Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

/465/

Chapitre XIII

Travaux publics.

§ I.

Canaux de l’Égypte.

Importance politique des canaux de l’Égypte. — Canaux de Joseph, — de Moeys, — de Chybyn-el-Koum. — Canaux de la Basse-Égypte exécutés par Méhémet-Ali. — Canaux de Tantah, — de Bouseyeh, — de la province de Baïreh. — Digues élevées par Méhémet-Ali. — Bassins de la Haute-Égypte. — Digues des rives du Nil. — Énumération des principaux travaux de canalisation exécutés par Méhémet-Ali. — Grands ouvrages de maçonnerie. — Résultats de ces travaux.

1. Importance politique des canaux en Égypte. — Nous avons vu, en parlant de l’agriculture, quelle est l’importance des canaux et leur influence sur la richesse de l’Égypte. Le Nil est comme un trésor, qu’une direction intelligente, industrieuse, habile peut faire valoir dans de grandes proportions, et qu’une administration paresseuse, imprévoyante, ignorante laisse au contraire se dissiper follement. Cela est aisé à concevoir. L’Égypte moins le Nil, ce serait le désert. Elle n’est fertile qu’en proportion des eaux que le fleuve promène sur elle, et du parti /466/ qu’elle en tire. Le problème de sa prospérité est bien facile à poser: le Nil roule une quantité d’eau déterminée qui va se jeter dans la mer, plus l’Égypte pourra retenir à son passage de cette eau précieuse et plus elle fécondera de terres, plus par conséquent elle aura de produits.

Or le système de canalisation, c’est la gestion, c’est l’économie des eaux du Nil; canalisée d’après les principes les plus larges, l’Égypte productrice voit s’accroitre sa superficie, ses ressources, sa civilisation, sa puissance; avec des canaux peu nombreux, mal disposés, mal entretenus, elle dépérit, devient pauvre et barbare. Les canaux sont donc aussi la vie pour l’Égypte; mais l’unité que réclame dans sa conception et dans sa pratique un système de travaux publics aussi grandiose et dont toutes les parties sont unies entre elles d’une solidarité aussi étroite que celle que réclame l’Égypte, ce système n’est pas au niveau de simples particuliers, d’agrégations d’individus, de villes séparées; il demande l’action d’un pouvoir qui représente toute l’Égypte, dans lequel tous ses intérêts comme toutes ses forces se personnifient. « Il n’est aucun pays, a dit Napoléon, où l’administration ait plus d’influence qu’en Égypte sur l’agriculture, par conséquent sur la population. Les plaines de la Beauce et de la Brie sont fécondées par l’arrosement régulier des pluies; l’effet de l’administration y est nul sous ce rapport; mais en Égypte, où les irrigations ne peuvent être que factices, l’administration est tout: bonne, elle /467/ adopte les meilleurs règlements de police sur la direction des eaux, l’entretien et la construction des canaux d’irrigation; mauvaise, partiale ou faible, elle favorise des localités ou des propriétés particulières, au détriment de l’intérêt public, ne peut réprimer les dissensions civiles des provinces, quand il s’agit d’ouvrir de grands canaux, ou enfin les laisse tous se dégrader: il en résulte que l’inondation est restreinte, et partant l’étendue des terres cultivables. »

L’autorité des paroles du grand homme fait comprendre, mieux que tous les arguments que je pourrais avancer, la nécessité pour l’Égypte d’avoir, afin de veiller à la direction de ses travaux publics, un pouvoir centralisé.

Napoléon avait vu les déplorables effets qu’avait amenés le gouvernement anarchique des Mamelouks. Alors point d’unité centrale dans le gouvernement, point de système conçu avec ensemble et calqué sur les intérêts généraux du pays; chaque chef de province, à peu près indépendant dans le cercle de son administration, ne suivait que son caprice ou que ses instincts de destruction et de paresse. Chaque canton, chaque village avait ses canaux séparés qui servaient uniquement à l’usage particulier de ses habitants et qui ne se reliaient à aucun système général. Les propriétaires et les cultivateurs des terrains qui avoisinaient les rives accaparaient ou gaspillaient les eaux qu’ils étaient les premiers à recevoir, et frustraient les terrains plus éloignés de leurs droits à par- /468/ ticiper aux bienfaits de l’inondation. De là naissaient des rivalités de village à village qui avaient quelquefois de sanglantes issues. Au milieu de ce désordre, les travaux publics légués par les anciens Égyptiens, par l’administration des Romains, par les premiers conquérants arabes, tombaient en ruine; ainsi chaque jour se perdaient les éléments vitaux de l’Égypte. Là aussi il y avait anarchie, là plus que partout ailleurs se faisait sentir le besoin de l’ordre, de l’unité, de la centralisation; là toutes ces nécessités demandaient satisfaction sous peine de mort. Le pouvoir fort créé par Méhémet-Ali a donc été une providence pour l’Égypte; sous son intelligente direction les intérêts matériels du pays sont revenus à un état de prospérité qu’ils ne connaissaient plus depuis longtemps. Mais, avant de parler en détail de tous les perfectionnements ou augmentations que lui doit la canalisation de l’Égypte, je vais dire quelques mots des principales lignes du système.

2. Canal de Joseph. — On appelle ainsi un long canal qui descend dans le Saïd parallèlement au Nil, depuis Mellaoui jusqu’à l’entrée du Fayoum, sur lequel il se répand en plusieurs branches. Plusieurs géographes ont pensé que ce canal n’est autre chose qu’une ancienne branche du Nil, qui, à une époque très-reculée, a dû, après être sortie du Fayoum, se diriger à l’ouest, vers la Méditerranée, par le lit du Fleuve sans eau. La largeur moyenne du canal de Joseph (barrh-Iouseff) est d’environ 100 mètres; son lit est plus bas que la plaine qu’il traverse.

/469/ 3. Canal de Moeys. — Le canal de Moeys, cette grande dérivation du Nil, prend son origine à une lieue au-dessus du Caire. Il se dirige, à la droite de la rive de Damiette, vers le nord-est. Dans la province de Charkieh, à la hauteur des ruines de l’ancienne Bubaste, aujourd’hui Tell-Basta, il se sépare en deux branches, qui vont porter leurs eaux au lac Menzaleh. Ce beau canal est aussi navigable que le Nil. Sa longueur est de près de 40 lieues; sa largeur est de près de 150 mètres. Il est très sinueux. Ses rives sont plates et au niveau de la plaine. Il est probable que son lit est celui des anciennes branches pélusiaque et tanitique.

4. Canal de Chybyn-el-Koum. — Ce canal traverse le Delta du sud-est au sud-ouest. Il prend ses eaux dans la branche de Damiette, au village de Qaryneyn, et débouche dans celle de Rosette, au village de Farastaq.

Il forme, au village de Chybyn-el-Koum, une seconde branche qui prend le nom de canal de Mélig et se réunit, au-dessous de Sebel-Nitus, au canal de Tabanieh, qui verse ses eaux dans le lac Bourlos. Tout porte à penser que le canal de Chybyn-el-Koum, depuis son origine dans la branche de Damiette jusqu’à son embouchure dans le lac Bourlos, n’est autre chose que l’ancienne branche Sebennytique. Ce canal est navigable. Il a communément de 100 à 200 mètres de largeur. Il alimente beaucoup de canaux qui arrosent les territoires des villes et des villages du Delta.

/470/ 5. Canal de Mahmoudieh. — L’importance des communications d’Alexandrie avec le Caire, les difficultés de la navigation des deux branches du Nil, fermé par deux barres (boghaz) difficiles à franchir, ont porté Méhémet-Ali à faire creuser le canal de Mahmoudieh, qui relie Alexandrie au Nil.

Les conquérants arabes avaient creusé un canal semblable; mais il était bien moins important que le Mahmoudieh, que du reste l’incurie des Mamelouks laissa s’ensabler.

Le Mahmoudieh a 25 lieues d’étendue. Sa prise d’eau est à un quart de lieue de la ville de Fouah. Il est navigable. Il a été creusé dans le court espace de dix mois. Trois cent treize mille ouvriers furent employés à cette œuvre colossale, digne d’être comparée aux gigantesques travaux de l’antique Égypte.

6. Canaux de la Basse-Égypte exécutés par Méhémet-Ali. — Méhémet-Ali a fait creuser à Tantah un canal qui a son embouchure dans celui de Chybyn, au sud et à peu de distance de Djafaryeh. Il se joint au canal de Kafr-el-Cheyk, à l’ouest de Defrryeh. Sa longueur est de 50 kilomètres sur une largeur de près de 16 mètres. Dans sa longueur, il a quatre écluses à vannes pour régler la dépense des eaux.

7. Canal de Bouseyeh. — La prise d’eau de ce canal est dans la branche de Damiette, au nord de Dacadous. Il se dirige au nord-ouest jusqu’à Senbellâouyn, et de là il coule à l’est jusqu’à la rencontre du canal de Moeys, auquel il se joint au sud de Kafr-el-Dâoud. Sa longueur est de plus de /471/ 50 kilomètres sur près de 16 mètres de largeur. Dans sa longueur, il a quatre ponts avec écluses à vannes.

8. Canal de la province de Baïreh. — Son embouchure est au nord de Beny-Salam, sur la branche de Rosette; il longe les bords du Nil en ligne directe jusqu’à Rahmânyeh. Sa longueur est d’environ 100 kilomètres sur 19 mètres de largeur. Ce canal porte cinq ponts avec écluses à vannes.

9. Digues élevées par Méhémet-Ali. — Sur la plupart des canaux que le vice-roi a exécutés, des ponts barrages ont été établis, qui, en maintenant les eaux à une certaine élévation, permettent d’inonder, tantôt au moyen de simples saignées, tantôt avec des roues à auges qui, en transportant ces eaux à 2 mètres de plus en hauteur, les font parvenir aux terrains les plus élevés.

Ces ponts barrages donnent encore la facilité d’arroser les terrains ensemencés, deux et trois fois après l’inondation, ce qui rend les récoltes à la fois plus belles et plus abondantes.

10. Bassins de la Haute-Égypte. — De grands bassins ont été creusés dans la Haute-Égypte au moyen de digues transversales qui, partant du Nil, vont aboutir aux montagnes au milieu desquelles il est encaissé. Ces bassins, entre lesquels un canal parallèle au cours du Nil établit une communication, se remplissent naturellement au moment de l’inondation générale; puis, quand l’inondation a cessé, les bassins supérieurs se déversent sur les bassins inférieurs jusqu’à ce qu’ils aient été tous mis à sec successivement.

/472/ Ces bassins, qui aident puissamment à régulariser l’inondation du Nil, ne sont pas du reste les seules améliorations introduites par Méhémet-Ali; c’est par son ordre qu’a été fermée la branche de Pharaonie, qui fournissait une masse d’eau trop considérable à la branche de Rosette au détriment de celle de Damiette. Les difficultés étaient immenses; il s’agissait de détourner une partie des eaux du Nil. Le résultat a heureusement répondu à la grandeur du travail.

11. Digues des rives du Nil. — Une autre œuvre gigantesque exécutée par ordre de Méhémet-Ali, c’est la construction, le long du Nil, et sur ses deux rives, depuis Gebel-Selselleh jusqu’à la mer, et tout autour du Delta, d’une digue de 6 mètres de largeur moyenne, de 2 de hauteur, sur une longueur totale de 2,320,000 mètres. Cette digue sert à la fois à retenir dans leur lit les eaux du Nil, qui, en se répandant par-dessus les rives, causeraient de graves dommages pendant les grandes crues, et aussi à maintenir plus longtemps sur les terres les eaux fécondantes du fleuve.

Cette digue, d’après les bases que nous venons de donner, offre un cube total de 27,840,000 mètres, ce qui représente une somme égale de journées d’hommes. Ce travail énorme a pourtant été exécuté pendant une seule campagne, sans causer ni trouble ni perturbation, chaque village ayant contribué à l’œuvre dans l’étendue de son territoire.

12. Énumération des principaux travaux de canalisation exécutés par Méhémet-Ali. — Voici du reste /473/ l’énumération des principaux travaux de canalisation exécutés en Égypte pendant ces dernières années. Nous pensons qu’elle sera lue avec d’autant plus d’intérêt qu’elle s’appuie sur des documents officiels.

Travaux principaux de canalisation faits en Égypte sous Méhémet-Ali

Provinces. (1)

Noms des différents travaux.

Long.

Cubes.

Esné Graffa Le canal de Ramady 12,250 603,000
  »  de Equelli 14,000 1, 290,000
Kenéh Graffa   »  de Châl ou Chellâh. 14,000 860,000
  »  de Nâyeh 14,000 860,000
  »  de Sanhour el-Cheriss 5,250 774,000
  »  de Ballagié, élargi et allongé 28,000 20,000,000
La digue Aboudial 8,750 564,375
Farchout Graffa Canal de Marachy 21,000 1,806,000
La digue de Farchout 17,500 903,000
Une autre du même nom 17,500 903,000
Girgéh Graffa Canal de Sabacca 7,700 1,960,800
Digue de Menchié 15,750 1,935,000
Souhayé Graffa Digue de Wadieh 5,250 516,000
  »  de Chobossat 5,250 465,776
  »  de Mêchet 17,000 2,150,000
Canal de Islamie 12,250 507,916
Syout Graffa Digue de Donhea 8,750 175,000
Canal de Câou 10,500 435,375
Manfalout { Deux digues, Benikelb et Maharrag 17,500 551,638
Mellaouy { Digue de Coudieh 14,000 1,576,000
Minyeh {   —   de Tanichaoué 23,450 592,196
Béni-Mazar {   —   de Kéiss à Beni-Ady 9,590 618,555
El-Fechn Graffa Canal de Fechn 15,750 450,000
Digue de Baranqah 10,850 475,903

/474/

Provinces

Noms des différents travaux.

Long.

Cubes.

Bénisouef Graffa Digue de Recca 12,250 564,375
Canal de Baranqah 14,500 705,438
Kelioub Graffa Canal de Zaffranie 56,285 5,820,300
Chercaoué 25,000 4,375,000
Bessous 15,000 1,500,000
Charkiéh Graffa Masraff de Belbeïs 35,000 1,400,000
Canal de l’Ouady 45,000 2,200,000
Mansourah Graffa Canal de Doudeh 50,000 4,500,000
Bouhié 50,000 4,500,000
Mansourié 35,000 2,600,000
Chercaoué 40,000 2,000,000
Menouf Graffa Nanayeh 35,000 3,150,000
Sersaoué 35,000 4,950,000
Bayourie 62,000 7,440,000
Garbieh Graffa Messid-el-Radrah 62,000 3,720,000
Bequidi 62,000 2,970,000
Giafferie et prolongement 55,000 2,750,000
Baïreh Graffa Rattalbé 195,000 15,120,000
Mahmoudieh 80,000 11,520,000

(1) Pour la division actuelle des provinces, consultez l’ouvrage publié en 1839 par M. Jomard, ayant pour titre: Histoire sommaire de l’Égypte sous Méhémet-Ali, par M. Mengin; suivie des Études historiques et géographiques sur l’Arabie, par M. Jomard, 1 v. in-8°. Paris, F. Didot.

Ces travaux de canalisation forment à eux seuls le chiffre énorme de 104,356,667 mètres cubes.

Voici, en outre, la moyenne des travaux de creusement opérés annuellement depuis six ans dans les diverses provinces de l’Égypte.

Provinces.

Mèt. cub.

Haute-Égypte Graffa Esné 1,238,400 Graffa 13,486,459
Kenéh 1,572,288
Farchout 1,091,368
Girgeh 1,045,996
Souhayé 1,003,804
Syout 1,746,523
Manfalout 1,967,942
Mellaouy 1,842,314
Moyenne-Égypte Graffa Minyéh 1.978,324 Graffa 6,158,752
Beni-Mazar 1,630,709
El-Fechn 1,685,241
Benisouef 1,491,805
Le Fayoum 1,350,997
Basse-Égypte Graffa Gizeh 2,400,240 Graffa 20,734,118
Kelyoub 2,200,789
Charkiéh 3,943,678
Mansourah 3,201,456
Menouf 2,524,675
Garbieh 3,824,673
Baïreh 2,634,624

/475/ Cela fait un total de 40,379,339 mètres cubes de terrassements par an; et là ne sont pas compris les réparations aux digues, les curements des canaux et divers autres travaux de moindre importance qu’il serait trop long de détailler; mais en supposant même que le chiffre de 40 millions de mètres cubes répondît à l’ensemble total des travaux, comme la journée d’un homme peut être évaluée à un mètre cube et que les travaux de canalisation ne se sont exécutés que pendant quatre mois, dans la saison où la population agricole est le moins occupée, nous arrivons à conclure qu’une masse de 355,000 individus est annuellement employée aux canaux.

13. Grands ouvrages de maçonnerie. — Il nous reste à faire connaître les grands ouvrages de maçonnerie ordonnés par Méhémet-Ali pour compléter le système de canalisation entrepris sous ses ordres.

Ouvrages principaux en ports, chaussées, déversoires, barrages, etc., etc.

Farchout Pont barrage sur le canal de Maragidi 27,000
Girgéh Graffa Le pont déversoir à la digue de Samhoud 9,000
    »    Masalla 12,000
Souhayé Graffa Le pont de Souhâs 24,600
pont déversoir à la digue de Chobosatte 21,000
Syout Graffa Pont déversoir à la digue de Beni Smè 30,000
    »    de Qelaye 19,000
    »    de Syout 12,000
    »    Syout même à l’entrée de la ville 12,000
Pont barrage à Basra 12,000
Auprès de Banoub, pont aqueduc Ali-Bey 9,000
Manfalout Un pont déversoir à l’Atamné 14,608
Mellaouy     »    Catta-Abou-Afrite 9,000

/476/

Minyet Graffa pont déversoir à la digue de Tanichaoué 24,000
    »    Tahaoué 18,000
El-Fechn Graffa     »    Bimbal 12,000
    »    Arganous 6,000
    »    Chinestad 12,000
Gizeh     »    Recca 15,000
Bénisouef A la digue de Chouché, ponts-berges 82,500
Fayoum Graffa Réservoir à Tamieh 59,200
    »    à Sennourys 35,232
Haute et Moyenne-Égypte 475,140
Kelyoub Graffa Le Pont barrage de Chercaouieh 15,000
Huit ponts sur le canal Zaffrani 71,000
Le Pont barrage à Abou-Ménégéh 9,000
Menouf Graffa Le Pont barrage au canal Nahanyéh 9,000
    »    Sersawe 9,000
    »    Bayouri 21,000
    »    Mit-Afif 21,000
Garbieh Graffa     »    Soutta 21,000
    »    Rahimbeim 21,000
    »    Demiré 21,000
    »    Sirri 15,000
    »    Biali 15,000
    »    Nicherti 15,000
Charkiéh Graffa     »    Bouhiéh 9,000
    »    Mansourieh 9,000
Grand Pont barrage à trois faces, Zagazieh 45,000
Pont barrage à trois faces, Sofra 15,000
Baïreh Graffa     »    Burergatte 15,000
Ponts et digues du Mahmoudieh 132,000
Basse-Égypte 489,000
14. Résultats de ces travaux (1).
— Le total des grands canaux s’élève donc à
964,140
Auquel on peut ajouter pour les ouvrages de moindre importance 1,850,000
Les ouvrages de maçonnerie présentent donc un total de mètres cubes 2,814,140

(1) Les chiffres qui précèdent ont été publiés dans le Sémaphore d’Orient dont j’ai déjà parlé, et à la rédaction distinguée duquel je me plais de nouveau à rendre tonte la justice qu’elle mérite.

/477/ Grâce à cet ensemble de travaux aussi largement conçu que rapidement exécuté, la Basse-Égypte est régulièrement fécondée par une inondation à peu près complète, quelle que soit la crue des eaux du Nil.

La Haute-Égypte n’a pu encore, malgré tous les efforts du vice-roi, être appelée à jouir du même bienfait; pendant les crues moyennes du Nil, une assez grande partie des terres ne peut être atteinte par l’inondation, ce qui avait inspiré au pacha le projet d’un canal latéral au Nil, coulant le long du désert, et qui, ayant sa prise à Gebel-Selseleh, aurait pu maintenir ses eaux au moyen d’un barrage constamment au-dessus des terrains avoisinants.

La Haute et la Moyenne-Égypte auraient ainsi profité d’une inondation complète et dirigée à volonté; car ce canal aurait à la fois servi à l’irrigation pendant les basses eaux et aussi à l’inondation graduelle des différents bassins, à mesure que le Nil les aurait laissés à sec en se retirant.

Dans la Basse-Égypte elle-même, les canaux, quoique en très-grand nombre, ne suffisent pas toujours à rendre l’inondation complète à cause de l’impossibilité où l’on est de les curer chaque année, et de l’augmentation continuelle des cultures; quelquefois aussi les eaux du Nil sont trop basses pour qu’elles puissent se répandre dans tous les canaux. C’est pour obvier à ces inconvénients qu’a été conçu le projet des barrages du Nil au sommet du Delta, travail immense dont je vais parler dans un paragraphe spécial.


/478/

§ II.

Barrages du Nil.

Leur importance. — Plan des barrages d’après M. Linant. — Résultats des barrages. — Opinion et plan de M. Cordier sur les barrages. — Conditions auxquelles ils doivent satisfaire. — Du mode de construction et des dépenses des barrages du Nil. — Barrages sur le Nil dans la Haute-Égypte.

15. Leur importance. — Quand on considère que pendant l’étiage du Nil et aux époques des mauvaises inondations, la plus grande partie des terres ne peuvent être atteintes par les eaux et sont condamnées à la stérilité, il vient à la pensée de chacun que l’homme peut et doit enlever à la Méditerranée les tributs constants et inutiles que lui apporte le fleuve au détriment du pays.

Les ingénieurs de l’expédition française paraissent être les premiers qui aient conçu l’idée grandiose de construire des barrages propres à arrêter les eaux du Nil et à arroser à volonté pendant toute l’année les terres de sa grande vallée. Napoléon avait dit, dans des notes rapidement écrites, d’après les impressions que lui avait laissées son passage en Égypte:

« Un travail que l’on entreprendra un jour sera d’établir des digues qui barrent les branches de Damiette et de Rosette au Ventre-de-la-Vache, ce qui, moyennant des bâtards d’eaux, permettra de laisser passer successivement toutes les eaux du Nil dans /479/ l’est et l’ouest, dès lors de doubler l’inondation. »

Les ingénieurs employés par le vice-roi n’ont pas dû lui laisser ignorer et le projet conçu pendant l’expédition française, et les études entreprises pour en préparer l’exécution. Méhémet-Ali a été frappé de l’importance d’un travail semblable, par lequel les possesseurs de l’Égypte se rendraient maîtres absolus du Nil, c’est-à-dire auraient en leurs mains un moyen tout-puissant d’obtenir du sol tout ce qu’il peut donner. Aussi, comme tentatives partielles, mais néanmoins très-utiles, avait-il fait faire plusieurs petits barrages dans les principaux canaux. Ainsi sur celui de Moeys à Zagazieh, à quatre lieues de son embouchure, on a construit un magnifique pont où, au moyen des écluses, on porte l’eau dans une grande partie de la province de Charkieh qui en était privée auparavant; les premiers succès obtenus par ces coups d’essais encouragèrent le vice-roi. Après avoir dompté les canaux, il conçut l’idée de maîtriser aussi le Nil. Plusieurs ingénieurs furent chargés de rédiger des projets dans ce sens. Celui de M. Linant fut adopté. Je vais dire en quoi il consistait.

16. Plan des barrages d’après M. Linant (1). — M. Linant choisit le point de la bifurcation des deux branches du fleuve comme le plus convenable pour retenir les eaux et les faire déverser sur le Delta et sur les terres qui l’entourent.

(1) Voir ci-contre le plan colorié que j’en donne.

Il prit, pour établir les barrages, deux espaces de terrains compris entre des courbes des branches /480/ du Nil. Là il se proposait d’exécuter les travaux à sec. Après leur achèvement, on aurait fait pénétrer les eaux du Nil dans ces lits artificiels. Les travaux projetés se composaient de: deux ponts barrages avec écluses et vannes, deux déversoirs avec portes pour rejeter le superflu des eaux dans les anciens lits, deux canaux de navigation avec sas, et trois canaux d’irrigation: l’un destiné au Delta, le second à la province de Baïreh, le troisième à celle de Charkieh.

Le pont barrage de la branche de Rosette devait avoir vingt-quatre arches de dix mètres de largeur, plus, une arche au milieu de trente-quatre mètres de large, restant constamment ouverte pour donner un écoulement à la masse des eaux. Le radier a neuf mètres six cent trente-quatre millimètres au-dessous du terrain naturel.

Les déversoirs de cette même branche auraient eu vingt-neuf arches de dix mètres de largeur. — Le radier a un mètre sic dix-huit millimètres au-dessous du terrain. Le canal de navigation, creusé pour permettre aux barques de passer du Nil dans la branche artificielle, en évitant de franchir la grande arche du barrage dont le passage présenterait des difficultés à cause de la violence avec laquelle les eaux contenues du fleuve s’échapperaient par cette issue, avait seize mètres de largeur. Le sas pouvait contenir quatre grandes barques.

La branche de Damiette avait un pont barrage de seize arches de dix mètres de largeur, plus une arche au milieu restant constamment ouverte pour /481/ l’écoulement des eaux. Le radier a neuf mètres soixante et dix centimètres. Son déversoir aurait été de vingt-cinq arches de dix mètres de largeur; le radier a un mètre quarante centimètres au-dessous du terrain. Quant aux canaux de navigation, ils auraient été les mêmes que pour la branche de Rosette.

Plan des Barrages du Nil

Barrages du Nil
[Clicca per ingrandire – JPEG 2698 X 1889]

Mappa tra le pagine 480 e 481

Dans les plus hautes eaux, tous ces barrages devaient rester ouverts, à l’exception des écluses qui ferment les canaux d’irrigation; dans les plus basses eaux, les ouvertures des ponts barrages et des déversoirs devaient rester fermées, à l’exception des deux grandes arches et des écluses des canaux d’irrigation.

Le canal d’irrigation devait passer, au moyen de ponts aqueducs, sur les canaux de Nananieh, Mit-Afif, Chybyn, Messid-el-Radrah, et leur verser, pendant les basses eaux, l’eau nécessaire à l’arrosage des terrains qu’ils parcourent aujourd’hui; le canal d’irrigation du Baïreh devait alimenter en même temps le Mahmoudieh par le Bahr-Jousef; le canal du Charkieh devait fournir des eaux au canal de navigation à établir avec Suez.

17. Résultats des barrages. — On voit que ce travail hydraulique est le plus gigantesque qui soit connu. Son exécution sera la plus éclatante et la plus profitable victoire que la puissance humaine ait jamais remportée sur la nature. Ses résultats seront immenses; non-seulement ils porteront l’arrosement sur le Delta, mais encore sur les provinces orientales et occidentales du Nil; ils fourniront /482/ les moyens d’arroser en tout temps la valeur de plus de quinze cent mille hectares de terre; ils dispenseront de l’usage de plus de vingt-cinq mille sakyès qui demandent chacune le travail constant de deux bœufs et d’un homme, ce qui fait une économie de vingt-cinq mille hommes et de cinquante mille bœufs. L’élévation des eaux du Nil et leur écoulement facultatif par des déversoirs permettraient d’établir des chutes, par conséquent d’employer la puissance hydraulique pour la création d’usines, et de donner une impulsion plus grande à l’industrie égyptienne. Tous les heureux effets de l’exécution des barrages avaient si vivement frappé le vice-roi, qu’impatient de les voir achever, il avait déjà fait mettre la main à l’œuvre et réunir des machines sur les lieux; mais la guerre et les préoccupations politiques, en absorbant toute son attention, ont dû faire suspendre ces beaux travaux, et remettre à un temps plus tranquille de les continuer et de les mener à fin.

18. Opinion et plan de M. Cordier relativement aux barrages. — La question des barrages étant la plus importante que puissent soulever les intérêts matériels de l’Égypte, puisque sa solution en assurait inébranlablement la prospérité, on conçoit que j’aie dû demander sur elle leur avis à tous les hommes compétents qu’il m’a été permis d’approcher. J’ai été assez heureux pour obtenir, sur ce point, l’opinion d’un des ingénieurs les plus distingués de la France, M. Cordier, député du Jura, qui a exécuté d’immenses /483/ travaux hydrauliques sur le Rhin, l’Escaut, etc. Quoique le projet de ce savant ingénieur soit différent de celui de M. Linant qui a pourtant réuni de très-honorables approbations, je m’empresse de le faire connaître à mes lecteurs; sans m’établir juge d’ailleurs sur des matières qui me sont étrangères, je regarde comme une très-bonne fortune pour moi de pouvoir donner l’opinion d’un homme aussi compétent que M. Cordier. D’autant mieux que la solution qu’il propose, promet d’immenses avantages avec des économies si considérables de temps, d’argent et d’hommes, que, s’il ne doit pas rencontrer d’objections, ce projet sera la fortune de l’Égypte et pourra en très-peu de temps commencer, pour ce pays déjà si favorisé de la nature, une ère toute nouvelle de grandeur et de richesse.

Je crois ne pouvoir mieux faire que de laisser ici parler M. Cordier, qui a eu la bonté de me donner les notes suivantes.

19. Conditions auxquelles doivent satisfaire les barrages. — Avant la découverte des sas et des écluses de diverses formes pour maîtriser les eaux et en régler à volonté les niveaux et les écoulements, les canaux de dérivation du Nil ne pouvaient procurer qu’une faible partie des avantages que les progrès de la science hydraulique permettent maintenant d’obtenir.

En raison de l’encaissement du Nil et des canaux, on était forcé d’employer, et on emploie encore plusieurs milliers de bœufs, dans chaque province, /484/ pour élever les eaux des bras du fleuve sur les terres adjacentes.

Les coupures des dérivations faites au Nil appauvrissent le fleuve; la navigation n’a lieu pendant six mois que pour des barques d’un faible tonnage, et le halage par chevaux n’est possible que sur de grandes longueurs.

Les bras du Nil, près de leur embouchure dans la mer, n’ayant qu’un faible volume, les eaux salées de la Méditerranée remontent le fleuve dans les gros temps, inondent les lacs et rendent le littoral malsain, infertile et presque inhabitable.

Les barrages projetés sur le Nil doivent donc satisfaire à trois conditions principales du problème.

1° Empêcher l’invasion des eaux de la Méditerranée dans les lacs du littoral.

2° Perfectionner la navigation des branches du Nil, la rendre permanente, régulière et facile pour les plus gros navires.

5° Conduire les eaux du fleuve sur tout le sol égyptien, plus bas que le niveau des grandes inondations, et doubler ainsi les terrains cultivés.

Nous exposerons en quelques mots le projet qui remplirait ces divers buts en l’appliquant d’abord à la branche de Rosette.

Nous nous proposons d’établir près de l’embouchure de ce bras à la mer un barrage écluse avec double sas pour le passage des navires de diverses grandeurs et avec des bassins et écluses de chasse /485/ latérales et portes tournantes, pour approfondir le chenal. Ce barrage empêcherait l’invasion des eaux de mer, donnerait un tirant d’eau suffisant au Nil pour le passage des grands navires, et permettrait l’arrosage des campagnes voisines.

Chaque barrage créant une chute, on emploierait la puissance des eaux du Nil à faire mouvoir des machines hydrauliques destinées à dessécher les lacs et à les rendre à l’agriculture.

A l’aval de l’embouchure du canal de Rahmânieh à Alexandrie, on construirait un second barrage, ayant la même destination et les mêmes avantages.

Entre Rahmânieh et le Caire, on construirait deux autres barrages pour racheter la pente du fleuve; le premier serait établi à Benoûfur et le second à Terraneh.

La pente du fleuve du Caire à l’étiage, étant de 5 mètres 60 centimètres, serait rachetée par les quatre barrages écluses, en leur donnant à chacun une chute moyenne de 1 mètre 40 centimètres.

Si, à côté de chaque barrage, on construisait un déversoir fixe ayant deux fois la largeur du fleuve, et son couronnement à 1 mètre 50 centimètres au-dessus de la ligne d’étiage, les grandes crues, ayant au Caire 16 mètres 40 centimètres au-dessus de la ligne d’étiage, recouvriraient de 5 mètres le déversoir du barrage fixe; le niveau des inondations n’éprouverait aucune sur-élévation appréciable par l’effet du barrage.

Par ces divers travaux plusieurs conditions du pro- /486/ blème seraient déjà remplies, la mer ne remonterait plus dans le Nil, le chenal du port serait approfondi, le littoral de la mer serait cultivable, le fleuve aurait partout 1 mètre 40 centimètres de plus de tirant d’eau, qui, ajouté à celui de l’étiage, donnerait un mouillage suffisant pour recevoir, en toute saison, des navires de 600 tonneaux; il ne resterait plus à satisfaire qu’à la dernière condition, la plus importante, l’arrosage naturel et direct des campagnes. Pour y parvenir, on élèverait le couronnement des écluses au-dessus des plus grandes crues, afin d’assurer en tout temps le passage des navires, et on établirait sur les barrages fixes dont il a été fait mention un barrage mobile pour soutenir les eaux du Nil à un niveau déterminé, qu’on élèverait à volonté, même jusqu’à la ligne des grandes crues.

Nous avons la certitude du succès de ces travaux, parce que nous avons fait construire des ouvrages analogues, non sur un fleuve comme le Nil, mais sur des rivières où les difficultés étaient les mêmes, et le but qu’on se proposait a été complètement rempli avec des dépenses modérées.

Après la canalisation de la branche de Damiette, on entreprendrait sur les autres branches du Nil des barrages semblables, qui procureraient les mêmes avantages; savoir: le refoulement des eaux de la mer, le creusement des ports, le dessèchement des lacs du littoral, leur fertilité et leur salubrité, le perfectionnement de la navigation, enfin et surtout l’arrosage direct et continu de toutes les campagnes /487/ de l’Égypte, maintenant en partie envahie par les sables du désert.

20. Du mode de construction et des dépenses des barrages du Nil. — Les auteurs d’ouvrages remarquables, et qui font autorité, ont publié, sur les grands barrages nouveaux entrepris sur le Nil, des documents qui donneraient à penser, comme eux, que ces travaux doivent être d’une dépense excessive et d’un succès fort incertain. Après une étude des projets du Nil, nous ne partageons pas leur pressentiment.

Nous avons sous les yeux le profil du Nil dans la vallée de Syout, — au-dessus du Caire, où les eaux du fleuve sont réunies dans un seul lit; pendant l’étiage, le fleuve a 380 mètres de largeur, 760 mètres de section, et donne 760 mètres cubes par seconde en supposant une vitesse de 1 mètre, ou 1,000 mètres avec une vitesse de 1 mètre 35 centimètres par seconde, qui parait exagérée, d’après le calcul des pentes et de la surface.

A 1,000 mètres cubes par seconde, le volume des eaux dépensées par 24 heures est de 86,400,000 mètres cubes (1). Ce volume n’est pas moitié de celui de la Seine dans les temps des inondations, et les barrages à construire sur le Nil ne s’élèveraient pas à trois fois la dépense d’un barrage sur la basse Seine.

(1) Cette évaluation serait de moitié plus faible que celle que nous avons donnée tome i, page 41.

/488/ Mais le Nil devant être réparti de nouveau entre ses sept branches anciennes pour vivifier toutes les provinces et repousser les lignes du désert, chaque barrage sur un bras est un ouvrage aussi facile, aussi peu coûteux qu’un barrage de l’Escaut, de la Tamise, et du Rhin en Hollande. Toutefois, des dispositions nouvelles, justifiées par l’expérience, doivent être adoptées pour diminuer les frais de construction et augmenter la solidité des ouvrages.

La Basse-Égypte et toute la vallée du Nil, dans la Haute-Égypte, étant formées d’alluvions d’un limon mêlé de sable, des travaux hydrauliques fondés sur pilotis coûteraient des sommes excessives et n’auraient pas une suffisante solidité. Il faut, surtout en Égypte, éviter les ouvrages d’art qui exigent l’emploi d’ouvriers très-exercés, très-rares même en Europe, et des matériaux éloignés et de choix d’une dépense excessive.

On épargnera une grande partie des dépenses d’argent et de temps en fondant les barrages sur béton, au moyen de draguage dans le limon et sans épuisement. On donnera aux fondations beaucoup d’empattement pour prévenir les affouillements. L’Égypte fournit abondamment tous les matériaux nécessaires à ces constructions, que les ouvriers du pays, bien dirigés, exécuteraient avec économie. La masse du béton serait continuée et montée jusqu’à la ligne d’étiage et couronnée par une maçonnerie générale en pierres de taille, s’élevant à 1 mètre 40 centimètres au-dessus de l’étiage.

/489/ Dans cette maçonnerie serait encastré le barrage mobile, fermant avec des vannes ou poutrelles, et destiné à soutenir les eaux jusqu’au niveau fixé et même jusqu’à la hauteur des crues du Nil.

On doit faire remarquer 1° que le Nil ne charrie point de glaces, et qu’ainsi les poteaux montants des barrages mobiles ne seraient point exposés à des avaries dans les crues; — 2° que la longueur des barrages étant double du lit du Nil, on peut fonder le barrage presque à sec en commençant les ouvrages hors du lit actuel; — 3° que les inondations artificielles seraient réglées et renouvelées à volonté.

Chaque barrage ainsi construit ne coûterait pas au-delà d’un million à un million et demi, selon les localités, mais le choix des emplacements est d’une grande importance, ne peut manquer d’exercer une grande influence sur les résultats et sur les dépenses, et exige une expérience consommée des travaux hydrauliques.

Avec les barrages successifs proposés, le système d’arrosage ancien ne serait point changé, on n’aurait pas à creuser des dérivations nouvelles, on profiterait de tous les canaux existants, on ferait le curement des anciens canaux qui distribueraient les eaux du fleuve sur toutes les campagnes, on n’occasionnerait aucune perturbation, enfin et surtout on mettrait à profit la totalité des eaux du fleuve.

Les grands barrages projetés au Ventre-de-la-Vache, en aval du Caire, s’ils étaient achevés, ne rempli- /490/ raient pas la même destination sous aucun des rapports que nous venons d’examiner.

Une dérivation éclusée, ayant vingt-neuf arches éclusées de 10 mètres et d’une longueur de 5,000 mètres, n’est pas plus utile qu’une coupure de 200 mètres de longueur et de 20 mètres de largeur dans le fond, avec des écluses aux extrémités; les passages laissés ouverts à la navigation dépenseraient un grand volume d’eau et produiraient une cataracte que les bateaux montants ne pourraient franchir qu’avec une extrême difficulté.

Les barrages établis dans le haut du fleuve n’auraient aucune influence sur les améliorations à obtenir dans les plaines inférieures, d’une surface dix fois plus grande que la zone à arroser par les nouveaux canaux projetés.

L’emploi du bois pour fondation entraînerait dans de grandes dépenses, sans procurer la même garantie de solidité, parce qu’il faut descendre les pieux à une grande profondeur dans le limon du Nil pour les rendre solides, tandis qu’une masse générale de béton de 3 mètres d’épaisseur, reposant sur la vase, supporterait les plus lourdes constructions.

21. Des barrages sur le Nil dans la Haute-Égypte. — Les barrages du Nil dans la Haute-Égypte sont plus faciles encore à exécuter que sur les bras du Nil dans la Basse-Égypte. Les matériaux étant sur place et de la meilleure qualité, ces barrages, construits d’après le même système, auraient aussi pour résultats de doubler l’étendue des terrains cul- /491/ tivés en fécondant par des irrigations les sables du désert.

Les emplacements les plus convenables pour établir ces barrages sont déterminés par les points où le fleuve est plus resserré et devient très-sinueux. Les cartes détaillées ne sauraient suffire pour faire le meilleur choix entre les localités les plus favorables; il faut encore étudier le cours des dérivations et des localités et toutes les circonstances à coordonner pour en assurer la réussite avec le moins de dépense.


§ III.

L’isthme de Suez; — Projet de joction de la mer Rouge a la Méditerranée; chemin de fer du Caire a Suez; résultats de la jonction des deux mers.

Résultats de la jonction des deux mers. — Canaux entrepris pendaut l’antiquité pour lier le Nil à la mer Rouge. — Canal des Arabes. — Importance et possibilité de la construction d’un canal de la mer Rouge à la Méditerranée. — Chemin de fer.

22. Tout le monde sait que la mer Rouge n’est séparée de la Méditerranée que par un isthme sablonneux qui n’a pas plus de vingt lieues de largeur.

Sans doute, à l’époque anté-historique où la mer Méditerranée, s’avançant jusqu’au cœur de l’Égypte, /492/ formait un golfe parallèle à la mer Rouge, ces deux mers durent communiquer ensemble.

Cette opinion est confirmée par l’aspect des lieux qui sont bas, renferment des lacs salés, et sont formés d’alluvions maritimes. Elle a été partagée par plusieurs écrivains.

L’isthme de Suez est un obstacle qui, empêchant la navigation directe entre les nations commerçantes de l’Europe et les vastes contrées que baigne l’Océan indien, la condamne à faire un immense détour.

La communication entre les deux mers abrégerait la navigation de Marseille, Gênes, Livourne, Trieste, etc., dans les Indes, de plus de trois mille lieues; celle de Londres et d’Amsterdam à Java et en Chine, de plus de deux mille lieues; celle de New-York, dans les mêmes ports, de mille lieues; on éviterait le double passage sous la ligne, les maladies et les dangers de ces parages.

L’importance de cette communication, quoiqu’elle n’ait jamais été aussi grande qu’à notre époque, a été sentie de tout temps. Le grand Sésostris paraît avoir été le premier qui ait conçu le projet de faire communiquer les deux mers par un canal. Il donna à cette entreprise un commencement d’exécution; il lia le Nil à la mer Rouge par un canal qui, d’après Diodore de Sicile, s’étendait depuis Memphis jusqu’à Nel testo: Clymas Clysma. Plus tard, un de ses successeurs, Néchos, s’occupa aussi de cette jonction qui ne fut point terminée. D’auprès Hérodote, les premiers travaux, qui coûtèrent la vie à cent vingt mille hommes, furent /493/ arrêtés sur la réponse de l’oracle qui, consulté par Néclios, lui dit « que la construction du canal projeté ouvrait aux étrangers l’invasion de l’Égypte. » Le projet de l’entreprise de Néchos fut, sous la direction des Perses, continué par Darius, fils d’Hystaspes, et enfin terminé par Ptolémée Philadelphe, qui lui donna son nom. Strabon rapporte qu’il le fit garnir de barrières très-ingénieuses qu’on ouvrait pour laisser passer les vaisseaux et qu’on refermait ensuite très-promptement; ce canal, au dire de Pline et de Strabon, était large de cent coudées, avait une profondeur de trente pieds et cinquante lieues de longueur. Il permettait une libre navigation aux vaisseaux à voiles qui pouvaient se croiser sans accident, pouvaient y marcher de front et parcourir le trajet pendant deux ou trois jours. Ce canal, qui porta le nom de canalis Ptolemœus, partait de la branche pelusienne du Nil, au-dessous de Bubaste, non loin du Delta, et allait se rendre à Assinie, ville bâtie sur la pointe la plus septentrionale du golfe Arabique. Ainsi que nous l’avons vu, il traversait à moitié chemin le lac Amer, de même que le Rhône traverse le lac de Genève. Les vaisseaux de la mer Rouge, arrivés à la branche pélusienne du Nil, pouvaient descendre dans tous les ports égyptiens de la Méditerranée ou remonter le fleuve jusqu’à Memphis et de là jusqu’à Thèbes. Le canal de Ptolémée, fournissant aussi une irrigation abondante dans la ligne la plus étendue de l’isthme de Suez, fertilisa ce territoire qui se couvrit bientôt d’opulentes cités. En partant de la branche pélu- /494/ sienne on trouvait à gauche la ville d’Heroopolis, plus loin Bubastis, Phagroriopolis, ainsi que Serapeum, non loin d’Arsinoë.

Sous l’empire des Romains Trajan renouvela ce canal, et y ajouta même une branche qui arrivait à quelques stades au-dessous de Memphis. Cette prolongation du canal portait le nom de Trajan, et se trouve explicitement indiquée dans le passage suivant de Ptolémée: « Entre Héliopolis et Babylone, coule le fleuve Trajan (amnis Trajanus). » Quinte-Curce le nomme Oxius, et les Arabes Merahemi. Macrisi, dans son Histoire d’Égypte, attribue ce canal à Adrien César. Enfin, il n’y a pas jusqu’aux Arabes qui n’aient suivi un pareil exemple.

L’historien Elmacin rapporte que sous le califat d’Omar, les villes de la Mecque et de Médine souffrant de la disette, ce calife ordonna au gouverneur d’Égypte, Amrou, de tirer un canal du Nil à Colzoum (ancien Clysma), afin de faire passer désormais par cette voie les contributions de blé et d’orge destinées à l’Arabie. — Amrou exécuta cette grande entreprise, et donna à ce canal le nom de Fleuve du prince des fidèles. Volney rapporte que cent trente-quatre ans après, le calife Abou-Djaffar-el-Mansour le fit obstruer afin de couper les vivres à un descendant d’Ali, révolté à Médine. Depuis ce temps-là il n’a pas été rouvert. Ce canal, dont il existe encore une portion qui prend le nom de Kalig, prend son point de départ du Nil à l’extrémité du vieux Caire, tout près du Chàteau-d’eau, traverse le grand Caire /495/ et va se perdre à quatre lieues plus loin, au nord-est du lac-des-Pèlerins, Birket-el-Hadji. C’est ce même canal qu’on ouvre tous les ans avec solennité lors de la crue des eaux du Nil. Savary prétend, avec son exagération habituelle, que ce canal ayant été taillé dans le rocher l’espace de vingt-quatre lieues, on pourrait aisément en ôter le limon et le sable, dans le cas où l’on voudrait rouvrir l’importante communication du Nil avec la mer Rouge (1).

(1) J’emprunte cet aperçu historique sur la jonction des deux mers à un savant mémoire de M. le docteur Labat, intitulé: Route de l’Inde par l’Égypte et la mer Rouge. Les travaux persévérants de M. Labat sur cette question et sur plusieurs points de la question orientale forment un ensemble complet et plein d’intérêt, que je ne saurais trop recommander aux lecteurs. Je signalerai surtout l’Essai sur le commerce des anciens dans l’Inde, dans lequel M. Labat a suivi étape par étape ces grandes pérégrinations mercantiles qui pendant l’antiquité unissaient l’Europe aux plus lointaines contrées de l’Asie. L’érudition que l’on trouve dans les écrits de mon honorable ami n’est pas un luxe stérile de science; car elle éclaire des lumières les plus vives du passé une des questions les plus intéressantes du présent et de l’avenir.

Les ingénieurs français, pendant l’expédition d’Égypte, ont constaté la direction et les dimensions de l’ancien canal, le nivellement du terrain entre Suez, le Caire et Péluse, et ont présenté les bases du projet du canal de Suez au Caire, qui serait alimenté par les eaux du Nil pendant les crues.

Mais le Nil, du Caire à Alexandrie, à Damiette et à Rosette, n’est navigable, pour les grandes barques, que pendant six mois; et le grand canal, lui- /496/ même, n’aurait un mouillage suffisant que pendant le même temps.

Le canal de jonction des deux mers par le Nil ne serait donc qu’un canal pour ainsi dire égyptien, que les bâtiments marchands étrangers ne pourraient traverser. Sans doute, ainsi exécuté, il serait encore très-utile, mais il ne donnerait pas ces résultats grandioses qu’attend le monde de la jonction des deux mers.

Nous envisageons l’entreprise dans un but plus général; elle doit, selon nous, satisfaire à la condition d’admettre les grands bâtiments des Indes, les vaisseaux de ligne de premier rang et les bâtiments à vapeur des plus grandes dimensions. Pour atteindre ces divers résultats, il faut donner au grand canal vingt mètres de largeur de plafond, dix mètres de profondeur totale, et seize mètres de passage aux écluses et sas.

Ces données du problème exigent impérieusement que le canal de jonction des deux mers soit dirigé de Suez à Péluse, et que des dispositions soient prises pour surmonter tous les divers obstacles qui ont fait envisager cette entreprise comme impraticable, en raison de l’étendue des marais, de la mobilité des sables et du peu de profondeur de la Méditerranée à Péluse; appuyé de l’expérience et de l’opinion de M. Cordier, qui a approfondi la question, nous considérons la solution de ces difficultés comme très-certaine.

Dans le cas de succès, l’ouverture du canal des /497/ deux mers, pour les plus grands navires, de trente-cinq lieues de longueur, exécuté en cinq ans, opérerait une révolution commerciale dans les relations de l’Europe et de l’Inde; en l’accomplissant, le vice-roi mériterait de la reconnaissance des peuples une gloire immortelle.

Carte d’une partie du Delta

Une partie du Delta
[Clicca per ingrandire – JPEG 1181 X 2030]

Mappa tra le pagine 496 e 497

23. Du chemin de fer projeté de Suez au Caire. — Le maréchal duc de Raguse a exposé, dans son Voyage, avec une haute raison, les inconvénients et les causes d’insuccès et de destruction du chemin de fer projeté entre Suez et le Caire. La mobilité des sables, la rareté des voyageurs, la difficulté de trouver des mécaniciens habiles, justifient ses prévisions.

Le voyageur des Indes arrivé au Caire aurait encore soixante-cinq lieues à parcourir à travers l’Égypte, où la circulation du Caire à Alexandrie n’est établie que par des bateaux à voile ou tirés par des hommes.

Le maréchal montre avec sagacité la supériorité incontestable d’un canal sur un chemin de fer dans ces localités.

Mais ses observations supposent l’ouverture du canal ancien de Suez au Caire; et il envisage comme impossible, ainsi que tous les autres écrivains, le canal de jonction des deux mers de Suez à Péluse.

Mais s’il est démontré, comme nous en avons la conviction, que la communication navigable entre la mer Rouge et la Méditerranée doit être établie de Suez à Péluse, et que presque tous les vaisseaux /498/ expédiés d’Europe dans les Indes prendront cette direction, il sera évident alors que les villes de Suez et de Péluse, alimentées d’eau douce par des dérivations du Nil, deviendraient en peu d’années de grands centres de commerce et des cités importantes, très-peuplées, et que les anciennes villes détruites sur les bords du canal seraient en peu d’années rétablies. Le chemin de fer entre la mer Rouge et la Méditerranée, distance que les voyageurs franchiraient en cinq heures, serait dans ce cas l’un des plus fréquentés et des plus productifs.

Ce chemiu de fer serait établi sur une des digues du canal et ne coûterait que les frais de pose des rails, les digues étant presque droites et horizontales.

Les suppositions que nous avons faites d’un canal ouvert à tous les navires, très-fréquenté, peuplé de villes à ses extrémités et sur ses rives de dérivation du Nil longeant le canal et fécondant sur mille lieues de superficie les sables du désert, donnent la solution des difficultés réelles, des obstacles sans nombre au succès d’un chemin de fer qui serait établi dans ces localités maintenant désolées.

L’Égypte, régénérée par le vice-roi, nous semble appelée aux plus hautes destinées; en peu d’années, elle sera sillonnée par des chemins de fer, 1° de Suez au Caire et à Péluse sur les digues du grand canal; 2° du Caire à Alexandrie sur les bords du Nil; 3° d’Alexandrie à Rosette, Damiette et Péluse par le littoral de la mer. Lorsque les lacs desséchés au- /499/ ront été rendus à l’agriculture, ces contrées, alors salubres, redeviendront encore les plus fertiles et les plus peuplées du monde, comme les plaines de la Hollande et la Flandre conquises sur la mer, que des canaux et des chemins de fer traversent en tous sens.

24. Conclusion. — L’Égypte est le pays du monde qui a le plus d’avenir et dont la prospérité doit exercer le plus d’influence sur le commerce des nations d’Europe et des Indes en relations d’échanges.

Un canal à grandes sections, de la mer Rouge à la Méditerranée, de Suez à Péluse. abrégerait de plusieurs milliers de lieues les distances entre les Indes et l’Europe. L’emploi des bâtiments à vapeur sur la mer Rouge donnerait le moyen de prévenir les dangers et de surmonter les difficultés, d’ailleurs fort exagérées, de cette navigation.

La différence de niveau des deux mers est un avantage inappréciable qui assure le succès du grand canal par la certitude d’obtenir un mouillage profond au port de Péluse.

En peu d’années les produits du sol de l’Égypte tripleraient; la population, les richesses et la prospérité de ces contrées croîtraient avec sa puissance; l’Europe applaudirait aux succès du vice-roi; la France surtout, appelée des premières à prendre part aux bienfaits de la grande communication des deux mers, serait satisfaite de cette création, sinon le but, du moins l’une des grandes préoccupations de la mémorable expédition d’Égypte.


/500/

§ IV.

Divers travaux.

Nouveau phare d’Alexandrie. — Embarcadère et rail-way du Mahmoudieh. — Chemin de fer du Delta.

25. Nouveau phare d’Alexandrie. — Chacun sait que toute la plage de l’Égypte est extrêmement basse et qu’on peut à peine l’apercevoir de jour à trois lieues de distance; aussi l’impossibilité où se trouvent souvent les navires de s’éloigner à temps des côtes amènede de fréquents naufrages. L’établissement d’un feu de premier ordre était donc vivement réclamé par les intérêts du commerce et de l’humanité. Le vice-roi a ordonné la construction d’un phare sur la pointe de Ras-el-Tin.

Cet édifice aura 60 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer, et le feu qu’il doit renfermer sera vu à huit lieues au large. Il est entièrement construit en pierres de taille, en forme de colonne. Son diamètre extérieur est de 9 mètres 75 centimètres à la base. Le milieu de la colonne présente un cylindre creux de 5 mètres 75 centimètres de diamètre où sont les marches donnant accès à la chambre de la lanterne. Ces marches semblent, au premier aspect, ne pouvoir pas se soutenir, tant il y a de légèreté et de hardiesse dans leur construction. La base est soutenue par une enceinte circulaire de /501/ bâtiments destinés au logement des gardiens et à l’emménagement des huiles. La tour, qui aura 60 mètres de hauteur, est déjà arrivée à 48 mètres, et le feu pourra être allumé l’hiver prochain. Ce travail, dans son ensemble et dans ses détails, est fort bien entendu, et tous les voyageurs viennent l’admirer. Il fait le plus grand honneur à l’ingénieur égyptien élevé en France, Mazhar-Effendi, qui le dirige, et sera un nouveau témoignage des efforts que fait le vice-roi pour ramener l’Égypte à son antique splendeur. Il est seulement à regretter qu’on songe à adopter le système vicieux d’éclairage anglais, tandis qu’en Angleterre on commence à lui substituer celui de France, plus avantageux sous tous les rapports. Il faut espérer que Méhémet-Ali, éclairé par l’opinion des personnes instruites, renoncera à cette idée et couronnera un travail si remarquable par l’introduction de la belle découverte de Fresnel.

26. Embarcadère et rail-way du Mahmoudieh. — Tous les produits territoriaux de la Haute et de la Basse-Égypte, destinés à l’exportation, arrivent par eau à Alexandrie et sont renfermés dans de vastes entrepôts pour être expédiés quand l’occasion s’en présentera. Comme le transport par mer de la plupart des céréales n’est pas toujours sans inconvénient à cause de la fermentation occasionnée par le contact prolongé d’une chaleur humide, il arrive que les chargements se font presque tous pendant la saison d’hiver; et, pour satisfaire aux exigences de tous les bâtiments, on est alors obligé d’employer /502/ des masses considérables d’hommes s’élevant par jour de quinze à dix-huit cents, qui transportent le grain dans des paniers, des magasins aux barques, lesquelles vont accoster les navires tenus assez au large dans le port.

L’emploi d’un si grand nombre de travailleurs sur un espace assez resserré amène nécessairement de la confusion dans le travail, de la perte dans les denrées, des lenteurs dans les chargements et quelquefois même des luttes.

Pour obvier à tous ces désavantages, le vice-roi, mettant à profit le zèle de M. Mongel pour tout ce qui peut contribuer aux intérêts généraux, l’a chargé de construire un chemin de fer qui, partant du centre des magasins, vient aboutir à l’extrémité d’un embarcadère assez avancé dans la mer pour que les navires y touchent. Ce chemin de fer a deux rails et une longueur de 300 mètres. Vingt waggons, contenant chacun 30 hectolitres, descendant d’eux-mêmes jusqu’à l’embarcadère, laisseront tomber de leurs trappes dans l’écoulet du navire les grains dont ils auront été chargés dans l’intérieur des magasins; il ne faudra que deux travailleurs pour opérer ce déchargement. Ce chemin doit déjà fonctionner depuis quelque temps. Tout le commerce applaudit à cette nouvelle amélioration qui facilitera beaucoup les mouvements du port et laissera disponibles pour d’autres travaux des bras si mal employés.

Le vice-roi songe à couper le Delta de Kafret-el-Majeur à Mansourah par un chemin de fer. Déjà le /503/ tracé est fait, et une grande partie des rails est arrivée sur les lieux. Malgré ces préparatifs, j’aime encore à croire que ce projet sera abandonné, et qu’on préférera un grand canal dont le creusement et l’entretien seront plus faciles et moins coûteux, et qui aura de plus l’avantage de fournir à l’irrigation des terres adjacentes. L’Égypte est essentiellement propre à la canalisation, tandis que par son terrain, par ses inondations, par le manque complet de la matière première et de l’agent moteur, elle n’est nullement un pays à rail-ways. Préférer les rails aux canaux, c’est rejeter les moyens que la nature nous a mis sous la main pour en demander d’ailleurs, de plus dispendieux, de plus difficiles et de moins surs.