Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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VI. Decadence de l’Abbaye; sa secularisation.

On sait que de nombreux abus, dont le plus grave fut la mise en commende, amena la décadence des abbayes. Le monastère de Conques ne fut pas préservé de ce malheur.

Nous avons dejà vu que les papes l’avaient exempté de la juridiction des évêques de Rodez: Urbain II, par une bulle de 1099, Pascal II, Calixte II, Eugène III, Innocent III, Grégoire IX, Innocent IV, et, en 1405, Martin V. Le concile de Bâle en 1434, le Parlement de Toulouse en 1498, avaient reconnu cette exemption (3). « Cette faveur, dit M. Desjardins, ne fut pas sans inconvénients pour le monastère, qui se vit fréquemment enlever ses meilleurs prieurés par décision pontificale, pour des cardinaux; et autres personnages de la cour romaine (4). L’abus devint tel que les moines durent demander à Innocent IV un bref qui leur donnait le droit de refuser les pensionnaires imposés même par l’autorité apostolique ou par celle des légats, à moins d’un ordre exprès et spécial du pape (5). »

Un inconvénient plus grave encore de cette faveur c’est que les souverains Pontifes ou leurs légats, grâce à leur éloignement, ne pouvaient pas facilement veiller sur les abus et les réprimer. Aussi, pour remédier plus efficacement à la décadence qui avait atteint le monastère, les papes révoquèrent ses privilèges, le replacèrent sous la juridiction de l’Ordinaire, et confièrent aux évêques de Rodez le soin de rétablir la régularité. Les bulles qui consacrent ce nouvel état de choses sont datées de 1455 et 1456; le roi Charles VII lui-même ordonna, en 1456, au Parlement de Toulouse, d’assurer aux évêques de Rodez l’exercice de leurs droits (6). Les abbés firent opposition à ces mesures; ils parvinrent même plus d’une fois, dans la seconde moitié du xye siècle, à obtenir des déclarations contraires.

/113/ Le grand et saint évêque de Rodez François d’Estaing, résolu à rétablir la vigueur de la discipline dans l’abbaye de Conques, s’y rendit, en 1514, pour exercer son droit de visite et pour conférer le sacrement de confirmation dans la paroisse. Les moines, prétextant l’exemption, refusèrent de le recevoir et lui fermèrent même la porte principale de l’église. La population, au contraire, et le clergé séculier l’accueillirent avec enthousiasme. Le lendemain, le prélat, s’étant transporté de nouveau à l’église, pour conférer lé sacrement de confirmation dans la chapelle de la paroisse, entra dans le chœur des religieux, pour y prier. Alors une troupe de moines, escortée par les serviteurs de l’abbaye, força par la violence le pontife à quitter ce lieu. Une sentence arbitrale condamna les coupables. Le saint évêque leur pardonna. Mais sa clémence ne lui fit pas oublier la juste revendication des droits de son siège. A sa demande, le pape Léon X et le roi de France confirmèrent de nouveau la révocation des anciens privilèges, en 1516 et en 1520 (1).

Après la tentative de François d’Estaing, les moines de Conques revinrent-ils à leur régularité primitive? Il ne le semble pas. Ne pouvant porter le poids d’une règle rigoureuse, ils résolurent d’en venir à la sécularisation. Ne se sentant point capables de se tenir à la hauteur de leur sublime vocation, ils aimèrent mieux devenir de bons chanoines que demeurer de mauvais moines: ce sentiment était des plus honorables. C’est pourquoi, le 21 mai 1537, les religieux, au nombre de vingt-neuf, s’assemblèrent dans la demeure abbatiale, sous la présidence de l’abbé Antoine de Rousselet, et chargèrent ce dernier, qui y consentit, de faire les démarches nécessaires pour obtenir la sécularisation, et d’abord de s’assurer de l’autorisation et du bon vouloir du roi (2). L’autorisation ayant été obtenue le 24 juin, les moines adressèrent leur pétition au Saint-Siège. La sécularisation fut accordée par le pape Paul III, en vertu d’une longue bulle, datée du 1er septembre 1537 (3).

Les motifs allégués par les moines et reproduits dans la bulle sont les suivants: L’abbaye est située dans un lieu resserré qui ne permet point le développement suffisant des lieux réguliers, et qui occasionne le commerce des moines avec les séculiers; – les offices, les prédications de l’Avent et du Carême, les processions générales rendent encore plus fréquent le contact des moines avec les séculiers et sont une cause de détraction contre les religieux; – les moines, ne se recrutant plus que rarement parmi les nobles, les puissants et les savants, /114/ ne sont plus capables de veiller à la conservation des biens et des droits de l’abbaye et de pourvoir aux autres nécessités de la communauté.

Cet exposé de motifs nous révèle combien les temps et les hommes avaient changé. « La sécularisation, ajoutaient les moines, accroîtrait la prospérité du monastère et de son église; celle-ci serait mieux décorée, le culte divin s’y célébrerait avec plus d’éclat; les fidèles, y trouvant leur consolation spirituelle, la fréquenteraient avec plus de dévotion. »

Le décret pontifical abolit l’abbaye, érige l’église de Conques en collégiale séculière, exemptée dé l’Ordinaire, et règle de la manière suivante la composition du chapitre. L’abbé séculier, bien que commendataire, était obligé à la résidence; il était autorisé à user des insignes pontificaux, à l’instar des évêques de France. Il était à la nomination du roi, ainsi que deux des chanoines; les autres étaient à la nomination de l’abbé. L’abbé, le prévôt, le doyen étaient les trois dignitaires du chapitre. Il y avait en outre six personnats, savoir: un sacristain, un précenteur, un ouvrier, un archiprêtre, un primicier, un trésorier. Puis venaient quatre chanoines prieurs; ensuite deux offices, ceux de chanoine portier et de chanoine réfectorier; enfin six canonicats simples: deux de ces derniers étaient à la nomination du roi. On comptait en outre quatre hebdomadiers, quatre épistolaires amovibles, un maître de musique et quatre enfants de chœur (1). La bulle, reçue à la fin d’octobre 1537, fut fulminée le 22 décembre.

Affranchis d’une règle qui était au-dessus de leurs forcés, les religieux, désormais chanoines séculiers de Conques, vécurent dans la suite d’une manière édifiante. « Cette abbaye, écrivait le P. Beau en 1656, est maintenant remplie de quantité de personnes illustres en naissance et en mérites, qui, dans la simple profession de la vie ecclésiastique, donnent des exemples de la perfection religieuse (2). »

Le chapitre distribuait tous les ans plus de deux cents setiers de blé. Le revenu de l’abbé, évalué à la moitié de celui du monastère, s’élevait à plus de trente mille livres, en 1789 (3).

Le monastère, qui avait jusque-là une étendue considérable – trois cent soixante mètres de long au xie siècle – et qui occupait une grande partie de l’espace sur lequel le bourg se développe aujourd’hui, fut notablement défiguré par la sécularisation. La plus grande partie des bâtiments, dit l’historien Bosc, /115/ ancien chanoine de Conques, a été vendue ou inféodée à divers particuliers qui, par les changements qu’ils lui ont fait subir, ont détruit la forme et les vestiges de l’ancien monastère (1). Les chanoines se taillèrent, dans l’ampleur des appartements claustraux, des demeures appropriées aux usages privés.

Une bulle de 1537 accordait des indulgences « pour l’église collégiale de Sainte-Foy de Conques, dans laquelle, entre autres reliques, on conserve celle de la circoncision de Notre-Seigneur »; une antre bulle de la même année confirmait l’érection d’une confrérie sous l’invocation de saint Sébastie (2). Un règlement de cette même époque établissait, pour la garde des saintes reliques et du trésor, un office de gardien qui devait être confié à un homme d’une fidélité éprouvée et d’une réputation d’intégrité reconnue. Ce gardien devait préalablement dresser un inventaire minutieux, et veiller à ce que la chapelle de sainte Foy, où étaient déposées les reliques, fût illuminée (3).

Le même règlement prescrivait d’ajouter au calendrier romain les fêtes propres de l’église de Conques, savoir: la Passion de sainte Foy, au 6 octobre, du rit double-majeur, avec octave; la Translation de sainte Foy, double-majeur, au 14 janvier; l’Illation de sainte Foy, doublemajeur, au 18 mai; jadis on célébrait cette dernière fête le 4 mai (4).

Les moines avaient su se défendre contre les invasions des Anglais. Les chanoines ne surent point préserver leur église du pillage des protestants. Les Calvinistes, qui avaient fait leur première apparition en Rouergue, l’an 1558, avaient eu à peine le temps de former quelques prosélytes au nord du Rouergue, dans la région d’Espalion, au mois de février 1561 (5), lorsque, en cette même année, ils se sentirent assez forts pour se /116/ livrer à l’un de leurs exploits préférés, le pillage d’une maison religieuse. Ils s’abattirent sur Conques, en 1561 (1), comme sur une riche proie. « Il fut faict grand pillage, brullement et saccagement tant de ladite esglise Sainte-Foy audit Conques que des édiffices et maisons d’icelle. A l’occasion de quoy le service divin deu et accoustumé y est discontinué (2). » Le riche trésor, qui subsiste encore, fut caché avec soin et échappa à la convoitise des pillards.

On a découvert, depuis peu, des traces profondes de l’incendie que les calvinistes firent subir à l’église. Avant l’année 1875, les colonnes de l’abside étaient reliées entre elles et engagées, jusqu’à trois à quatre mètres de hauteur, dans une lourde et massive maçonnerie. La démolition révéla le motif qui avait fait élever cette muraille. Lorsqu’on la détruisit, les colonnes apparurent noircies par un violent incendie qui avait fait éclater la pierre calcaire et compromis gravement leur solidité. On se hâta de les reconstruire à nouveau. Les protestants avaient dû amonceler les boiseries du chœur contre ces piliers et les avaient livrées aux flammes afin de provoquer la chute de la basilique. On a trouvé aussi des traces d’incendie dans les combles de l’église et au sommet tronqué des deux tours, aujourd’hui réédifiées, de la façade.

Le chapitre de Conques adressa au roi Charles IX une pétition pour obtenir la faculté de prélever sur les bénéfices la somme nécessaire aux réparations. C’est donc à cette époque que l’on doit attribuer les travaux de restauration entrepris au clocher et dans les combles, ainsi que l’exécution de l’autel de bois, que l’on voyait naguère, surmonté d’un grand rétable. Dans ce dernier s’ouvrait l’armoire qui contenait toutes les pièces du trésor étalées sur des étagères dorées; elles étaient dominées par une grande statue en bois de sainte Foy. Quant à la châsse contenant la majeure partie du corps ide la sainte patronne, on l’enfouit dans l’épaisseur de la maçonnerie construite pour relier les colonnes; elle était placée derrière l’autel adossé à cette maçonnerie. C’est là qu’on l’a retrouvée, comme nous le dirons ailleurs (3), en 1875, en pratiquant la démolition. Un double tournois de 1590, trouvé auprès du coffret, semble déterminer l’époque approximative de son enfouissement.

[Note a pag. 112]

(3) Id. Torna al testo ↑

(4) Cartul. nº 558. – Dont, 144, foo 84 et 271. Torna al testo ↑

(5) Doat, 244, foo 25. – Cartul., p. XXIX. Torna al testo ↑

(6) P. Beau, François d’Estaing, év. de Rodez, p. 54. Torna al testo ↑

[Note a pag. 113]

(1) P. Beau, François d’Estaing, p. 63. – Cf. Bion de Marlavagne, François d’Estaing, in-18, Rodez. 1839, p. 75. Torna al testo ↑

(2) Pouillé de Conques. Torna al testo ↑

(3) Parmi plusieurs exemplaires manuscrits qui en subsistent encore, mentionnons celui du Musée de Rodez. Torna al testo ↑

[Note a pag. 114]

(1) Ceux de nos lecteurs qui désireraient connaître plus en détail l’organisation du chapitre, et surtout la valeur et la distribution des bénéfices et des rentes attribués à la mense de l’abbé, à celle du chapitre et à chacun des chanoines, pourront utilement consulter, outre la bulle citée, le Pouillé de Conques, et 1789 en Rouergue, par E. de Barrau, p. XCVII. Torna al testo ↑

(2) Franc. d’Estaing, p. 54. Torna al testo ↑

(3) Mém. de la Soc. des Lett. de l’Aveyvon, t. IV, p, 341, note. Torna al testo ↑

[Note a pag. 115]

(1) Mém., p. 389. Torna al testo ↑

(2) P. Calmet, Varia documenta ex archivio Vaticano, 1896, p. 57. Torna al testo ↑

(3) Bibl. Nat., lat. 5456, p. 246-247. Torna al testo ↑

(4) Bibl. Nat., lat. 5456, p. 247-248. – Voir plus haut, p. 106. Torna al testo ↑

(5) Affre, Simples récits sur Espalion, p. 95, Torna al testo ↑

[Note a pag. 116]

(1) Bosc, Mém., p. 389. – De Gaujal, Etudes hist., t. II, p. 379. Torna al testo ↑

(2) Charte du roi Charles IX (1571) au Musée de Rodez. Torna al testo ↑

(3) Voir plus bas, p. 87. Torna al testo ↑