Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

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Chapitre XII.

Des voies de communication et des moyens de transport.

§ I.

Navigation du Nil.

Barques du Nil. — Maachs. — Djermes. — Daabiehs. — Kanges. — Bateaux à vapeur. — Navigation du Nil. — Gréement des barques. — Mariniers du Nil.

1. Barques du Nil. — L’Égypte qui, sur la plus grande partie de sa longueur, n’a qu’une largeur de quelques lieues à peine, pays plat du reste, a reçu de la nature, dans l’immense ligne navigable du Nil, une voie de communication qui lui rend moins nécessaire qu’à toute autre contrée les moyens artificiels par lesquels on rapproche les distances.

Le Nil et les principaux canaux navigables, tels que le Mahmoudieh, etc., servent de moyen de /450/ transport pour les produits agricoles et les voyageurs. Le règne de Méhémet-Ali a donné une grande impulsion à la navigation du Nil. Du temps de l’expédition française il n’y avait guère que seize cents barques parcourant le fleuve et les plus grands canaux. On en compte aujourd’hui trois mille trois cents, dont huit cents appartiennent à l’Etat. Ces différents bateaux se divisent en plusieurs classes, suivant leur grandeur et l’usage auquel il sont employés.

2. Maachs. — Les plus grands (maachs) ne servent qu’au transport des marchandises encombrantes, le coton, les céréales, etc. Ces barques sont aussi grosses que nos navires de commerce ordinaires; il en est même qui jaugent environ cinq cents tonneaux. Elles ont, sur deux ou trois mâts, de grandes voiles latines; elles ne peuvent naviguer, à cause de leur fort tirant d’eau, qu’à l’époque où les eaux du Nil sont hautes. Elles font ordinairement deux voyages par an.

5. Djermes. — Les djermes, moins grandes que les maachs, sont également consacrées au transport des marchandises, mais on n’en fait usage que sur les deux branches du Nil. Elles vont aussi sur la mer d’Alexandrie, à Damiette, à Rosette; quelquefois jusqu’en Syrie et à Chypre.

4. Daabiehs. — Les barques destinées au transport des personnes sont les daabiehs, les kaïassehs, les kanges et les kaïks. Les daabiehs sont de grandes barques de quarante à cinquante pieds de long sur douze ou quinze de large. Elles ont deux voiles /451/ latines, et vont également à la rame. Leurs équipages se composent d’autant d’hommes qu’elles ont de rames. Les grandes daabiehs ont de dix-huit à vingt rameurs; elles servent principalement de moyens de transport pour les marchandises pendant les basses eaux du Nil; elles ont deux ou trois chambres à l’arrière pour les voyageurs, mais n’ont en général pour passagers que ceux qui parcourent le Nil pour affaires commerciales, ou qui préfèrent la sûreté et la commodité à la promptitude du voyage.

5. Kanges. — Les kanges sont les gondoles de l’Égypte; elles sont de forme élégante, effilées, de construction légère et propice à la rapidité de la marche. Leur longueur est en général de trente à quarante pieds, elles en ont huit ou dix de large; elles ont ordinairement un et quelquefois deux mâts auxquels on attache des voiles triangulaires; elles portent à l’arrière une cabine divisée en une ou deux chambres qui peuvent recevoir deux personnes: ces chambres sont peintes et décorées avec goût. Les kanges des grands seigneurs, celles des dames se distinguent par l’élégance de leurs ornements; plusieurs sont dorées au dehors. Ces barques légères vont avec une rapidité incroyable; elles font dans vingt-quatre heures le trajet d’Alexandrie au Caire, espace que les sinuosités du Nil ne rendent pas moindre de soixante lieues.

Les kaïassehs sont des barques plates qui, pesantes dans leur marche, servent principalement à la navigation pendant les basses eaux.

/452/ Les fellahs traversent le Nil sur de petites péniches très-étroites appelées kaïks. Ces frêles embarcations, dans lesquelles ils se jettent imprudemment souvent en trop grand nombre, chavirent quelquefois.

6. Bateaux à vapeur. — Il n’y a que quelques années que l’invention de Fulton a apparu sur le Nil; un bateau à vapeur en fer, exclusivement réservé au vice-roi, a parcouru le fleuve et produisit une profonde sensation sur les habitants de l’Égypte, étonnés de voir cet élégant navire qui se mouvait de lui-même en lançant au ciel des nuages de fumée. Ils prirent d’abord cette nef merveilleuse pour un gigantesque animal. La navigation à la vapeur est trop dispendieuse à l’Égypte privée de combustible, pour s’y établir de longtemps. D’ailleurs, l’activité des rapports n’a pas encore rendu, dans l’intérieur de l’Égypte, l’économie de temps assez précieuse pour que le besoin des steamers s’y fasse vivement sentir; il faudra sans doute longtemps avant qu’un mode de transport qui conviendrait tant aux voyageurs devienne nécessaire, indispensable en Égypte, et par conséquent y soit employé.

7. Navigation du Nil. — En général le Nil ne peut se remonter qu’à la voile. Les vents du nord-est variant au nord-ouest qui règnent pendant six mois environ, depuis la fin du printemps jusqu’à l’automne, favorisent cette navigation; quelquefois quand le vent est peu impétueux, les hommes de l’équipage se chargent de haler la barque; mais les /453/ Européens sont les seuls que l’impatience d’arriver porte à employer ce moyen. Pour descendre le fleuve, on aide l’action du courant par la rame ou par la voile. Le Nil étant très-tortueux, on peut souvent profiter de vents différents pour aller dans des directions contraires. On voit tous les jours des barques remonter et descendre le fleuve avec une égale rapidité, quoique ce soit le même vent qui enfle leurs voiles. Il y a sur le Nil des courants brusques et violents qui, à cause de l’apathie des matelots, sont quelquefois à craindre; il périt toutes les années un assez grand nombre de barques.

Rien n’est pittoresque comme la navigation du Nil pendant les hautes eaux. Alors, de nombreuses barques sillonnent le fleuve dans toutes les directions; surmontées de leurs grandes voiles qui se croisent et s’inclinent sur la surface paisible, elles ressemblent à ces oiseaux marins qui, ouvrant aux vents leurs blanches ailes, se confient, vivantes nacelles, aux caprices de l’air et au mouvement des flots.

8. Gréement des barques. — La manière dont les bateaux du Nil sont gréés est très-imparfaite; les mâts et les voiles ont des proportions exagérées, sans doute à cause de la nécessité dans laquelle ils sont de recevoir le vent au-dessus des monticules qui bordent la vallée du Nil dans presque toute sa longueur. Les voiles, au lieu de s’abattre sur le pont au moyen de poulies, sont attachées aux vergues, et lorsqu’un coup de vent inattendu vient les gonfler avec une violence dangereuse, il faut que les mate- /454/ lots montent sur les mâts pour aller les fermer, ce qui demande beaucoup de temps; souvent la lenteur de cette manœuvre occasionne des accidents. On emploie rarement la voile en naviguant sur les kanges, parce qu’elles sont si légères qu’avec une brise un peu forte elles menaceraient de chavirer.

9. Mariniers du Nil. — Les mariniers du Nil, habitués dès l’enfance aux fatigues de la navigation de ce fleuve, acquièrent un degré de force qu’il semble presque impossible de concevoir. Ainsi, ils rament pendant tout le trajet du Caire à Alexandrie, c’est-àdire près de trente heures, sans se reposer. Leur habileté, la profonde connaissance qu’ils ont des vents et des cieux, sont vantés par tous les hommes du métier. Mais ils sont, comme tous les Arabes, d’une imprévoyance extrême. Lorsqu’on leur demande dans combien de temps ils pensent arriver au terme du voyage, « Dieu le sait, » se contentent-ils de répondre. Le lit du Nil est si variable, qu’il arrive assez fréquemment que les pilotes les plus expérimentés échouent sur des bancs de sable récemment formés; dans ces circonstances, les marins de l’équipage se mettent à l’eau, et poussent ou traînent le bateau pour le remettre à flot.


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§ II.

Des voies de communication et des moyens de transport par terre.

Routes. — Voitures. — Chariots. — Dromadaires. — Chevaux. — Mulets. — Anes. — Baudets de louage. — Baudets des harems. — Saïs. — Précautions de voyage pour le désert.

10. Routes. — Pour doter l’Égypte d’un bon système de routes, de grands travaux auraient dû être entrepris; il aurait fallu en effet les asseoir sur de solides chaussées; sans cela elles n’eussent pu résister aux inondations, qui les auraient périodiquement submergées. Or, la question des routes a été fort négligée par les gouvernements qui se sont succédé en Égypte. Je crois que, malgré les circonstances topographiques toutes spéciales dans lesquelles ce pays se trouve, ils auraient dû s’en occuper davantage. Peut-être quelques-uns d’entre eux ont-ils considéré l’absence de chemins définis comme un obstacle aux invasions étrangères, qu’il était bon de maintenir. Du reste, quel qu’ait été leur plan, ou plutôt leur défaut de plan, il leur eût été facile, s’ils l’eussent voulu, de faire profiter à la formation économique des routes le creusement des canaux. Avec les berges, on aurait pu faire des routes à peu de frais, que l’on aurait consolidées en /456/ y plantant des arbres. Ces routes auraient, pendant les basses eaux, suppléé aux canaux, devenus dans cette partie de l’année impraticables à la navigation. Pendant les hautes eaux, on aurait pu, par leur moyen, établir la navigation par les chevaux. On a déjà suivi ce système pour le canal d’Alexandrie au Nil. Je pense que l’expérience que l’on en a faite donnera l’idée de l’appliquer sur d’autres points.

Parmi les routes de l’Égypte dont le vice-roi, je dois le dire, a, plus que ses devanciers, soigné l’entretien et augmenté le nombre, il n’y a point de classifications, comme pour les nôtres, calquées sur les divisions administratives du territoire. Il en est pourtant qui sont appelées impériales (sultanieh). Quelquesunes sont très-belles; je citerai entre autres celle du Caire à Choubrah, plantée d’une très-belle allée d’arbres qui en fait une longue et magnifique avenue à la maison de plaisance de Méhémet-Ali.

11. Voitures. — L’Égypte n’ayant qu’un très-petit nombre de routes, et les transports par eau y étant si multipliés et si faciles, on conçoit que l’usage des voitures et des charrettes y soit très-peu répandu. Avant Méhémet-Ali, ces moyens de transport étaient même à peu près inconnus. On citait comme une chose très-remarquable un carrosse qu’Ibrahim-Bey avait reçu de France, et, pendant l’expédition française, la voiture de Napoléon, attelée de six chevaux et parcourant les rues étroites du Caire et de Boulac, était l’une des curiosités du pays et surprenait fort /457/ les Égyptiens. Depuis lors le vice-roi a commencé le premier à employer des équipages pour son service et celui de son harem. Après lui, Ibrahim-Pacha, Abbas-Pacha, et toute sa famille ont adopté cet usage commode. Il ne se serait pas popularisé néanmoins; car, réservé à la famille régnante, personne n’eût osé se l’approprier, si le vice-roi n’avait donné lui-même des carrosses en cadeau à plusieurs de ses ministres. Pour se mettre au niveau de ceux-ci, d’autres grands fonctionnaires s’en sont procuré, et aujourd’hui on compte au Caire environ trente personnes qui ont équipage, voiture ou cabriolet. A Alexandrie le nombre en est plus grand, à cause des consuls généraux et des négociants européens que cette ville renferme.

12. Chariots. — Les grands travaux opérés dans les chantiers et pour les constructions ont introduit en Égypte beaucoup de chariots. On s’en est servi surtout pour enlever les montagnes de terre qui entouraient le Caire. Dans tous les chantiers, on n’emploie plus aujourd’hui que ce moyen de transport; les Arabes se sont familiarisés avec lui; plusieurs particuliers se sont fait fabriquer des chariots pour transporter leurs marchandises et leurs denrées. Ils s’en servent même dans leurs voyages. Il n’est pas douteux que la vulgarisation de cet usage, qui leur procure des facilités appréciables, n’engage le gouvernement à s’occuper des routes et à les soigner pour la commodité du charroi.

J’arrive aux moyens de transport particuliers à /458/ l’Égypte. Ils se composent de trois espèces d’animaux, les dromadaires, les chevaux et les ânes.

13. Dromadaires. — On distingue en Égypte deux variétés de dromadaires: les uns, très-grands, très-gros et très-forts, à la marche pesante, sont destinés exclusivement au transport des marchandises; les autres, moins grands et aux formes moins épaisses, sveltes et élancés, sont extrêmement agiles et servent spécialement de montures. Ils sont à l’égard des premiers comme des chevaux de selle auprès de chevaux de trait. Les premiers portent des poids énormes et jusqu’à cinq ou six cents kilogrammes. Comme ils sont très-hauts, ils sont dressés à s’accroupir pour recevoir les charges énormes que l’on met sur leur dos. Ce sont eux que l’on a appelés avec juste raison les vaisseaux du désert et qui le traversent avec les caravanes où on les compte souvent par centaines. Les seconds, comme nous l’avons dit, ne portent que les hommes. Ils sont dressés à se grouper sur leurs genoux lorsqu’on veut les monter. Le cavalier se place alors sur une espèce de bât creusé vers le milieu, et garni à chacun des arçons d’un morceau de bois arrondi, planté verticalement, qu’il saisit fortement avec les mains pour se tenir. Les dromadaires ne sont pas conduits par le mors. Les narines étant chez eux une partie très sensible, dans les villes on leur passe dans cette partie un anneau auquel on attache un bridon. Dans le désert, on se contente de les retenir par un licou et on les frappe avec un courbach du côté où on /459/ veut les faire avancer. Leur plus grand mérite est d’avoir un trot allongé et doux. On sait qu’ils ne galopent jamais. Leur allure, très-fatigante pour ceux qui n’y sont pas accoutumés, produit sur le cavalier l’effet du roulis. Rien n’est poétique comme de voir l’un de ces animanx élevés et rapides s’élancer dans la plaine, monté par l’Arabe du désert qu’entoure sa couverture flottante ou son large burnous blanc. Les dromadaires auxquels ce nom est spécialement propre peuvent faire jusqu’à trente lieues par jour. On sait que le désert est comme leur élément naturel, et qu’ils supportent pendant plusieurs jours les privations de boisson et d’aliments que souvent il impose.

14. Chevaux. — Le cheval et surtout la jument sont les montures des cavaliers égyptiens. Les Arabes ne se servent, en général, que de juments; les osmanlis aiment surtout les beaux chevaux. J’ai donné sur ces animaux, dans le chapitre de la zoologie, des détails auxquels je renvoie le lecteur.

15. Mulets. — L’Égypte possédant des races très-distinguées de chevaux et d’ânes, on conçoit qu’elle ait de beaux mulets. Les mules sont préférées; elles sont la monture spéciale des ulémas et des hommes de loi, de môme qu’elles l’ont été longtemps chez nous des membres éminents du clergé. Il y en a de très-élégantes et de haut prix. Elles ne trottent jamais. Leur allure est un amble très-doux auquel on les dresse en leur attachant, pendant quelque temps, les quatre pieds avec une corde. /460/ Elles ont une selle particulière recouverte d’un tapis qui sert en outre à la prière. On en rencontre souvent qui traversent à pas lent les rues du Caire, portant de graves ulémas dont la tête est couronnée d’un vaste turban, et qui sont enveloppés dans leurs majestueux bénishes.

16. Anes. — L’âne est la monture ordinaire de la classe moyenne. Les femmes ne connaissent que celle-là. L’âne, qui a toujours joui en Orient de plus de considération qu’en Europe, rend en Égypte de très-grands services. Il y est très-répandu et d’excellente race. Chaque particulier à peu près a le sien. Il en est de très-grand prix. Autrefois, il était la seule monture permise aux chrétiens. Aussi avaient-ils tout fait pour l’ennoblir et lui donner les allures et l’élégance des mules.

17. Baudets de louage. — On compte au Caire plusieurs milliers et à Alexandrie plusieurs centaines de baudets de louage, qui, véritables fiacres de l’Égypte, stationnent dans tous les carrefours. Ces ânes portent des selles en forme de bât, arrondies, relevées et garnies mollement. Ils sont conduits par de petits bourriquiers qui, dans la course, les stimulent et avertissent les piétons de se garer. Le baudet est un moyen de transport à très-bon marché. Les Européens qui arrivent en Égypte l’adoptent pour monture favorite. Qu’ils aient leur costume national ou qu’ils soient déguisés sous celui du pays, il n’y a jamais qu’eux qui fassent galoper leurs ânes et leurs bourriquiers à perdre haleine. L’emportement /461/ avec lequel courent plusieurs d’entre eux produit un singulier contraste avec la gravité imperturbable de la population musulmane qui les appelle des fous. J’ajouterai qu’il y a inhumanité à faire courir ainsi de pauvres petits âniers qui quelquefois ont à peine huit ou dix ans. Rien n’est curieux, du reste, comme les colloques et les disputes qui s’engagent entre ceux-ci et les Européens qu’ils conduisent. Les âniers sont alertes, malins, et forment, sans contredit, la partie la plus spirituelle de la population égyptienne. Ils parlent un peu toutes les langues: le français, l’anglais, l’italien, le hollandais et même le provençal. A la physionomie de leurs chalands, ils devinent avec perspicacité dans laquelle de ces langues il faut leur adresser la parole. Ils ne provoquent jamais un Français qu’en le nommant monsieur dis-donc. Un Anglais est toujours pour eux master John. Lors de l’expédition française, nos soldats s’amusaient beaucoup avec les baudets qu’ils appelaient leurs demi-savants; moyennant un petit nombre de paras, ils en avaient un pour toute une journée. Mais, au moment du payement, revenait toujours un plaisant quiproquo qui tourmentait un peu les pauvres boucriquiers: ceux-ci demandaient alors le prix convenu (en arabe meschouar) les soldats français entendaient mouchoir, et croyant ou feignant de croire que les âniers voulaient leur mouchoir, les frustraient quelquefois de leur salaire à l’aide de ce malentendu. Lors de l’expédition de Syrie, on comptait dans l’armée huit /462/ mille baudets qui, au témoignage de Napoléon, rendirent les plus grands services.

18. Anes des harems. — Les ânes des harems que montent les femmes ne sont pas harnachés comme ceux des hommes. Leur bât est un plan incliné d’arrière en avant, garni de gros coussins. Les femmes ne s’y tiennent pas à califourchon, mais assises et néanmoins la face tournée dans le sens de l’animal. Dans cette position très-élevée au-dessus du sol, elles sont soutenues par le bourriquier qui marche à côté d’elles, le bras passé autour de leur ceinture. Cette pose est trop voluptueuse pour que les musulmans, si jaloux ou si prudents, comme on voudra, à l’égard de leurs femmes, en donnent le privilège à des jeunes gens. Aussi les baudets des femmes sont-ils toujours conduits par des hommes âgés.

Les femmes montent sur l’âne à l’aide d’un banc assez haut. Les hommes, eux aussi, ne sautent pas sur leur monture et se servent, pour se placer sur elle, d’escabeaux ou de tabourets, ou quelquefois de l’épaule de leur saïs (palefrenier).

19. Saïs. — Les cavaliers ne vont jamais seuls; ils sont toujours précédés par un ou deux saïs, espèce d’éclaireurs qui leur frayent la marche. Ces saïs forment dans la société une classe distinte. Ils sont endurcis à la marche et à la course. Les saïs portent le turban. Ils ont pour tout vêtement une chemise bleue, serrée au milieu du corps par une ceinture, et qui, laissant les jambes nues, leur donne /463/ une tournure assez élégante. Ils tiennent verticalement, à la main, un bâton mince en forme de lance, et précèdent leur maître de huit à dix pas. Ce sont eux qui aident celui-ci à descendre, qui promènent la monture et en ont soin. Autrefois les grands personnages se faisaient précéder par quatre ou cinq de ces hommes. Aujourd’hui cet usage s’est modifié. Se conformant à l’exemple donné par le vice-roi et les princes, jamais on ne fait marcher devant soi plus de deux saïs. Outre ces domestiques, les grands seigneurs se font accompagner par un homme qui porte une bardaque d’eau, et suivre par un ou deux Mamelouks qui tiennent la pipe ou autre chose. Dans les voyages à la campagne, le cortège est toujours plus nombreux.

20. Précautions de voyage pour le désert. — L’Égypte étant bordée de déserts, en s’écartant de ses limites, ce que l’on est souvent obligé de faire lorsqu’on la parcourt dans sa longueur, car on allongerait de beaucoup sa route en suivant les sinuosités du Nil, il faut prendre des précautions de voyage toutes spéciales. On doit amener avec soi des dromadaires pour les domestiques et des dromadaires pour porter les provisions de voyage, aliments et boissons. Il faut joindre à son attirail des tentes pour s’abriter, pendant les haltes, contre les ardeurs du soleil. Du temps des grandes chaleurs, on marche ordinairement dans le désert pendant la nuit. On se met en route vers les quatre ou cinq heures après midi, et l’on s’arrête pour camper à neuf ou /464/ dix heures du matin. Les étapes du désert sont à peu près déterminées par les puits ou les mares que l’on trouve à d’assez longues distances et dont l’eau est rarement potable. De temps en temps, l’on rencontre, sur la lisière des terres cultivées, des tribus de Bédouins nomades qui font paître leurs troupeaux ou qui voyagent. On est sûr de recevoir au milieu d’elles l’hospitalité la plus franche et la plus désintéressée.