Massaja
Lettere

Vol. 4

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Al presidente e ai membri del consiglio centrale
della Propagazione della fede – Lione

[F. 1r]Messieurs

Litché 23 Octobre 1868.

J’ai eu l’honneur de vous écrire le 31 Janvier de l’année présente: ma lettre était datée d’Embabo dans la baie de Tajoura. J’étais alors sur le point d’entreprendre le passage au Chawa par le désert des Adals. Je vous y parlais du long séjour qu’il m’avait fallu faire avec mes missionnaires, non sans de grandes privations dans ce mauvais village musulman et des difficultés nouvelles qui devaient m’attendre moi et mes missionnaires durant le voyage. Dieu soit loué! Nous avons pu traverser le désert non sans peine, il est vrai, mais toutefois sains et saufs et avec une rapidité relativement très grande. Nous quittions Embabo le 1.er février à midi: la caravane était organisée pour nous et pour l’envoyé du roi de Chawa; Abube-beker nous avait donné Hibrahim son fils aîné pour chef, une vingtaine d’Adals pour escorte, moyennant finance; lui-même nous accompagna jusqu’à la seconde station qui fut Bursan et là nous recommanda aux gens de notre escorte et aux chefs de la tribu dans le territoire de laquelle nous étions: Je dois dire que ces hommes tout sauvages qu’ils sont et disposés à tuer l’étranger qui ne s’est point mis sous leur protection, se sont conduits avec courage et loyauté pendant tout le voyage. Je ne sais si vous avez quelque idée du désert particulier où s’est fait notre voyage. Les deux premières journées n’offrent rien de bien particulier: on quitte les bords de la mer, on s’élève peu à peu par des gorges et des montagnes encore quelque peu boisées: ça et là errent des troupeaux de chameaux et de vaches cherchant une maigre nourriture. Mais au de là de la 3.e station qui se fit à l’extrémité du port intérieur de la grande baie, on entre dans la région la plus désolée qu’on puisse imaginer; le terrain qui ne compose[nt] plus que de torrents de lave refroidie, n’a plus aucune végétation – On s’avance vraiment dans une région de mort où ne s’entendent [f. 1v] que les pas des chameaux et des voyageurs: au dessus de soi un soleil ardent, autour de soi la lave qui vous renvoie ces rayons. Dans le fond de l’horizon les montagnes qui bordent le lac d’Assala, que l’on aperçoit dans un creux profond. Evidemment les soulèvements volcaniques ont séparé cette portion d’eau sortie du reste de la mer et un immense banc de sel s’y augmente d’année en année, la petite quantité d’eau qu’y apportent les torrents ne suffisant point à faire équilibre avec l’évaporation; nous avons mis une journée et demie à contourner le lac, montant et descendant des collines de lave, et parfois des bancs de coquillages. Nous avons même marché une demi-heure sur la plaine de sel à une assez grande distance toutefois de la portion qui est restée liquide, où se soulèvent des flots pesants et d’un bleu très foncé. Nous quittions cette régio /136/ de désolation par le lit d’un torrent appelé Kalù, (ou), où nous rencontrâmes une caravane de 500 chameaux venant d’Aoussa pour prendre du sel. C’était pour nous un témoignage que les rapports pacifiques se rétablissaient – Car c’était en partie pour la possession de cette plaine de sel que le roi d’Aoussa avait fait la guerre à la tribu Adale qui possède cette plaine de temps immémorial et de là s’étend jusqu’à Tajoura et Maluta. Le pays des Adals n’est point un désert dans le même sens que le Sahara par exemple. C’est une série de plaines immenses, peu élevées, entrecoupées de larges vallées, où à la saison des pluies coulent les torrents – En général, ces torrents sont bordés d’arbres, Guerars, Agaves, Tamarins – Palmistes dont la feuille sert à faire les nattes – Les chaînes montagneuses ne sont guère que des collines parfois avec quelques arbres – Nous n’avons point rencontré des plaines de sables, mais parfois des plaines couvertes de débris volcaniques plus souvent plantées de hautes herbes sèches qui n’avaient point été pâturées; de verdure aucune trace si ce n’est sur les bords de l’Awach; une sécheresse extrême, au dire même des gens du pays: Depuis deux ou 3 ans c’est le fléau du pays – La pluie normale qui vient en juillet, qui revient en novembre, n’était point encore tombée en mars, aussi la pénurie d’eau avait elle fait abandonner par les Adals la plus grande partie du territoire, pour se masser vers quelques sources non taries: de là famine dans le pays. Les Adals du reste ne sèment ni ne moissonnent; ils vivent du lait et de la chair de leur troupeaux – N’ont point de demeure fixe – Les tribus qui avoisinent le lac où se perd l’Awach près d’Aoussa font seules exception. Cette aridité extrême nous a été à nous-mêmes très douloureuse. Souvent après de longues [f. 2r] marches l’eau manquant, ou bien c’était une saumâtre, ou encore épaisse d’excréments d’animaux; mais en revanche nous étions à l’abri de ces obsessions qu’amènent la présence des tribus sur le passage des caravanes – Nous n’avons rencontré d’une certaine agglomération d’hommes que dans les vallées de Killata et sur les bords de l’Awach – Sur le premier point des vallées profondes renferment des sources qui ne tarissent point et qui avaient amené là des Issa et des Adals – Les premiers essayèrent inutilement de nous arrêter – Les mêmes dans la caravane qui est venue de Mai en Septembre ont tué 13 hommes par surprise. Sur les bords de l’Awach la tribu Adale des Sida-Habura vint nous attaquer, mais Dieu pacifia toute chose et le 5 Mars nous étions à Tchanù première ville du territoire royal. J’y arrivais épuisé, la bouche et les lèvres tout ulcérées de la soif du désert: mes compagnons étaient un peu moins éprouvés. L’hospitalité qui nous fut donnée suivant les ordres du roi nous remit quelque peu et le 11 malgré la grande fatigue Dieu m’a fait la grâce de gagner la résidence royale de Litché. Le roi Menelik nous a montré la plus grande bienveillance – a exercé l’hospitalité avec une générosité toute royale. C’est un jeune prince qui s’échappant il y a quelques années des mains de Théodore est venu reprendre le trône de ses pères; il aime la justice et la vérité et promet un règne heureux à ce pays pour lui faire oublier tous les désastres de l’occupation par Théodore. Comme le /137/ prince m’a manifesté le désir que je restasse quelque temps dans ses états, j’en profiterai pour l’aider s’il est possible dans ses désirs du bien et donner en même temps la lumière aux gens de bonne volonté qui dans ce pays inclinent vers l’Eglise Catholique. En même temps, grâce à l’appui du roi, j’ai expédié un courrier à l’intérieur des pays Galla à mon coadjuteur, Monseigneur Cocino et aux autres missionnaires. Je n’ai pu encore recevoir de réponse que du premier – Les nouvelles sont comme dans toutes les missions en partie douloureuses en partie consolantes. La guerre civile a détruit notre établissement de Lagamara, dispersé les chrétiens et forcé M.gr Cocino avec son clergé de se retirer au Gudru près du prince Goschu – C’est la chrétienté primitive Galla: moi-même ai baptisé le jeune prince dans la première année de ma venue au pays Galla – Notre S.te religion s’y propage. Il en est de même au Kaffa dans la chrétienté confiée après mon exil au prêtre indigène Abba Mikael Hajlù – Les baptêmes y sont nombreux, ainsi que le témoignent des lettres transmises par Monseigneur Cocino. Je n’en ai pu encore recevoir de nouvelles directes, à cause de la difficulté des communications S.te religion Dans le [f. 2v] royaume de Ghera, la chrétienté se maintient: malheureusement le P. Léon des Avanchères est tombé malade: un prêtre Indigène Abba Joannes, qui avait fondé une station plus à l’ouest dans son pays natal est tombé entre les mains d’un parti de Galla ennemi qui l’ont tué: je le recommande aux ferventes prières des associés de la Propagation de la foi – Cette portion de chrétiens va se trouver délaissée, vu la pénurie de prêtres – J’ai envoyé le R. Père Taurin Vice-Préfet apostolique de la Mission [pour] fonder une station au Centre des tribus Galla de l’obéissance du roi, dans le territoire de Gulélé, au lieu dit Finfinni. La race Galla demeurée dans l’infidélité forme la bonne moitié du royaume de Chawa. Si cette mission réussit, elle nous servira de point d’appui pour ouvrir des communications directes avec Kaffa et Ghera et tirer ces missions de leur isolement. Finfinni est en effet au Sud-Ouest de Litché et à un petit nombre de journées des pays susdits – Le P. Ferdinand y rejoindra bientôt le Vice-Préfet apostolique. Sans doute tout cela n’est point l’oeuvre de quelques jours: l’oeuvre du salut des hommes va toujours bien lentement: que doit-ce être dans ce pays, où l’influence des superstitions, des préjugés est si grande, où l’hostilité des races et souvent des tribus créent à chaque pas des difficultés. Un champ immense s’ouvre devant nous – Pour cela il nous faut nécessairement de nouveaux missionnaires, qui ne sauraient être introduits ni sans périls ni sans de grandes dépenses. Il me faut à la fois pourvoir aux besoins des anciennes missions et en créer des nouvelles – Nous avons en effet autour de nous le prosélytisme musulman. Je m’abandonne pour cela à la Providence Paternelle de Notre Dieu et Sauveur que vous voudrez bien implorer pour nous: car la prière est l’arme puissante de l’apostolat – Vous voudrez bien aussi nous aider de vos aumônes, sans lesquelles l’introduction des missionnaires me serait matériellement impossible. Notre seul voyage d’Europe au Chawa m’a coûté la moitié et plus de l’allocation annuelle /138/ du Conseil de la Propagation de la Foi. Nous n’oublions point que [le] pain de chaque jour vient de la charité de nos Frères d’Europe, et dans nos prières et S.ts Sacrifices, trop rares hélas! vous nous êtes toujours présents, et le peu que nous pouvons faire est une supplication continuelle pour vous et vos pieux Associés.

Veuillez, Messieurs, recevoir l’assurance de mon affectueux dévouement et reconnaissance en N. S.

Fr: G. Massaja Evèque

[P. S.] Le P. Taurin, V. Pref. de la Miss. Galla et le P. Ferdinand, Miss. ap. présentent leurs respects à MM. du Cons. de la P. de la Foi.