La Chanson de Sainte Foi d’Agen

Introduction

Langue du poème

A. – Traits archaïques

/XXIV/

II. – Dans la morphologie.

Je signalerai ici – encore qu’on y puisse voir des traits dialectaux – l’emploi de formes rares pour l’article masculin, pour le pronom personnel féminin de la 3e personne du singulier, et pour la 2e pers. plur. de l’impératif.

/XXV/

I. – Article masculin. – J’écrivais en 1903, à propos du v. 41, lu ainsi par Leite de Vasconcellos: Plus cel q’es folz q’etz mel membraz, et non commenté par lui: « Le sens est: « plus celui qui est fou que le plus [littéralement: le mieux] raisonnable ». Il faut corriger mel en melz et imprimer qetz [= « que le »], non q’etz. Nous nous trouvons ici pour la première fois en présence d’une forme rare de l’article défini, où tz tient la place de l; comparez 51 az [= al, non le latin ad], 86 detz [= del], 273 enz [= enl, el], 332 detz [= del]. Des formes analogues ont été signalées dans des textes de provenance diverse (Gascogne et Proyence): za barta, za trul, atz casterar, dez castel (Luchaire, Recueil de textes gascons, p. 132, 154, 193); za ma (Cartulaire de Lérins, nos 75, 355, 372, 373), etc. On s’est trop hâté de tirer ces formes du latin ipse (Meier-Lübke, Gramm. des langues rom., II, § 106); le z, et à plus forte raison le tz, répugne à cette étymologie; mais je ne sais d’où il peut venir1 ».

Je n’avais pas remarqué alors que le même article masculin se trouve, sous sa forme pleine czo, au v. 288 de notre chanson:

Czo vostre cabs n’er totz sanglentz.

On avait beaucoup écrit sur cette forme de l’article avant 1903, et on y est revenu depuis2. Si notre Chanson est le plus ancien monument littéraire qui en offre quelques traces, ce n’est pas /XXVI/ le seul. On en trouve aussi, tant pour le féminin que pour le masculin, dans les Homélies d’Organya (ms. de la fin du xiie ou du comm. du xiiie s.)1, dans Flamenca, dans la Vie de saint Honorat de Raimon Feraud, dans le Mystère de sainte Agnès, dans la Vie de sainte Douceline, dans les Leys d’Amors, dans le Ludus sancti Jacobi, etc.2.

Les documents d’archives sont plus nombreux encore, riches surtout (mais non exclusivement) pour les noms de lieu et de personne3. Je ne saurais les énumérer ici en détail. De leur dépouillement il résulte que cette forme de l’article n’est pas particulière à la Gascogne et à la Provence, mais qu’on la trouve aussi en Catalogne, dans l’Albigeois, le Quercy, le Rouergue, le bas Languedoc (régions de Nîmes, de Montpellier et de Lodève) et jusqu’en Dauphiné (régions de Gap et de Valence). Dans les textes les plus anciens, la forme pleine du masculin, assez rare, est écrite zo (Cartul. de Bigorre, fol. 3 et 19) ou cho (Cartul. de Gimont), la forme du féminin, très abondante, flotte entre za [qui domine partout], ca [dont le c est manifestement assibilé, comme il résulte de la graphie ça, qui se lit dans un acte original du vicomte de Béarn, daté de 1253, Arch. des Basses-Pyrénées, E 288, facsimilé nº 204 de l’École des chartes, et de la juxtaposition des graphies Petrus de Ca Artiga et Bidal de Za Barta dans un acte du Cartulaire noir d’Auch daté de 1097], cha [graphie particulière au Cartulaire de Gimont, où elle domine presque exclusivement, mais cède quelquefois la place à la], et /XXVII/ ce (Cartulaire de Bigorre, fol. 18 vo). Les formes contractées du masculin flottent (comme dans notre Chanson) entre z et tz à la finale; atz et az, detz et dez. Dans les Chartes du prieuré de Ségur (Albigeois), publiées par C. Cabié, le même personnage est appelé Petro desc Fau, p. 24 (acte d’environ 1105) et Peiro del Fau, p. 32: la graphie sc parait bien être une notation du son sibilant dur tz.

Dans ces conditions, il faut absolument écarter ipse et iste comme bases étymologiques. Pour mon compte, esclave de la phonétique historique, j’enseigne depuis longtemps que la seule hypothèse à faire est celle de la combinaison de la préposition ecce avec le pronom is: je ramène czo, zo à un type *eccio (pour ecce eum), et za à un type *eccia (pour ecce ea, ecce eam) du latin vulgaire.

2. – Pronom personnel féminin. – A trois reprises, l’auteur de notre Chanson emploie, au sujet sing., le pronom féminin le (écrit lle en liaison avec la conj. e et le pronom neutre czo) »1.

3. – 2e pers. plur. de l’impératif. – Conformément au type latin [videte, etc.], la 2« pers. plur. se présente avec un d final dans aduzed et tolled. Mais on trouve concurremment la forme qui a prévalu depuis, par emprunt à l’indicatif, dans causez et disez.

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[Note a pag. XXV]

1. Journ. des Sav. 1903, p. 341. Torna al testo ↑

2. Voici une bibliographie sommaire, par ordre alphabétique d’auteurs ou de titres:

Antonio de Bofarull, Estudios, sistema gramatical... de la lengua catalana, 1864 (cité par Milá y Fontanals);

Chabaneau, Rev. des lang. rom. 1874, p. 463; 1876, p. 188; 1877, p. 28 (cf. Gramm. limousine, p. 187, 188, 371, 379);

Diez, Gramm. des lang. rom., trad. franc., II, 40;

Jovellanos, Descripcio del castel de Bellver (cité par Milá y Fontanals);

Luchaire, Rev. de Gascogne, 1878, p. 53 et 161; Etude sur les idiomes pyrénéens, 1879, p. 228; Rec. de textes gascons, 1881, p. 132 et 154;

Levy, Prov. Suppl.-Wörterb. (1914), VII, 671-3;

P. Meyer, Revue critique, 1869, 2º sem., art. 184; Romania, XXXV, 138;

Milá y Fontanals, El Diario de Barcelona, 25 févr. 1870; Revue des lang. rom., 1877, p. 226;

Morel-Fatio, Mélanges Léon Renier, 1887, p. 9.

Moris et Blanc, Cartul. de l’abbaye de Lérins, t. I (1883), introd., p. xxi.

Rajna, Mélanges Chabaneau, 1906, p. 473. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXVI]

1. Antics documents de llengua catalana, par Joaquim Miret y Sans (Barcelona, 1915), p. 46, li. 7-8 d’en bas: creceg qe de sola za paraula de N. S. garia sa fila. Torna al testo ↑

2. Voit Levy, loc. cit. Dans quelques cas, on ne peut sûrement distinguer s’il s’agit de l’article ou du possessif. Sous la même réserve, il faut mentionner la traduction versifiée de la Chirurgie de Roger de Salerne [appelé à tort de Parme], Romania, X, 74, vers 112 (so col) et 123 (so cul). En recourant au manuscrit, on constate que la partie inédite abonde en exemples non douteux: vers 638, 925, et 1403 (so det « le doigt ») 841 et 1489 (sa man « la main »), 913 et 915 (sos pes « les pieds »), 1362 (si tela « la toile »). Torna al testo ↑

3. Beaucoup d’indications m’ont été fournies, d’après les documents originaux de la France méridionale, par mon ami C. Brunel, professeur à l’École det chartes, à qui je tiens à exprimer ma reconnaissance. – Pour Montpellier, voir les notes ajoutées par Chabaneau à l’édition du Cartul. des Guillems, publiée en 1884-86, p. l. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXVII]

1. 1. Cf. Notes, v. 164. Torna al testo ↑