Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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V. Développement de l’abbaye; sa constitution.

Revenons en arrière, et jetons un rapide coup d’œil sur le développement des donations qui ont enrichi l’abbaye. Le Cartulaire sera notre guide sûr et authentique. Ce document ouvre la longue série des actes de donation dès l’an 801. Dans le ixe siècle, les libéralités ne s’étendent pas au delà du Rouergue, à la réserve du prieuré de Molompise en Auvergne, et du monastère de Figeac en Quercy.

A peine le corps de sainte Foy est-il déposé à Conques que tout change; les dons affluent et l’abbaye marche vers de nouvelles destinées. Le Rouergue multiplie ses donations, surtout dans la région qui constitue aujourd’hui le bassin houiller. En même temps l’Auvergne s’ébranle et entraîne le Quercy. Jusqu’à la fin du xe siècle, l’influence de l’abbaye ne semble pas avoir sensiblement dépassé ces limites. An commencement du xie siècle, le rayon s’élargit tout à coup: c’est l’époque du miracle retentissant de l’aveugle Guibert et d’une multitude d’autres prodiges étonnants. Il y a comme une explosion subite et générale de pèlerinages et de libéralités. Les donations affluent de tous les côtés à la fois, du nord de l’Auvergne, du diocèse d’Agde, de ceux de Carcassonne, de Nîmes, d’Avignon, d’Orange, de Tulle, de Périgueux, du Roussillon, mais surtout du pays Toulousain. La comtesse de Toulouse, Arsinde, avait elle-même donné l’impulsion.

Dans la seconde moitié du xie siècle, le mouvement est général. L’Auvergne et le Quercy redoublent leurs donations. Le Vivarais, le comté de Narbonne, le Limousin, l’Albigeois, le comté d’Uzès, le pays de Comminges, le Gévaudan, le Périgord, la Brie suivent l’impulsion. L’évêque d’Agen lui-même et ses diocésains oublient le rapt insigne qui les a privés de leur trésor, comblent de leurs dons les ravisseurs et appellent les moines de Conques dans l’Agenais; de là ceux-ci sont attirés dans le Bordelais, dans le Bazadais, dans les diocèses de Dax, d’Auch et jusque dans la Navarre. La lointaine Normandie se distingue entre les autres provinces. Conques prête son nom et sa patronne à Conches, dans le diocèse d’Evreux. La Bourgogne, la Champagne s’émeuvent à leur tour. Le prieuré de Coulommiers en Brie devient l’une des plus remarquables dépendances du monastère.

L’influence de l’abbaye franchit de bonne heure les bornes du royaume lui-même. Au xie siècle, Conques a des propriétés dans le diocèse de Genève. Nous avons vu sainte Foy guerroyer contre les Maures, en Espagne, dès le xe siècle. Elle attire de Barbastro, de Roncevaux et du diocèse de Vich des /110/ donations en faveur de son monastère. L’Alsace députe à Conques, en 1087, Frédéric de Hohenstaufen, duc d’Allemagne, et ses deux frères. On lira plus loin (1) l’histoire merveilleuse de la fondation du prieuré de Sainte-Foy de Schlestadt, l’un des plus beaux fleurons de la couronne du monastère de Conques. Mentionnons la Belgique avec Sainte-Foy de Liège, et arrivons en Italie où Conques possédait plusieurs bénéfices. On voit encore, à Gênes, une paroisse dédiée à notre sainte et, non loin de Turin, l’église monumentale de Sainte-Foy de Cavagnolo. La mer n’est point un obstacle pour sainte Foy. La merveilleuse sainte, par ses prodiges, procure à son abbaye de nombreuses dépendances en Angleterre. Saint-Paul de Londres, l’église célèbre elle-même de Westminster offrent encore aujourd’hui des traces du culte de sainte Foy.

L’abbaye possédait, au xvie siècle, cent dix-sept bénéfices, dont quarante-quatre en Rouergue et soixante-treize disséminés dans vingt diocèses de France, trois diocèses d’Italie, deux d’Espagne, un d’Angleterre (2).

L’abbé nommait à tous ces bénéfices de plein droit, avait droit d’annate et de dépouille, et choisissait toujours des religieux de son monastère, sur lesquels il conservait toute juridiction. « Plusieurs monuments, dit l’historien Bosc, prouvent qu’il y avait deux cents, trois cents et quelquefois jusqu’à neuf cents moines, dont certains étaient prêtres, mais la plupart laïques (3). » Quelques auteurs assurent que ce nombre fut fort augmenté et même doublé.

« Mais la décadence, dit M. Desjardins, paraît avoir corhmencé de bonne heure. Dès le xiiie siècle, on voit la mense conventuelle diminuer au profit de la mense abbatiale: on en peut conclure que le nombre des moines allait décroissant. En 1424, il n’était dejà plus que de vingt-neuf (4). D’un autre côté les prieurés éloignés se détachèrent peu à peu de la métropole, et se laissèrent absorber par les puissances ecclésiastiques ou féodales qui les entouraient. Une bulle de 1387 intime aux archevêques, évêques, prélats, ducs, marquis, comtes, barons, communes, etc., de rendre les biens qu’ils avaient usurpés sur l’abbaye de Conques (5). »

La mense de l’abbé, était-elle distincte, dès le principe, de la mense conventuelle? On ne le sait. En tous cas, l’abbé recevait les donations, comme représentant de toute la maison. « Au xiie siècle, dit M. Desjardins, on trouve un rôle de la mense conventuelle, communia monachorum(6). Une bulle de 1243 spécifie les biens qui devront entretenir le cellier, la paneterie, l’ouvrerie ou /111/ fabrique, l’ameublement, l’infirmerie, la maison des hôtes, les anniversaires, et jusqu’à l’office de la barbe et de la tonsure (1) »

Quant à l’organisation intérieure du monastère, les dignitaires et les principaux officiers étaient, au xvie siècle: 1º l’abbé, d’abord électif, plus tard nommé par le roi; 2º l’hôtelier; 3º le cellerier; 4º l’ouvrier; 5º l’infirmier; 6º le sacristain; 7º le panetier; 8º l’aumônier; 9º le maître des novices; 10º le sous-aumônier; 11º le chantre; 12º le portier; 13º le réfectorier. Il y avait en outre les offices séculiers de portier de la maison de l’abbé, de capitaine de Lunel et de gardien du château de Sagnes. A chacun de ces offices étaient attachés des bénéfices et des redevances fixes.

Nous connaissons le cérémonial usité pour l’entrée des abbés dans leur ville de Conquesi; un acte de 1552 nous l’a conservé. L’abbé se rendait à l’oratoire de Preyssac, situé hors des murs et près de la porte de Fumouze, au nord-est de la ville. Les quatre consuls de l’année présente, revêtus de leur chaperon, entraient dans l’oratoire où l’abbé se tenait assis. Là chacun d’eux, à genoux, plaçajt successivement ses mains jointes, en signe d’obédience, dans les mains du seigneur abbé, le suppliant de tenir et de garder, comme ses prédécesseurs, les privilèges et libertés de la ville. Le seigneur abbé, agréant l’obédience prêtée par les consuls et posant sa main droite sur sa poitrine, à la manière des prélats, promettait aux consuls de leur être bon et loyal seigneur et d’observer les libertés de la ville. Puis, sortant de l’oratoire, il montait sur une mule. Deux des consuls, l’un à droite, l’autre à gauche, saisissaient la bride de là mule; les deux autres consuls, se tenant derrière, chacun d’un côté, prenaient le pan de la robe du seigneur abbé, et le conduisaient ainsi jusqu’à la porte de Fumouze. Là le seigneur abbé descendait de sa monture et s’asseyait sur un siège tendu de drap d’or. Les consuls, à genoux, lui rendaient une nouvelle obédience, lui présentaient les clefs de la ville, et exhibaient les chartes des libertés. L’abbé promettait de même d’observer ces franchises. Puis il remontait à cheval et, assisté toujours des quatre consuls, il faisait son entrée dans la ville, au milieu du concours des habitants; il était ainsi escorté jusque devant la porte principale de l’église (2).

Dès la fin du xe siècle, on constate l’existence d’une justice de l’abbé, que celui-ci exerce devant la porte de l’église de Conques, avec le concours d’assesseurs qualifiés de boni homines(3). L’abbé de Conques avait le droit de siéger à l’assemblée des États du Rouergue, où il prenait rang immédiatement après les évêques de Rodez et de Vabres. Il se faisait assister aux États par /112/ une garde de cent, et quelquefois de quatre ou cinq cents hommes de ses terres (1). L’abbé avait aussi, comme nous l’avons vu, sa voix dans l’élection des évêques de Rodez. C’est ainsi qu’en 1529, à la mort de François d’Estaing, l’abbé de Conques, Antoine de Rousselet, envoya un délégué muni de sa procuration pour l’élection du futur évêque (2).

[Note a pag. 110]

(1) Ve partie, Suppl. Torna al testo ↑

(2) L’énumération détaillée de ces donations se trouve plus loin, au chap. i de la IIIe partie, p. 248. Torna al testo ↑

(3) Mém., p. 388. Torna al testo ↑

(4) Bibl. Nation., Collect. Doat, 144. Torna al testo ↑

(5) Collect. Doat, 144, fo 137. – Cartul. de Conques, p. II, Torna al testo ↑

(6) Cartul., nº 478, Torna al testo ↑

[Note a pag. 111]

(1) Doat, 144, fo 20. – Cartul., p. XXIX. Torna al testo ↑

(2) C. Couderc, Les Privilèges municipaux de Conques. Torna al testo ↑

(3) Cartul., nos 175, 193, et p. XXVIII. Torna al testo ↑

[Note a pag. 112]

(1) Pouillé de Conques. – Bosc. Mém., p. 387. Torna al testo ↑

(2) Pouillé de Conques. Torna al testo ↑