La Chanson de Sainte Foi d’Agen

Introduction

/XI/

II. – Le fragment publié par Fauchet.

La Chanson provençale consacrée à sainte Foi d’Agen, qui fait l’objet de la présente édition, a été signalée pour la première fois par Claude Fauchet dans son livre intitulé: Recueil de l’origine de la langue et poésie française, ryme et romans (Paris, 1581)1. Le célèbre érudit l’a fait en ces termes, que je reproduis scrupuleusement:

Ie passe bien plus outre, & dy qu’il y a grande apparence, que nos François ont monstré aux autres nations d’Europe l’vſage de la ryme consonāte ou omioteleute, ainſi que voudrez. Ce que ie penſe prouuer par deux couples tirées d’vn liure eſcrit à la main, il n’y a guieres moins de cinq cens ans, lequel ledit ſieur Pithou m’a preſté, contenant la vie de ſainte Fides d’Agen 2.

Suivent les vers 14-33 de notre texte. Fauchet ajoute:

I’estime que ce langage eſt vieil Espagnol, pour le moins Cathalan, par le vers Que fo de razon eſpaneſca...

Le fragment cité par Fauchet a été réédité, en 1817, par Raynouard, qui l’a « arrangé grammaticalement et accompagné d’une traduction »3.

Voici, en face l’un de l’autre, les textes de Fauchet et de Raynouard, dont la comparaison est instructive4.

/XII/

Texte de Fauchet (1581). Texte de Raynouard (1817).

Canczon audi qes bellantreſca

que fo de razo1 eſpaneſca

non fo de paraulla grezeſca

ne de lengua ſerrazineſca

dolz eſuans2 eſ plus que breſca

e plus que nuls piments qom mesca

qui ben la diz a lei franceſca

cuig men qe ſoſ granz proſ lencreſca

eqe neſt ſegle len pareſca:

Canczon audi q’es bell’antresca,

Que fo de razo espanesca;

Non fo de paraula grezesca

Ne de lengua serrazinesca

Dolz’e suaus es plus que bresca

E plus que nuls piments q’omm esca.

Qui ben la diz a lei francesca,

Cuig m’en qe sos granz pros l’en cresca,

E q’en est segle l’en paresca.

Tota baſconnet aragons

el encontrada dels gaſcons

ſaben qual ſes aqiſt canczons

eſſes ben vera ſta razons

eu laudi legir a clerczons

e agramadis a molt bons

ſi qo no moſtral paſſions

enque om ligeſtas leiczons

e ſi vos plaz eſt noſtre ſons

aiſi cōl guidal primers tons

eu la vos cantarei en dons.

Tota Basconn’ et Aragons

E l’encontrada dels Gascons

Saben quals es aqist canczons,

E s’es ben vera sta razons.

Eu l’audi legir a clerczons,

E agramadis a molt bons

Si qon o mostra’l passions

En que om lig eſtas leiczons:

E si vos plaz est nostre sons,

Aissi col guida’l primers tons,

Nella trascr. da Reynouard: En la vos... Eu la vos cantarei en dons.

En 1655, dans la Bibliothèque qu’il a placée en tête de son Trésor de recherches3, Pierre Borel cite, sous la lettre F, la Vie de S. Fides d’Agen. Il ne connaît que le fragment publié par Fauchet, dont il reproduit, peu exactement, en les traduisant au petit bonheur, les trois premiers vers dans son Tresor, à l’article bresca (cf. aussi l’art. antresca).

Le P. Le Long ne mentionne pas ce fragment dans sa Bibl. hist. de la France, publiée en 1719; mais il en connut peu après l’existence par les papiers de Falconet, et en fit l’objet d’une courte note supplémentaire, imprimée seulement en 1786 dans la nouvelle édition de la Bibl. hist. que donna Fevret de Fontette, t. I, p. 286: l’œuvre y est datée de 1080.

/XIII/ Dom Rivet a utilisé directement Fauchet (qu’il appelle Faucher) dans le t. VII de l’Hist. litt. de la France, paru en 1746, p. lx de l’Introduction. Voici, sans commentaire, ce qu’il a écrit sur ce sujet:

La vie de sainte Foi, Vierge et Martyre d’Agen, que Pierre Pithou avoit communiquée au Président Faucher, paroit être de la même date1. C’est ce que montrent et la grossièreté des vers Gascons et limousins, qui sont le genre de Poésie dans lequel elle est écrite, et l’antiquité du manuscrit, qui en 1581 n’avoit gueres moins de cinq cents ans, au juge­ment des connoisseurs. Faucher copie un assez long fragment de cette vie.

J’ai parlé de Raynouard. Avec lui, le fragment sur sainte Foi a vraiment été incorporé dans l’histoire de la littérature provençale; par suite la mention s’en trouve, naturellement, dans Milá y Fontanals2, dans Bartsch3 dans Chabaneau4, dans Stimming5, etc.6.

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[Note a pag. XI]

1. Ce livre a été réimprimé dans Les œvvres de fev M. Clavde Favchet (Paris, 1610), avec titre spécial, mais foliotation de 533 à 590. Torna al testo ↑

2. Édition de 1581, p. 67. Torna al testo ↑

3. Choix des poésies orig. des troub., II, 144-5; cf. ibid., p. cxlvi: « La perte de ce manuscrit est à regretter; on verra dans les deux cou­plets que j’ai arrangés grammaticalement, sans me permettre de chan­ger une seule lettre, que les règles de la grammaire ont été connues de l’auteur, surtout celle qui distingue les sujets et les régimes ». – Arrangement et traduction ont passé dans le luxueux volume publié à Rodez, en 1900, par les abbés A. Bouillet et Servières: Sainte Foy vierge et martyre, p. 739. Torna al testo ↑

4. Dans celui de Fauchet, je signale, en les imprimant en italique, les mots qui ont été mal lus (il serait oiseux de relever les mauvaises coupures); dans celui de Raynouard, je fais de même pour les cas où l’« arrangement grammatical » est erroné ou insuffisant. Torna al testo ↑

[Note a pag. XII]

1. Le manuscrit porte effectivement razo, quoique Fauchet ait imprimé plus loin razon en citant ce vers, et que l’édition de 1610 donne razon. Torna al testo ↑

2. Note marginale: « Ce mot signifie nel testo: & fuauis & ſuauis ». Torna al testo ↑

3. Réimprimé avec additions d’auteurs postérieurs, en 1750, dans le t. II de l’édition, donnée par A. F. Jault, du Dict. étym. de Ménage, avec titre et pagination distincte. Torna al testo ↑

[Note a pag. XIII]

1. Que « l’histoire de la seconde Translation de S. Thibauld de Provins», rédigée peu après l’événement, qui eut lieu en 1078. Torna al testo ↑

2. Trovadores en Espana (1861), p. 61. Torna al testo ↑

3. Grundriss (1872), p. 8. Torna al testo ↑

4. Biogr. des troubadours (1885), p. 181 (extrait de l’Hist. de Languedoc, éd. Privat, t. X, p. 388). Torna al testo ↑

5. Voir Gröber, Grundriss der roman. Phil., t. II, 2e partie (1893), Torna al testo ↑

6. Il faut mentionner, pour être complet, une brochure de 15 pages due à L.-J. Hubaud, publiée à Marseille en 1858, sous ce titre vague: Essai d’interprétation d’un fragment en langue romane provençale. Malheureusement, l’auteur n’étant pas préparé à la tâche qu’il assumait, cette brochure n’offre qu’un mince intérêt. Torna al testo ↑