Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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III. Épreuves intérieures.

Si la non résidence des abbés Etienne et Bégon avait été l’origine des troubles occasionnés par la rivalité des deux abbayes, elle fut encore la cause d’épreuves bien plus redoutables dans la vie intérieure du monastère de Conques.

L’Auvergne est la région où le culte de sainte Foy était le plus en honneur, surtout la Haute-Auvergne, aujourd’hui le Cantal. La sainte se plaisait à y prodiguer ses miracles. Nul doute que cette province, célèbre par l’antique valeur de ses enfants, les Arvernes, n’ait fourni un grand nombre de moines à l’abbaye. L’influence de cette région fut considérable dans le monastère; elle devint prépondérante dans le gouvernement, à la fin du xe et au commencement du xie siècle. Elle faillit devenir fatale à la régularité et à l’existence même de l’abbaye, grâce à la cupidité de quelques-uns de ses chefs. « L’opulence du monastère, dit Bernard d’Angers, a enflammé les convoitises et les a rendues plus hardies (2). » Des hommes pervers, ajoute l’historien, furent élevés aux plus hauts emplois et investis du commandement.

La Chronique de Conques donne les plus grands éloges à la sainteté et au zèle de l’abbé Etienne Ier, fils de Robert, vicomte d’Auvergne; nous avons vu qu’il avait été élu évêque de Clermont, et qu’il eut pour coadjuteur à l’abbatial Bégon, plus tard son successeur sur le siège épiscopal. Ces deux prélats, conservant le titre d’abbé sans la résidence, étaient remplacés, dans le, gouvernement de l’abbaye et la stipulation des actes, par un troisième abbé, moine et résidant, nommé Hugues: c’était l’abbé régulier, secundum regulam, comme dit le Cartulaire (3). Cet abbé Hugues est-il le même que celui que /104/ nous avons vu établi à Conques par un abbé Géraud, résidant à Figeac? Est-il surtout le même que celui de même nom, dont la Chronique loue la sainteté et le zèle? En tout cas, il vivait vers la même époque qu’un abbé Hugues dont le gouvernement est qualifié par Bernard d’Angers de tyrannie désolante pour le monastère; L’historien des miracles écrivait peu d’années après ces événements: il mérite tout crédit sur ces faits.

Or, dit-il, Bégon, évêque de Clermont et abbé de Conques, avait trois neveux: Hugues, Pierre et Etienne, qui remplirent successivement les fonctions d’abbé régulier à Conques (1). Le dernier, Etienne, occupait le siège abbatial à l’époque où l’historien écrivait ces lignes, c’est-à-dire de 1015 à 1018 (2). « Leur oncle Bégon, évêque de Clermont, les poussait, durant toute sa vie – il mourut en 1010 – à traiter l’abbaye soumise à leur autorité plutôt comme la proie de leur cupidité que comme l’héritage du Seigneur. » Sous le gouvernement du premier, Hugues, l’abbaye fut désolée par sa tyrannie. Hugues ayant été vaincu et blessé dans un combat auprès de Cahors, par son cousin le seigneur de Gourdon, fut pris et jeté dans un cachot de ce château. Le vainqueur ne voulut consentir à lui rendre la liberté que moyennant une énorme rançon. A cette nouvelle, l’évêque Bégon assembla une forte troupe et se dirigea vers Conques, dans l’intention de piller le trésor de sainte Foy, pour la rançon de son neveu. Il s’empara en effet des quatre chapes les plus précieuses, d’un grand encensoir d’argent et d’un gros calice de même matière, les chargea sur un mulet et se remit en route. L’abbé, – il y avait donc un autre abbé, peut-être son frère Pierre, – le doyen, quelques autres religieux et des serviteurs laïques accompagnaient tristement les sacrilèges ravisseurs et priaient Dieu tout bas de leur rendre ces dépouilles sacrées.

C’est alors que sainte Foy intervint personnellement pour prendre en main les intérêts de son monastère et conjurer cette crise redoutable. Le mulet porteur des objets précieux du trésor, glissant sur le sentier couvert de glace, fut précipité dans l’affreux abîme au fond duquel gronde le Dourdou. Tout fut mis en pièces, sauf les objets précieux, qui furent entièrement préservés. Il fallut rentrer au monastère avec le riche trésor. Le lendemain, les ravisseurs, revenus à leur premier dessein, se disposaient à emporter leur butin au château de Gourdon. Alors l’intervention de la sainte éclata d’une autre manière.

Sainte Foy apparut au gardien de la cire, cette nuit même, lui annonça, que les objets précieux rentreraient dans le trésor, que l’abbé Hugues venait /105/ d’être frappé de mort, et que trois autres personnages, prêts à nuire à l’abbaye, allaient périr d’une mort prématurée. Le matin, la troupe sacrilège avait dejà chargé le précieux butin sur le mulet et se mettait en chemin, lorsqu’un émissaire apporta la nouvelle de la mort de l’abbé Hugues. Alors le gardien de la cire fit connaître la révélation qu’il avait reçue de la sainte.

« Or, dit l’historien, l’on conjecture que l’un des trois puissants personnages désignés par la sainte était l’évêque Bégon, qui inspirait à ses neveux de funestes conseils contre sainte Foy; il mourut en effet peu de temps après (1). Le second était sans doute le frère d’Hugues, Pierre, qui, vers le même temps, se rendant à Jérusalem, chargé, d’une grande quantité d’or dont il avait dépouillé sainte Foy, périt misérablement sur mer, dans une tempête. Durant l’espace de temps fort court qu’il avait survécu et succédé à son frère, il avait été pour les moines de Conques un fléau de l’enfer. Le troisième est, à ce que l’on croit, Raymond III comte de Rouergue, qui cependant avait fait de grandes donations à sainte Foy. Il menaçait de détruire la ville importante qui s’élève sur la crête de la colline sur le flanc de laquelle est assis le monastère, et de construire sur ses ruines un château fort. Or, vers le même temps – en 1010, – il mourut sur le chemin de Jérusalem. C’était, il est vrai, un prince juste et pieux; mais il était résolu à élever sa forteresse afin de soumettre par la force à son joug et à sa domination ceux qui négligeaient de lui rendre l’hommage de suzeraineté. Il est certain que, s’il lui avait été permis de l’exécuter, ce projet aurait jeté une grave perturbation dans la situation et les conditions d’existence de la localité. Or, comme nous l’avons dejà dit, nulle offense n’est plus sensible à sainte Foy et nulle n’entraîne à une ruine plus soudaine que les entreprises dirigées contre la ville; tant cette grande sainte apporte de l’empressement à châtier et à réprimer les attaques des méchants et à exercer sa sollicitude envers le troupeau que lui a confié le Seigneur. Mais peut-être sa mort fut-elle un effet de la miséricorde prévenante du Père céleste qui voulait non le châtier, mais le sauver en l’arrachant à l’imminence du mal qu’il était sur le point de commettre, et en le préservant d’une fin coupable qui lui aurait enlevé le fruit de ses mérites. »

Ainsi fut terminée, grâce à l’intervention de sa protectrice, cette crise si redoutable pour l’abbaye. Durant le temps assez court de cette terrible épreuve, la sainte avait diminué la fréquence de ses miracles.

[Note a pag. 103]

(2) Lib. mirac., l. II, c. v. Torna al testo ↑

(3) Nº 302. Torna al testo ↑

[Note a pag. 104]

(1) Les abbés Pierre et Etienne ne paraissent pas dans le Cartulaire; Pierre d’ailleurs n’a fait que passer; il ne reste pas d’actes d’Etienne. Torna al testo ↑

(2) Liv. II, c. 5. – Bernard d’Angers accomplit son troisième voyage à Conques l’an 1020; or le chapitre V du livre il était écrit après le deuxième voyage. Torna al testo ↑

[Note a pag. 105]

(1) En 1010. Torna al testo ↑