Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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II. Conques et Figeac.

Pépin, roi d’Aquitaine, ayant acquis, en 820, de l’évêque de Cahors, par échange, l’église et le petit monastère de Lunan ou Jonant, près de Figeac, en fit donation, peu après, à l’abbaye de Conques (2). Mais ce prince, éminent bienfaiteur de Conques, voyant que son monastère de prédilection, resserré dans une étroite vallée, avait de la peine à loger et à nourrir ses religieux dont le nombre allait toujours croissant, lui donna un territoire fertile et agréable, qui portait le nom de Figeac. Là il fonda un nouveau monastère, y transféra les moines de Lunan, y fit venir une colonie de moines de Conques et lui donna le nom de Nouvelle-Conques qui ne lui demeura pas. Le nouveau monastère, soumis à la grande abbaye-mère de Conques, était destiné à recevoir le trop plein de la maison principale et à contribuer à sa subsistance. La charte de cette importante donation est datée de l’an 838; l’original, d’une authenticité inattaquable, dit M. Desjardins, existe encore (3). Il ne devait donc y avoir qu’un seul abbé pour les deux monastères, l’abbé de Conques.

L’union ne semble pas avoir été troublée, pendant un siècle environ. Mais, vers l’an 942, Etienne, abbé de Conques, fut élu évêque de Clermont, sans cesser d’être abbé. Un autre évêque, Bégon, probablement coadjuteur du précédent et plus tard son successeur, avait le titre d’abbé en même temps qu’Etienne. Pour la première fois, l’abbé résidait hors du monastère. Afin de remédier à cet état de choses, on élut un troisième abbé qui prit le titre d’abbé régulier(4): ce fut, d’après la Chronique de Figeac (5), un religieux de ce /101/ dernier monastère, nommé Géraud. Celui-ci, préférant la résidence de Figeac, envoya à Conques, pour gouverner à sa place avec la qualité de prieur, un moine de Figeac, appelé Hugues, renommé pour son austérité.

Les religieux de Conques considérèrent ce prieur comme leur abbé régulier et ne tinrent plus compte de l’autorité de Géraud, dont les facultés, s’il faut en croire la Chronique de Figeac, étaient affaiblies par l’âge. Le Cartulaire nous montre en effet Hugues stipulant des actes comme abbé régulier, sous la haute présidence d’Etienne et de Bégon, de l’an 958 à l’an 984. Géraud, voyant son autorité méconnue, se rendit à Conques, amenant avec lui plusieurs moines de Figeac. Une vive altercation, qui dégénéra même en rixe, éclata entre les religieux dés deux monastères. Géraud retourna précipitamment à Figeac avec sa suite. A cette nouvelle, Hugues se hâta de descendre à Figeac, avec plusieurs moines, pour faire sa soumission et promettre justice. Ils ne purent se faire écouter de cet homme à l’esprit affaibli. Telle fut l’occasion de la rupture entre les deux monastères. Après avoir abusé de l’état mental de Géraud, les moines de Figeac lui donnèrent, vers 965, un successeur nommé Castlo, qu’ils regardèrent comme légitime, affectant de considérer Hugues et ses successeurs à Conques comme schismatiques (1). La séparation était consommée; les deux abbayes s’administrèrent isolément. Vers l’an 1015, elles furent de nouveau réunies dans la même main, sous Adalgerius, abbé de Conques, et sous son successeur Lautard de la Vinzelle.

Mais les moines de Figeac refusèrent de se soumettre au successeur de ce dernier, l’abbé Odolric, vers l’an 1035. Celui-ci invoqua le secours du bras séculier, pour réduire les rebelles. A sa demande, Bégon, puissant seigneur de Calmont d’Olt et protecteur du monastère, soumit Figeac à Conques et décida, vers l’an 1062, qu’à l’avenir l’abbé de Figeac serait nommé par celui de Conques. A ce jugement, Figeac répondit par la production d’une prétendue charte de Pépin le Bref, datée de l’an 755 et d’après laquelle non seulement Figeac n’était pas sujet de Conques, mais au contraire Conques était soumis à Figeac. Les rôles étaient renversés. La manœuvre était d’une audace inouïe. Mais la prétendue charte porte des caractères nombreux et évidents de fausseté et, chose singulière, elle est comme calquée sur celle de Pépin d’Aquitaine, de l’an 838, reproduisant mot pour mot de longues tirades de cette dernière, en renversant les rôles des deux abbayes. Ce faux audacieux n’eut d’autre effet que d’envenimer la querelle et de porter au plus haut point l’irritation des esprits de part et d’autre.

Pour se débarrasser des étreintes du bras séculier, Figeac prit le parti /102/ de se ranger sous l’obédience de la puissante et florissante abbaye de Cluny, qui était alors dirigée par saint Hugues. Or dans cette abbaye se trouvait le père même de Bégon, Hugues de Calmont, qui y avait pris l’habit religieux. Le saint abbé de Cluny se refusait à accepter une recrue amenée par le dépit; mais Hugues de Calmont triompha de ses scrupules, et Figeac fut placé sous l’obédience de Cluny. Sous l’influence de son père, gagné à la cause de Figeac Bégon de Calmont changea ses dispositions et transféra, en 1074, à l’abbé de Cluny les droits qu’il avait précédemment assurés à l’abbé de Conques (1). Etienne II, successeur de l’abbé Odolric, s’étant rendu à Rome, en 1076, pour assister au concile de Latran, soumit le différend au pape saint Grégoire VII. Le pape, par une bulle de 1084, affirma la suprématie de Conques (2). Mais, pour le bien de la paix, il consentit à ce que les deux abbés conservassent leurs fonctions, leur vie durant; seulement, après leur mort, le survivant devait réunir-dans sa main le gouvernement des deux maisons (3).

Etienne disparut le premier. Conques alors refusa de se soumettre à Ayrald, abbé de Figeac, et, au mépris de la sentence pontificale, élut Bégon III. Ayrald porta sa réclamation au concile de Clermont, en 1095. Le concile fit exécuter la décision de Grégoire VII, déposa Bégon III et obligea Conques à se soumettre à l’abbé de Figeac. « Il y eut alors, dit une bulle d’Urbain II, une telle discorde que le temporel des deux maisons fut compromis et le salut des âmes en péril (4). » L’abbé Bégon refusa de se soumettre; son abbatiat était l’un des plus glorieux dans les fastes du monastère; ses religieux lui étaient très attachés. D’un autre côté, saint Hugues, abbé de Cluny, intervint pour sauvegarder ses propres droits; car la bulle de Grégoire VII, malgré la clause favorable à Ayrald de Figeac, maintenait cependant le rattachement de Figeac à Conques, ce qui enlevait à Cluny le bénéfice de la décision de Bégon de Calmont. Il réclama en disant que la bulle de Grégoire VII, n’étant pas conforme au jugement rendu par le pape, avait été expédiée subrepticement. L’affaire fut portée devant le concile de Nîmes, l’an 1096. Le concile mit fin aux débats en séparant Figeac de Conques, et en donnant à chacune des deux maisons le droit d’avoir un abbé indépendant (5). Les abbayes se soumirent au décret du concile et vécurent séparées à partir de ce jour.

On ne s’explique pas pourquoi les moines de Conques n’ont pas produit, au cours du procès, le diplôme de Pépin d’Aquitaine, daté de 838, qui tran- /103/ chait le litige en leur faveur (1). « Il faut croire, dit M. Massabie, que, le parchemin était alors oublié au fond de quelque armoire poudreuse où on l’a trouvé depuis. » Il est plus vraisemblable que les partisans de Figeac l’auront caché, s’en servant seulement pour le parodier et pour fabriquer la fausse charte de Pépin le Bref.

[Note a pag. 100]

(2) L’abbé Massabie, Question de prééminence entre les abbayes de Conques et de Figeac. – L’auteur de cet opuscule nous semble avoir approfondi et éclairci, d’après les chartes authentiques, cette question si obscure et si imparfaitement définie jusqu’ici. Torna al testo ↑

(3) Cartul., nº 581. – Bosc, Mém. sur l’hist. du Rouergue, pièces justificatives, p. 395: ce dernier texte offre quelques erreurs de lecture. – L’original se trouve au Musée de Rodez. Torna al testo ↑

(4) Abbas secundum regulam. – Cartul., p. XLI. Torna al testo ↑

(5) Cette Chronique, dont on ne peut admettre que certains faits, sur lesquels il était impossible détromper, est reproduite par Baluze. Torna al testo ↑

[Note a pag. 101]

(1) Massabie, op. cit., p. 102. Torna al testo ↑

[Note a pag. 102]

(1) Gall. christ., t. I, Instrum., p. 44, XXXVI et XXXVII. Torna al testo ↑

(2) Cartul., nº 53. Torna al testo ↑

(3) Cartul., p. XVII. Torna al testo ↑

(4) Cartul. p. XVIII. Torna al testo ↑

(5) Id. Torna al testo ↑

[Note a pag. 103]

(1) Ce serait, d’après M. Desjardins, parce que cette charte aurait concédé à Figeac le droit de se donner un abbé, contrairement aux prétentions de Conques (Cartul., p. XVIII). M. Massabie estime que M. Desjardins a été induit en erreur par la lecture fautive d’un mot de la charte; le roi Pépin affirme pour Conques et non pour Figeac le droit de nommer ses abbés (Question de prééminence, p. 51 et 97). Bosc, qui reproduit le diplôme de Pépin, a lu à la fin: supradictus abbas vel successor ejus. « M. Desjardins, dit M. Massabie, qui a corrigé, dans la réédition du texte, plusieurs erreurs de lecture de Bosc, a maintenu le mot: vel successor ejus. Le parchemin porte: successores; la traduction de M. Desjardins n’est plus possible, la charte tout entière regarde Conques. » Torna al testo ↑