des indigènes qui non-seulement n’avaient pas acquis l’expérience nécessaire, mais encore n’avaient ni assez de capacité ni assez de science pour se tenir au courant des progrès industriels de l’Europe.

Il serait sans doute très-utile, afin de naturaliser définitivement plusieurs industries importantes, d’en permettre l’exploitation à des entreprises particulières. Plusieurs offriraient assez d’avantages pour tenter les spéculateurs, et je crois qu’en entrant dans ce nouveau système le gouvernement égyptien obtiendrait deux résultats très-heureux: d’abord il donnerait un stimulant utile à l’industrie en la plaçant sous l’influence des intérêts personnels; ensuite il appellerait en Égypte beaucoup de capitaux européens qui trouveraient ainsi à s’y employer avec avantage.

/300/

II.

Petite industrie, arts et métiers.

Corporations industrielles. — Arts alimentaires: Préparation du blé, boulangers, — bouchers, — fours à poulets, — préparation des fèves, — du vinaigre, — distillation, — pileurs de café, — pâtissiers. — Arts qui servent à vêtir: Filature, — feutre, soie, blanchissage de fils et étoffes, teintures, lustrage, broderies, passementeries, — tanneries, — cordonniers, selliers, — tailleurs, — pelissiers. — Arts qui servent à loger: Maçons, — forgerons, — charpentiers, menuisiers. — serruriers en bois, — tourneurs, — poterie, — verrerie, — bijoutiers, orfèvres, — armuriers, — nattiers. — Industries diverses: Chibouquiers, — barbiers, — marchands.

37. Corporations industrielles. — L’organisation de la petite industrie en Égypte se distingue par plusieurs caractères intéressants. Chaque profession manuelle forme une corporation à la tête de laquelle sont placés des cheiks particuliers qui en ont en quelque sorte le gouvernement. Ces cheiks s’adjoignent des espèces de lieutenants nommés naqybs. Eux-mêmes sont choisis ou par les gouverneurs des villes dans lesquelles ils se trouvent, ou par l’autorité supérieure. Pour la police des corporations, pour le payement des impôts que le gouvernement veut prélever sur elles, c’est toujours aux cheiks qu’il s’adresse. Celui-ci répartit lui-même entre les principaux artisans placés sous sa juridiction les sommes qui lui sont demandées. Ce ne sont pas seulement les professions utiles qui forment ces divers corps; les baladins, les chanteurs publics (alatyeh), les /301/ conteurs, les escamoteurs, les danseurs, les aimées, les femmes publiques, sont réunis de la même manière sous l’autorité d’un cheik, qui les représente auprès du gouvernement, administre et défend leurs intérêts. Avant Méhémet-Ali, les voleurs eux-mêmes avaient des chefs avoués, qui se chargeaient de retrouver les objets volés moyennant une rétribution. C’était, comme on voit, après bien des siècles, la continuation de ce qui avait lieu chez les anciens Égyptiens (1)

(1) Voy. tom. i, introduct. hist., page xxxiii.

Il y a dans chaque métier un temps d’apprentissage. Lorsque l’apprenti, après s’être formé dans la profession qu’il a choisie sous la direction d’un ouvrier titré, veut obtenir lui-même le grade de maître ouvrier, il se présente, accompagné de son patron, chez le cheik de sa corporation; en s’adressant à lui, il le salue et lui dit: Récitons le fatyhah (invocation qui est à la tête du Coran). Le cheik récite cette prière en même temps que l’apprenti et les autres assistants. Lorsqu’elle est terminée, il interroge sur le but de leur visite le jeune candidat et son patron; celui-ci déclare que son protégé étant assez instruit dans le métier, désire, pour professer lui-même dans un atelier particulier, être reçu maître. Le cheik fait alors approcher de lui l’apprenti, lui attache une ceinture autour des reins, et le proclame membre de la corporation. Pour témoigner sa reconnaissance, le nouveau maître invite à dîner, /302/ quelques jours après, le cheik et les principaux artisans de son corps. Il n’a du reste aucune rétribution à payer.

Lorsqu’un apprenti quitte son patron, il ne peut être admis dans aucun atelier s’il ne fait auparavant une visite au cheik pour lui expliquer les motifs qui l’ont déterminé à abandonner le maître chez lequel il travaillait. Si la rupture a eu lieu à la suite d’une altercation, il arrive assez souvent que l’intervention du cheik réconcilie le maître avec son apprenti; si elle a été déterminée par une question d’intérêt, l’ouvrier entre, avec l’assentiment et l’entremise du cheik, chez un autre maître.

C’est surtout au Caire que l’on trouve avec leur organisation originale et complète tous les métiers. Les principaux, ceux qui occupent le plus de bras, sont ceux de meuniers, de boulangers, de fabricants d’huile, de vinaigre, divers tisserands, des tanneurs, des teinturiers, des tailleurs, des potiers, des forgerons, des menuisiers, des tourneurs, des brodeurs et des passementiers; il y a également beaucoup de préparateurs de fèves, des fabricants de chaux, plâtre, briques, charbon.

Il est probable que la plupart de ces industries sont exercées d’après les procédés légués par l’antique Égypte, et que les résultats qu’elles donnent sont, quoique souvent dégénérés sans doute, analogues à ceux que les anciens Égyptiens produisaient. En effet, le caractère des Égyptiens de tous les temps se distingue par un respect invariable pour /303/ les anciens usages, transmis traditionnellement, et par l’absence du génie inventif. En revanche, les Égyptiens sont d’excellents imitateurs, et reproduisent avec beaucoup de fidélité les modèles qu’on leur donne.

Les travailleurs demeurent dans l’attitude orientale, la plupart accroupis, et exécutent des travaux dont nos ouvriers ne pourraient pas venir à bout dans cette position. Tous les voyageurs ont remarqué la dextérité avec laquelle ils se servent de leurs pieds.

Je ne crois pas, pour donner une esquisse rapide des principales professions qui composent la petite industrie, pouvoir suivre une division plus logique que celle qu’a adoptée M. Jomard dans la partie de son beau Mémoire sur la description du Caire (1) qu’il consacre à l’industrie et aux professions mécaniques. A son exemple, nous diviserons les arts et métiers en quatre classes: la première renferme ceux qui nourrissent l’homme; la seconde, ceux qui le vêtent; les troisième et quatrième, ceux qui servent à l’abriter, à meubler ou orner sa demeure et à satisfaire ses divers besoins domestiques.

(1) Descript. de l’Égypte, tom. xviii, état moderne.

58. Arts alimentaires: préparation du blé, boulangers. — Les Égyptiens se servent pour moudre le blé d’un moulin très-simple. Le grain est broyé entre deux meules, qui sont mises en rotation par un manège auquel est attelé ordinairement un cheval ou un bœuf.

/304/ Les indigènes font cuire leur pain dans des fours banaux, ordinairement deux fois par jour. Le maître du four y introduit les pains à mesure qu’on les apporte, et les rend cuits au bout de quelques minutes.

39. Bouchers. — Les bouchers sont peu nombreux, cela vient sans doute de ce que la consommation de la viande n’est pas répandue chez le peuple.

40. Fours à poulets. — Les fours à poulets de l’Égypte ont acquis dès la plus haute antiquité une grande renommée; on sait que, grâce à eux, les Égyptiens ont toujours fait éclore les poulets en grand, en substituant à l’incubation naturelle l’action d’une température chaude. Sans doute ce moyen artificiel a été découvert en Égypte, parce que, comme nous l’avons dit dans le premier volume de cet ouvrage (1), les poules n’y ont aucune tendance à couver. Les établissements destinés à faire éclore les poulets portent le nom de mahmalfarougy. Ils renferment depuis quatre jusqu’à trente fours rangés sur deux lignes parallèles et séparés par un étroit espace. Le mahmal est une petite cellule haute d’environ trois mètres, à peu près aussi longue et large de deux mètres et demi: il est coupé en deux étages, vers le milieu de sa hauteur, par un plancher recouvert en brique, percé d’une ouverture assez grande pour qu’un homme puisse passer d’une case dans l’autre. Chacune d’elles a une porte sur le /305/ corridor mitoyen et des ouvertures semblables dont les cloisons latérales font communiquer entre eux tous les fours placés sur la même ligne. Les cases inférieures sont destinées à recevoir les œufs; on place le feu sur le parquet des cases supérieures, disposé d’une manière particulière pour le recevoir.

(1) Page 140.

On fait éclore, dans chaque four, trois à quatre mille œufs. On les étend dans la case inférieure du mahmal, sur une natte, des étoupes et de la paille sèche, de manière à en former plusieurs lits posés les uns sur les autres. On allume le feu, seulement dans un tiers environ des fours, en choisissant des intervalles à peu près égaux; quatre à cinq jours après, on en allume dans d’autres, et quelques jours plus tard dans ceux qui restent. On a soin, en allumant de nouveaux fours, de laisser éteindre les premiers. On renouvelle le feu trois ou quatre fois par jour et on a soin de l’augmenter vers la nuit, à cause de la fraîcheur de la température nocturne. Un ouvrier entre plusieurs fois par jour dans les chambres inférieures pour retourner les œufs et les éloigner tour à tour des endroits les plus échauffés; vers le cinquième jour, il les examine à la lueur d’une lampe et sépare ceux qui n’ont pas été fécondés. La température nécessaire à la réussite de l’opération est d’environ 32 degrés Réaumur. Les Égyptiens, qui pratiquent l’industrie des fours à poulets, ne connaissent pas le thermomètre, mais l’habitude leur donne un tact très-sùr pour deviner le point de chaleur nécessaire. C’est là même le secret le plus /306/ important de leur métier; ils ne s’en rendent maîtres qu’après plusieurs années de pratique, et comme ils ne font participer à leurs travaux que leurs enfants ou leurs parents, ils le perpétuent dans leur famille et ne craignent pas de le voir devenir l’apanage de ceux de leurs compatriotes qui seraient tentés de leur faire concurrence.

Les poulets éclosent environ de vingt à vingt-cinq jours après que les œufs ont été placés dans les fours. Il y a, en moyenne, un cinquième d’œufs stériles. Dès qu’un mahmal est ouvert, ce qui a lieu dans le mois de février ou de mars, tous les habitants du village vont y porter leurs œufs; on leur rend ordinairement cinquante poulets pour chaque cent d’œufs, la différence fait le bénéfice du propriétaire du four. Dans la même journée on voit paraître à la fois, dans le même établissement, plusieurs dizaines de milliers de petits poulets. Les estimations qui ont été faites par les savants de l’Égypte portent à environ 24,000,000 le nombre des poulets qui sortent annuellement des deux cents fours qui se trouvent en Égypte.

41. Préparation des fèves. — Les fèves qui viennent en Égypte en immense quantité se vendent publiquement dans les rues, après avoir subi une certaine préparation qui consiste à les faire fermenter deux jours dans l’eau, et à leur donner un assaisonnement particulier lorsqu’elles ont germé.

42. Du vinaigre. — Il y a un assez grand nombre de fabriques consacrées à faire le vinaigre; celui que /307/ l’on extrait des dattes est le plus commun: on en fait aussi avec des raisins.

43. Distillation. — Il y a au Caire un assez grand nombre de distillateurs qui font de l’eau-de-vie avec des dattes et des raisins, à l’usage des chrétiens. On distille aussi de l’essence de roses.

44. Café. — Après avoir été brûlé dans un plateau, le café est pilé dans un mortier de granit creusé en forme conique; deux ou trois ouvriers le broient dans le même mortier, en le frappant tour à tour d’un pilon du poids de cinq à six kilogrammes; ils accompagnent leur mouvement d’un chant rhythmique, tandis qu’un enfant enfonce sa main dans le mortier, remue le café, la retire, en se guidant sur la mesure du chant et sans suivre des yeux les mouvements des pileurs. Les Européens témoins de cette opération craignent à chaque instant de voir broyer la main du jeune ouvrier; mais le sentiment de la mesure est inculqué de bonne heure si profondément dans l’intelligence des enfants égyptiens que l’on ne doit pas craindre d’erreur de leur part dans le broiement du café. Dans les écoles, en effet, le maître les rend habiles à un exercice assez ridicule à la première vue, mais qui, sous une apparence de singularité, cache une utilité réelle que l’on peut apprécier dans plusieurs des professions industrielles auxquelles se livrent les Égyptiens: il frappe de sa baguette sur une table, l’enfant doit poser la main sur le point que la baguette a touché et la retirer aussitôt; le mouvement devient plus rapide, les /308/ doigts de l’élève ont a souffrir dans le principe de la vitesse avec laquelle le maître abat sa baguette; mais bientôt, instruit à ses dépens et par l’habitude, il parvient à éviter en se jouant les coups redoublés que son grave magister fait pleuvoir en mesure sur la table.

45. Pâtissiers. — Nous avons dit que les Égyptiens sont très-friands de pâtisseries; les confiseurs (fatatery) occupent un grand nombre de boutiques au Caire dans le quartier de Soukalieh. Les gourmands de basse classe vont manger de la pâtisserie dans les boutiques de ces fataterys.

46. Arts qui servent a vêtir: Filature. — Avant que Méhémet-Ali eût introduit les grandes filatures, le coton, le lin et la laine étaient filés au fuseau par les femmes et les hommes, et dévidés au moyen d’un tour simple et ingénieux. On conçoit qu’aujourd’hui cette industrie privée, qui ne se borne plus qu’aux besoins domestiques, ne doive avoir conservé aucune importance.

Avant que la grande industrie eût monopolisé tous les produits manufacturiers de quelque importance, on tissait également avec des appareils très-simples, mais aussi peu puissants, des toiles de lin et de coton et des pièces de laine.

47. Feutre, soie, blanchissage de fils et étoffes, teinture, lustrage, broderies. — On tissait de même quelques étoffes de soie; un assez grand nombre de fabricants particuliers s’occupaient de la confection /309/ des tarbouchs feutrés. La teinturerie des étoffes était exploitée assez en grand, mais avec très-peu de perfection. Plusieurs ateliers étaient consacrés, au Caire, au lustrage et au blanchiment des tissus. Les brodeurs, qui avaient un assez grand nombre d’établissements, se distinguaient par le fini de leur travail, et l’élégance et la délicatesse de leurs dessins. Les plus habiles étaient ceux qui brodaient en or et en argent sur le maroquin et sur toute autre espèce de peau.

48. Passementiers. — Les passementiers égyptiens sont très-habiles, ils font des cordons de coton ou de soie, des fils d’or et d’argent, des glands en soie, en argent, en or, etc.

49. Tanneries. — Les tanneries forment une industrie assez considérable. Les Égyptiens y suivent des procédés qui leur sont particuliers, ils tannent les peaux de vaches, de buffles, de moutons, de chèvres, etc. Ils réussissent très-bien dans la préparation du maroquin, qui n’est autre que la peau de chèvre teinte en rouge, en jaune, ou autres couleurs, après avoir été tannée avec soin.

50. Cordonniers (saramatyl), selliers. — Les chaussures du pays, les mess, les markoubs, les babouches, sont fabriquées au Caire. Dans le quartier de El-Baradeieh, au Caire, un grand nombre d’ouvriers confectionnent les selles de chevaux, de baudets, etc. Les sangles, les longes et entraves se fabriquent dans le Shoukalieh. Des broderies quelquefois élégantes ornent ces ouvrages.

/310/ 51. Tailleurs (khayhâtyn). — Il y a au Caire des tailleurs égyptiens en assez grand nombre; ce sont eux qui confectionnent les habillements des indigènes. Ces tailleurs font même les habillements des femmes. Il y a également des tailleurs grecs et arméniens qui servent la classe élevée, et particulièrement les Osmanlis. Ils sont très-habiles, et surtout dans l’art d’appliquer les cordons en soie et en or pour en former des broderies et des dessins très-gracieux; peu de tailleurs en Europe seraient capables de les surpasser en ce genre.

52. Pelissiers, appelés farrayn. — Ce sont en général des Grecs et des Arméniens. Le nombre n’en est pas très-grand, attendu qu’il n’y a que les grands seigneurs et les ulémas qui portent de la fourrure.

53. Arts qui servent a loger: Maçons. — Les matériaux que l’on emploie ordinairement à la construction des maisons, sont des briques cuites ou crues, quelquefois des pierres de taille, le plâtre et la chaux.

Les briques, dont la matière est le limon du Nil (plus ou moins mélangé d’argile, quelquefois sablonneuse), sont simplement séchées au soleil ou cuites dans des fours spéciaux. Les briquetiers font leurs opérations avec une très-grande vitesse.

Les pierres de taille sont fournies par les carrières du Mokattam ou par des décombres des anciennes constructions.

Les maçons brûlent la pierre destinée à faire de la chaux à peu près comme en Europe; ils l’étei- /311/ gnent d’après les mêmes procédés. Mais leur manière de faire le mortier est très-imparfaite; au lieu de le mêler avec le sable, qu’ils ont en si grande abondance et en si bonne qualité, ils se servent de terre mélangée avec de la cendre des fours.

Le plâtre vient de Hélouan et de Bayad. Des ouvriers spéciaux s’en servent pour crépir l’intérieur des maisons. Comme nous l’avons déjà dit, ils n’ont pas de gypse blanc, et emploient quelquefois de la chaux comme on ferait chez nous le plâtre.

La manière de construire des Égyptiens modernes n’a rien de ce caractère de solidité et de perfection qui distingue les travaux de leurs ancêtres. Les matériaux sont de mauvaise qualité: ce sont des moellons très-petits. Ils font entrer dans l’épaisseur des murs des traverses en bois, dans le but de donner de la solidité, et qui empêchent au contraire le mur de se lier et de former un tout.

Ces maçons ont des instruments très-imparfaits: c’est une petite truelle en fer, très-étroite, qui ressemble à une spatule. Ils se servent très-peu de la règle, de l’équerre, des niveaux et des fils à plomb. Aussi leurs murs ne sont pas souvent perpendiculaires et croulent avec la plus grande facilité. Il est rare que les portes et les fenêtres soient rectangulaires ou qu’elles ne soient pas penchées de côté. Ils n’ont ni précision ni le sentiment de la symétrie. Les constructions se font presque toujours sans un plan arrêté. Ils ajoutent sans prévision une pièce à l’autre, et assez fréquemment ce n’est que lorsque /312/ elle est faite qu’on s’aperçoit qu’on a oublié de lui donner de la clarté et de lui ménager des communications intérieures.

54. Tailleurs de pierres. — Il y a peu de maisons bâties en pierres de taille. Les musulmans ne visent pas à la conservation de leurs édifices; ils ne semblent construire que pour le présent, et ne tiennent aucun compte des beaux modèles d’architecture arabe qu’ils ont sous les yeux. En conséquence, l’art du tailleur de pierres et de l’appareilleur ne doit pas être très-répandu ni très-avancé. Les instruments des tailleurs de pierres sont très-grossiers; comme ils n’emploient que du grès et du calcaire, ils éprouvent peu de difficultés. Cependant il en est encore quelques-uns qui taillent le granit.

Outre les tailleurs de pierres, il y a encore des hommes dont la profession est de couper les dalles et de les poser. Ils sont appelés moubayats. La toiture des maisons est confiée à une profession particulière. Les couvreurs attachent sur les chevrons des roseaux, et étendent sur eux une natte, sur laquelle ils étalent un enduit de mortier, que souvent on recouvre lui-même de dalles.

55. Forgerons. — Les instruments des forgerons sont très-grossiers. Le foyer de la forge est entretenu par un double soufflet. Au Caire la plupart des forgerons habitent dans le quartier dit el Naassyn ou des chaudronniers.

56. Charpentiers, menuisiers. — Les bois les meilleurs et le plus communément employés sont: /313/ l’acacia, le gommier d’Égypte, le lotier (nebka) et le sycomore. Les ouvrages de menuiserie que nous ont laissés les anciens Égyptiens prouvent qu’ils n’employaient pas de bois différents de ceux-là. On importe aujourd’hui beaucoup de bois de planches de Trieste, Venise, Livourne, de la Syrie et de la Caramanie. Les menuisiers égyptiens sont très-adroits; ils n’ont point d’établi; ils travaillent à genoux ou assis. Le rabot dont ils se servent est semblable aux nôtres; il en est de même de leur scie. Leur principal instrument, celui dont ils se servent presque pour tous les usages, pour entailler, fendre, frapper, arracher, est une herminette appelée kadoun. De tous les arts, celui de la menuiserie est certainement le moins avancé. Il est très-rare que les Égyptiens fassent des assemblages à mortaise; ils taillent leur bois en sifflet aux extrémités, et les fixent avec des clous, rarement avec des chevilles. Aussi leurs ouvrages sont très-grossiers et très-peu solides. Cependant les arsenaux et autres établissements créés par Méhémet-Ali ont eu pour effet d’améliorer cet art manuel, en formant, sous la direction de maîtres européens, des ouvriers qui sont aujourd’hui d’une certaine habileté.

57. Serruriers en bois (dobbeh). — Ils forment une section de la menuiserie, sont en assez grand nombre, attendu que la plupart des portes ne sont fermées qu’avec des serrures en bois. Ces serrures sont composées de trois pièces.

58. Tourneurs. — Les tourneurs en bois (el ka- /314/ harratyn) sont logés, au Caire, dans le quartier de Charaouy. Ils sont très-nombreux, car il n’est aucune des boiseries qui forment les fenêtres, les treillis des muscharabyehs, des panneaux, etc., qui ne soit composée de pièces de bois tournées. Les tourneurs sont les ouvriers les plus habiles de l’Egygte, et leur art est le plus avancé. Ils n’ont pas, comme en Europe, de tours à établi; ils sont assis par terre, et tout leur appareil consiste en deux poupées, dont l’une est fixe, l’autre mobile. Cette dernière s’écarte ou se rapproche pour serrer entre deux pointes les objets à tourner. Quoique leurs instruments soient très-simples et très-imparfaits, la dextérité des tourneurs est telle qu’il n’est presque point d’ouvrages dont ils ne viennent à bout.

D’autres ouvriers tournent avec une adresse égale l’ambre ou l’ivoire pour faire des tuyaux de pipe.

59. Poterie. — L’art de la poterie est un de ceux qui sont connus en Égypte depuis la plus haute antiquité. On fabrique au Caire, comme dans le Saïd, plusieurs espèces de vases.

Nous avons déjà parlé de ceux qui sont les plus renommés, les bardaques, que l’on fabrique dans plusieurs endroits de l’Égypte, mais surtout à Keneh. La finesse de l’argile qui est employée, l’élégance des formes qu’on leur donne en les façonnant, les parfums dont les fabricants ont l’art de les imprégner, la propriété dont elles jouissent de rafraîchir l’eau, sont les causes de la préférence des bardaques de Keneh. On fabrique encore dans cette ville des /315/ jarres que l’on expédie au Caire en grande quantité. Leur transport dans cette ville a lieu d’une manière toute particulière. On lie ensemble, l’ouverture en bas, un nombre considérable de ces jarres, dont on compose de grands radeaux, qui, semblables à nos trains de bois flotté, sont portés par le courant du Nil à leur destination.

La plupart des villes de l’Égypte supérieure ont des fabriques de poteries plus ou moins grossières. A Mellaouy et à Manfalout, on fait d’immenses terrines et de grandes jarres employées comme baquets dans les indigoteries, les tanneries, etc.

Dans le village de Belled-el-Ballàs, on prépare des vases nommés ballâs, qui sont très-bien cuits et très-peu perméables. Les habitants des campagnes se servent d’une espèce de ballâ pour aller chercher l’eau du Nil. On rencontre souvent les femmes du peuple qui les portent sur leur tête dans une attitude pleine de grâce.

Les poteries les plus communes sont fabriquées dans la Basse-Égypte. Il y a au Caire, ainsi que dans plusieurs villages du Said, des ateliers pour la confection des noyaux de pipe. On fait dans la capitale quelques fingeâns vernissées et coloriées (les poteries égyptiennes ne le sont pas, elles conservent leur couleur naturelle: les bardaques, par exemple, sont grises, la plupart des autres sont rougeâtres); mais les fingeâns du Caire sont grossières; celles dont se servent les personnes riches, de même que /316/ beaucoup d’autres poteries, viennent d’Allemagne et d’Italie.

60. Verrerie. — La verrerie est très-imparfaite en Égypte. On y souffle des ballons, des cornues et des bouteilles de qualité inférieure. Méhémet-Ali a fondé à Alexandrie une fabrique de verre dont les produits sont équivalents à ceux d’Europe, et où l’on a confectionné toutes les vitres qui ont servi, depuis ces dernières années à la consommation du pays.

On vient d’établir une nouvelle verrerie au Karyoum, à quatre lieues d’Alexandrie, sur le canal Mahmoudieh. Comme les approvisionnements de combustibles sont, pour tous les établissements industriels de l’Égypte, une question vitale qu’il importe d’assurer, on a l’intention de planter auprès de la fabrique du Karyoum une forêt considérable de saules et des espèces d’arbres qui conviennent le mieux au terrain égyptien.

61. Bijoutiers, orfèvres (el seyâgh). — Les orfèvres occupent au Caire un quartier particulier. Les plus habiles sont réunis dans le kan Abou-Takyeh. Ce sont des juifs ou des cophtes. L’orfèvrerie est loin d’atteindre la perfection à laquelle ont conduit chez nous les exigences du luxe. Les bijoutiers qui se trouvent au Caire en grand nombre sont des Arméniens et des Constantinopolitains. Ils montent admirablement les pierres précieuses que leur confient les grands seigneurs turcs. Dans le quartier de Margouch, on travaille le corail et l’ambre, on en fait des colliers, des chapelets, etc., etc.

/317/ 62. Armuriers. — Les armuriers ont au Caire le quartier de Souk-el-Selâh. Les uns ne s’occupent que des armes à feu, et les autres des armes blanches. Ils n’offrent, dans l’exercice de leur art, aucune particularité remarquable. Les plus belles armes que possèdent les personnes riches viennent d’Europe. Les armuriers du pays se bornent à les réparer.

65. Nattiers (el hosz). — L’usage des nattes est si répandu en Égypte que l’on conçoit que leur fabrication doive occuper une quantité assez considérable d’ouvriers. On les tresse au Caire et dans le Fayoum; celles qui sont les plus estimées sont faites avec des joncs appelés samar, que l’on recueille surtout près des lacs de Natron. On teint ces joncs en diverses couleurs, et on forme, en les entrelaçant, des losanges ou d’autres figures agréables à l’œil.

64. Industries diverses. Chibouquiers. — Les faiseurs de tuyaux de pipe doivent naturellement avoir beaucoup de travail dans un pays où tout le monde fume. Ces tuyaux sont ordinairement en roseaux, en bois de cerisier ou en lilas, jasmins. On les perce au moyen d’un archet.

65. Barbiers. — Les barbiers égyptiens se distinguent par une adresse remarquable; la manière dont ils rasent me paraît assez singulière pour mériter d’être connue des lecteurs, et, pour leur en donner une idée, je ne crois pas pouvoir mieux faire que de citer la description exacte et pittoresque de M. le docteur Brayer, dans son excellent ouvrage: /318/ Neuf année à Constantinople (1). Les procédés des barbiers égyptiens sont entièrement identiques à ceux de leurs confrères de Stamboul:

(1) Tom. i, pag. 429.

« Dès qu’on a pris place sur le banc de bois qui règne à l’intérieur de la boutique, le maître vous offre une pipe, se met à préparer une tasse de café, et, deux minutes après, vous l’offre brûlante.

« Comme personne n’est pressé à Constantinople, il est d’usage d’attendre tranquillement, quelquefois même longtemps, que le maître barbier ou son premier kalfa (garçon) ait achevé de raser quelqu’un. Votre tour est-il venu, vous prenez la place de celui qui s’en va. Vous vous trouvez alors avoir au-dessus de la tête une tige métallique fixée par un bout dans la muraille ou au plafond, et dont l’extrémité libre, recourbée, soutient un vase de métal en forme d’entonnoir percé d’un petit trou. Tandis que vous soutenez des deux mains sous votre menton un grand plat à barbe de métal étamé, circulaire et sans échancrure, le vase suspendu vous laisse couler sur la tête un filet d’eau tiède dont le barbier profite pour frotter avec du savon la tête, le visage et le cou. Si l’on a des cheveux, il les savonne et les gratte plus longtemps, les peigne pour ainsi dire avec ses ongles; puis avec une serviette il en absorbe l’humidité et vous enveloppe la tête d’une autre serviette bien sèche.

« Enfin il se met en devoir de vous raser. La barbe /319/ étant bien humectée, il prend un rasoir d’assez mesquine apparence. Ces lames qui viennent d’Allemagne coûtent à peine deux francs la douzaine, mais au moyen d’une pierre et d’un cuir ils savent les rendre excellentes. Le barbier pose son pied gauche sur le banc, puis appuyant la tête de l’individu sur son genou couvert d’une serviette, il rase de haut en bas la joue gauche; il passe de l’autre côté et répète la même opération, il se met ensuite en face et rase le menton, les lèvres et les poils irréguliers qui peuvent se trouver sur le visage. Si vous tenez à avoir des sourcils réguliers, il les rase de telle manière qu’ils sont parfaitement arqués. Les poils étant regardés dans le pays comme immondes, il enfonce les pointes de ses ciseaux dans l’une et l’autre narine, et les coupe; il clapote à plusieurs reprises de l’eau tiède dans les oreilles, enlève avec un petit instrument le cérumen délayé, et coupe les poils qui sont à l’entrée du conduit auriculaire. Trouve-t-il une petite loupe, il l’enlève d’un coup de rasoir après toutefois en avoir demandé la permission à la personne intéressée. Tout cela se fait lentement, en causant, à plusieurs reprises, car si quelqu’un entre et que le barbier se trouve seul, il laisse sans façon la personne qu’il rasait pour offrir une pipe au nouveau venu et lui préparer une tasse de café. Pendant ce temps-là l’homme à moitié rasé continue de fumer la pipe qu’il n’a quittée que momentanément, jusqu’à ce que le barbier le reprenne.

« Quand tout est enfin à peu près terminé, le petit apprenti présente un miroir pour que l’individu voie /320/ si tout est à souhait. S’il ne trouve rien à dire, le barbier frotte entre ses doigts la mèche de cheveux que les Orientaux sont dans l’usage de porter au sommet de la tête, la ploie, la couvre du fez et pose par-dessus le turban ou le kalpak. L’opération dure de dix minutes à une demi-heure. »

66. Porteurs d’eau. — Comme l’eau des puits au Caire est légèrement saumàtre, de nombreux marchands porteurs d’eau (sakkahs) gagnent leur vie en fournissant de l’eau du Nil aux habitants. Les uns transportent le liquide dans de grandes outres en cuir placées sur le dos de chameaux ou d’ânes, d’autres l’apportent eux-mêmes dans des outres plus petites sur leur dos. Le cri de vente de sakkahs est: O puisse Dieu me récompenser. Pour une outre d’eau portée quelquefois d’un kilomètre et demi de distance, il obtient rarement plus de dix centimes.

Il est d’autres sakkahs qui se bornent à vendre de l’eau aux passants dans les rues. Un assez grand nombre vendent des breuvages divers, tels que ceux que nous avons détaillés en parlant des sorbets (1).

(1) Tom. ii, pag. 9.

Il est plusieurs autres professions particulières en Égypte, telles que celles d’ânier, de chamelier, de marinier du Nil, dont je parlerai avec plus de détails dans l’un des chapitres suivants.

67. Marchands. — Nous avons déjà parlé de la forme des boutiques. Nous avons indiqué les différents quartiers du Caire dans lesquels se trouvent les principaux marchands.

/321/ Dans la capitale de l’Égypte, en effet, tous ceux qui professent la même industrie se réunissent dans la même partie de la ville. On voit des portions de rue exclusivement occupées par les magasins affectés à un seul genre de commerce.

Les marchands égyptiens, nonchalamment accroupis sur une espèce de divan qui borde leur étroite boutique, sont bien loin d’avoir l’activité qui distingue les détaillants de l’Europe; ils ne font rien pour appeler à eux les chalands; ils attendent la fortune et ne vont pas la chercher.

Il y a au Caire des marchands chrétiens, juifs, arabes et turcs. Les premiers demandent toujours un prix beaucoup plus élevé que celui auquel ils finissent par céder leur marchandise; les Turcs, au contraire, sont, sous ce rapport, très-consciencieux; ils disent, tout d’abord, le prix qu’ils veulent avoir, s’y tiennent invariablement, et ne font aucun effort, aucune concession pour retenir les acheteurs qui demandent une diminution.


§ VI.

Commerce.

Importance commerciale de l’Égypte. — Articles qui composent le commerce de l’Égypte. — Importations et exportations. — Commerce des caravanes. — Établissements commerciaux européens. — Réflexions.

68. Importance commerciale de l’Égypte. — Il est peu de positions géographiques aussi favorables au /322/ commerce que celle de l’Égypte; et même, à ne voir les choses que du point de vue commercial, si une contrée mérite par son importance sous ce rapport de former un État soumis à une administration indépendante, c’est bien l’Égypte. Par le port d’Alexandrie sur la Méditerranée, elle reçoit tous les articles du commerce du Nord et de l’Occident; comme elle tient la clef de la partie orientale de l’Afrique, elle est le confluent naturel d’une portion très-importante du continent africain; maîtresse enfin de déboucher par la mer Rouge dans l’océan Indien, c’est à elle que doit revenir un jour le transit de l’immense commerce de l’Asie méridionale, qui prend aujourd’hui une route si allongée pour venir répandre ses richesses en Europe.

On ne saurait parler de l’Égypte commerciale sans rappeler que c’est surtout comme route de l’Inde, que l’avenir lui réserve de hautes destinées; le canal du Nil à Suez, ou tout autre moyen de communication entre la Méditerranée et la mer Rouge, ont été à diverses reprises le rêve de ses gouvernants. Jusqu’au quinzième siècle elle fut l’intermédiaire des échanges entre l’Inde et l’Europe; et ce rôle lui appartient si naturellement que, lorsque les Portugais eurent ouvert la route de l’Atlantique, l’un des hommes qui contribuèrent le plus à fonder leur puissance asiatique, Albuquerque, voulant assurer éternellement à sa nation les avantages qu’elle venait d’acquérir, conçut le projet audacieux de détourner le Nil, et de conduire ses eaux dans la mer Rouge, /323/ afin d’enlever à jamais à l’Égypte la route de l’Inde; il n’est pas un homme de génie qui n’ait profondément apprécié cette position unique. C’est parce qu’il l’a comprise, qu’Alexandre fonda en Égypte un port de mer auquel il délégua l’héritage de Tyr. Le motif qui entraîna Napoléon sur les bords du Nil fut surtout commercial. Ce grand homme voulait enraciner en Égypte une pépinière de négociants français; il savait bien que du moment où ils lieraient dans le réseau de leurs opérations la mer Rouge à la Méditerranée, le monopole indo-britannique serait sérieusement entamé.

A mon avis, cette position de l’Égypte, précisément parce qu’elle est si importante sous le rapport commercial et qu’elle a été de tout temps si convoitée, ne doit être laissée qu’à une puissance indépendante et foncièrement neutre, comme l’est naturellement le commerce, comme doit l’être tout ce qui touche à ses intérêts.

69. Articles qui composent le commerce de L’Égypte. — Napoléon a tracé dans ses Mémoires une esquisse rapide du commerce de l’Égypte; elle lui est encore applicable, sauf quelques traits, et pour donner de ce commerce une idée générale, je ne crois pas pouvoir mieux faire que de la citer ici.

« L’Égypte produit en abondance du blé, du riz et des légumes. Elle était le grenier de Rome; elle est encore aujourd’hui celui de Constantinople. Elle produit aussi du sucre, de l’indigo, du séné, de la /324/ casse, du natron, du lin, du chanvre (1); mais elle n’a ni bois, ni charbon, ni huile. Elle manque aussi de tabac qu’elle tire de Syrie, et de café que l’Arabie lui fournit. Elle nourrit de nombreux troupeaux, indépendamment de ceux du désert, et une multitude de volailles. On fait éclore les poulets dans des fours, et l’on s’en procure ainsi une quantité immense.

(1) Il faut ajouter aujourd’hui, en première ligne, le coton.

« Ce pays sert d’intermédiaire à l’Afrique et à l’Asie. Les caravanes arrivent au Caire comme des vaisseaux sur une côte, au moment où on les attend le moins, et des contrées les plus éloignées. Elles sont signalées à Giseh, et débouchent par les pyramides. Là on leur indique le lieu où elles doivent passer le Nil, et celui où elles doivent camper près du Caire. Les caravanes ainsi signalées sont celles des pèlerins ou négociants de Maroc, de Fez, de Tunis, d’Alger ou de Tripoli, allant à la Mecque, et apportant des marchandises qu’elles viennent échanger au Caire; elles sont ordinairement composées de plusieurs centaines de chameaux, quelquefois même de plusieurs milliers, et escortées par des hommes armés. Il vient aussi des caravanes de l’Abyssinie, de l’intérieur de l’Afrique, de Tangoust et des lieux qui se trouvent en communication directe avec le cap de Bonne-Espérance et le Sénégal. Elles apportent des esclaves, de la gomme, de la poudre d’or, des dents d’éléphant, et généralement tous les produits de ces /325/ pays, qu’elles viennent échanger contre les marchandises d’Europe et du Levant. Il en arrive enfin de toutes les parties de l’Arabie et de la Syrie, apportant du charbon, du bois, des fruits, de l’huile, du café, du tabac, et en général, ce que fournit l’intérieur de l’Inde. »

70. Importations et exportations. — Le commerce actuel de l’Égypte, quoiqu’il eût besoin de la paix pour prendre tout son essor, possède encore une très-haute importance. Il demande à l’Europe des tissus, des bois de construction, du fer, de la quincaillerie, du papier, des drogueries et des denrées coloniales, etc.; en échange, il lui envoie du coton, du riz, des céréales, de l’indigo, de l’opium, etc.

On se fera une idée de la valeur de ces échanges par le résumé suivant des importations et des exportations en 1836, évaluées approximativement.

Importations.

Tissus de cotonfr. 16,000,000
Draps3,500,000
Bonnets1,800,000
Tissus de laine2,000,000
  Id. de soie2,300,000
Bois de construction9,000,000
Fer en barres et fil de fer4,000,000
Quincaillerie et coutellerie2,500,000
A reporter,41,100,000
/326/
Report,41,100,000
Papier1,000,000
Drogues et épices1,500,000
Charbon de terre et de bois1,300,000
Cochenille1,100,000
Sucre666,000
Verreries et glaces640,000
Huiles770,000
Vins et liqueurs710,000
Autres marchandises2,000,000
Total50,786,000

Exportations.
Cotons24,000,000
Riz4,000,000
Gommes3,000,000
Tissus de lin1,641,000
Céréales1,625,000
Indigo1,600,000
Soude1,580,000
Dattes1,200,000
Légumes secs1,000.000
Opium900,000
Henneh600,000
Autres marchandises1,000,000
Total42,146,000

Il n’est question dans ces tableaux que des rapports de l’Égypte avec l’Europe. Voici, en y com- /327/ prenant ses relations avec la Turquie, le tableau du commerce général d’Alexandrie.

Provenances et destinations.Importations.Exportations.Commerce Total
Autriche13,800,00014,500,00028,300,000
Turquie12,700,00012,100,00024,800,000
Angleterre15,160,0005,400,00020,560,000
France5,800,00010,800,00016,600,000
Toscane10,260.0003,130,00013,390,000
Syrie2,800,0006,200,0009,000,000
Barbarie4,500,0001,500,0006,000,000
Grèce1,360,000820,0002.180,000
Belgique et Hollande330,000300,000630,000
Suède117,000»  117,000
Autres contrées150,000150,000300,000
Totaux66,977,00054,900,000121,877,000

En 1836, le commerce d’Alexandrie a employé à l’importation 1,235 navires, jaugeant 153,148 tonneaux; à l’exportation, 1,147 navires et 134,000 tonneaux.

71. Commerce des caravanes. — Le commerce total de l’Égypte par la mer Rouge et par caravanes est évalué à environ dix millions. Tous les ans une caravane venant de l’Abyssinie arrive au Caire, où elle apporte beaucoup d’esclaves noirs, des dents d’éléphant, des plumes d’autruche, de la poudre d’or, de la gomme, etc. Une autre caravane, se formant dans le royaume de Maroc pour aller à la Mecque en pèlerinage, suit les côtes de la Méditerranée, prend les pèlerins d’Alger, de Tripoli, de Tunis, etc., et arrive par le désert à Alexandrie, avec environ 4,000 chameaux. De là elle va au Caire, où elle se /328/ réunit à celle d’Égyple, et toutes deux partent pour la Mecque au mois de février. Le Caire perçoit des droits de passage sur les marchandises et sur les pèlerins. Il arrive aussi de temps en temps de Damas quelques petites caravanes qui portent des étoffes de soie et de coton, de l’huile et des fruits secs.

72. Établissemejits commerciaux européens. — On compte aujourd’hui à Alexandrie quarante-quatre maisons de commerce européennes. Il n’en existait que seize en 1822. Parmi les établissements existants, il en est treize français, sept anglais, neuf autrichiens, huit toscans, deux sardes, un suédois, un danois, un hollandais, un prussien, un établissement du nouvel Etat grec; il y a en outre six négociants musulmans et quatre négociants levantins, Grecs catholiques. Au Caire, il est peu de négociants qui travaillent pour eux mêmes; il ne s’y trouve guère que des agents des maisons d’Alexandrie. On y compte un établissement anglais, neuf autrichiens, quatre toscans, deux sardes, deux grecs, dix raïas levantins, et soixante-trois petits négociants, turcs, maugrebins et égyptiens.

73. Réflexions. — Sous la domination des Mamelouks, l’Égypte était loin de produire autant qu’aujourd’hui. On le comprendra aisément si l’on songe aux soins que Méhémet-Ali a donnés à l’agriculture: il a introduit sur le sol égyptien de riches cultures, auxquelles il est éminemment propre; telle est surtout celle du coton, qui forme aujourd’hui la principale branche des exportations.

/329/ L’importation s’est aussi considérablement accrue. Les nouveaux besoins de l’Égypte de Méhémet-Ali expliquent ce progrès. Il faut en effet aujourd’hui d’immenses approvisionnements pour les arsenaux, pour les fabriques, pour les écoles, pour les administrations, et principalement pour la nombreuse armée que le vice-roi tient sur pied.

Ce qui manque à l’Égypte afin que sa prospérité commerciale devienne tout ce qu’elle peut être, c’est la paix. Si, sous la haute garantie des puissances européennes, le nœud gordien du différend turco-égyptien se dénouait définitivement, l’agriculture gagnerait des milliers de bras, le budget du vice-roi serait dégrevé d’une forte partie de sa plus grosse dépense; ce serait un double profit pour l’Égypte d’abord, et ensuite pour les puissances européennes, qui ont leurs intérêts commerciaux liés aux siens.