Massaja
Lettere

Vol. 1

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Al barone C. du Havelt
procuratore di M. a Parigi – Parigi

F. 24rTrès aimé Baron

Khartum 8 Novembre 1851

Après plusieurs voyages pendant lesquels je n’ai pû vous écrire, je veux profiter d’un moment de repos pour m’entretenir avec un ami si cher, ne fusse que pour l’assurer de ma gratitude avant de passer en des Contrées Sauvages où je n’avais plus la facilité de faire parvenir mes lettres.

Je ne vous dirai rien de nos précédentes affaires; parce que depuis mon départ du Caire je suis reste sequestré du monde et aucune lettre ne m’est parvenue. Je désire savoir quelle impression ont produite les mémoires de notre ami Faugère, et si quelqu’un après lui s’est immagine d’écrire sur un sujet aussi intéressant, propre à émouvoir le public.

J’ai établi M. Fathalla Mardrus mon Correspondant au Caire. C’est un jeune de mérite, estimé de tous les gens honorables. Il recevra d’ici à peu de temps quelques morceaux de mon journal qu’il joindra à cette lettre, afin que vous ayez quelque chose à faire lire à notre ami Faugère et à nos autres amis dans le Ministère.

Si cela leur plait et qu’ils en veulent davantage ils pourront s’adresser au Père Venanzio de Turin G.al des Capucins, auquel j’adresse tout mon journal qui a déjà 360 pages grand in octavo, compris le seul voyage de Caire à Kartum et j’expédirai la continuation à mesure que j’écrirai. Avant mon départ d’Europe j’avais laissé sept entiers cahiers contenant le tiers de mon voyage. A mesure que j’aurai le temps je continuerai celui-ci et l’autre puis j’adresserai le tout au mème qui sur ma prière voudra bien intéresser le /344/ Gouvernement de la République et les expédier quand on lui en montrera le désir.

En partant du Caire le Consul General m’a donne un Firman du Pacha [f. 24v] Bartorelli. Je ne l’ai pas fait voir dans le courant de mon voyage que voulais faire sous les apparences de la pauvreté. Ici j’ai été obligé de le montrer, alors le Gouvernement m’a témoigné plus d’égards que je n’en aurais voulu: il m’invita plusieurs fois à diner et me fit une foule de confidences qui m’ont servi pour mon journal et qui venaient à l’appui de ce que j’avais dit sur la propagande Musulmane.

Un Anglais arriva à la fin d’octobre à Kartum, c’était Guillaume Piel, fils cadet du Ministre Robert Piel. Il recut de grands honneurs du Gouvernement auxquels je n’eus point de part. Le but de ce voyage était d’aller à Fourfnans mais il y trouvera de grands obstacles. Le Roi de ce pays se laisse guider par des fanatiques Missionnaires de la Mecque. Le peuple semble menacer de mort quiconque ne fait pas profession d’Islamisme. Dieu le préserve de ces fanatiques.

Il y a un Consul établi par le gouvernement Autrichien qui a pris sous sa protection la Mission de Kartum, parce qu’elle sert ses vues sur le Fleuve Blanc. Outre cette protection elle paye une pension de Mille Tallari.

Présentement le Consul lutte avec le Gouvernement local, afin d’obtenir une entière liberté de naviguer sur le fleuve sous prétexte de défendre la liberté du Commerce pour les Européens. La chose est bonne pour l’Autriche et dans l’intérêt general, mais elle se gâtera par la jalousie des autres puissances parce que en établissant une puissance chrétienne au Centre de l’Afrique cela change les sorts de la Péninsule.

Je voudrais que la France fit sur le Fleuve Bleu par le moyen de la Mission Gallas ce que l’Autriche fait sur le Fleuve Blanc. Le fleuve présentement n’amène que de l’ivoire le reste est dans l’avenir et l’industrie de ceux qui ont colonisé le pays. Le fleuve Bleu au contraire présente un commerce d’or, de café, de gomme, et aussi de l’ivoire. Il est peu considérable en ce moment parce que les Gallas de Fassoglou ne veulent pas commercer avec les Turcs leurs ennemis et ils portent leur révolte dans la partie de Goyam [f. 25r] plus éloignée: mais s’il y avait un établissement français dans cette frontière les choses changeraient d’aspect. Je voudrais proposer un moyen bien simple. Les mines d’or sur le Fassouglou dans les mains du Gouvernement Egyptien sont tellement déteriorées qu’à peine on tire l’or des offices [affaires?]. Je crois que la France pourrait l’acheter à un prix très modéré pour un temps voulu afin de le faire travailler à sa manière par des ouvriers Européens. On en tirerait certainement un grand avantage. Il suffit pour s’en persuader de lire la relation du célèbre voyageur Russe le Colonel Cavaleschi qui en faisait l’examen en 1848. En formant un établissement français par le moyen de la Mission Gallas on gagnerait la confiance de ces populations pour assurer [...] du commerce sur le Fleuve Bleu, où l’on embarquerait les Mines pour les porter à la Mèdi- /345/ terranée. Quand à présent je n’en dis pas davantage, je me réserve de donner une relation plus détaillée de Fassouglou où je serai, s’il plaìt à Dieu, à la fin de ce mois. Si je trouve le moyen de faire un établissement sur les confins des Etats du Pascià j’aurai besoin d’un Firman de Constantinople qui m’autorise d’établir une église et une Maison d’Instruction. Je voudrais que le Gouvernement de la République y travaille avec la mème energie que l’Autriche le fait pour la Mission de Kartum et du Fleuve Blanc. Cependant je m’en occuperai près du St Siège afin que toute la région du Fleuve Blanc soit déclarée en dehors de la Mission de Kartum protégée par l’Autriche et unie à la Mission Gallas protégée par la France. S’il arrive un Consul à Kartum je serai le protecteur de la Mission Gallas et je devrai avoir des instructions particulières pour le faire agir et l’aider de tout mon pouvoir.

Veuillez en parler avec M. Faugère et un Ministre et écrivez-moi pour ma gouverne. Je désire savoir si mes idées peuvent être adoptées: autrement je serais obligé de me retourner vers l’Autriche. F. 25v En m’écrivant veuillez adresser vos lettres à M. Fathalla Mardrus qui connait tous les moyens de me les faire arriver. Vous pouvez avoir toute confiance en lui. Il est protégé par l’Autriche et agent de la Mission de Kartum. Il désire être naturalisé français et alors il s’attacherait d’autant plus à nos intéréts. C’est un jeune négociant qui jouit de la plus grande confiance. Les personnes les plus considérables lui ont confié plusieurs milliers de Tallaris pour faire le commerce de gomme dans ce pays. Le Pacha Gouverneur en fait le plus grand cas et lui communique les affaires les plus intimes.

Je devrais ajouter bien d’autres choses pour M.me Du Havelt et M.me Faugère et à tous nos amis de Paris. Faites le pour moi, car je suis accablé d’occupations pour mon prochain départ pour les pays Gallas et Fassouglou.

Recevez mes saluts et remerciements et faites prier pour moi.

Votre très obéissant ami
M.[assaja]