La Chanson de Sainte Foi d’Agen

Introduction

/XXXVI/

VIII. – Patrie de l’auteur.

L’auteur ne nous a pas fait connaître directement sa patrie. La façon dont il parle d’Agen, berceau de sainte Foi (v. 34 et s.) et de Conques, d’où le culte de la sainte a rayonné sur la chrétienté (v. 435), nous invite à ne voir en lui ni un Agenais ni un Rouergat. Les mentions qu’il fait du pays des Basques, de l’Aragon et de la contrée des Gascons (tir. III), de l’Espagne et des monts de Cerdagne (tir. XII), ainsi que du Val d’Aran, qu’il croit (à tort d’ailleurs) habité par les Basques, montrent qu’il a des accointances plus ou moins étroites avec la région des Pyrénées.

L’étude de sa langue permet d’apporter de nouveaux éléments à ces constatations préliminaires. Elle exclut toute localisation dans la partie septentrionale du domaine de la langue d’oc qui confine à celui de la langue d’oïl, et nous oblige à chercher sa patrie dans la partie centrale et méridionale. La Gascogne tout entière est également exclue, et l’on sait que, linguistiquement, elle déborde, au Sud-Est, la rive gauche de la Garonne, et s’étend non seulement sur le Val d’Aran, mais sur l’ancien diocèse de Comminges (partie méridionale de la Haute-Garonne) et sur l’ancien diocèse de Saint-Girons (partie occidentale de l’Ariège). Par suite, la Chanson ne peut avoir été composée, comme est porté à le croire Pio Rajna1, ni dans le comté de Comminges ni dans le Val d’Aran. On ne peut donc prendre en considération que le Languedoc, la Provence, le Quercy et le Roussillon.

Des traits linguistiques que nous avons passés en revue, trois doivent être retenus, comme pouvant, par leur coexistence en une certaine région, nous permettre de choisir: le maintien, à /XXXVII/ la finale, du n dit instable, les 3e pers. plur. en -an fidèles au type latin -ant, et les Ires sing. (de l’ind. et du futur) en -ei (au lieu de -ai primitif). Désignons-les, dans l’ordre où nous venons de les énumérer, par A, B et C. Le Quercy, qui n’en offre aucun, et la Provence, qui possède A et B, mais non C, sont exclus. Le Roussillon connaît les formes verbales en -ei, mais, dès le xie siècle, comme en Catalogne, elles sont le plus souvent réduites à -e; ce fait, joint à la chute de n instable, oblige aussi à écarter le Roussillon1. Il ne reste donc que le Languedoc, province dont la grande étendue ne va pas, comme on sait, sans une grande variété linguistique. P. Meyer y a signalé le trait C (inconnu dans le Gard et dans l’Hérault) comme « habituel » dans la Haute-Loire, le Tarn, le Tarn-et-Garonne, le nord de la Haute-Garonne et l’Aude2. La Haute-Loire ne peut-être retenue ici, car elle fait partie du domaine septentrional que nous avons écarté plus haut. Le même trait se trouve aussi, le plus souvent, dans la plus ancienne charte du Gévaudan (Lozère), qui remonte à 11093; mais comme dans ce document -an (trait B) est remplacé par -on, le Gévaudan (qui est d’ailleurs, pour la plus grande part, du domaine septentrional) ne peut être mis en cause. Si les chartes du Tarn, de Tarn-et-Garonne et du nord de la Haute-Garonne offrent le trait C, elles ne connaissent pas le trait A (maintien de n instable). Nous sommes donc réduits à l’Aude, où, d’après les conclusions de P. Meyer, on trouve concurremment, dans les documents les plus anciens de Narbonne, la réunion des trois traits linguistiques envisagés4.

/XXXVIII/ En définitive, c’est dans l’Aude, région de Narbonne, que je place la patrie de l’auteur de la Chanson de sainte Foi1. Mais je le fais, bien entendu, sous toutes réserves2.

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[Nota a pag. XXXVI]

1. Mém. cité, p. 474-5. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXXVII]

1. Remarquons aussi qu’en Roussillon, avant la fin du xie siècle, apparait la réduction du groupe primitif -nd- intervocalique à n simple (manaras, demanaras, dans Rev. des lang. rom., III, 25) que ne connait pas la Chanson (la leçon maned, au v. 519, dans le texte de Leite de Vasconcellos, n’étant qu’une faute typographique pour manded). Torna al testo ↑

2. Romania, XVIII, 423. Torna al testo ↑

3. Voir le texte dans Bibl. de l’École des chartes, LXXVII, 14-17. édit. de C. Brunel. Torna al testo ↑

4. Pour le trait A, voir Romania, XVIII, 425, n. 1; pour le trait B, ibid., IX, 206 (où il faut ajouter des textes de Narbonne) et XVIII, 424; pour le trait C, ibid., XVIII, 423. – Gröber, en plaçant dans la Haute-Garonne la patrie de l’auteur de la Chanson (Mél. Chabaneau, p. 619), oublie qu’une partie de ce département appartient au domaine gascon, et que, dans la partie languedocienne, le n instable manque dans les documents. Torna al testo ↑

[Note a pag. XXXVIII]

1. Par suite, je rétracte ce que j’ai dit, sans fondement solide, dans l’Annuaire de l’École des Hautes Études pour 1908-9, p. 73-4: « Il paraît acquis que ce curieux poème... a été composé... dans la partie nord-ouest de l’ancien diocèse de Toulouse, à peu de distance de Grisolles (Tarn-et-Garonne) ». – Pour la chute de n instable dans cette région, voir une charte de Lanta, datée de 1205, où l’on trouve bos (pour bons), razo (pour razons), setes (pour setens) dans H.-Fr. Delaborde, Layettes du Trésor des chartes, V, p. 55, nº 157 (facsimilé dans Prou, Man. de paléogr., pl. XIV, nº 1), et une charte de Villemur, datée de 1232, où l’on trouve maiho (pour maihon « maison ») et ma (pour man « main »), dans Prou, loc. laud., pl. XV, nº 1. Torna al testo ↑

2. Si pour cette région on possédait en abondance des documents originaux d’archives remontant au xie siècle, ces conclusions seraient plus solides et, peut-être aussi, plus précises. Il est évident qu’on court le risque de se tromper quand, pour localiser un texte du xie siècle, on ne peut le comparer qu’à des textes postérieurs d’un siècle ou deux, sans avoir de données positives sur l’évolution du langage dans le temps. – D’autre part, il me parait impossible, dans l’état de nos informations, de mettre la patrie de l’auteur en rapport avec un centre local déterminé du culte de sainte Foi. P. Rajna a indiqué, sans insister, une localité portant le nom de Sainte-Foy, qu’il place à 26 km « sud-est » de Toulouse (Mél. Chabaneau, p. 474). Je suppose qu’il a voulu dire « sud-ouest », la distance convenant à une commune du canton de Saint-Lys, jadis appelée Sainte-Foy de Peyrolières, où l’abbaye de Conques possédait un prieuré dès 1065-87 (Bouillet et Servières, p. 326). Or cette commune appartient au domaine gascon. Torna al testo ↑