Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Premiere partie
Sainte Foy

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Chapitre VIII
Physionomie et action de Sainte Foy

Hello a écrit: « Une des grandes erreurs du monde, consiste à se figurer les saints comme des êtres complètement étrangers à l’humanité, comme des figures de cire toutes coulées dans le même moule (1). »

Le monde surnaturel, comme le monde naturel, présente la variété dans l’unité et contient l’unité dans la variété. Chacun des innombrables saints que la terre a produits pour le ciel offre une physionomie différente dans la même sainteté. Tant de fleurs si diverses charment et ravissent la vue; l’ensemble de toutes ces variétés reproduit la physionomie du saint par excellence, de Jésus-Christ, le type divin de toutes les perfections. Il serait intéressant de connaître et de peindre la physionomie d’une /66/ sainte de douze ans, qui a été le champion de la foi chrétienne dans un âge si tendre, le soutien de la religion dans la cité d’Agen, sa patrie, et la merveille du moyen âge, du xffe au ssxiiie siècle. Malheureusement tout ce que nous savons d’elle, c’est qu’elle était une noble et belle patricienne, exerçant, malgré son âge d’enfant, une influence surprenante sur ses compatriotes. Dans son martyre elle entraîna le pontife de la cité avec une légion de païens, convertis par le seul spectacle de ses tourments et conduits par elle à la mort et à la gloire éternelle. Durant les siècles de foi, elle attira à son tombeau les multitudes, des régions de l’univers entier. Ce tombeau devint si glorieux qu’il forma un centre de pèlerinage dont le mouvement fut comparable à celui qui se produit aujourd’hui autour de la grotte de Lourdes.

Si les Actes, dans leur modeste concision, ne nous ont point laissé les éléments suffisants pour reconstituer la physionomie de notre héroïne dans le détail, le Livre des miracles nous offre une multitude de traits qui nous dépeignent l’aimable sainte. A l’œuvre on connaîtra l’artisan. Dans cet antique et naïf récit, dans lequel éclate la sincérité de l’historien, transparaît l’action personnelle de notre sainte, son âme, son cœur, son caractère, en un mot sa physionomie tout entière. « Dès ma plus tendre enfance, dit-elle au proconsul, je sers le Seigneur Jésus-Christ de toute l’ardeur de mon âge. » L’amour de Jésus-Christ, tel fut en effet le centre de sa vie entière, le mobile de toutes ses actions. Son corps vénérable fut déposé par les moines de Conques sous l’autel même du Saint-Sauveur; la sainte Eucharistie, du haut du ciborium, formait comme sa propre auréole. Là était son lieu de repos choisi; l’épouse voulait être auprès de son divin Époux. Aussi lorsque les moines conçurent le projet de l’arracher de cette place et de la transférer dans un autre local, nous avons vu comment elle résista miraculeusement à trois tentatives de translation.

L’amour se plaît aux soins minutieux, aux attentions délicates. L’épouse veillait avec une sollicitude touchante sur l’honneur dû au céleste Époux. Dès les premiers temps de son arrivée, la basilique, encore privée de l’affluence de pèlerins, n’était pas aussi bien illuminée, la nuit, qu’elle devait l’être un peu plus tard. « Un seul flambeau, dit l’historien des miracles, veillait devant le saint autel et le saint Sacrement. Mais il s’éteignait souvent, et le moine gardien, assoupi par la lassitude, n’était pas toujours là pour le rallumer. Alors la sainte elle-même touchait légèrement la joue du saint religieux pour le réveiller, et de sa voix la plus douce l’avertissait de rallumer la veilleuse. » Et elle revenait à la charge toutes les fois qu’il en était besoin jusqu’à provoquer l’impatience du bon moine (1).

/67/ Plus tard, lorsque, par ses prodiges éclatants et réitérés elle eut enrichi son abbaye, le lumiriaire se multiplia et éclaira la basilique, durant la nuit entière, des plus vives clartés. Alors aussi la sainte songea à décorer plus dignement l’autel du Saint-Sauveur, son Époux. Elle inspira aux moines la pensée de confectionner une table d’or massif pour cet autel. Nous avons dejà vu comment la sainte elle-même, pour recueillir la quantité d’or nécessaire, s’était chargée de l’office de quêteuse, apparaissant de tous côtés en songe à ceux qui possédaient des bijoux, les demandant, les exigeant, les extorquant pour l’autel du Saint-Sauveur. C’est ainsi que les moines purent confectionner cet autel d’or massif, orné d’une multitude de pierreries, une vraie merveille (1).

Un amour si ardent pour la divine personne de Jésus-Christ devait nécessairement se manifester par un zèle non moins ardent pour la sanctification et le salut des âmes.

L’œuvre la plus agréable à Dieu, sans contredit, c’est de s’employer à la sanctification, à la perfection des âmes religieuses soit dans le monde, soit surtout dans les monastères. Or on peut affirmer que jamais saint n’a pris soin d’un monastère comme sainte Foy de celui de Conques. Dès son arrivée, elle en prit en main la cause. Situé dans une contrée rocailleuse, il avait de la peine à subsister. La sainte, par la multitude de ses prodiges, provoqua des dons qui le tirèrent du besoin, qui même bientôt l’enrichirent. Mais alors elle fit surgir une multitude de vocations; l’abbaye dut élargir son enceinte pour contenir les enfants que lui donnait sa patronne; la basilique trop étroite dut faire place, dès le xie siècle, à la vaste et magnifique église actuelle, objet de l’admiration de tous les visiteurs, afin de livrer accès à la multitude des religieux aussi bien que des pèlerins. Le xie, le xiie et le xiiie siècles furent l’âge d’or du monastère. Qui jamais pourra dire combien d’âmes parfaites et quels cœurs ardents se sont succédé dans l’abbaye et y ont glorifié Dieu, sous l’impulsion et la protection de la sainte, qui présidait comme sensiblement aux destinées de ce grand monastère!

Aussi toucher à son abbaye et à tout ce qui en dépendait, c’était toucher à la prunelle de son œil. Les titres seuls des miracles de protection et de châtiment opérés à cette occasion par la sainte sont nombreux et significatifs: « Comment un seigneur en se précipitant sur un moine de sainte Foy fit une chute terrible où il trouva la mort (2); – comment un homme périt frappé de la foudre en attaquant des moines (3); – de celui qui menaçait un moine /68/ de sainte Foy et qui fut aveuglé (1); – comment l’abbé Pierre, se rendant à Sainte-Foy de Conques fut quatre fois délivré miraculeusement des embûches des ennemis (2); – comment un seigneur qui, à la tête de cinquante cavaliers, se disposait à envahir une terre de sainte Foy, fut frappé d’aveuglement avec ses compagnons (3); – d’une dame qui, ayant usurpé une terre de sainte Foy, périt misérablement (4); – d’un chevalier qui périt par l’épée en dévastant une terre de sainte Foy (5) », etc.

La sainte étendait sa sollicitude jusque sur les moindres objets appartenant à ses moines, comme on le verra par les titres suivants: « Des moissons des moines (6); – d’un soldat qui enleva la paille d’un paysan de sainte Foy; – d’un méchant cavalier qui fut puni de mort (7); – comment la maison d’un chevalier fut incendiée à l’occasion du rapt des oies de sainte Foy (8); – comment furent châtiés par la justice divine ceux qui tentaient de dérober le vin des moines (9); – comment un voleur fut forcé de rendre une trompette du monastère qu’il avait dérobée (10) ».

« Jusqu’ici, dit l’historien des miracles, sainte Foy avait si bien défendu son patrimoine que nul, au dedans comme au dehors, n’osait rien entreprendre contre lui. Mais l’opulence du monastère enflamma plus tard les convoitises et les rendit plus hardies; la ferveur religieuse commença dès lors à tomber en /69/ décadence; l’orgueil et le faste des chefs tendirent à paralyser l’action merveilleuse des saints... A ce moment critique, les miracles devinrent plus rares (1). » Le monastère, au commencement du xic siècle, était tombé entre les mains d’un homme cupide, Bégon, évêque de Clermont en même temps qu’abbé de Conques; cet homme associa successivement ses trois neveux à l’àbbatiat. Son gouvernement, dit un contemporain, l’historien des miracles, fut pour l’abbaye « un fléau de l’enfer (2) ».

Sainte Foy avait, un moment, suspendu la fréquence de ses miracles, en témoignage de son courroux; mais elle veillait et préparait de terribles châtiments aux loups ravisseurs qui étaient venus dévaster son troupeau. Une nuit, elle apparaît à l’humble gardien de la cire du monastère et lui révèle qu’elle vient de frapper de mort, cette nuit même, l’abbé Hugues, retenu dans le Quercy, et que trois autres personnages, qui avaient résolu de nuire à son monastère, allaient mourir de même, frappés prématurément par la justice de Dieu. Ces trois personnages, l’évêque Bégon, son neveu Pierre qui succéda à l’abbé Hugues, et Raymond, comte de Rouergue, périrent en effet en peu de temps et presque à la fois, l’an 1010. Raymond, dit l’historien, était un prince juste et pieux. Mais il avait manifesté l’intention de détruire le bourg qui s’était formé au-dessus du monastère et d’élever sur ses ruines un château fort qui aurait jeté la perturbation dans l’abbaye. Or toucher aux intérêts de la ville ou du monastère c’est toucher à sainte Foy elle-même; c’est s’attirer une catastrophe inévitable (3).

Cette menace est justifiée d’une manière encore plus éclatante par le châtiment terrible du seigneur de Conques lui-même. Ce seigneur, nommé Siger, poussé par un fol orgueil et une cupidité insatiable, ne manquait aucune occasion d’usurper les biens de l’abbaye, d’insulter cruellement les moines et de frapper et de mutiler leurs serviteurs. Les moines, impuissants contre ses sacrilèges entréprises, recourent avec confiance à leur sainte patronne et la supplient instamment de les délivrer de cet intolérable fléau. Ils exposent à cet effet, sur la place publique, la statue vénérable de la sainte avec les autres châsses, devant une nombreuse assemblée de fidèles. L’effet du courroux de la sainte ne se fit pas attendre. Siger, frappé d’un mal incurable, périt misérablement; trois de ses fils le suivirent de près dans la tombe; le quatrième, frappé de paralysie, mourut peu après; nul d’entre eux ne laissa de postérité. De leurs trois sœurs, les deux premières périrent dans la misère ou les /70/ douleurs; la dernière déchut dans le déshonneur, et fut pour cela dépouillée du fief de ses pères. La tour elle-même, confidente des desseins sacrilèges de cette race maudite, fut renversée de fond en comble par une tempête effroyable et s’écroula avec un horrible fracas (1). » Après cela on comprend que le nom de sainte Foy inspirât la crainte aux malfaiteurs et que le monastère fût respecté.

Les pèlerins innombrables, attirés à Conques par les miracles qui s’y opéraient, participaient à la même protection. C’est ainsi que Guibert, pèlerin d’Espeyrac, ayant été arrêté à son retour de Conques malgré l’immunité dont jouissaient les pèlerins, et ayant eu les yeux arrachés de leur orbite par son ennemi, la sainte elle-même prit l’initiative de lui proposer la guérison. Elle lui apparut et lui promit, sans qu’il l’eût demandé, de lui restituer les yeux arrachés avec la vue. Ce miracle étonnant attira à Conques une multitude de pèlerins désireux de visiter l’aveugle guéri, et devint le principe du grand mouvement qui entraîna les multitudes aux pieds de sainte Foy (2).

La protection de la sainte était assurée pour tous ses visiteurs. Tantôt, c’est un chevalier qui, au retour de son pèlerinage, est assailli par un autre chevalier son ennemi suivi de quinze hommes d’armes. Il invoque la sainte, et saisit une hache pour vendre chèrement sa vie. Les hommesj fuient, en proie à une inexplicable panique; il terrasse ceux qui résistent et fait prisonnier leur chef (3). Tantôt c’est un autre qui, saisi et jeté en prison par son ennemi, ne peut être enchaîné d’aucune manière; tous les liens se brisent, et les geôliers, subitement paralysés, ne peuvent arrêter sa fuite (4). Un autre, tombé dans un gouffre horrible, est retiré sain et sauf par une main invisible (5). Un autre enfin, arrêté et mis en prison, est élargi par son ennemi lui-même que la sainte avait frappé d’un mal terrible (6).

Les esprits vulgaires et superficiels ne verront, dans lés miracles étonnants et innombrables opérés par la sainte, que des bienfaits privés répandus sans but et presque au hasard sur des populations de foi ardente et d’esprit simple. Il importe d’en saisir le but élevé, le vaste plan social. Les saints, en opérant des prodiges avec profusion, groupaient autour d’eux les populations dont ils étaient les bienfaiteurs. A ce contact, elles se civilisaient; des centres, des pèlerinages se formaient et devenaient des villes florissantes. Sur les tombeaux des saints surgissaient de splendides basiliques où les arts les plus divers /71/ s’épanouissaient et s’élevaient jusqu’à un idéal, et une perfection qu’ils n’ont point dépassés. Ces basiliques devenaient le refuge inviolable du faible et de l’opprimé. Des abbayes se fondaient sous leur patronage. Dans ces asiles inexpugnables, les saints sauvaient les sciences, les lettres, la religion, la société; ils les retrempaient et leur inspiraient une nouvelle vie.

Tel était le monastère de Conques avec son pèlerinage. Il était comme un filet au moyen du quel sainte Foy péchait les âmes au milieu du monde. Par ses miracles, comme par un bienfaisant appât, elle attirait les populations dans son filet. L’industrieuse sainte choisissait dans la foule et recueillait les âmes les plus ardentes pour en peupler son monastère. Elle régénérait les autres, les renouvelait au contact des anges terrestres, devenus ses ministres, et les renvoyait dans le monde pour y répandre le parfum des vertus chrétiennes et gagner ou sanctifier d’autres âmes à leur tour.

Sainte Foy avait été apôtre durant sa courte vie et dans son martyre; elle le fut encore bien plus durant son règne bienfaisant, dans son monastère de Conques, et son zèle fut ajrdent comme son cœur virginal. Ce cœur jetait un cœur de mère pour ses pèlerins; il avait pour eux des condescendances qui allaient jusqu’à scandaliser les esprits étroits. Formé de tendresse et de pitié, il était facile à émouvoir. Les affligés, les infirmes, les misérables, les scélérats eux-mêmes en faisaient souvent la douce expérience. Les prodiges qu’elle a opérés en leur faveur sont vraiment innombrables. Elle ne pouvait tenir devant les larmes d’une mère, d’un père implorant même là résurrection d’un enfant mort. Parmi ses miracles on compte cinq résurrections de morts, obtenues de la sorte.

Et quelle condescendante bonté dans ses colloques avec les hommes simples et ignorants auxquels elle apparaissait parfois! Elle s’abaissait à suivre leurs naïves idées, se faisant toute à tous avec une charmante simplicité.

Reproduisons ici son dialogue avec l’aveugle Guibert, tel que l’historien l’a recueilli sous la dictée de l’Illuminé : « Guibert, dors-tu? – Qui m’appelle? Qui êtes-vous? – Je suis sainte Foy. – Madame, quel motif vous amène près de moi? – Je suis venue te rendre visite. » Guibert l’ayant remerciée avec effusion, elle reprit: « Me reconnais-tu maintenant? » Et lui, comme s’il l’avait /72/ vue auparavant et la connaissait depuis longtemps: « Oui, Madame, je vous vois parfaitement et je vous reconnais. – Dis-moi, comment te trouves-tu? Tes affaires prospèrent-elles? – Fort bien, Madame, je suis content et tout me réussit par la grâce de Dieu. – Comment peux-tu te dire si content, puisque tu es privé de la lumière? » Le pauvre aveugle, comme il arrive dans les songes, était hors de la réalité, et il avait cru jouir de la vue. Ce dernier mot lui rappelle la perte de ses yeux: « Ah! s’écria-t il, comment pourrais-je jouir de la lumière, moi qui, l’an passé, au retour de votre fête, ai eu le malheur de perdre la vue, par l’injuste violence de mon maître! – Ton maître t’a mutilé atrocement et sans raison; ce crime odieux a irrité vivement; le courroux du Seigneur. Mais demain, vigile de la fête de mon martyre, tu te rendras à Conques; tu achèteras deux cierges: tu offriras l’un à l’autel du Saint-Sauveur et l’autre à celui où repose ma dépouille mortelle, et alors tes yeux, reformés à nouveau, recevront le bienfait de la lumière... » Et, comme Guibert semblait hésiter et se demandait avec quel argent il pourrait acheter les cierges:

« Mille personnes que tu ne connais pas, reprit-elle, te feront l’aumône. Ce matin, dès l’aube, hâte-toi de te rendre à l’église de la paroisse; tu assisteras au saint sacrifice, et là un homme te donnera six deniers (1). »

Comparons maintenant ce dialogue avec celui où se trouve mise en action la plus haute dame de la contrée, la comtesse de Toulouse; « Une nuit la dame, dans sa noble couche, vit apparaître en songe une jeune vierge de la beauté la plus éclatante. Après avoir admiré sa grâce incomparable, elle lui adresse la parole: « Dites-moi, s’il vous plaît, Madame, qui êtes-vous? – Je suis sainte Foy, répondit celle-ci de sa douce voix; bannissez tout doute et toute crainte. – O ma sainte dame, reprit la comtesse d’un toni suppliant, dans quel dessein avez-voùs daigné visiter cette pécheresse? – Je veux que vous me donniez vos manches d’or, que vous les portiez vous-même à Conques et que vous les déposiez sur l’autel du Saint-Sauveur. Tel est le motif de ma visite auprès de vous. – Ma sainte dame, j’exécuterai vos ordres de grand cœur, si vous daignez m’obtenir un fils de la bonté de Dieu. – J’adresserai cette demande au Créateur tout puissant, qui exaucera aussitôt la prière de sa servante, et vous obtiendrez ce que vous désirez si vous êtes fidèle à votre promesse (2). ».

Ainsi, après le dialogue avec le mendiant vient celui avec la noble dame: mais quelle différence dans le ton! La sainte, avec le misérable, prend la première la parole; avec la haute dame, elle attend et se réserve. Envers le /73/ pauvre de Jésus-Christ elle use de la plus condescendante effusion; à l’égard de la grandeur du monde, c’est toujours la bonté, mais avec un admirable mélange de dignité et de sobriété.

Les malades étaient ses clients privilégiés. Mais, non contente de guérir les infirmités les plus variées, elle aimait à panser de ses propres mains les blessures les plus affreuses, les plus fétides. Un chevalier, dans un combat, avait reçu au visage un furieux coup d’épée qui lui avait tranché profondément le nez et la mâchoire supérieure, arraché la racine de la langue et détaché presque entièrement la mâchoire inférieure. Ses serviteurs réussirent à prolonger quelque temps son existence, en introduisant, malgré leur vive répulsion, des aliments liquides dans l’ouverture hideuse et béante de son gosier. Le chevalier, croyant sa guérison impossible, ne demandait à sainte Foy que la grâce d’une bonne mort. Or la sainte lui apparut sous la forme d’une jeune vierge resplendissante d’une beauté surhumaine, s’approcha de lui, toucha d’une main délicate l’horrible blessure, remit à leur place, avec ses doigts, les dents arrachées, releva et replaça le menton avec sa main, rapprocha lés os et les chairs broyées et gangrenées, cicatrisa les plaies, et rendit la vie et la beauté à ce visage mort et horriblement déformé (1).

Un autre chevalier avait reçu dans le flanc une profonde blessure qui, suppurant horriblement, était sur le point d’amener la mort. La sainte, invoquée, lui apparut et toucha la plaie. Aussitôt il s’échappa de la blessure une humeur abondante et tellement fétide que le chevalier lui-même se détourna avec dégoût. « Ne te trouble pas, mon fils, lui dit-elle; pour nous, qui exerçons l’office de médecin, nous n’éprouvons point de répugnance pour les ulcères du corps humain, mais plutôt pour ceux de l’âme (2). » Quelle charité!

Mais le triomphe du cœur de l’aimable sainte, c’est la pitié profonde qu’elle ressentait pour les pauvres prisonniers et pour les cruelles tortures qu’ils enduraient dans les horribles cachots de ces siècles de fer; elle ne faisait point de distinction entre l’innocent et le coupable, et elle leur procurait la délivrance par des moyens les plus ingénieux. On peut dire que tout prisonnier qui l’invoquait était un prisonnier libéré. « Le genre de prodiges le plus familier à sainte Foy, dit l’historien des miracles, celui qui a donné à son nom une célébrité universelle, c’est la délivrance des prisonniers qui ont recours à son assistance. En leur donnant la liberté, elle leur recommande de charger leurs lourdes chaînes sur leurs épaules et de se diriger ainsi vers Conques, pour y rendre grâce au saint Sauveur. Elle ne fait aucune distinction /74/ entre l’innocent et le coupable. Tout captif, quel qu’il soit, qui implore son: secours avec instance et persévérance, ne tarde pas à expérimenter le pouvoir étonnant dont le Seigneur a doté son épouse... Ceux dont la vie avait été jusque-là criminelle renaissent à la vertu en revenant à la lumière du jour (1). » Comme nous l’avons dejà vu, sainte Foy avait délivré un nombre si prodigieux de prisonniers que leurs fers, rapportés en ex-voto, encombraient la basilique et le monastère, et qu’ils servirent à confectionner les nombreuses portes grillées qui clôturaient le sanctuaire et les chapelles de la basilique.

Croirait-on qu’une vierge si jeune, si tendre, si douce, si aimable, pût se laisser séduire par les mâles lauriers de la guerre et qu’elle aimât le tumulte des batailles?; Oui; elle se plaisait parfois à guerroyer, comme plus tard Jeanne d’Arc, et toujours elle remportait la victoire. N’avait-elle pas, durant sa courte vie, livré un terrible combat et soutenu l’effort de l’empire romain? Tandis que les hommes ont pris la fuite et que le pontife lui-même s’est dérobé, elle seule se présente hardiment comme le champion de la foi chrétienne. Elle triomphe du fer et du feu, conduit au combat, à la mort, à la victoire une légion de païens convertis par elle, ramène le pontife sur le champ d’honneur et empourpre de son sang virginal la palme des martyrs. Il n’est donc pas surprenant que, dans son existence posthume, elle ait continué de mener le combat contre les mécréants.

Un chevalier du pays de Nimes ayant été attaqué par un puissant et déloyal seigneur, qui lui avait même enlevé son épouse, et ne se sentant pas en force pour résister, eut recours à sainte Foy et demanda aux moines de Conques un étendard de la sainte martyre. Armé de cet étendard, il se précipita sur un ennemi cinq fois plus nombreux et le mit complètement en déroute (2).

Mais c’est principalement contre les infidèles que la sainte se plaisait à guerroyer. Les habitants de la petite cité de Colonie (Calonge), dans la province de Catalogne, en Espagne, étaient désolés par les incursions des Sarrasins. Ils /75/ firent savoir aux moines de Conques qu’ils plaçaient leur ville sous la protection de la puissante sainte; ils s’engagèrent à lui payer un tribut annuel et à lui faire hommage de la dîme des dépouilles enlevées aux Sarrasins. Les moines leur envoyèrent un étendard de la sainte, par la vertu duquel les habitants de Colonie remportèrent constamment la victoire sur un ennemi bien plus fort et plus en nombre (1). Raymond III, comte de Rouergue, au retour de son expédition contre les Sarrasins de Barcelone, en 987, fit aussi présent à sainte Foy des riches dépouilles qu’il avait enlevées à l’ennemi (2).

Don Pèdre Sanche, roi d’Aragon, eut recours, en 1101, à la puissante protection de sainte Foy pour chasser les Maures de son royaume. Il fit le vœu, s’il emportait la ville de Barbastro, de dédier à la sainte la plus belle des mosquées de la ville et d’y fonder un monastère dépendant de celui de Conques. Il remporta une victoire éclatante et, plein de reconnaissance, exécuta fidèlement son vœu. La charte de donation existe encore (3).

Sainte Foy se plaisait à délivrer les captifs tombés entre les mains des Sarrasins; elle opéra souvent des miracles en leur faveur. Elle délivra même miraculeusement! un Sarrasin qui avait embrassé la foi chrétienne (4). Les Sarrasins avaient appris à redouter le nom de sainte Foy en Espagne, en Barbarie, en Syçie. Les exploits de la sainte lui avaient même valu un sanctuaire sur les bords de l’Euphrate (5).

[Note a pag. 65]

(1) Ernest Hello, Physionomie de saints, p. VIII. Torna al testo ↑

[Note a pag. 66]

(1) Liv. I. c. xxvi. Torna al testo ↑

[Note a pag. 67]

(1) Liv. I, c. xvii. Torna al testo ↑

(2) Liv. I, c. v. Torna al testo ↑

(3) Liv. I, c. xii. Torna al testo ↑

[Note a pag. 68]

(1) Liv. III, c. x. Torna al testo ↑

(2) Liv. II, c. ix. Torna al testo ↑

(3) Liv. III, c. xiv. Torna al testo ↑

(4) Liv. III, c. xvi. Torna al testo ↑

(5) Lib. mirac. Append. Conchen., II. Torna al testo ↑

(6) Id. v. Torna al testo ↑

(7) Liv. III, c. xvi. Torna al testo ↑

(8) Liv. III, c. xiii. Torna al testo ↑

(9) Liv. I, c. vi. Torna al testo ↑

(10) Liv. II, c. xi. Torna al testo ↑

[Note a pag. 69]

(1) Liv. II, c. v. Torna al testo ↑

(2) Id. Torna al testo ↑

(3) Liv. II, c. v. Torna al testo ↑

[Note a pag. 70]

(1) Liv. III, c. xvii. Torna al testo ↑

(2) Liv. I, c. i. Torna al testo ↑

(3) Liv. I, c. x. Torna al testo ↑

(4) Liv. II, c. vi. Torna al testo ↑

(5) Liv. III, c. ii. Torna al testo ↑

(6) Liv. III, c. xxiv. Torna al testo ↑

[Note a pag. 72]

(1) Liv. I. c. i. Torna al testo ↑

(2) Liv. I, c. xix. Torna al testo ↑

[Note a pag. 73]

(1) Liv. II, c. vii. Torna al testo ↑

(2) Liv. IV, c. xvii. Torna al testo ↑

[Note a pag. 74]

(1) Liv. I, c. xxxi. Torna al testo ↑

(2) Liv. III, c. xviii. Torna al testo ↑

[Note a pag. 75]

(1) Liv. IV, c. vi. Torna al testo ↑

(2) Liv. I, c. xii. Torna al testo ↑

(3) Cartul., nº 406. Torna al testo ↑

(4) Lib. mirac., p. 239 Torna al testo ↑

(5) Id., p. 241. Torna al testo ↑