La Chanson de Sainte Foi d’Agen

Introduction

Langue du poème

/XX/

A. – Traits archaïques

I. – Dans la phonétique.

1. – Consonnes finales romanes. – Le trait le plus frappant, étant donné la fréquence de ses manifestations, est la notation par un son sonore, à la finale, des consonnes explosives non appuyées, primitivement sourdes, qui se sont sonorisées partout entre deux voyelles avant la chute de la voyelle suivante, mais qui, dans la plupart des textes provençaux postérieurs, après la chute de cette voyelle, ont de nouveau (comme dans les textes d’ancien français) pris le son sourd1.

C (ou q) devant a, o, u est représenté par g dans adag, dig, fog (3 ex.), jag, pag [de pagar], plag, preg [de pregar) (3 ex.); une seule exception: broc. – Devant s flexionnel, g se trouve aussi: cegs, fogs (2 ex.), jogs (2 ex.), quegs (2 ex.), unsquegs; mais il y a trois exceptions: Grex (2 ex.), mendix.

C devant e, i non en hiatus2 est représenté par z: aduz (2 ex.), aiz (1 ex., à côté de la variante aitz), cerviz, croz (2 ex.), desdiz, diz (3 ex.), doz, faz [lat. vulg. *facem pour faciem], Feliz, fez [lat. fecit] (17 ex.), fornaz (2 ex.), jaz. (2 ex.), luz [lat. lucem], noz [lat. nucem], paz, plaz (3 ex.), raïz, reluz, traüz, voz.

T devant voyelle non en hiatus est représenté par d, sans exception. Les exemples sont trop nombreux pour être cités. Il y en a près de 100, répartis entre les désinences -ad [latin -atem et -atum], -ed [3es pers. sg. des prétérits modelés sur le type du latin stetit3], -id [latin -itum et subst. tirés des verbes provençaux en -idar4], -od [dans pod5, latin vulg. *potet pour potest], -ud /XXI/ [lat. -utem et -utum, et subst. tirés des verbes provençaux en -udar]. Suivi de s flexionnel, d (issu de t) se combine avec lui pour produire z. Environ 92 exemples, répartis entre les désinences -az, -ez, -iz, nel testo: uz -uz. Dans deux cas seulement, on a la graphie surabondante dz: drudz, honradz1.

T devant voyelle en hiatus est représenté par z, sans exception: neoz, oz (2 ex.), poz, prez, vez.

P est représenté par b, sans exception, même devant s flexionnel: ab (24 ex., même devant consonne2), cab [lat. caput] (5 ex.) cabs [cas sujet de cab], prob (2 ex.), sab [lat. sapit], saub [lat. sapuit] (2 ex.).

Les consonnes explosives sonores appuyées conservent leur valeur primitive, même devant s flexionnel (sauf les réserves à faire en ce qui concerne le d): albergs, amb (2 ex.), perd, sang (2 ex.), sangs (2 ex.). Le d se combine avec s flexionnel pour produire z dans Giralz. Sur sa disparition dans blidall 101, voir les Notes.

Le groupe -nd- est maintenu dans grand (non seulement devant voyelle, 225, 249, mais devant consonne, 375 et 379) et dans quand 347 (devant voyelle). Mais la chute du d est plus fréquemment attestée, non seulement par des exemples isolés à l’intérieur du vers (en [lat. inde], gran, pren, quan, respon, etc.), mais par des séries de mots en rime aux tirades XIV et XXXVII. Exceptionnellement, le d s’assourdit en t dans qant pog 67. Devant s flexionnel, il y a fusion en z: granz (6 ex.), monz [lat. mundus].

V consonne est conservé dans cervs. La semi-consonne u du /XXII/ latin vulgaire, sortie de l’u voyelle en hiatus dans la désinence -uit des prétérits forts, dont on sait que le latin vulgaire a étendu l’emploi, est toujours représentée par g, à moins qu’elle ne soit précédée du groupe -sc-1: ag (20 ex.), connog (2 ex.), creg, cuberg, mog (4 ex.), pag, pog (4 ex.), proferg, teg (9 ex.), valg, veng, volg.

S flexionnel est très fréquemment renforcé en z, sans parler du renforcement par fusion avec t ou d précédant. Il n’y a pas lieu d’insister sur les cas où s est précédé de l et n mouillés (que le mouillement soit indiqué ou non par l’orthographe)2, ni sur ceux où il est précédé de t appuyé3, car tous les textes provençaux de bonne date connaissent le phénomène dont il s’agit, mais il faut constater qu’il est pour ainsi dire sans exception dans notre Chanson. Il en est de même lorsque s flexionnel suit l ou n primitivement double, et cela avec une constance parfaite4: anelz, aquelz, belz, castelz, cembelz, elz, folz, nulz, pelz, etc., anz, enganz, senz. De même aussi après le groupe -rn-: carnz, Enfernz, à côté desquels on est surpris de trouver la graphie estorns5.

Dans les formes enclitiques de l’article et du pronom masculin pluriel los, il y a hésitation entre s et z: alz pagans et als filz, prezallz folz et trastornals oilz, delz Gascons et dels granz /XXIII/ peccaz, sobrels fans, velz vos, consilz pogges, a clusals menan, meirols saintz, perls Deus, etc.

Après i semi-consonne, il y a aussi hésitation; z est un peu plus fréquent que s: nel testo: gaui gauiz (3 ex.), peiz [lat. pejus], reiz (3 ex. contre un seul de reis), leis « elle » (2 ex.), seis « six » (2 ex.).

En revanche, on trouve toujours -nz dans les formes enclitiques du pronom nos: anz relinquiz, baptismenz ded, donzellanz a laudad, donzellanz a vilziz, qenz fa estar.

2. – Evolution du d étymologique. – Le traitement du d intervocalique non appuyé est variable. Quand la voyelle suivante persiste, le d est maintenu dans la graphie 33 fois, sur 37 cas qui se présentent1. Les quatre exemples où il a disparu sont: niu, noelz, raïz, traüz. Devenu final par chute de la voyelle, il est écrit dans aucid (2 ex.), cred (2 ex.), nud, prod « preux », mais omis dans au, clau, vi. Devant s flexionnel, il tombe, sans se combiner avec lui pour produire z, dans conres, fraus, malaves2, pes, pros « preux », pros « profit »; exception unique: nuz3. Dans le groupe secondaire -d-r, il y a hésitation: à côté de considr[e], considrar, ridre, on trouve la vocalisation en i dans veirez et viraz, et même, avec une graphie hybride, veidrez.

A la réflexion, on doit admettre que l’identité graphique, en ce qui concerne le d, de veder (lat. videre), etc., d’une part, et de madura (lat. maturat), etc., de l’autre, ne correspond pas à une identité phonétique absolue4. Manifestement, le d de veder n’était pas un d proprement dit, comme celui de madura; il devait flotter entre dh et z, ce qui explique sa disparition (entre voyelles et à la finale) et sa vocalisation en i (devant r) dans les quelques cas cités5. – La graphie par z de laizava (verbe formé sur laid, où la diphtongue et le d existent dans le type étymologique, /XXIV/ qui est germanique) parle aussi dans le même sens; mais le z de tarzad repose sur le lat. vulg. *tardiatum, pour tardatum.

3. – S initial suivi de consonne. – Pas de voyelle prosthétique si le mot précédent se termine par a: a scrim[a], la spina, rocha sta, umbra streins.

4. – Suivi de deux consonnes en fin de mot. – Le groupe primitif stz (que les textes postérieurs réduisent à tz) dans les 2es pers. plur. des verbes et dans les rég. masc. plur. des démonstratifs est et aqest est toujours conservé: aggestz, audistz, estz, fezestz, gardestz, levestz, mesesz; estz, aqestz ou achestz.

5. Agglutinations et contractions. – On remarque, dans quelques agglutinations, le maintien sporadique de consonnes étymologiques que les monuments postérieurs (et quelquefois notre texte lui-même) assimilent ou laissent tomber: d’une part, cisclanl [cisclan li], conl [con lo], cons [con se], enl [en lo], fujunl [fujun li], manderunls [manderun los], nonl [non lo, non li], nonn [non ne], profergl [proferg li], regnavanl [regnavan li], traciunn [traciun ne]; de l’autre, coll [con li], cubergrol [cubergron lo], ell et el [en lo], elz [en los], meirols [meiron los], menerols [meneron los], noll [non li], qoll [qon lo], soll [son li]. On peut citer aussi la curieuse incorporation de l’adverbe i dans la dernière syllabe du prétérit feiron qui aboutit à une forme dissylabique feiroin (avec n mouillé, probablement) au lieu de feiron i.

Et dans le même ordre d’idées, il faut signaler antpar [lat. vulg. *anteparet], biscbat [lat. episcopatum], marmre [lat. marmor], que les textes postérieurs ne donnent que sous les formes ampar, bisbat (on trouve pourtant biscbat dans Raynouard, III, 237), marbre, plus éloignées des types étymologiques, mais d’une prononciation plus coulante.

Torna su ↑

[Note a pag. XX]

1. Dans la Passion de Clermont-Ferrand, texte du xe siècle contaminé de formes françaises, le flottement se présente à peu près à égalité: j’ai relevé 94 cas de consonnes sonores contre 90 de consonnes sourdes. Dans le Boèce, texte provençal de la région voisine du français, un peu moins ancien que la Passion, les consonnes sourdes l’emportent de beaucoup: 48 cas contre 12. Torna al testo ↑

2. Quand il y a hiatus, on a le son sourd, dont la notation devant la voyelle conservée est toujours cz, mais qui flotte, à la finale, entre tz et zz; (voir la tirade XVIII). Torna al testo ↑

3. Cf. mes Essais de phil. franc., p. 91.. Torna al testo ↑

4. Sur audid 567, voir les Notes. Torna al testo ↑

5. Le d tombe dans la forme agglutinée pon, pour pod ne. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXI]

1. Il va de soi que le t appuyé reste t à la finale. La confusion entre les sons primitifs -ant-, -ent-, -ont, d’une part, -and-, -end-, -ond de l’autre, qui se produit dans le provençal postérieur par la disparition de la consonne finale (qu’elle fût primitivement t ou d), est ainsi évitée, la Chanson ne laissant tomber que le d (cf. ci-dessous ce qui est dît du groupe -nd-, et les tirades XXV et XLIV, qui riment en -ent). Toutefois, par négligence, l’auteur a placé flameian (au lieu de flameiant) dans la tirade XXXVII, qui rime en -an. Dans quan car, quan fort, tan bon, tan fort, tan gran, tan leu, tan rica, la chute du t de quant et tant est justifiée par la phonétique syntactique. Torna al testo ↑

2. La forme avec la sonore est presque la seule employée en provençal, à cause du caractère proclitique du mot; on trouve cependant ap (à côté de ab) dans la Passion, CXIII, 3. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXII]

1. Dans ce cas, elle se fond avec le c appuyé: irasc [lat. vulg. *irascuit], mesc [lat. miscuit]. Si le c n’est pas appuyé, il passe à g et se fond avec le son pris par l’u semi-consonne (cf. jag et plag, cités ci-dessus), Torna al testo ↑

2. Cf. filz [lat. filius], meilz et melz [lat. melius], soleilz [lat. vulg. *soliculus], veilz [lat. vetulus]; linz [lat. vulg. *lineus pour linea]. Torna al testo ↑

3. Cf. gentz (subst. et adj.), moltz, mortz, totz, etc.; environ 60 exemples, en face desquels la disparition du t est exceptionnelle: faiz [lat. facitis], à côté de faitz [lat. factos], sainz (4 ex.), plus rare que saintz. (6 ex.). Torna al testo ↑

4. Cela est d’autant moins surprenant que notre texte conserve souvent le doublement de l et de n soit devant voyelle maintenue soit à la finale: afollament, apelled, aquell et aquella, bella, cenbell, donzella et donzellun, ell et ella, fell et fellun, foll, etc., d’une part, ann, dessennad, pennas, de l’autre. D’autres textes provençaux anciens, notamment le chansonnier A (Vatican 5232), écrivent aussi par z le s flexionnel après ll et nn primitifs. Torna al testo ↑

5. Peut-être faut-il voir là le souvenir d’une forme primitive *estorms, qui serait en harmonie avec l’étymologie germanique et le verbe estormir, de la même famille. Le groupe primitif -rm-, en effet, ne change pas le s flexionnel en z; cf. verms. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXIII]

1. Je néglige les mots savants comme fidels, fraudolehnt, gladis, idolas. Torna al testo ↑

2. En lat. vulg. *malabidos; cf. Romania, XXXVII, 307-8. Torna al testo ↑

3. Exception due peut-être à l’influence des participes passés en -uz, -ud, issus du lat. -utus, -utum, Torna al testo ↑

4. Cette identité n’existe que dans la partie sud-ouest du domaine gascon. Torna al testo ↑

5. Remarquons cependant que la vocalisation atteint parfois aussi le d issu de t latin: à côté de pedrun, notre texte offre dejà (comme les textes postérieurs) lairon, nuirir, pair[e], venaire. Torna al testo ↑