Massaja
Lettere

Vol. 3

/255/

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A sua maestà Napoleone III
Imperatore di Francia – Tuileries

F. 462rSire,

[Parigi, ultimi giorni di giugno 1865]

Dans l’audience qu’elle a daigné m’accorder le 25 de ce mois, Votre Majesté m’avait demandé de lui présenter un mémoire des renseignements que je lui avais donnés sur les pays Gallas dont je suis le Vicaire Apostolique depuis Vingt ans. C’est ce mémoire que j’ai l’honneur de lui adresser.

Commencée en 1846 cette Mission promet en ce moment le plus consolant avenir. Mais l’Empereur de l’Abyssinie Théodoros menace de l’anéantir, en ne permettant pas aux Missionnaires Catholiques de traverser son Empire, pour se rendre dans les Gallas dont les populations toutes payennes sont indépendantes de lui. Et cependant l’Abyssinie est aujourd’hui la seule voie possible.

Pour faire cesser une persécution qui opprime non seulement la Mission Catholique, mais encore tous les Européens, quelle que soit leur Religion, une intervention armée n’est pas nécessaire; une démarche Diplomatique sagement et énergiquement dirigée dans le sens que je pourrai indiquer suffirait pour atteindre ce but, et procurer de plus au gouvernement de Votre Majesté et à toute l’Europe d’immenses bienfaits.

F. 462v En preuve de ces assertions, j’oserai appeler l’attention de Votre Majesté sur les considérations suivantes:

1º. Les Pays Gallas forment un plateau élevé dont la longueur est de 300 lieues du Nord au Sud, et dont la largeur de l’Est à l’Ouest est de 150 lieues. Ils constituent comme une espèce de forteresse, accessible par un très-petit nombre de points seulement.

2º. Sa température est presque unique: dans les divers lieux que nous occupons, sa moyenne est de 20 degrés, le thermomètre de Réaumur ne descendant pas au dessous du 17e et ne s’élevant pas au dessus du 23e. Sa salubrité est remarquable: on n’y voit régner ni les maladies violemment mortelles qui désolent les autres contrées de l’Afrique, ni la plus part des maladies Européennes.

3º. Son sol qui présente la végétation des pays chauds et des pays froids, est plus riche que celui de l’Europe en grains, en minéraux, en or surtout, en eaux minérales et thermales, en charbon, en bois, en bestiaux de tout genre.

4º. Sa race est une race Sémitique et de toutes les races Africaines, la seule susceptible de l’éducation Européenne, et naturellement agricole.

5º. Les Gallas sont très peuplés, surtout dans les régions du Sud connues seulement de nos Missionnaires. Divisés en quatorze républiques et en cinq Royaumes, on y compte plus de huit millions d’habitants qui professent tous le Paganisme. Continuellement en /256/ guerre les unes contre les autres, le Catholicisme seul pour lequel elles manifestent de la sympathie [f. 463r] pourrait civiliser ces nombreuses peuplades, leur donner une éducation Européenne, et faire d’elles une nation chrétienne. Placée au centre de l’Islamisme, elle sauvegarderait à jamais l’influence française dans ces contrées dont l’Islamisme orthodoxe ferme l’entrée à notre commerce et menace de révolutionner les Indes elles mêmes, où la Russie, aujourd’hui maîtresse du Caucase, est sur le point de s’établir.

6º. La haute Ethiopie dont il est ici question possède un littoral sur la mer Rouge presque égal à celui de l’Italie sur la Méditerranée. Elle pourrait fournir facilement une armée de quelques centaines de mille hommes, à laquelle l’ouverture de l’Isthme de Suez attache une importance toute spéciale. L’Abyssinie seule qui professe le Christianisme et qui entoure les Gallas à l’Ouest et au Nord, bien que sa population ne soit que de quatre millions, compte néanmoins douze siècles de guerre contre l’Islamisme, et a préservé jusqu’ici de son invasion toutes ces contrées. Aujourd’hui même, malgré son extrême faiblesse et ses guerres intestines, elle épouvante l’Egypte qui l’environne. Quelle ne serait pas sa puissance, si elle était éclairée, dirigée, soutenue par la France, et animée de son esprit national?

7º. Déjà je l’ai dit, il n’est pas ici question de guerre, laquelle en Abyssine offrirait les plus graves difficultés à cause des redoutables forteresses naturelles qu’elle renferme. Il s’agirait seulement d’une Mission Diplomatique bien dirigée, soit auprès de Théodoros, soit dans le cas d’un refus [f. 463v] de celui-ci, auprès d’un des chefs les plus considérables des tribus que j’indiquerai. En promettant à Théodoros de le défendre contre les Musulmans, de l’aider à organiser son empire, et en lui offrant quelques présents, je suis autorisé à croire qu’il consentirait à céder une position sur les frontières Est de l’Ethiopie, où le Gouvernement pourra fonder un établissement soit par lui-même, si la Diplomatie le permet, soit par l’entremise d’une compagnie commerciale, d’accord avec le Gouvernement.

8º. Du moment où cette position serait prise, le Gouvernement de Votre Majesté se rendra aisément maître de tous ces hauts plateaux, sans tirer un coup de fusil. Si Théodoros veut marcher en bonne harmonie avec Votre Majesté, elle domine complètement l’Egypte, en le poussant soit vers le Sennaar, soit vers la Nubie. Dans le cas contraire du moment où Votre Gouvernement aura pris une position sûre, toute l’Aristocratie de ce pays que Théodoros a maltraitée et dépouillée, et qui n’attend qu’un appui pour se révolter contre lui, se jettera à vos pieds, heureuse de pouvoir reconquérir, au prix de sa soumission et de quelques tributs annuels, ses anciens domaines.

9º. J’ajouterai que, l’établissement dont je parle étant fondé, tout le commerce de ces contrées abandonnera Massavoa pour s’y porter de préférence, soit à raison de la proximité, soit à cause des mauvais traitements qu’ils subissent à Massavoa de la part des Musulmans. Cette petite Colonie pourra donc dès le commencement [f. 464r] se suffire, sans être à charge au Gouvernement.

10º. Je dirai enfin que cette position permettra au Gouverne- /257/ ment de se créer, en moins d’un an, une armée de dix mille Soldats indigènes dont la valeur ne le cède pas à celle de nos Soldats, et qui ne coûterait pas le tiers de ce que coûtent les Soldats Européens.

Voulant ménager les moments si précieux de Votre Majesté je me borne à ce court exposé, me proposant de donner de plus amples détails au Ministre des Affaires-Etrangères.

Telles sont les relations que les connaissances acquises pendant Vingt ans de ces Pays, de leurs habitants, de leurs mœurs, de leur caractère, de leurs tendances me permettent de donner avec sûreté à Votre Majesté. Je la supplie de les prendre en considération dans l’intérêt de la Religion de l’humanité et de la gloire de Votre Règne.

J’ai l’honneur d’être
Sire,
de Votre Majesté,
les très humble et obéissant serviteur.

† Fr:  Massaya evéque de Cassia
Vicaire apostolique des Gallas.