Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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IV. Prosperité de l’abbaye. – La bulle de Pascal II.

Arrêté un moment, le développement de l’abbaye reprit son cours rapide. Elle fut comblée de dons et de faveurs par les souverains pontifes, les rois et les seigneurs.

Le comte de Rouergue, Raymond III, malgré les funestes desseins qu’il nourrissait contre le bourg de Conques, fit présent au monastère des riches dépouilles qu’il avait enlevées aux Sarrasins d’Espagne, en 987 (1).

L’abbé Odolric II, dit la Chronique, « illustre par la pureté de ses mœurs et par toutes sortes de brillantes qualités, gouverna le monastère avec éclat de 1030 à 1065 environ. Il construisit la basilique presque tout entière, enrichit le trésor d’un grand nombre d’objets précieux, transféra le corps de sainte Foy de l’ancienne église dans la nouvelle (2), rebâtit en son honneur le monastère depuis les fondements, et le refit plus beau qu’il n’avait jamais été. » L’abbé Bégon III de Mouret (1087-1108) fit exécuter de grands et utiles travaux dans le monastère. Il construisit, sur une haute terrasse, le cloître de l’abbaye dont il ne reste que des fragments. Ce cloître abritait le tombeau die son fondateur, qui se voit encore dans un enfeu du mur méridional de l’église. Bégon enrichit aussi le monastère de reliquaires précieux, dont plusieurs nous sont restés, et fit copier des évangéliaires. On suppose que c’est lui qui commença la transcription du célèbre Cartulaire de Conques.

C’est aussi Bégon qui reçut du pape Pascal II, de 1099 à 1108, une bulle fameuse, dont une copie sur parchemin se conserve encore aux archives de Rodez. Le texte en a été publié par dom Martène et par les Bollandistes (3). Par cette bulle, le souverain pontife approuve la vigile et le jeûne établis en l’honneur de sainte Foy, le 5 octobre, veille de la fête de la sainte martyre; il autorise pour l’abbaye l’insertion du nom de la sainte dans le canon de la Messe; il approuve, pour l’usage des fidèles, le récit écrit de la passion et des miracles de la sainte, œuvre d’écrivains pieux; il accorde aux abbés dé Conques le droit de vote dans l’élection des évêques de Rodez; il place l’abbaye sous la juridiction immédiate des légats du Saint-Siège, à l’exclusion de l’Ordinaire. Les Bollandistes ont accepté cette bulle et l’ont reproduite comme authentique. Mais elle « parait suspecte » à M. Desjardins, bien que « sa teneur ne /107/ s’écarte pas, dit-il, des petites bulles de Pascal II. – Il est certain, ajoute-t-il, que Pascal a donné à l’abbaye de Conques des témoignages d’une bienveillance toute spéciale », des reliques, particulièrement un fragment de la vraie croix. « Sincère ou fausse, poursuit M. Desjardins, la décision de Pascal II ressortit son double effet dans le cours des siècles. Malgré cela, conclut-il, cette bulle me parait suspecte (1). » Ce qui a surtout provoqué la défiance contre la bulle, c’est l’autorisation d’insérer le nom de la sainte dans le canon de la Messe. Un tel privilège est, en effet très rare; mais il n’est pas inouï. Il fut jadis accordé pour saint Augustin, sainte Julienne et sainte Euphémie (2). La concession de Pascal II pour Conques a laissé des traces; l’on trouve un certain nombre de missels, dans lesquels le canon de la messe contient le nom de sainte Foy (3). Un document), récemment découvert, dépose eii faveur de la bulle. Peut-être, si M. Desjardis l’eût connu, aurait-il modifié son opinion. On a trouvé, en 1896, dans lés archives du Vatican, une bulle de Grégoire XI, qui confirme celle de Pascal II. Elle porte la date du 12 décembre 1372; elle s’exprime ainsi: « Après avoir fait étudier et examiner attentivement mot par mot une bulle de privilèges octroyée par notre prédécesseur d’heureuse mémoire, le pape Pascal II, et qui commence à périr de vétusté, nous l’avons fait enregistrer, sur votre demande. Voici la teneur de cette bulle... (Suit le texte). – à C’est pourquoi, de notre autorité apostolique, déférant à votre prière, nous renouvelons cette bulle de concession de privilèges et nous la confirmons, en vertu de ce présent rescrit. Cependant nous ne voulons point que le présent acte confère à qui que ce soit un nouveau privilège; nous voulons seulement que l’on conserve ceux qui sont dejà acquis (4). » Il est à noter que la chancellerie d’Avignon, qui a rédigé cette pièce, jouit d’une autorité particulière en matière de bulles et de chartes, et qu’elle ne s’est prononcée qu’après un examen attentif et très minutieux.

Appelons l’attention sur une disposition moins saillante, mais très intéressante pour nous, de la bulle de Pascal II: « Nous approuvons, pour être lus à l’église, la Passidn ou les Miracles de cette sainte, qui ont été écrits par des hommes pieux. » Nous savons, par le Prologue du moine continuateur de l’œuvre de Bernard d’Angers, que la Passion et les quatre livres des miracles furent réunis en un seul volume sous l’unique titre de Panaretos. Ce livre fut répandu dans l’univers entier; il en reste encore quelques exemplaires: à Schlestadt, à Chartres, à Rome, à Londres et en Autriche. Justement, en 1107, /108/ le grand et saint pontife Pascal II entreprit un voyage en France, parcourut un grand nombre de provinces, visita plusieurs abbayes bénédictines et célébra les fêtes de Pâques à Chartres. Dans cette occasion, il dut entendre glorifier les mérites et les prodiges de sainte Foy, dont le monde entier retentissait à ce moment, et on dut lui présenter le célèbre Panaretos. C’est peut-être dans cette circonstance que le souverain Pontife accorda son auguste approbation à ce recueil, le reconnaissant comme texte de lecture publique dans l’église. Nous voyons par là qu’on en donnait lecture à l’église, surtout, d’après l’usage de ce temps, dans la vigile de la fête de la sainte martyre. Quelque temps après, le pape Innocent IV, dans une autre bulle adressée à l’abbé Umbert, en 1245, célébrait magnifiquement les mérites et les gloires de sainte Foy et accordait aux abbés de Conques l’usage des insignes épiscopaux (1).

Mentionnons, en passant, la visite de Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges, à l’abbaye de Conques, où il célébra les fêtes de l’Ascension, le 22 mai 1286. Ce prélat venait de Rignac et de Flagnac; puis il se rendit à Bournazel et à Marcillac. Ces quatre prieurés relevaient de Conques (2).

Enfin enregistrons rapidement les principaux événements de l’histoire de l’abbaye jusqu’à sa sécularisation. Vers l’an 1366, l’abbaye fut détruite en grande partie par un incendie; le réfectoire seul fut préservé (3). Pendant l’invasion anglaise, l’abbé Raymond de Reillac, originaire du château de ce nom, l’un des quatre qui étaient assis sur la colline de Mouret, se renferma, vers 1375, avec tous ses moines dans le château de Lunel, qui était la propriété et le grenier du monastère. Il y demeura pendant plus de quatre ans. Les partis anglais qui battaient la campagne ne purent l’en débusquer (4). Le roi François Ier ayant été fait prisonnier à la bataille de Pavie, en 1525, l’abbaye de Conques, pour contribuer à la rançon de ce prince, vendit son argenterie et, entre autres pièces, un grand bassin avec sa cuvette, du poids de plus de 200 marcs d’argent (5).

[Note a pag. 106]

(1) On en trouve la curieuse énumération au Livre dés miracles, liv. I, chap. xii. Torna al testo ↑

(2) C’est probablement en souvenir de cet événement que la fête de l’Illatio se célébra désormais le 4 mai Torna al testo ↑

(3) Martène, Thesaur. anecdot. – Acta SS., 6 oct. Torna al testo ↑

[Note a pag. 107]

(1) Cartul., p. XXXII. Torna al testo ↑

(2) Analecta ecclesiast. mai 1896. – Cf. Bona, De reb. liturg., lib. II, c. 14. Torna al testo ↑

(3) Cartul., p. XXXII. Torna al testo ↑

(4) Tenorem cujusdam privilegii... quod incipit vetustate consumi et quod inspici et examinari fecimus diligenter de verbo ad verbum... innovamus et communimus. – Cette bulle (le confirmation a été trouvée aux archives du Vatican par M. l’abbé Calmet, qui l’a publiée dans les Analecta ecclesiastica, mai 1896. Torna al testo ↑

[Note a pag. 108]

(1) Acta SS., 6 oct. Torna al testo ↑

(2) Mabillon, Vetera analecta. 1623, p. 342. Torna al testo ↑

(3) Pouillé de Conques. Torna al testo ↑

(4) Ms. de 1380, cité dans les Mém. de la Soc. des Lett. de l’Aveyron, t. IV, p. 230. Torna al testo ↑

(5) Bosc, p. 95. – De Gaujal, Etudes histor., t. II, p. 355. Torna al testo ↑