Antoine Barthélémy Clot-Bey
Aperçu général sul l’Égypte

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Chapitre XV.

Monuments et ruines

§ I.

Antiquités.

L’architecture égyptienne eu général. — Obélisques. — Pyramides. — Antiquités d’Alexandrie. — Ruines de Saïs, — de Bubaste, — d’Héliopolis. — Pyramides de Giseh, — Sakkarah et Memphis. — Grottes de Beni-Hassan, — Syout, — Denderah, — Thèbes, — Karnac, — Erment (Hermonthis), — Esneh, — El-Kab, — Edfou, — Gebel Selzeleh, — Koum-Ombu. — Ile de Philæ — Carrières de Syène. — Diverses antiquités.

1. Une grande partie de l’intérêt qui se porte généralement sur l’Égypte est due aux nombreuses ruines que son immense et glorieux passé a léguées à son sol. L’antiquité de ces magnifiques débris, pages énigmatiques, où une érudition nouvelle commence à deviner le mot d’une civilisation qui aima à s’envelopper de mystères; l’antiquité, dis je, de ces dé- /522/ bris en augmente encore la valeur et présente un attrait de plus à la curiosité. On sait que, deux mille ans avant notre ère, la plupart des colossaux monuments qui couvrent l’Égypte étaient déjà construits; on sait que l’Égypte a donné, pour me servir de l’expression de l’illustre Fourier, un caractère sublime à son architecture, dont les proportions grandioses frappent à la fois de stupeur et d’admiration. Le grandiose est leur qualité spéciale; le triomphe des efforts de l’homme sur l’étendue, sur les forces de la matière, est le grand fait qui ressort à leur vue. Certes, ce n’est pas le lieu dans ce livre de parler longuement de ces monuments dont une étude approfondie a suffi à remplir la vie de plusieurs savants et a nécessité de nombreux volumes; mais je ne puis néanmoins passer sous un silence absolu l’un des côtés les plus intéressants de l’Égypte. Pour adapter ce sujet à l’étendue de cet ouvrage, voici donc le plan que je me propose de suivre; je veux, me bornant aux antiquités que l’on rencontre jusqu’à la première cataracte, c’est-à-dire dans l’Égypte proprement dite, indiquer, en remontant depuis Alexandrie jusqu’à l’île de Philæ, les principaux lieux où elles se trouvent. Je pense qu’ainsi conçu ce chapitre pourra être de quelque utilité aux voyageurs et leur servir en quelque sorte de guide.

2. L’architecture égyptienne en général. — On sait que les principaux matériaux dont se servaient les anciens Égyptiens sont le calcaire, le grès rouge, et le granit. On sait aussi dans quelles dimensions /523/ énormes ils employaient les blocs que leur fournissaient leurs carrières, et quelle profusion ils faisaient des monolithes. Ils ont eu des obélisques de cent pied de hauteur, des statues de cinquante-cinq et de soixante et dix pieds de proportion. Peut-être faut-il attribuer à la facilité que leurs moyens mécaniques leur donnaient d’avoir ces grands blocs, l’absence du système des voûtes que l’on remarque dans leur architecture. Leurs plates-formes et leurs plafonds, d’une vaste surface, et formés de ces énormes pièces de pierre, ont pu être établis sans le secours de voûtes, soutenus seulement par de fortes colonnes. Sans doute s’ils n’avaient eu à leur disposition que des matériaux de petites dimensions, et qu’ils eussent voulu néanmoins unir dans leurs édifices la grandeur à la solidité, la nécessité les eut forcés à découvrir et à employer le système des voûtes. Cependant on a reconnu des voûtes à voussoirs dans quelques constructions de la Haute-Égypte, et on a découvert sur les bords du Nil des quais à voûte horizontale, dont la concavité tournée du côté de l’eau oppose une inébranlable résistance à la poussée des terres. Il est donc probable qu’il eût fallu peu d’efforts d’invention aux Égyptiens pour employer la voûte dans leurs constructions. — Du reste, certaines parties de l’architecture égyptienne se ressentent nécessairement de l’absence des voûtes; ainsi les colonnes de l’Égypte, répandues en très grand nombre dans les édifices, présentent un caractère particulier; elles diminuent d’une manière uniforme /524/ de la base au chapiteau; c’est une condition de solidité dont la durée des monuments a prouvé l’importance. Une chose bien remarquable dans ces monuments, c’est l’immense quantité de sculptures et d’ornements dont ils sont surchargés. Ainsi le mur de circonvallation d’un seul de ces temples est décoré de cinquante mille pieds carrés de sculptures symboliques ou religieuses. On est étonné du défaut apparent de symétrie qui se trouve dans la disposition des colonnes: on dirait, à les voir, que les Égyptiens furent privés du sens précieux de la régularité.

Les principaux monuments que l’on rencontre en Égypte sont les temples, les palais, les nécropoles, les obélisques, les pyramides, les colosses, les autels monolithes.

3. Obélisques. — Les obélisques, les plus simples des monuments de l’architecture égyptienne, étaient placés ordinairement sur le front des temples et des palais. Ils n’étaient jamais isolés, mais accouplés, chacun occupant l’un des côtés de l’entrée principale. Ils portaient des inscriptions annonçant la destination de l’édifice auquel ils avaient été annexés; ils en faisaient en quelque sorte l’histoire, car on inscrivait sur leur surface les diverses réparations, les embellissements variés que ces édifices avaient reçus. On tirait ces beaux monolithes des carrières de granit rose de Syène. Leur forme est celle d’un tronc allongé de pyramide quadrangulaire, se terminant en une petite pyramide appelée pyramidion. Les plus anciennes de ces aiguilles aujourd’hui exis- /525/ tantes remontent au dix-neuvième siècle avant notre ère. Un grand nombre d’obélisques ont été transportés dans diverses villes de l’Europe; Auguste en fit venir trois à Rome, et cette ville en contient aujourd’hui quatorze. On en trouve dans plusieurs villes d’Italie. Constantin en plaça à Constantinople. Paris admire sur la place de la Concorde l’un des deux qui figuraient devant le pilône du temple de Louqsor (1).

(1) L’obélisque de la place de la Concorde a été donné à la France par Méhémet-Ali sous la restauration. M. le baron Taylor fui chargé de le demander au vice-roi. M. le baron Taylor, cet homme d’esprit, de science et de goût éclairé, qui a recueilli pour la France de si belles moissons artistiques, ne pouvait manquer de réussir auprès de Méhémet-Ali. L’expédition du Louqsor et les travaux de l’ingénieur, M. Lebas, chargé d’enlever le monolithe, ont occupé, depuis, l’attention publique. M. le baron Taylor venait pour la seconde fois en Égypte, lorsqu’il alla y demander l’obélisque. Il visita ensuite la Syrie. Nous devons à cet heureux vovage deux beaux volumes, où les mœurs, les monuments, les paysages de la Syrie et de l’Égypte sont décrits avec une scrupuleuse exactitude, et reproduits par de magnifiques gravures. Cette publication de M. le baron Taylor est une des plus importantes et des plus précieuses qui aient été faites sur cette partie si intéressante de l’Orient.

4. Pyramides. — On rencontre en Égypte un grand nombre de pyramides; les plus importantes sont celles de Giseh et de Sakkarah. Nous indiquerons, en remontant le Nil, celles que l’on trouve dans le désert à peu de distance du fleuve. On a formé sur ces monuments beaucoup de conjectures. Les masses de ceux de Giseh sont tellement colossales qu’on a été jusqu’à croire qu’ils ne sortaient /526/ pas de la main de l’homme. Sans nous arrêter à cette absurde opinion, nous rappellerons qu’il y a eu beaucoup de controverses sur la destination dos pyramides; quelques-uns ont cru qu’elles étaient des observatoires astronomiques, et ils croyaient trouver un argument en faveur de leur opinion dans l’exactitude avec laquelle leurs quatre faces sont tournées vers les quatre points cardinaux. D’autres ont pensé que c’étaient des temples d’une espèce différente où les prêtres cachaient les mystères les plus profonds de leurs initiations. Un écrivain a prétendu que la grande pyramide n’était qu’un immense réservoir pour les eaux du Nil. Ces hypothèses sont toutes plus ou moins invraisemblables; mais la plus généralement répandue est celle qui veut que les pyramides n’aient été que des tombeaux. On a trouvé, dans quelques-unes de ces pyramides, des sarcophages. — La forme pyramidale a été adoptée parce que c’est la plus solide. Elles sont construites en général en assises de pierre calcaire, et quelques-unes en briques. L’extérieur en était couvert d’un revêtement plus ou moins poli. On a cru que les Égyptiens ont dû, pour élever à de si grandes hauteurs des masses aussi énormes de pierre, posséder des moyens mécaniques qui nous sont demeurés inconnus; mais il n’en est rien. C’est avec le nombre et la force des bras que tout a été fait. Nous voyons dans les peintures et dans les sculptures des temples que les monolithes étaient transportés sur des traîneaux auxquels étaient attelés une immense quantité /527/ d’hommes. Il est probable que, pour porter ces pierres sur le haut des monuments, ils formaient des monticules en plans inclinés sur lesquels ils les faisaient glisser.

Voici comment Hérodote raconte la manière dont fut opéré le revêtement de la plus grande pyramide:

« D’après le procédé employé dans la construction de la pyramide, ses faces représentaient d’abord un escalier en forme de gradins. Quand elle eut été achevée sur ce plan et qu’il fut question de la revêtir, on employa, pour élever successivement les pierres qui devaient servir à ce revêtement, des machines faites en bois et d’une petite dimension. Une de ces machines enlevait la pierre du sol même et la transportait sur le premier rang de gradins. Lorsqu’elle y était parvenue, une autre la portait sur le second, et ainsi de suite, soit qu’il y eût autant de machines que de rangs de gradins, soit que ce fût la même machine qui, facile à déplacer, servit au transport de toutes les pierres; comme l’un et l’autre m’ont été dit, je dois les rapporter. De cette manière, on commença par le revêtement de la partie supérieure, et l’on continua de travailler en descendant pour finir à la partie inférieure qui touche le terrain. »

Lorsqu’on songe à l’origine des pyramides, aux moyens oppresseurs qui ont été employés pour ériger ces monuments de luxe, on ne peut se défendre d’un sentiment d’horreur et de dégoût qui est bien juste, si le récit suivant d’Hérodote est véridique.

/528/ « Chéops fit d’abord fermer les temples et prohiba toute espèce de sacrifices; ensuite il condamna les Égyptiens indistintement à des travaux publics. Les uns furent contraints à tailler des pierres dans les carrières de la chaîne Arabique, et à les traîner jusqu’au Nil; d’autres, à recevoir ces pierres, qui traversaient le fleuve sur des barques, et à les conduire, dans la montagne, du côté de la Libye. Cent mille hommes, relevés tous les trois mois, étaient continuellement occupés à ces travaux; et dix années, pendant lesquelles le peuple ne cessa d’être accablé de fatigues de tout genre, furent employées à faire seulement un chemin pour voiturer les pierres, ouvrage qui ne parait pas inférieur même à l’élévation d’une pyramide. La longueur de cette chaussée était de 5 stades (256 toises), sa largeur de 10 orgyes (56 à 57 pieds), et sa hauteur, dans la position où elle est le plus relevée, de huit orgyes (45 pieds et demi). Elle était recouverte en pierres polies ornées de divers dessins sculptés. Dix années furent donc employées à cette construction et à celle de plusieurs chambres souterraines, ménagées dans la colline où sont élevées les pyramides. Ces souterrains étaient destinés par ce roi à sa sépulture, qu’il avait placée dans une île formée par un canal tiré du fleuve. La construction de la pyramide qui porte son nom coûta vingt autres années de travaux.

» Chéops, pour subvenir à ces dépenses, en vint à de tels excès qu’il exigea que sa fille se prostituât et qu’elle lui procurât de cette manière autant d’ar- /529/ gent qu’elle le pourrait. On ne m’a pas dit quelle somme elle amassa par ce moyen d’après les ordres de son père; mais on m’a assuré que, ayant formé le projet de laisser après elle un monument sous son propre nom, elle avait exigé que chacun de ceux avec qui elle avait eu commerce lui fit don d’une pierre propre à être employée dans les ouvrages qui s’exécutaient alors, et qu’elle avait fait élever avec ces pierres la pyramide qui se trouve au milieu des trois, en face de la grande. Les côtés de cette petite pyramide ont chacun un plètre et demi de long (1). »

(1) Hérodote, Euterpe, cxxiv, cxxvi.

5. Antiquités d’Alexandrie. — Les monuments ou les ruines qu’on voit à Alexandrie sont: la colonne de Pompée, les aiguilles de Cléopâtre, les catacombes et l’hippodrome. La colonne, vulgairement connue sous le nom de colonne de Pompée, est haute de 114 pieds. Le fût est un monolithe de 90 pieds de long sur 9 de diamètre. Cette colonne, surmontée d’un chapiteau d’ordre corinthien d’environ 10 pieds de haut, devrait être justement appelée colonne de Dioclétien; car il parait que c’est cet empereur qui l’a érigée. Elle se trouve à quelques minutes de l’enceinte des Arabes, au sud de la ville, qu’elle domine majestueusement. Elle sert de signal aux vaisseaux qui arrivent.

Les deux aiguilles de Cléopâtre sont des obélisques de trois colonnes de caractères sur chaque face. Les savants ne sont pas fixés sur leur origine; les uns /530/ les attribuent au roi Mœris, d’autres à un successeur de Sésostris. Ces deux monuments n’étaient pas égaux. L’un est encore debout, il a été donné à la France par le vice-roi d’Égypte; l’autre est couché sur le sable. Il appartient aux Anglais. Ils sont d’un seul bloc en granit et longs d’environ 60 pieds de haut sur 7 de diamètre à la base.

Les catacombes, situées à une demi-lieue à l’est de la colonne de Pompée, se composent de vastes salles creusées dans le sol, formant des galeries soutenues de distance en distance par d’énormes piliers. Elles sont remplies de décombres amassés. On n’y pénètre qu’avec peine, et on s’y perdrait si on n’avait la précaution de dérouler un fil qui sert au visiteur à retrouver sa route au milieu de ce labyrinthe sépulcral. Entre les catacombes et Alexandrie se trouvent sur le rivage quelques bains rongés par l’action des eaux, qu’on a pompeusement, et probablement à tort, décorés du nom de bains de Cléopâtre.

C’est aussi près de là que sont les vastes ruines de l’hippodrome.

Le camp de César, situé entre Alexandrie et Aboukir, auprès des ruines de Canope, n’est autre chose qu’une vaste enceinte fermée par un mur en briques à demi ruiné.

6. Ruines de Saïs. — Non loin de Fouah se trouvent, auprès d’un petit village nommé Sa-el-Adjur (Saïs-de-la-Pierre), les ruines de l’ancienne capitale du Delta, Saïs. De vastes circonvallations, contenant /531/ beaucoup de décombres qui entouraient les nécropoles, sont tout ce qui reste de cette ville si fameuse.

7. De Bubaste. — A l’est du Delta, dans la province de Charkyek, se trouve un village (Klell-Bastah) près duquel on a découvert, pendant l’expédition française, les ruines de la ville de Bubaste. Elles apparaissent, à une grande distance, sous l’aspect d’une montagne. Une vaste enceinte, de forme à peu près circulaire, les entoure. Elles se composent d’une multitude de débris et de fragments qui portent presque tous des inscriptions hiéroglyphiques.

8. D’Héliopolis. — Le petit village de Matarieh, au nord du Caire, renferme plusieurs édifices qui ont appartenu à l’ancienne Héliopolis. Les ruines du fameus temple du Soleil, des débris de sphinx et un obélisque monolithe de 68 pieds de long sur 6 de diamètre à sa base, sont les seuls débris que nous ait laissés cette cité renommée.

9. Pyramides de Giseh. — En face du Caire est le petit village de Giseh, qui a donné son nom aux pyramides de l’Égypte les plus fameuses par leur masse. Elles sont au nombre de six, dont trois très-célèbres et trois petites; la plus grande, celle de Cheops, dont nous avons déjà parlé, a, pour hauteur verticale, d’après les mesures exactes prises par la commission d’Égypte, quatre cent vingt-huit pieds (deux fois la hauteur des tours de l’église de Notre-Dame de Paris); la base a sept cent seize pieds de longueur. Son volume total a été évalué à un million quatre cent /532/ quarante-quatre mille six cent soixante-quatre toises cubes, en ne tenant pas compte des vides peu considérables qui existent à l’intérieur. Le sphinx colossal accroupi non loin des pyramides parait avoir servi d’entrée secrète aux galeries souterraines qui communiquaient avec la grande pyramide. Cet énorme monolithe adhère au sol sur lequel il s’élève de quarante pieds de hauteur; sa longueur totale est de cent dix-sept pieds, le contour de la tête au front est de quatre vingt-un pieds; la hauteur, depuis le ventre jusqu’au sommet de la tète, est de cinquante et un pieds. On avait pratiqué une excavation sur sa tête; c’était dans cette partie du colosse que se trouvait l’ouverture par laquelle il communiquait avec la pyramide.

10. Sakkarah et Memphis. — Les tombeaux sans nombre qui sont creusés dans la vaste plaine qui entoure la pyramide constituent l’ancienne nécropole de Memphis. Ils appartiennent à toutes les époques, depuis les temps les plus reculés jusqu’à la dynastie des rois grecs, et aux empereurs romains; on y a enterré des individus de toutes les classes: prêtres, militaires, ouvriers et hommes du peuple. Les pyramides de Sakkarah sont à environ trois lieues de celles de Giseh, on en compte en tout dix-huit de grandeur moyenne, huit construites en pierres calcaires, et quelques-unes en briques. A Sakkarah se trouve l’antique cimetière de Memphis; c’est dans l’enceinte que M. Caviglia a découvert le fameux colosse de Sésostris, qui, sans les jambes, a trente-cinq /533/ pieds de hauteur; il est près d’une autre statue qui est celle qu’Hérodote appelle Vénus étrangère.

Entre les villages de Bedrechein, de Mitraïneh et de Menf, on voit les ruines de Memphis, la seconde résidence des Pharaons; cette ville renfermait des temples magnifiques, mais qui, déjà du temps de Strabon, étaient presque ensevelis dans les sables sous lesquels leurs débris ont disparu aujourd’hui. Au sud de Menf se trouve Daschour, l’ancienne Acanthis, petit village remarquable par ses pyramides. Auprès d’Abousir, qui en est voisin, sont les fameuses catacombes d’oiseaux que la plupart des voyageurs ont mentionnées; elles sont composées de vastes galeries remplies de petites jarres, où sont déposées des momies d’oiseaux.

A une lieue à l’ouest du village d’Elgoutouri, s’élève une pyramide connue sous le nom de el Kaddab; elle se distingue de toutes les autres par sa construction, elle est formée d’un tronc de pyramide qui sert de base à une pyramide conçue dans de plus petites proportions.

On trouve deux autres pyramides dans le Fayoum: l’une, celle d’Ellhaoun, est construite en briques.

11. Grottes de Beni-Hassan. — Ces beaux monuments appartiennent aux seizième et dix-septième dynasties (deux mille ans et plus avant J.-C.). Les belles peintures qui les décorent sont du plus haut intérêt pour l’histoire civile de l’Égypte, et pour les renseignements qu’elles nous fournissent relativement à la caste militaire. Elles ont conservé une /534/ fraîcheur de coloris remarquable. On sait que les Égyptiens n’employaient pas de clair-obscur et de demi-teintes dans leurs peintures; leurs couleurs étaient très-vives, ils les faisaient contraster avec beaucoup d’art.

En remontant vers l’est sur les bords d’un ancien ravin, on rencontre un temple-hypogée, destiné à recevoir les momies des animaux et dont la porte fut sculptée du temps d’Alexandre.

Plus haut est un autre temple appelé par les Arabes Establ-Antar, dédié par le roi Mœris à la déesse Pacht (Bubastis).

12. Syout. — Ce qu’il y reste de plus remarquable, ce sont les grottes creusées dans le roc et appartenant à la plus haute antiquité. Elles se trouvent dans un état de dégradation presque complet. On y remarque des figures de soldats armés, d’après le costume le plus ancien.

13. Denderah (Tenthyris). — On y voit un temple dédié à la déesse Athys. Les plus anciennes sculptures qui le décorent appartiennent au règne de Cléopâtre et de Césarion, et elles se trouvent sur le mur extérieur du fond du temple; tous les autres bas-reliefs se rapportent au temps des empereurs Néron, Tibère, Caligula.

Le petit temple est un Typhonium ou Marmisy (lieu de l’accouchement), sculpté sous le règne d’Antonin et de Trajan.

14. Thèbes (Diospolis). — Côté droit ou d’orient. (Monument appelé Palais de Louqsor). — C’est un grand /535/ temple d’Ammon, bâti et orné de sculptures par plusieurs pharaons de la dynastie dix-huitième, et en dernier lieu par Rhamsès III (Sésostris), qui y ajouta le pylone, les colosses et les obélisques. Le sanctuaire à l’extrémité du monument, vers le Nil, ayant été détruit probablement par les Perses, fut restauré sous le règne d’Alexandre, fils d’Alexandre le Grand.

15. Karnac. — A en juger par l’emplacement de ses vastes ruines, le palais de Karnac est le plus grand monument de l’Égypte, et peut-être du monde. Plusieurs dynasties de rois ont successivement contribué à l’agrandir. Fondé par les premiers rois de la XVIIIe, il reçut ensuite de considérables augmentations de la reine Amensé, qui y éleva deux obélisques, les plus hauts qu’on connaisse et dont l’un reste encore debout à sa place vers le milieu du monument. Après elle, l’édifice de Karnac fut encore agrandi par de nouvelles constructions de son fils Tothmesis IV (Mœris), par Rhamsès II et III, auxquels est dû l’achèvement de la grande salle hypostyle. La première grande cour appartient aux temps de la dynastie XXVIe des Saïtes, et probablement à des époques postérieures; à gauche de cette cour est renfermé un petit temple, bâti par Ménéphtah III, avant-dernier roi de la XVIIIe dynastie; à droite on y a enfermé la partie antérieure d’un monument de Rhamsès VI (Meïamoum), chef de la XIXe dynastie. Sur les côtés extérieurs du mur qui correspond à la salle hypostyle, on remarque les beaux bas-reliefs historiques représentant les conquêtes en Asie de Ménéphtah Ier, ainsi que celles de son fils /536/ Rhamsès III (Sésostris); mais les bas-reliefs de ce dernier sont très-endommagés.

Quatre grands propylées, partant du côté sud du palais de Karnac, vont se diriger sur un grand espace encombré des ruines d’un ancien monument qu’on appelle ruines du Sud.

Tout près du village moderne de Karnac et au sud-ouest du palais se trouve le beau temple dédié par les rois grecs au dieu Chous, fils d’Ammon-Ra et de Math. Une grande porte ou propylée ouvre l’allée de sphinx à tètes de bélier qui joignait autrefois ce temple avec le palais de Louqsor à une distance d’un tiers de lieue.

Côté gauche ou d’occident. Ce côté de Thèbes avait le nom particulier de Memnonia, à cause de la nécropole qui se voit encore, par une quantité innombrable de tombeaux creusés dans la montagne et riches de toute espèce de représentation relative à la vie civile des anciens Égyptiens. Le principal et le plus grand monument au sud-est (celui que les Arabes appellent Médinet-Abou) est un palais du roi Rhamsès IV (Meïamoum); on y représente ses conquêtes en Asie et ses actes solennels de religion. Dans la même enceinte est renfermé un monument de Touthmosis IV (Mœris).

Trois petits temples dédiés à Athys, à Toth, à Isis, subsistent encore sur ce côté de l’ancienne métropole. Vers le milieu de la plaine, on admire les deux colosses de Memnon; celui du nord était célèbre, dans les temps romains, par son chant pré- /537/ tendu. L’existence de ces deux statues colossales marque l’ancien emplacement d’un monument très-vaste qui était le véritable Memnonium mentionné par les écrivains grecs, c’est-à-dire un édifice appartenant au roi Aménophis III, appelé Memnon par les Grecs. Le beau monument, qui est placé plus près de la montagne, un peu plus au nord, et auquel les voyageurs moderne sont donné le nom de Memnonium, n’est à la vérité qu’un ramseseion, c’est-àdire un palais bâti par Rhamsès Sésostris.

En avançant encore vers le nord, on rencontre le palais de Gournah, monument dédié à la mémoire de Ménéphtah Ier par ses enfants Rhamsès II et III.

En s’approchant de ce coté à la montagne libyque, on rencontre au fond d’une vallée, que les Arabes appellent El-Asassif, un monument en partie bâti et en partie creusée dans le roc, appartenant à la famille royale des Touthmosis. Les Ptolémées en ont restauré ensuite les parties inférieures. Au delà de ce point de la montagne correspond la vallée de Biban-el-Molouk, où sont creusés les magnifiques tombeaux des Pharaons XVIII, XIX et XX.

16. Erment (Hermonthis). — Ce temple est dédié à la naissance de Hor-Phree (Horus-Soleil) et à sa mère Trito, femme du dieu Mordon. C’est une allusion à la naissance de Césarion, fils de César et de Cléopàtre.

17. Esneh (Latopolis). — Il y reste le portique d’un grand temple dédié à Amon Chnouphis par /538/ l’empereur Claude, et continué successivement par les autres jusqu’à Adrien.

18. El-Kab (Eileithya). — Il n’y reste plus que les traces de l’ancien temple qui était consacré à la déesse Souan (Eileithya ou Junon-Lucine). Dans la montagne voisine (côte de l’est), plusieurs tombeaux sont creusés, qui appartiennent à une époque très-reculée. Deux surtout sont très-intéressants par leur conservation et par les travaux agricoles qu’on y représente en sculptures peintes et très-soignées.

19. Edfou (Apollinopolis Magna). — Le grand iemple fut fondé par les Ptolémées Epiphanes, Evergète II et Alexandre, et dédié au dieu Har-Hat (le grand Horus Hermès Trismégiste). Le petit temple enfoui est un typhonium, ou, en termes égyptiens, un manmisi, c’est-à-dire la chambre de l’accoudiement, où est né l’enfant du grand dieu du temple.

20. Gébel-Selseleh (Silsilis). — Les stèles, les chapelles, etc., que l’on trouve taillées sur la montagne dite de la Chaîne, du côté d’occident, se rapportent aux époques des Pharaons des dynasties XVIIIe et XIXe. Le temple ou Sféos (taillé dans le roc) est dédié à Phrée, et renferme des tableaux religieux et historiques de plusieurs Pharaons, qui ont fixé des pierres des carrières voisines pour la construction des monuments de Thèbes.

21. Koum-Ombou (Ombôs). — Le grand temple appartient à l’époque de Ptolémée: il offre la singularité d’être double, c’est-à-dire séparé dans le sens de l’axe en deux parties, dont l’une est dédiée au /539/ dieu Aroëris (Apollon), et l’autre à Sévék (Saturne). Les ruines qu’un voit sur le bord extrême du Nil appartiennent à un autre temple qui était dédié à la déesse Athyr.

22. Ile de Philæ. — Le grand temple est dédié à Isis, et c’est un ouvrage des Plolémées achevé par les empereurs romains. Le petit temple qui se trouve à l’angle sud-ouest de la grande cour fut dédié à la déesse Athyr par le roi Nectanèbe de la XXXe dynastie, 270 ans avant Jésus-Christ. Le petit temple non achevé de l’est est une porte isolée sur laquelle on remarque la figure du dieu Imouthyh, l’Esculape égyptien.

Les sculptures qu’on voit sur les blocs qui bordent le chemin de Philæ à Assouan appartiennent à toutes les époques pharaoniques. A Éléphantine (Geziret-Assouan), que Denon appelait le jardin du tropique, on ne remarque plus que quelques fragments de l’ancien temple de Chnouphis. qui existait encore du temps de l’expédition française.

23. Carrières de Syène. — Les carrières de granit de Syène, que les anciens exploitaient, occupent un développement de plus de six mille mètres. Leur aspect est très-curieux. Le granit y est coupé à pic: chaque bloc un peu grand est tracé sur quelqu’une de ses laces; on aperçoit les entailles des outils, les trous pratiqués pour placer les coins. En voyant ces cassures toutes fraîches, on croirait que les travaux ont été suspendus tout à coup comme par enchantement.

/540/ Les restes les plus intéressants que l’on trouve dans ces carrières sont un obélisque de dimensions à peu près égales à celui de Louqsor, et la matrice, encore bien conservée, de la statue colossale d’Osymandias.

24. Diverses antiquités. — Nous venons de parler des antiquités qui sont érigées sur le sol, disons un mot de celles que l’on trouve ensevelies dans la terre, et que le hasard ou des fouilles font découvrir.

Le sol de l’Égypte s’est exhaussé depuis l’antiquité; beaucoup d’anciens monuments ont été recouverts en totalité ou en partie par les sables, ou par des débris de construction qui ont été amoncelés sur eux. On conçoit donc qu’en exécutant des fouilles on doive découvrir les restes de ces édifices enfouis. On trouve quelquefois à des profondeurs considérables des blocs de grès, de calcaire, de basalte, de formes diverses, revêtus ou non de sculptures: c’est ce qui est arrivé très-souvent, pendant ces dernières années surtout, et dans toutes les parties de l’Égypte. On dirait qu’il n’est pas un seul point de cette contrée sur lequel les siècles n’aient pas laissé leurs couches de ruines.

Mais au milieu de ces fragments de fortes dimensions, on recueille en grande quantité de petits objets de toute sorte, dont les Égyptiens se servaient pour leurs usages domestiques ou autres. Ainsi on trouve souvent des amulettes en bois, en terre cuite, en pierre dure, en grès, en pierres précieuses, en bronze, en or, en argent, en potin, etc., que les /541/ Égyptiens attachaient avec beaucoup de soin à leurs momies. Elles représentent des figurines d’hommes, d’animaux consacrés, de divinités, etc.

On voit aussi des monnaies, mais de dates moins anciennes, car il paraît que les Égyptiens ne firent pas primitivement usage de la circulation du numéraire.

Ces petites pièces sont en potin, en verre, en argent, en or, en cuivre. Ces monnaies remontent en général aux époques des Perses, des Macédoniens, des Ptolémées, des Romains, etc. On trouve une assez grande quantité d’anneaux en terre, en cuivre, en or, dont quelques-uns sont garnis de pierres précieuses taillées en scarabées, ou de toute autre figure hiéroglyphique. Il y a également des pierres précieuses plus ou moins bien gravées, des camées, etc.

Les nécropoles renferment des vases tumulaires, ordinairement en albâtre oriental; quelques-uns pourtant sont en grès, en basalte, en terre cuite, en cuivre. Leurs formes sont quelquefois très-élégantes, et beaucoup sont recouverts d’hiéroglyphes. Les antiquaires recueillent encore un grand nombre de petits objets appartenant aux arts, à la peinture, à l’écriture, à la sculpture: des papyrus, des colliers en pierre, en verre, en corail, en or, des ouvrages en émail. On remarque des armes, des lances, des javelots, des couteaux à sacrifice. Tous ces instruments tranchants sont en bronze; il n’est pas prouvé que les Égyptiens aient connu le fer.

On trouve également des objets en bois, tels que /542/ des chaises, des lits, de petites caisses, des nécessaires de différentes sortes.

Les moissons des antiquaires sont bien moins fécondes aujourd’hui qu’autrefois. Depuis qu’il a été permis de visiter toute l’Égypte en pleine sécurité, les voyageurs qui l’ont parcourue ont montré une telle avidité à emporter ses antiques dépouilles, que le vice-roi a dû empêcher les exportations désordonnées d’antiquités, et se montrer réservé pour accorder l’autorisation de l’aire des fouilles.

Je ne terminerai pas sans former le vœu de voir le vice-roi élever en Égypte un musée d’antiquités, où l’on puisse recueillir avec soin et méthode tous les trésors d’archéologie qu’elle renferme.


§ II.

Monuments arabes.

Architecture arabe. — Mosquées Amrou, — Touloun, — El-Azhar, — El-Barkauk, — Kalaoum, — Hassan. — El-Mouaïed, — Kaïtbaï. — Minarets. — Tombeaux.

25. Architecture arabe. — L’architecture arabe date de l’établissement de l’islamisme, c’est-à-dire vers le septième siècle de notre ère, à l’époque où les traditions de l’art ancien se perdaient dans le monde nouveau; soumise aux dogmes d’une religion sévère, elle dut rompre avec le passé et se créer un type qui n’empruntât rien au culte des images.

/543/ Brillante tour à tour par la grandeur, la hardiesse et la grâce de ses monuments, la délicatesse et l’exubérante richesse de ses détails, elle est encore aujourd’hui l’ornement de l’Afrique, de Byzance et de l’Espagne, et partout elle a laissé une haute idée de la grandeur et de la puissance du peuple arabe.

Chez toutes les nations, les premiers monuments des arts furent élevés en l’honneur de la Divinité; il devait en être ainsi surtout chez un peuple nomade, poète et guerrier; Mahomet aide à la reconstruction de la Caaba, élève une mosquée appelée le Coran à Coba, à deux milles de Médine, et jette les fondements de plusieurs autres mosquées en déterminant la Kibla ou la direction vers la Mecque, et l’Ézan ou appel à la prière. Mais ce n’est que sous le califat d’Omar, qui s’empare de Damas, fonde Bassora à l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate, se rend maître d’Ermesse, Laodicée, Alep, Antioche, Naplouze, Jaffa, Jérusalem, et de Madaïn, capitale de la Perse, que l’an 20 de l’hégire Amrou-ben-el-As, son lieutenant, fait la conquête d’Égypte, et érige, à l’endroit même où campent ses troupes, une mosquée remarquable par sa grandeur et sa beauté (1). Depuis, sous le règne des califes, l’architecture arabe prit un grand développement et parvint à ce degré de perfection qui, sous le rapport de l’art et de la science, cause aujourd’hui encore notre admiration.

(1) Cet endroit prit le nom d’une ville, Mesr ou Égypte, appelé improprement de nos jours le Vieux-Caire.

/544/ Le Caire, ville tout arabe, conserve de précieux souvenirs des califes abassides, fatimites, Mamelouks et circassiens; la piété des citoyens riches est venue se joindre à la munificence des princes pour l’embellir d’édifices consacrés à la gloire de Dieu et à l’utilité publique.

D’innombrables et riches mosquées, des bains, des caravansérais, des collèges, des fontaines, des tombeaux et des portes monumentales décorent cette ville qui n’a conservé que les ruines des palais des califes aïoubites. Le canal Chalidj-el-Nazen, qui la traverse dans toute sa longueur (1), est bordé, hors du Caire, de frais et riants casins qui servent de corollaire aux délicieuses habitations des riches, et complètent ce brillant tableau.

(1) Le sultan Melek-el-Naser-Mohammed, fils de Kaloun, le fit construire l’an 72 de l’hégire.

Les monuments les plus remarquables du Caire sont: les mosquées Amrou, Touloun, el-Azhar, Barkauk, Kalaoun, el-Mouaïed, Kaïtbaï, Mir-Akhor et d’Ibrahim-Aga; les tombeaux construits par les califes fatimites et ayoubites au nord-est de la ville, et, du côté opposé, ceux des enfants et parents de Méhémet-Ali-Pacha, dans le cimetière de l’Iman; les portes de la ville dont les plus belles sont: celles de Bab-el-Nazer (Porte de Secours) et Bab-el-Touloun (Porte de la Victoire); la citadelle et son puits; l’abreuvoir du quartier el-Souhar, la fontaine, ou sébil de la place Ouk-el-asr, les bains publics Zambalies, près Bab-el-Cherich, et l’okel Zon-l’-Fikar.

/345/ Le caractère hospitalier des Arabes se montre dans leurs monuments comme dans leurs dotations pour les édifices d’utilité publique; les mosquées, les caravansérais et les maisons même des particuliers ont des logements réservés pour les voyageurs et les étrangers.

Sous le rapport du style, les monuments arabes sont très-variés et d’une originalité remarquable. Si nous jetons un coup d’œil sur les mosquées, nous verrons qu’avec des dispositions analogues dans l’ensemble de l’édifice, pas une ne se ressemble.

26. Mosquée Amrou (fondée l’an 21 de l’hégire). — Nous avons dit que la première mosquée bâtie l’an 21 de l’hégire par Amrou, est située à l’est du vieux Caire et au centre des ruines de l’ancienne Fostat. La simplicité de son plan et de sa décoration indique la naissance des arts chez un peuple nomade; outre le nom de son fondateur Amrou-ben-el-as, elle portait encore ceux de la Vieille Mosquée et de la Couronne des Mosquées. Le sanctuaire a six rangs de colonnes ou nefs, où l’on voit la niche, la chaire, la tribune et les pupitres: les portiques latéraux sont moins larges; au milieu de la cour carrée, qui a quatre-vingts mètres de côté, se trouve la fontaine des ablutions; en avant de l’enceinte destinée à la prière, il y avait autrefois une autre cour ayant des deux côtés des bâtiments destinés aux bains, aux latrines, à une fontaine, sebil, à un abreuvoir et à un otel ou oukaïl, bâtiment destiné à recevoir les voyageurs.

/546/ L’ensemble général du plan est d’une grandeur imposante, et en même temps d’une simplicité remarquable. Les colonnes qui forment ces portiques sont au nombre de deux cent cinquante, elles sont toutes d’un seul morceau et de marbres différents; à l’exception de quinze cents lampes suspendues aux tirants en bois entre les colonnes, les pupitres, la chaire et la niche, on ne trouve dans cette mosquée aucun ornement ni peinture qui puisse donner la plus faible idée du goût des Arabes dans les arts.

En ce moment, la mosquée d’ Amrou est presque abandonnée, plusieurs parties tombent en ruines faute d’entretien.

Lorsque la crue du Nil est tardive et qu’une disette est à craindre pour l’année prochaine, il est d’usage que le chef du gouverment invite les ulémas, les cheiks, les rabbins, les prêtres cophtes, grecs et catholiques, à se rendre à la mosquée d’Amrou, avec leurs coreligionnaires: chaque secte alors se réunit en groupe hors de l’enceinte de la mosquée pour implorer le secours du ciel, obtenir une bonne inondation et conjurer ainsi les malheurs qui menacent le pays.

Cette cérémonie se fait avec beaucoup d’ordre et de dévotion. Toutes les confessions se témoignent une déférence mutuelle et se conduisent comme si elles ne formaient qu’une seule famille.

27. Mosquée Touloun. — La mosquée Touloun fut bàtie en 265 de l’hégire (876 de Jésus-Christ), par /547/ Ahmed-ben-Touloun, qui gouvernait l’Égypte pour son propre compte, tout en reconnaissant le calife Mo’tamed pour son seigneur suzerain.

Cette mosquée est située au sud-ouest, dans la ville du Caire, au quartier des Mohgrebins. C’est une grande cour carrée de 90 mètres de côté, entourée de portiques à arcades; trois côtés de la cour sont à deux rangs de nefs. Celui du sanctuaire en a cinq. La construction n’a rien emprunté des monuments antiques comme cela a lieu pour les colonnes de marbre qui supportent les arcades et les plafonds de la mosquée Amrou. Celle de Touloun est entourée d’une double enceinte pour éloigner le lieu de la prière du bruit du dehors. Toute la construction est en briques recouvertes d’un fort enduit; les ornements et les moulures sont en stuc.

Cetle mosquée a été construit d’un seul jet; aussi croit-on y apercevoir l’architecture arabe dans toute sa pureté, exempte de cette multitude de détails inutiles, de colonnes disproportionnées et de contre-forts.

Cet édifice, ainsi que la mosquée Amrou et la mosquée el-Azhar, peut être considéré comme le type de l’architeclure arabe en Égypte pendant la première époque.

28. Mosquée el-Azhar. — La mosquée el-Azhar, ou mosquée brillante, est située au nord-est, dans la ville même du Caire. C’est la plus ancienne de cette partie de la capitale de l’Égypte, puisqu’elle a été fondée par Djanhar Kaïd, général des ar- /548/ mées du calife Moezz le Dinillah, en 359 de l’hégire (981 de Jésus-Christ). Elle fut entièrement terminée et ornée d’une inscription qui indique la date et le nom du fondateur en 361.

On voit, dans le plan de cette mosquée, une grande cour entourée de portiques dont la disposition est, à peu de chose près, semblable à celle de la mosquée d’Amrou. Le sanctuaire est composé de neuf rangs de nefs ou travées, où plus de douze cents lampes sont suspendues. Cet édifice, soutenu par trois cent quatre-vingts colonnes en marbre, en porphyre et en granit, avec des bases et des chapiteaux enlevés aux anciennes basiliques, est destiné à recevoir non-seulement un grand concours de monde pour la prière, mais il sert encore de collège aux gens du pays ainsi qu’aux étrangers qui s’y rendent pour se perfectionner dans la théologie et la jurisprudence mahométanes.

Dès le commencement de sa fondation, le collège de cette mosquée acquit une grande célébrité par le concours des savants qui y enseignaient la théologie et le droit. Ce collège fut établi par le calife Aziz-Billah sur la proposition de son vizir Abou-l-faradj-Jakoub, en 378 de l’hégire.

Les portiques à droite et à gauche ont été convertis en salles par des divisions de grilles et de cloisons en bois. On y a ajouté plusieurs autres pièces; elles forment autant de classes séparées pour les étudiants.

Chacune de ces salles contient des armoires où /549/ sont renfermés les manuscrits. Chaque salle a un ou plusieurs cheiks pour la direction des élèves, qui sont en grand nombre.

Cet établissement sert encore d’asile aux musulmans pauvres ou étrangers, et aux derviches qui y passent tranquillement la nuit, blottis sur des nattes étendues sur le pavé.

La mosquée el-Azhar ressemble à une grande hôtellerie; car, outre les lieux destinés à la prière, il y a, comme nous l’avons déjà dit, plusieurs endroits où les savants enseignent le Coran, les traditions et la loi.

On trouve dans l’intérieur de cet édifice des quartiers rouags, où peuvent loger les étrangers qui y arrivent de Syrie, de la Perse, de l’Arabie, des provinces de l’empire ottoman, de l’Afrique occidentale, etc., etc. Chaque nation a son rouag; mais ces lieux ne sont destinés que pour ceux qui y viennent dans le but de s’instruire; aussi la lecture est la seule occupation de ces hôtes.

Chaque rouag a son nazir ou inspecteur qui dépend du directeur principal. On distribue tous les deux jours 38 quintaux de pain, ainsi qu’une certaine quantité d’huile pour l’éclairage; à la fin de chaque mois, on pourvoit aux besoins de ces étudiants par une légère indemnité en numéraire.

L’entretien de cette mosquée et de ses dépendances se monte à 1,260 bourses (630,000 piastres de 40 paras) par année. Une partie de cette somme est payée par le gouvernement sur les produits de /550/ Rizaqs; une autre provient du revenu des immeubles légués à l’entretien de la mosquée. Chaque mosquée possède plus ou moins de ces legs pieux nommés ouaqfs.

La foule est continuelle dans cet utile établissement autour duquel on a pratiqué un grand nombre d’issues pour faciliter l’entrée et la sortie.

29. Mosquée Barkauk. — La mosquée Barkauk, située hors de la ville, au nord-est de Gebel-el-Giouchyy, fut bâtie par le calife Barkauk, l’an 327 de l’hégire (1149 de Jésus-Christ). Sa construction est en pierres de taille et dans une parfaite conservation.

La mosquée proprement dite est flanquée de deux édifices carrés, surmontés d’un dôme et servant de tombeau. L’un est celui du calife Barkauk, l’autre de sa famille. Cet édifice, de forme carrée, comprend, indépendamment de la mosquée, des logements d’été et d’hiver pour les étrangers, trois logements complets pour les cheiks de la mosquée ou pour quelques dignitaires.

Outre les deux dômes qui sont sur les tombeaux de la mosquée, nous ferons observer qu’il y a non loin de là d’autres tombeaux construits et ornés de la même manière. La construction de tous ces tombeaux porte le caractère de la bonne époque d’architecture chez les Arabes. Elles est exécutée avec beaucoup de recherche et de savoir.

L’appareil des claveaux découpés est un jeu de la science. L’art n’a pas moins déployé de recherche et de goût dans les ornements tant intérieurs qu’ex- /551/ térieurs qui décorent les dômes bâtis en pierre. Ce qu’il y a de remarquable dans l’intérieur, c’est la chaire à prêcher; elle est d’un goût et d’un travail exquis.

30. Mosquée Kalaoum. — L’avènement de Kalooum au trône, en 682 de l’hégire, et la succession de sa famille furent pour le Caire une époque féconde en plus beaux et plus grands monuments. Mais c’est surtout le goût de son fils Melec-en-Nacer pour les constructions qui lui imprima une grande impulsion. Il semblait, disent les historiens, qu’on eût fait proclamer l’ordre de bâtir: émirs, gens de guerre, commis de bureaux, simples habitants, à Mers (Fostat) et au Caire, construisaient à l’envi.

L’édifice appelé le grand moristan de Mansour est un hôpital où se trouvent réunis la mosquée, le tombeau et tous les accessoires qui accompagnent ordinairement les établissements de ce genre. Il fut construit en 683 de l’hégire, par Melec-el-Mansour-Kalaoum, qui, s’étant trouvé, quelques années auparavant, malade en Syrie, et ayant été guéri à la suite des soins reçus dans le moristan de Damas, fit vœu d’en construire un pareil en Égypte. Il existait déjà dans le vieux Caire un moristan construit par Ahmed-ben-Touloun, ainsi que deux autres petits hôpitaux, el-Akhehidi et el-Moafir. Kalaoum fit construire le sien sur une plus grande échelle, et cet hôpital était distingué des autres par le nom de grand hôpital.

Il est situé au nord-est de la ville du Caire, et /552/ est destiné aux malades et aux aliénés des deux sexes.

31. Mosquée Hassan. — La dynastie des Mamelouks, parmi lesquels on cite les sultans Hassan, Mouaïed et Kaïtbaï, dotèrent aussi le Caire de quelques édifices remarquables.

La mosquée Hassan, sur la grande place de Roumeyleh, a été construite par Melec-el-Naser-Abou-el-Maali-Hassan-ben-Mohammed-ben-Kalaoum. Elle fut commencée en 757 de l’hégire et terminée en trois années entières jour pour jour. Makrizi raconte que la dépense de chaque jour de construction s’élevait à 20,000 drachmes d’argent. Le Caire doit à ce sultan un des plus beaux et des plus grands monuments qu’il renferme.

L’ensemble général du plan offre un aspect qui indique que l’art est arrivé au dernier point de perfection. Ce plan est un motif de la croix grecque; les salles sont voûtées sur chacun des côtés de la cour; dans celle du sud-est se trouve le sanctuaire, dont la voûte a 21 mètres dans œuvre; les trois autres salles ou nefs étaient destinées pour le peuple.

La grande nef, celle qui suit le sanctuaire, était destinée au souverain. C’était devant la niche, qui est au fond, qu’il faisait la prière, ou que, monté sur la chaire, il prêchait ou proclamait quelques édits.

Au milieu de la cour est la fontaine des ablutions, d’une composition peu commune: une sphère du diamètre de huit mètres, et supportée par des co- /553/ lonnes, représente le monde: elle est surmontée d’un croissant; elle est peinte en bleu. Autour de cette sphère on a représenté une large zone, sur laquelle on lit une inscription arabe en lettres d’or.

32. Mosquée el-Mouaïed. — La mosquée de el-Mouaïed, située au centre de la ville du Caire, sur le bazar el-Soukarieh, fut construite en 818 de l’hégire (1415 de J.-C.), par le sultan Mamelouk el-Melec-el-Mouaïed-Abou-el-Mahmoudi, de la famille des Daherites, sur l’emplacement occupé par un bâtiment nommé khazanet chamail, où l’on renfermait les criminels. La raison de ce choix était celle-ci: l’émir Meutach ayant vaincu les Mamelouks, enferma el-Melec-el-Mouaïed dans le khazanet chamail. Celui-ci fit vœu de construire sur le lieu même de ses souffrances une mosquée, si Dieu le délivrait. La fortune s’étant déclarée contre ses adversaires, Melec-el-Mouaïed acquitta avec éclat les vœux faits en prison.

Le plan présente une grande cour carrée entourée de portiques à colonnes surmontées d’arcades à ogives. Trois de ces portiques sont à double rang; le quatrième côté en a trois servant de nefs et formant le sanctuaire ou la mosquée proprement dite, à droite et à gauche de laquelle sont des tombeaux, disposition à peu près semblable à celle de la mosquée Barkauk.

La décoration de la mosquée est d’une grande richesse. Les plafonds en compartiments forment divers caissons ornés, peints et dorés. Le sanctuaire /554/ donne une grande idée de la magnificence de la décoration intérieure des édifices publics: on voit que non-seulement ils étaient destinés au service que les gardiens pouvaient remplir dans cet endroit, mais qu’ils étaient eux-mêmes comme autant d’édifices où les sultans ou leurs émirs dormaient et recevaient des étrangers.

Cette disposition, pour les rapports des princes avec le peuple, est très-ancienne dans tout l’Orient, et les mots portes ou seuils correspondent à ceux de tribunal, trône et autorité suprême.

33. Mosquée Kaïtbaï. — La mosquée de Kaïtbaï est, sans contredit, le plus gracieux monument qu’il soit possible de voir. Son ensemble est complet. La porte d’entrée, le dôme et le minaret sont d’une proportion agréable dans les formes, d’une recherche exquise dans les ornements et d’une étude soignée dans la construction, qualités rarement réunies dans les édifices arabes.

Malgré la petitesse de cette mosquée, on doit la regarder comme le monument le plus parfait du Caire.

Cette mosquée, construite l’an 870 de l’hégire (1463 de J.-C.), est située à l’est de la ville et hors des murs; elle est entièrement construite en pierres par assises réglées. Le dôme est couvert d’un ingénieux compartiment sculpté dans la pierre. En un mot, cette mosquée peut être regardée comme le type le plus élégant de l’architecture arabe du XVe siècle de notre ère.

/555/ 34. Minarets. — Les minarets sont aux mosquées ce que les clochers sont à nos églises. Ces espèces de colonnes ou de tours ont plusieurs rangs de galeries, qui servent à appeler à la prière cinq fois dans les vingt-quatre heures. La place du minaret ne paraît pas avoir été fixée invariablement; cependant il est toujours placé de manière que la voix ne rencontre point d’obstacles; c’est pourquoi on les trouve le plus souvent aux angles des mosquées.

Les minarets sont illuminés les jours de fête. Indépendamment de la variété dans la forme et des ornements de ces parties de mosquées, la construction n’en est pas moins intéressante en ce sens qu’elle joint beaucoup d’élégance à la solidité.

Les plus intéressants que l’on voit au Caire sont ceux des mosquées Hassan, Ghouryh, Kalaoum, Mouaïed, Azhar, Barkauk, Touloun, Kaïtbaï, et autres. De quatre cents mosquées que renferme le Caire, plusieurs sont abandonnées parce qu’elles manquent de fonds nécessaires à leur entretien.

35. Tombeaux. — Les tombeaux au nord-est de la ville du Caire, construits avec luxe par les califes fatimites et aïoubites, sont remarquables par l’élégance de leurs dômes et leur solide construction en pierre calcaire par assises réglées. Quelques-uns ont aussi leurs mosquées adhérentes, où de sveltes minarets se groupent avec les dômes. Depuis bien des années, ces tombeaux ne sont plus entretenus et sont peu fréquentés par les vrais croyants.

Dans le cimetière de l’Imam, au sud de la ville du /556/ Caire, on trouve un long bâtiment construit sous la dynastie des Mamelouks, près le grand dôme de l’Imam Chafei. Dans ce bâtiment, Méhémet-Ali-Pacha, vice-roi d’Égypte, a élevé un tombeau à son fils Toussoun-Pacha, mort de la peste au retour de son expédition de Hedjaz (Arabie déserte), et plusieurs tombeaux à d’autres membres de sa famille, morts depuis qu’il gouverne l’Égypte.