Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Appendices

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II

La « Translation » en prose

Prologue

Le roi glorieux et éternel des cieux, avant le principe de toutes choses, étant la Sagesse insondable du Père et le monarque absolu de tout ce qui existe, avait prévu et réglé la fin aussi bien que le commencement des créatures, même avant leur existence. De même plus tard il choisit d’avance les élus de Ceux-ci, dès le berceau de la religion, se vouèrent à la sainteté la foi du Christ, et, l’œil de l’âme uniquement fixé sur les choses divines, montrèrent une telle forcé dans la foi et une constance si ferme dans le martyre que, méprisant les édits des tyrans et les flatteries perfides des séducteurs ainsi que toutes les variétés des supplices, ils ne se laissèrent fléchir ni par les caresses ni par les menaces des persécuteurs qui s’obstinaient à les faire apostasier aux pieds des idoles, sous peine de mort. Ces vaillants athlètes, pour le nom de Jésus dont ils étaient les champions, soutinrent jusqu’à la fin la lutte de cette vie passagère et, retournant vers la patrie après une victoire si insigne, ils reçurent du Seigneur le prix du combat livré.

La même Providence divine, voulant que leur triomphe fût aussi bien célébré sur terre qu’au ciel, permit, dans ses admirables dispositions, qu’il y eût toujours des écrivains, fidèles amis du Christ, pour conserver par l’écriture le souvenir de leur triomphe éclatant et le récit de leur glorieux martyre et de leurs miracles, afin de laisser aux générations futures des exemples pour la conduite et des doctrines pour la foi.

Parmi ces hommes de si grand mérite, je ne suis qu’un ignorant entre les modernes et le dernier de tous, et je ne suis pas digne de prendre place au milieu de cette élite. Mais quoique je sois entièrement dépourvu des ornements et des grâces de l’éloquence et de la rhétorique, cependant, animé plutôt par le zèle du bien que par la confiance en mes forces, j’ose entreprendre dé raconter dans cet écrit la translation d’une vierge martyre du Christ, appelée Foy, dont les œuvres furent aussi glorieuses que le nom. Et si, accablé de confusion à la vue de ma faiblesse et de l’impuissance de mon esprit, j’ai tardé jusqu’ici à exécuter ce dessein, cependant, avec le secours d’en haut, je me décide à prendre la plume et à commencer d’écrire dans la mesure de mes forces. Ces forces, il est vrai, ne peuvent se comparer à celles de ces hommes illustres qui, embarqués sur une grande trirème et voguant dans l’océan de la multitude des livres, toutes voiles déployées et enflées par le souffle de l’Auster, ne craignent pas de se lancer dans /713/ la haute mer et à travers une telle immensité, inaccessibles aux sinistres rafales de l’exécrable Borée et sans peur devant les menaces des vagues en courroux.

Et quel n’est pas l’essor de leur esprit, sous la poussée rapide des vents! Il est tel que l’esquif léger qui vole sur lès flots, au milieu des chants de fête des passagers.

Pour moi, au contraire, ma pauvre nacelle est captive au rivage et dépourvue de voiles; elle navigue dans les parages tranquilles, au grand effort de ma rame; je vogue avec plus de sécurité dans des eaux plus faciles; c’est ainsi que je m’achemine doucement au terme proposé et lorsque je sens la fatigue, parfois j’amarre et je fais une halte.

C’est pourquoi, lecteur, ne cherchez pas dans cet écrit les artifices du style ni les ornements du beau langage ni l’éloquence étudiée des rhéteurs. Vous y trouverez la simplicité nue d’un esprit sans culture qui, comme je viens de le dire, a eu pour mobile, dans l’entreprise de cette tâche, plutôt la piété que la confiance en son autorité.

Malgré tout, cependant, confiant dans l’aide du souverain Auteur de toutes choses, et en la conduite miséricordieuse du divin auxiliaire, j’espère parvenir au terme de mes vœux; je ne faillirai donc pas à la promesse que j’ai faite.

Épilogue

Quelle langue assez éloquente pourra célébrer dignement les louanges de l’illustre martyre dej Jésus-Christ? Quel est le poète qui, même en épuisant les mille rythmes de son art, pourra élever son inspiration jusqu’à la hauteur des mérites de notre sainte? Que l’art de la parole incline sa puissance devant une telle gloire; ses ressources réunies sont insuffisantes pour atteindre jusqu’à ce sommet. O vierge mille fois heureuse, ornement des cieux, sœur des anges, lorsque votre âme animait votre corps, elle soupirait avec ardeur après le Sauveur Jésus. Vous avez alors combattu vaillammeht pour lui et triomphé noblement; vous avez écrasé l’ennemi, vous avez emporté au plus haut des cieux votre glorieux trophée et vous vous êtes unie à cet Epoux qui avait été l’objet de vos ardents désirs. O mérite d’un prix inestimable! O grande et prodigieuse destinée! Tandis que votre âme, dans le ciel, méritait de consommer son union avec le Fils de Dieu, vos restes sacrés, sur la terre, transférés d’un autre pays, aspiraient à reposer dans un temple qui fût spécialement dédié à son doux nom de Sauveur Jésus et se refusaient à s’en éloigner. Ainsi, de même que l’épouse était unie à l’Epoux dans sa cour céleste, de même elle s’attachait à lui dans sa demeure terrestre; nulle distance ne pouvait séparer cette âme chérie de l’objet de son amour; elle ne pouvait se résoudre à quitter aucun des séjours de leur tendresse mutuelle.

Salut, noble fille de Sion, ô chaste Foy, enfant de la céleste Jérusalem, perle du chœur des vierges, belle comme la rose, pure comme le lis. O jour fortuné, jour sacré, jour glorieux qui a produit à la lumière de ce monde une fleur si éclatante! O trop heureuse terre de Conques, ornée de cette perle incomparable, de cet astre si radieux; toi qui resplendis d’une si vive clarté, applaudis et tressaille de joie de voir ton front couronné de cette splendeur éblouissante qui rayonne au milieu des cieux, comme le soleil parmi les astres! O gloire éclatante des cieux, couronne des martyrs, lumière des vierges, ton visage est resplendissant de beauté /714/ comme l’étoile qui scintille. Au sortir des noces du grand Roi, tu t’avances, magnifiquement parée, brillante comme l’aurore. Noble enfant, réjouis-toi, tes charmes ont séduit le cœur de Jésus, ce soleil véritable, dont l’éclat et la splendeur éclipsent les cieux et la lumière du jour le plus serein. Au Père divin, principe de tout, à son Fils unique et à l’Esprit consolateur, gloire et honneur durant tous les siècles éternels. Ainsi soit-il.

Prière (qui fait suite).

O sainte Foy toujours bénie, vierge incomparable, illustre martyre, gloire du ciel, ornement du paradis, perle de la céleste Jérusalem, épouse de Jésus, douce amie chérie de Dieu, vous avez foulé aux pieds les charmes et les plaisirs du monde, vous avez ardemment soupiré après Jésus, vous n’avez poursuivi que lui seul, et vous n’avez point eu de relâche jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé, par la grâce du martyre. Maintenant vous le possédez, vous vous attachez à lui, après l’avoir tant désiré; vous le contemplez et vous vous rassasiez de lui sans vous lasser. Vous vous unissez à lui, vous jouissez de lui, vous vous reposez à l’ombre de celui qui était l’objet de vos vœux, et l’aliment dont il vous, nourrit remplit votre cœur de suavité. Votre voix est une mélodie pour ses oreilles, votre visage un charme pour ses yeux. Il vous commande comme à sa servante, il vous exalte comme une reine, il vous presse sur son sein comme sa fille, il vous couronne comme sa bien-aimée. C’est que votre amour a été puissant comme la mort. Vous avez sacrifié votre vie l’un pour l’autre; auriez-vous pu vous témoigner un amour mutuel plus profond? Vos cœurs confondus dans une union étroite et indissoluble débordent de la plénitude de leur félicité et exhalent des parfums de vie divine. O glorieuse, ô céleste vierge Foy, élevée par la célébrité de vos prodigieux miracles au-dessus de tous les autres saints, après l’incomparable et divine Marie, mère de Dieu, nous vous en supplions, assistez-nous, pauvres pécheurs, durant cette vie mortelle. O vous, qui n’avez eu d’autre pensée ici-bas que de plaire à notre doux Sauveur et qui maintenant contemplez pour toujours au milieu des ranges cet objet de votre amour, implorez auprès de sa miséricorde le pardon de nos péchés et, au jour du jugement suprême, désarmez, par vos supplications, le courroux du souverain Juge et inclinez son cœur à une mansuétude et à une miséricorde infinies. Délivrez-nous, par votre intervention, des flammes éternelles de l’enfer; obtenez-nous d’être admis en votre société et en celle des autres saints, et d’y jouir de la félicité sans fin du paradis. Ainsi soit-il.

On trouve dans un manuscrit de Brème un long poème en vers léonins qui a pour sujet la passion de sainte Foy. Il est attribué à Hildebert, qui fut évêque du Mans de 1096 à 1125 et ensuite archevêque de Tours jusqu’en 1133 (1).

/715/ Un fragment d’une passion métrique de sainte Foy a été publié par M. Dümmler(1), d’après une copie d’un manuscrit de Leyde (2) que l’on disait du ixe siècle. M. Von Winterfeld a constaté que le feuillet sur lequel se trouve ce fragment n’appartient pas au manuscrit dans lequel il a été intercalé postérieurement (3). L’écriture est du xie-xiie siècle et de la main de l’auteur lui-même, comme le prouvent les corrections. Le manuscrit est originaire de Saint-Gall; or nous avons vu que l’abbé Ulrich III (1076-1122) avait apporté d’Agen des reliques de sainte Foy et bâti une église en l’honneur de la martyre. Ce sont sans doute ces événements qui ont donné à l’auteur la pensée de rédiger son poème (4).

[Note a pag. 714]

(1) Acta SS. 20 octob. – Cf. Migne, t. CLXXI. Torna al testo ↑

[Note a pag. 715]

(1) Lateinische Gedichte des neunten bis elften Jahrhunderts. – Cf. Neues Archiv. der Gesellschaft für altere deutsche Geschichtskunde, t. X, p. 337. Torna al testo ↑

(2) Voss. lat. Q. 69. Torna al testo ↑

(3) Zur Passio S. Fidis, dans Neues Archiv. t. XXIII, p. 741. Torna al testo ↑

(4) Cf. Analecta Bolland. t. XVII, 1898, p. 466. Torna al testo ↑