Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Premiere partie
Sainte Foy

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Chapitre III
Préliminaires du martyre

Les Nitiobriges étaient une peuplade de l’Aquitaine mentionnée par César. Agennum ou Aginnum, Agen, était leur cité. Le culte druidique avait été en grand honneur dans ce pays, ainsi que l’attestent les nombreux monuments semés sur ce sol, dolmens, menhirs, cromlechs, tumuli. César et son lieutenant Crassus, ayant vaincu les Nitiobriges et leurs voisins les Sotiates, proscrivirent la religion des druides, qui était le boulevard du patriotisme, et imposèrent leurs dieux aux pays conquis. Les principaux dieux tutélaires d’Agen semblent avoir été Jupiter et Diane.

Une inscription trouvée à Agen mentionne le fanum Jovis et un collège de jeunes gens voués à Jupiter (1). Pareillement les temples de Diane étaient /20/ toujours desservis par un collège de jeunes filles. « Tout nous engage à regarder le temple de Jupiter comme celui dans lequel saint Caprais refusa de sacrifier. Près de là s’élevait sans doute ce palais des grands pontifes où Dacien engageait Caprais avec bienveillance à venir habiter (1). »

Diane est la divinité à laquelle sainte Foy fut pressée de sacrifier. D’après ce que nous avons vu, il est probable qu’elle a eu un temple à Agen et que notre sainte a été immolée devant ce temple. « Le nom de Diane ou plutôt d’Artémis appartient chez les Grecs à plusieurs divinités d’origine et de caractères différents (2). » L’on peut ramener les types des déesses connues sous ce nom à deux principaux; la Diane des Asiatiques, et celle des Grecs et des Romains. Ces deux types diffèrent entièrement. Le premier appartient à ces religions symboliques qui datent de l’origine des premières sociétés, et figurait la puissance mystérieuse qui crée et qui nourrit. La plus célèbre personnification de ce typé est la Diane d’Éphèse, la même, dit-on, que l’Astarté phénicienne. Le temple fameux qui lui était dédié dans cette ville était la merveille de l’univers. Il était desservi par une multitude de prêtres et de prêtresses. « La déesse d’Éphèse ne rappelait en rien le lype élégant de beauté que les artistes grecs ont donné à la fille de Latone » et de Jupiter (3). Cette dernière, la Diane des Grecs et surtout des Romains, était une chasseresse et était représentée avec les attributs de sa profession. Elle était vouée à une éternelle virginité. D’où l’on voit que son culte ne comportait pas les pratiques sensuelles de la Diane asiatique. Les Grecs la vénéraient encore comme déesse du ciel, sous le nom de Phébé, la Lune, et comme déesse des enfers sous le nom d’Hécate.

Les Phocéens qui vinrent fonder la ville de Marseille, 600 ans avant Jésus-Christ, amenèrent avec eux, dit Strabon, une prêtresse du temple d’Ephèse qui emportait des statues de la déesse. Ils s’empressèrent dès leur arrivée, d’élever un temple à la grande Diane et reconnurent désornjais celle-ci comme leur divinité tutélaire. Les Massaliotes répandirent le culte de Diane dans le midi des Gaules; de tous côtés s’élevaient des temples à la déesse. De jeunes vierges concouraient avec des prêtres au service de la divinité. Le peuple saluait avec respect les édifices qui lui étaient consacrés en disant: Ave, Diana.

La Diane qui avait, à ce que l’on croit, un temple à Agen, était-elle celle des Massaliotes et d’Éphèse, ou bien celle des Romains conquérants? Il n’importe guère. En tout cas, la Diane mentionnée par Dacien comme devant /21/ convenir, par la nature de son culte, à notre jeune vierge sainte Foy, ne pouvait être que la seconde.

A quelle époque la religion chrétienne apparut-elle dans l’Agenais? La liturgie de cette église se flatte de faire remonter l’évangélisation du pays au ier siècle, et honore saint Martial comme le fondateur de l’église et du siège épiscopal de la cité (1). Quelques années plus tard, saint Firmin, évêque missionnaire, issu d’une famille sénatoriale de Pampelune, serait venu raffermir le peuple d’Agen dans la foi de Martial (2).

D’après les mêmes traditions, le premier évêque connu de cette église serait saint Caprais (3). Issu, dit-on, d’une famille chrétienne et illustre d’Agen (4), il aurait reçu une éducation digne de son rang (5) et mérité, jeune encore ou du moins dans la force de l’âge (6), d’être élevé sur le siégé d’Agen, vers la fin du iiie siècle. Il aurait choisi pour son aide un jeune chrétien vertueux et zélé, nommé Vincent, et lui aurait conféré l’ordre du diaconat (7).

A cette même époque, vers l’an 290 à 292, vint au monde l’héroïne de notre histoire, la vierge Foy (8). Son nom fut un présage, une prophétie des vertus et de la mission future de cette enfant qui devait être, durant sa courte vie, le champion de la foi chrétienne dans sa ville natale et, après sa mort glorieuse, le soutien de la religion dans plusieurs contrées.

Avant d’arriver à la passion authentique de notre sainte, nous allons réunir ici tous les traits que l’on raconte sur son enfance. Nous verrons plus loin (9) que leur valeur n’est nullement historique pour la plupart d’entre elles, pas même sérieuse pour plusieurs, à raison de leur provenance, Si nous reproduisons ces légendes c’est pour la curiosité et l’édification du lecteur, qui sera éclairé sur le degré de créance qu’elles méritent.

La famille de la sainte serait restée païenne (10). Sainte Foy avait une /22/ sœur nommée Alberte (1), païenne comme ses parents. Quant à notre sainte, elle aurait eu le bonheur de tomber entre les mains d’une nourrice chrétienne (2), qui s’empressa de la présenter au saint pasteur Caprais. Celui-ci lui conféra le sacrement de baptême (3), l’instruisit de bonne heure des vérités de la foi et lui inspira l’amour de Jésus-Christ. La jeune Foy correspondit merveilleusement à ses leçons par une piété tendre et précoce; elle voua même sa virginité à l’Époux céleste (4). Animée d’une charité ardente, elle versait de larges aumones dans le sein des pauvres et secourait les chrétiens dispersés par la persécution. Son père, irrité de ce que certaines provisions disparaissaient de sa maison, apprit de ses serviteurs que sa fille elle-même était l’auteur de ces larcins, et qu’elle en distribuait le produit aux pauvres. Il résolut de la surprendre. Un jour que, dans un dessein dé charité, elle emportait de sa maison du pain enveloppé dans un pli de son vêtement, il l’arrête et lui demande ce qu’elle porte: « Des fleurs », répond l’enfant, confiante en Jésus-Christ. Aussitôt elle déploie son vêtement, et alors apparaissent aux yeux du père étonné des fleurs fraîches et vermeilles (5). A cette /23/ marque distinctive de la charité, il comprit ce qu’il soupçonnait dejà, que sa fille était chrétienne (1).

Tant de charité et de courage dans un âge si tendre ne pouvaient procéder que d’une foi vive et ardente. Foy était un apôtre. Dans l’ardeur de son zèle, elle ne craignait pas de prêcher publiquement et d’annoncer au peuple la religion de Jésus-Christ. Dieu accorda tant de grâce à ses paroles que bon nombre d’idolâtres, subjugués par le charme et l’éloquence de la céleste enfant, abjurèrent leurs erreurs (2). Ces récits légendaires, tirés pour la plupart de l’ancienne liturgie, sont loin d’offrir, il est vrai, la garantie de l’histoire. Mais il est incontestable que la jeune Foy avait dû se signaler avec éclat par des traits de ce genre pour avoir mérité d’attirer à ce point l’attention publique, d’être discernée par le proconsul et d’être appelée la première à l’honneur de confesser la foi de Jésus-Christ.

Et l’influence merveilleuse que cette enfant exerça autour d’elle, durant son martire, est le garant de celle qu’elle avait exercée durant sa vie même.

Le contraste de son âge si tendre communiquait à sa précoce sagesse et à ses vertus accomplies un charme touchant et un éclat céleste qui subjuguaient tous les cœurs. La noble beauté de son âme brillait sur les traits de son visage, pleins de grâce et de distinction (3). La candeur, la pureté de son cœur, l’enjouement du jeune âge, tempéré par la sérénité de la vertu (4), /24/ ravissaient tous les regards. La victime était parée pour le sacrifice. Cette tendre fleur était dejà digue d’orner les jardins célestes: une furieuse tempête allait la ravir à la terre.

A la nouvelle de l’approche du féroce Dacien, que sa réputation avait précédé, les chrétiens d’Agen, frappés de terreur, désertent la ville, se dispersent comme un timide troupeau et vont chercher une retraite dans les profondeurs des forêts ou les cavernes des rochers. Réduits à la nourriture des animaux, ils n’ont pour apaiser leur faim que des racines ou des fruits sauvages. Le premier pasteur lui-même, Caprais, juge qu’il est prudent de se soustraire à la persécution. Il veut néanmoins partager le sort de son troupeau et, pour ne pas trop s’éloigner du centre des événements, il erre dans les rochers qui avoisinent la ville et y cherche un refuge, « Il gravit clandestinement la pente de cette montagne à laquelle les anciens ont donné le nom de Pompéjac (1). Arrivé près du sommet, il trouve une caverne hérissée de rochers, qui en dérobent la vue, et bien propre à protéger ceux qui venaient lui demander asile (2). »

Au nord-est de la ville se dresse un immense rocher percé de cavernes et hérissé de ronces, de tiges grimpantes et d’arbustes qui en cachent la pente abrupte et inégale. Au sommet s’étend un plateau sur lequel s’élevaient jadis le bourg de Pompéjac (3) et son château, antique retranchement ou oppidum des Nitiobriges. De là, comme du haut d’un observatoire, on a vue sur la ville entière. Des fouilles récentes ont fait sortir de ce sol des débris celtiques, romains et chrétiens. La principale caverne de ce rocher, après avoir servi de refuge à saint Caprais, servit de retraite à son diacre saint Vincent: c’est pourquoi la montagne porta dans la suite le nom d’Ermitage de Saint-Vincent, et devint le centre d’un pèlerinage célèbre. Au xviie siècle, l’Ermitage reçut une communauté d’ermites à laquelle succéda, au milieu du siècle actuel, un couvent de Carmes déchaussés. Tel était l’asile et le point d’observation choisi par le pasteur de l’église d’Agen.

Cependant le proconsul avec son escorte fait son entrée dans la cité. Aussitôt, de la campagne et des pays voisins, accourt une multitude de /25/ peuple avide d’entendre la proclamation que cette bouche impie allait proférer contre le troupeau du Christ. Lé nombre des auditeurs est porté à douze mille par un bréviaire d’Agen (1).

Se voyant entouré de cette foule empressée, le préfet lui adresse ces paroles: « Voici le sujet qui m’amène au milieu de vous. Je viens donner une juste récompense à ceux qui, fidèles au culte de nos pères, fréquentent nos temples et offrent des sacrifices à nos dieux. Mais ceux qui les outragent, ceux qui méprisent nos institutions trouveront la mort dans les plus cruels tourments (2) ».

Notre jeune sainte n’avait pas cru devoir suivre les chrétiens dans leur fuite: elle était demeurée dans la ville sous la protection de son âge et de son sexe, et sous la garde de ses parents, qui n’avaient pas eu à fuir puisqu’ils étaient païens.

C’en était fait, ce semble, de l’église d’Agen. Devant le loup ravisseur le pasteur avait pris la fuite, les brebis s’étaient dispersées. Seul un tendre agneau sans appui avait pour mission de tenir tête au monstre déchaîné. Tel était l’unique champion que Jésus-Christ avait à opposer au colosse de la puissance romaine, une jeune vierge, une enfant de douze ans. Mais cette frêle enfant s’appelle Foy; ce nom seul vaut une armée. Dieu, qui se rit des desseins des méchants, choisit toujours les plus faibles instruments pour triompher des puissances les plus redoutables.

Résolu dès le principe à frapper un coup d’éclat, le préfet cherchait quelque illustre victime à immoler à sa fureur. On lui désigna la jeune Foy. Et ce qu’il y a de plus monstrueux c’est que, d’après une tradition, fort incertaine d’ailleurs, le père de la sainte, foulant au pieds les sentiments de la nature, aurait dénoncé lui-même sa propre fille et l’aurait jetée dans la gueule du dragon (3), ce qui n’était pas rare pendant les persécutions. Si l’on peut ajouter foi à ce récit, le père aurait agi soit par la crainte de perdre la faveur impériale, soit par une rage infernale et assez commune contre le nom chrétien.

Nous voici enfin arrivés au point culminant de cette histoire, au martyre de notre sainte. Ici nous quittons les ombres indécises et douteuses pour entrer dans la pleine clarté de l’histoire. Nous n’avons qu’à nous borner au rôle de traducteur fidèle.

[Note a pag. 19]

(1) Juvenes a fano Jovis. – Cf. Boudon de St-Amans, op. cit., p. 40-42. – Barrère, Hist. d’Agen, p. 4. – Recueil des travaux de la Soc. d’Agen, t. VIII, p. 145. Torna al testo ↑

[Note a pag. 20]

(1) Boudon de Saint-Amans, op. cit., p. 42. Torna al testo ↑

(2) E. Beurlier, art. Diane, dans le Dictionn. de la Bible, en cours de publication. Torna al testo ↑

(3) La Diane d’Ephèse était représentée multimammia. – Cf. E. Beurlier, loc. cit. Torna al testo ↑

[Note a pag. 21]

(1) Bréviaire de Bilhonis, et Propre de Joly, qui invoque les Propres de Toulouse et de Bordeaux. – Voir dans S. Martial, par le card. Bourret, les documents sur lesquels se fonderait cette tradition (p. 71, 398, etc). Torna al testo ↑

(2) Barrère, Hist. d’Agen, p. 27-28. Torna al testo ↑

(3) On a beaucoup discuté sur sa qualité d’évêque. Il n’est pas de notre objet de prendre parti dans cette controverse. Si dans le cours du récit nous donnons à saint Caprais le titre d’évêque, c’est simplement pour nous conformer à la tradition la plus commune. – Voir plus loin, les Etudes critiques, p. 410. Torna al testo ↑

(4) Barrère. op. cit. p. 28. Torna al testo ↑

(5) On trouve dans la Biblioth. du P. Labbe, à l’Appendice, des Actes de S. Caprais qui fournissent des détails sur les parents du saint, sur le gouverneur de la ville. Mais ces Actes sont apocryphes et dérivés de ceux de S. Symphorien. Le Propre d’Agen (1727) a eu le tort d’y puiser les leçons du 24 octobre (p. 75-177); il a soin néanmoins de citer la source. Torna al testo ↑

(6) Video te decorissimum juvenem. – Actes de sainte Foy. Torna al testo ↑

(7) Bréviaire d’Agen (1505); Propre de 1670; ancien bréviaire de Conques cité par le P. Cortade, p. 54. Torna al testo ↑

(8) Le Cognomen Foy, πίστις en grec, est fréquent sous sa forme grecque ou latine dans l’antiquité chrétienne (Allard, op. cit., p. 39). – Fides, qui signifie la foi, signifie aussi lyre. Cette dernière acception n’était point celle du cognomen chrétien. Torna al testo ↑

(9) Voy. les Etudes critiques, p. 414. Torna al testo ↑

(10) Labenazie. – Sculpture dans le monastère de Sainte-Foy de Longueville. Torna al testo ↑

[Note a pag. 22]

(1) Act. SS., t. III, april., p. 866. – Gall. Christ., t. XI. – Barrère, op. cit. – Propre d’Agen de 1727. – Voy. plus loin les Etudes critiques, p. 407. Torna al testo ↑

(2) Labenazie. Torna al testo ↑

(3) Propre d’Agen de 1070 et de 1727, au 12 oct. – Labenazie. Torna al testo ↑

(4) Prose inédite du ms. de Schlesladt (xe siècle): Holocanstum fecit Deo votum conlinentiae. – Labenazie. Torna al testo ↑

(5) Hist. sacrée d’Aquitaine, par le P. Bajolè, p. 71-72. – Labenazie. – Ce miracle est discuté plus loin, dans les Etudes critiques, p. 414 Torna al testo ↑

[Note a pag. 23]

(1) Labenazie. Torna al testo ↑

(2) Ancien Légendaire de Chartres, cité par le P. Cortade, p. 23. – Labenazie mentionne cette tradition, sans l’adopter. Torna al testo ↑

(3) Actes de sainte Foy. Torna al testo ↑

(4) Id. Torna al testo ↑

[Note a pag. 24]

(1) L’Ermitage est le vrai nom de ce rocher. On croyait, au xvie siècle, que saint Vincent avait souffert le martyre en ce lieu; et, comme dans sa légende il est question de Pompéjac, on attribua faussement ce nom au coteau de l’Ermitage. « Ce qu’on appelle à Agen Pompéjac n’est pas précisément l’Oratoire de St-Vincent, mais uniquement cette montagne qui s’étend depuis l’Ermitage jusqu’à Belle-vue et au delà; et tout cela est connu, dans d’anciens manuscrits, non sous le nom de Pompéjac, mais sous celui de Mont-Pompéjac. » (Argenton, ms.) Torna al testo ↑

(2) Ce paragraphe et le précédent sont à peu près la simple traduction de la légende du bréviaire d’Agen, de l’an 1505. Torna al testo ↑

(3) Les ariens s’en emparèrent, au ve siècle, le pillèrent et en chassèrent les habitants. Cette ville existait encore à la fin du viie siècle. » (Argenton, ms.) Torna al testo ↑

[Note a pag. 25]

(1) Propre de 1070, 20 oct. – Propre de 1727, 27 oct. Torna al testo ↑

(2) Bréviaire de 1505. Torna al testo ↑

(3) Labenazie. – Ancienne sculpture du monastère de Longueville en Normandie. Voir plus loin les Etudes critiques, p. 415. Torna al testo ↑