Massaja
Lettere

Vol. 4

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Al presidente e ai membri del consiglio centrale
della Propagazione della fede – Lione

[F. 1r]Messieurs

[Marsiglia, 17 aprile 1866]

Fidèle à la parole que je vous ai donnée ce matin, dans la séance où vous avez eu la bonté de m’admettre, à peine de retour en notre couvent, je prends la plume pour vous exposer de nouveau, par écrit, les deux demandes que j’ai eu l’honneur de présenter oralement à Votre Illustre Conseil, c’est-à-dire: 1º celle d’une augmentation de l’allocation annuelle de douze mille francs, que vous m’avez accordée jusqu’ici, et cela en vue de la nouvelle Préfecture Apostolique qui va être fondée par trois ou quatre missionnaires de Notre Ordre et de la Province de France. Cette Préfecture est destinée à implanter la foi parmi les quelques tribus Gallas qui existent à l’Est de l’Abyssinie, à peu de [f. 1v] distance de la mer rouge et elle facilitera beaucoup les communications avec la mission principale de l’intérieur située au Sud de l’Abyssinie. 2º Celle d’un secours extraordinaire, donné une fois pour toutes, et qui m’est absolument nécessaire pour achever l’oeuvre que j’ai commencée, la fondation d’un collège d’indigènes dont notre mission a un extrême besoin.

J’abandonne à votre libéralité, Messieurs, le soin de déterminer l’augmentation à faire à l’allocation antérieure de douze mille francs, que j’ai reçus depuis vingt ans et pour laquelle je ne saurais trop vous exprimer ma reconnaissance; j’espère la porter avant longtemps au tribunal de Dieu, seul capable de vous récompenser dignement. Je pense, toutefois, que cette augmentation s’élèvera à trois ou quatre mille francs au moins, et que l’allocation des Gallas sera désormais de quinze à seize mille.

Quant au secours extraordinaire que je sollicite de votre générosité pour mon collège, j’ai dit ce matin que j’espérais au moins cinquante mille francs, parce que j’ai craint de vous épouvanter en demandant davantage, sans quoi je vous aurais demandé cent mille francs, somme qui me serait nécessaire pour achever mon œuvre. J’ai tout lieu cependant d’espérer que les secours que m’accordera votre Vénérable Conseil, ne seront pas inférieurs à la somme de cinquante mille francs; sans cela je me verrais obligé de revenir en France pour y faire une quête qui me fasse échapper à la banqueroute.

[F. 2r] Quelques mots maintenant, Messieurs, sur mes deux établissements projetés. Le premier, celui d’une Préfecture Apostolique sur les côtes Orientales de l’Abyssinie, est de toute nécessité pour conserver la mission principale de l’intérieur de l’Afrique, mission si pleine d’avenir, en voici la raison: cette mission a besoin de recevoir des missionnaires d’Europe et de communiquer avec le littoral d’où lui arrivent les secours nécessaires pour subsister. Les difficultés, qui deviennent de plus en plus graves pour les mission- /81/ naires, de traverser l’Abyssinie, sont telles que jamais des missionnaires, venus récemment d’Europe, ne peuvent espérer de pénétrer à l’intérieur sans avoir d’abord appris les langues et fait connaissance avec les moeurs, et qui plus est, sans s’être accoutumés aux privations et aux sacrifices qu’on doit rencontrer dans un voyage d’environ deux mois, au milieu de contrées si difficiles, et qu’ils devraient faire comme des brigands pourchassés par le gouvernement Abyssinien. Jusqu’ici nous avions choisi Massawah comme station intermédiaire, mais elle n’offre point les avantages nécessaires; on y rencontre les moeurs Arabes, un climat brûlant et une disette de vivres qui les rend extraordinairement chers. Le missionnaire au milieu des Musulmans ne peut aucunement y exercer son ministère, et en s’arrêtant même deux années à Massawah il ne peut acquérir la connaissance ni des langues, ni des moeurs de l’intérieur. Un établissement à l’Est de l’Abyssinie n’offre plus les mêmes inconvénients; là les missionnaires pourront dès le principe exercer le ministère et apprendre les langues, ils s’accoutumeront à la nourriture et au genre de vie et acquerront des connaissances utiles pour entretenir des rapports avec l’intérieur et se préparer un passage, à la première [f. 2v] occasion favorable. Une fois la voie ouverte de ce côté là, ce sera pour les coeurs déjà un peu abattus des nôtres une vive consolation et un sujet de grandes espérances.

Quant à ce qui concerne le collège que j’ai fondé à Marseille, il m’est très facile d’en montrer la nécessité, pour peu que l’on se fasse une idée de la nature de notre mission et des difficultés de communications dont j’ai parlé plus haut. Les Gallas ne sont pas accoutumés à notre couleur, ils ont une grande défiance de tous les Européens; avec la grâce de Dieu, j’ai pu, par de constants efforts et après dix à douze ans de travaux, ouvrir une voie du Nord au Sud et établir quelques missions, où les Européens sont connus et peuvent se maintenir à l’abri de tout danger avec l’aide des quelques indigènes. Mais nous avons tout autour de nous un champ immense à cultiver, où les Européens ne peuvent pénétrer; les indigènes seuls pourront nous y précéder et nous frayer une route. Les missions de l’intérieur ne sont pas encore suffisamment établies pour pouvoir y fonder des maisons d’éducation, et j’ajoute que de longtemps il ne pourra y en avoir. Par le passé j’ai pu faire quelques prêtres indigènes sans grandes dépenses, en élevant de mon mieux le petit nombre des jeunes gens que j’avais autour de moi, ils m’accompagnaient dans mes voyages et partageaient avec moi les tribulations de l’apostolat; mais ce mode que j’ai pu employer dans les commencements pour quelques uns, ne peut ni se généraliser, ni durer toujours. Il est donc de toute nécessité, pour que la mission puisse se développer, d’élever un bon nombre d’indigènes. Ceux-ci, une fois bien instruits, pourront sans obstacles traverser l’Abyssinie et arriver au pays Gallas, travestis et mêlés aux caravannes marchandes; arrivés dans l’intérieur, il leur sera facile de parcourir le pays d’une extrémité à l’autre; alors seulement on pourra espérer un mouvement universel parmi ces populations.

/82/ Telles sont, Messieurs, en quelques mots, les motifs qui m’ont porté à Vous adresser cette double supplique. Au reste mon seul but est la conversion de ces pauvres peuples, au salut desquels je me suis dévoué jusqu’à la mort. J’ai ouvert à Marseille un Collège que peut-être je ne reverrai plus; je vais m’embarquer de nouveau pour ma mission et l’état de mes forces ne me présage plus une longue existence.

Je termine cette lettre en recommandant à vos ferventes prières les peuples qui me sont confiés

Votre humble et dévoué serviteur
Fr: G. Massaja Évêque des Gallas

[Questa lettera va anticipata e posta tra i nn. → 444 e → 445]