Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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VII. Le bourg de Conques.

Nous trouvons la première mention connue du bourg de Conques dans le Livre des miracles, de Bernard d’Angers. « Raymond [III] comte de Rouergue, menaçait de détruire la localité importante assise sur la crête de la colline, qui se prolonge au-dessus du monastère, et de construire sur ses ruines un château fort (1). » Or, ajoute-t-il, « nulle offense n’est plus sensible à sainte Foy, et nulle n’entraîne à une ruine plus soudaine que les entreprises dirigées contre la ville ».

Le fait mentionné ici se rapporte environ à l’an mille. Mais il n’est pas douteux que l’existence de la localité ne soit plus ancienne. Les monastères attiraient toujours une population qui s’empressait de grouper ses demeures autour de ces centres bienfaisants. La célébrité du pèlerinage, dès la fin du xe siècle, dut assurer de bonne heure une grande importance au bourg de Conques; l’affluence extraordinaire des pèlerins venus de toutes les régions imprima un mouvement rapide de croissance à la population de ce bourg.

Nous trouvons, dans le même livre écrit au xie siècle, la mention du château de Conques. Ce château s’élevait sur le roc isolé qui se dresse au milieu du faubourg, près du confluent de l’Ouche et du Dourdou. On en voit encore les ruines. Dans ce château existait une chapelle placée sous le vocable de Notre-Dame; elle est mentionnée dans une bulle d’Honorius III, en 1225 (2). Elle était le siège d’un prieuré appartenant à l’abbaye. Elle subsiste encore, mais sous le titre de Notre-Dame de la Salette, après avoir été placée sous celui de saint Roch.

Ce château devint, au xie siècle, le siège d’une puissance rivale de celle des abbés. Il avait, à cette époque, pour seigneur le chevalier Siger, d’une illustre origine et d’une valeur éprouvée dans les combats, mais dominé par un orgueil et une cupidité qui le portaient à usurper les biens de l’abbaye, à insulter et frapper les moines ou leurs serviteurs. Ceux-ci recoururent à leur puissante patronne et firent à cet effet une procession solennelle dans laquelle ils portèrent sa statue d’or. La justice divine frappa alors un coup des plus terribles. Siger, atteint d’un mal incurable, périt misérablement; ses sept enfants moururent de bonne heure dans la misère et sans postérité. La tour elle-même, confidente des desseins sacrilèges de cette race maudite, fut renversée /118/ de fond en comble par un vent d’une extrême violence et s’écroula avec un effroyable fracas (1).

L’ingrat Siger avait été pourtant l’objet des faveurs de sainte Foy. Son fils Hugues, jeté en prison dans un château voisin, avait été délivré par l’intervention miraculeuse de la sainte (2). Dans un autre récit du même livre, il est question d’un chevalier, nommé Bernard, qui demeurait dans le château et qui jeta son neveu Deusdet dans le cachot souterrain situé au fond de la tour (3).

Le bourg de Conques s’entoura de fortifications, à une époque assez reculée. Nous trouvons, dans une charte de 1289, la mention des murs de la ville, des portes, des forts, des fossés et d’une tour appelée supérieure(4), qui tirait son nom de sa position au sommet le plus élevé: elle était située à l’angle nord-est des murs de la ville: on en voit encore les fondations sur le point qui porte encore le nom de la Tour. On peut suivre encore, à la trace des ruines, la ligne de ces fortifications. Trois portes subsistent même, plus ou moins dégradées. L’une, au nord-ouest de la localité, était et est encore désignée sous le nom de porte de la Vinzelle; la seconde, au sud-ouest, sous le nom de porte du Barri, du Faubourg, parce que là commence le faubourg qui se prolonge jusqu’au Dourdou; la troisième, plus étroite, au sud-est, au-dessous de l’église, est désignée sous le nom de Porte de fer. Il en existait une quatrième au nord-est, par laquelle nous avons vu les abbés faire leur entrée solennelle: elle était appelée porte de Fumouze. C’est par ces différentes portes que les pèlerins, accourus en foule de toutes les contrées, entraient dans la bonne ville de sainte Foy.

Conques se trouvait sur l’une des grandes voies de Compostelle. Le Codex de Saint-Jacques signale la station de Sainte-Foy de Conques aux pèlerins qui viennent de l’Allemagne et de la Bourgogne par le Puy. Il mentionne aussi la fontaine qui jaillit près de la porte de la basilique de Sainte-Foy, et la qualifie de miraculeuse (5).

Jusqu’alors le bourg de Conques avait grandi sous la pacifique domination de l’abbé, qui exerçait sur ses habitants, par le ministère du prévôt, tous les droits de haute et basse justice. Le monastère en effet avait été soustrait, dès l’origine, comme nous l’avons vu, à la juridiction du comte de Rouergue. Cette immunité ecclésiastique avait dû contribuer puissamment à la prospérité du /119/ bourg. Mais, au xiie siècle, il se produisit une réaction générale et pacifique parmi les populations, surtout dans les villes et les gros, bourgs, tendant à s’affranchir de la domination féodale. Ce mouvement aboutit à l’établissement de communes, institution en vertu de laquelle un groupe de population jouissait d’administrations électives plus ou moins indépendantes des pouvoirs supérieurs. C’était la liberté civile, sous la direction de la bourgeoisie locale. Des grands centres le mouvement s’étendit avec rapidité dans les plus petits. Aussi voyons-nous, au xiiia siècle, les habitants de Conques exprimer, par la voix de leurs syndics, leur impatience à porter le joug des abbés, pourtant bien plus léger que celui des seigneurs laïques. « Les syndics, au nom de la population de Conques, dit une charte contemporaine, assuraient que les habitants se trouvaient surchargés et molestés par l’abbé et par sa communauté dans leurs coutumes et dans leur genre de vie; d’où naissaient des discussions, des difficultés; des dissensions qui pouvaient devenir redoutables (1). ».

C’est pourquoi l’abbé Raymond du Four et les syndics de Conques conclurent, en 1289, un accord qui devint comme la charte des libertés municipales de la ville et dont voici les principales dispositions: la ville de Conques aura quatre consuls annuels qui, en recevant de l’abbé la collation des clefs, reconnaîtront la juridiction et le haut domaine des abbés; ces consuls, qui auront un sceau commun, jouiront du droit de percevoir une amende sur certains crimes ou délits dans une portion de territoire qui comprend la localité et la banlieue; les sommes ainsi obtenues seront employées à la réfection et à la réparation des murs de la ville. Des conventions spéciales adoucissent, pour certains cas, en particulier pour l’adultère, la rigueur de la justice de l’abbé (2).

Le roi Charles VIII autorisa, en l’année 1488, l’établissement à Conques d’un marché hebdomadaire chaque lundi, et de deux foires annuelles, le 20 août et le 31 décembre (3). La foire du 20 août subsiste encore à la même date; celle du 31 décembre a été transférée au 2 janvier.

Nous trouvons, dans un dénombrement de la population des paroisses du Rouergue, de l’an 1349 (4), que la ville de Conques comptait sept cent trente feux, ce qui suppose environ trois mille habitants, non compris peut-être ceux du monastère. Dans la liste des sergents ou hommes d’armes fournis par le Rouergue au roi Philippe VI, en 1341, pour les guerres de Picardie et de Gascogne contre les Anglais, la ville de Conques est marquée pour cinq sergents; /120/ ce qui est relativement considérable (1). « On trouve, dit Bosc, par les anciennes chartes et baux à fief de l’église de Conques, que cette ville était autrefois d’une beaucoup plus grande étendue qu’aujourd’hui. On trouve d’ailleurs les traces des anciens édifices dans les jardins, les vignes et les autres possessions qui l’entourent (2). »

La sécularisation de 1537 porta un coup sensible à la prospérité du bourg, en ralentissant le mouvement occasionné par les pèlerins, par les travaux incessants et par les relations fort étendues de l’abbaye. Dès lors le chiffre de la population du bourg devint hors de proportion avec les ressources territoriales. Nous trouvons bien encore, à l’assemblée des Etats de la province, en 1651, les consuls de Conques parmi les représentants du tiers-état (3). Mais la ville tombe rapidement en décadence. Pour comble de malheur, dans la peste de 1628, elle ę perdit presque tous ses habitants; les maisons y furent complètement vidées (4). » En 1789, elle ne comptait guère plus d’habitants qu’aujourd’hui; et pourtant les revenus de l’abbé et du chapitre – environ soixante mille livres – étaient dépensés dans la localité. Aujourd’hui le bourg ne compte guère plus de cinq cents âmes.

Les habitants de Conques se rendirent fort bien compte, dès le commencement, des pertes que leur infligea la Révolution. « Cette ville, dit un rapport rédigé le 4 juin 1791, pert les ressources que lui procurait une abbaye et un chapitre composé de vingt chanoines séculiers assez riches, deux sièges dé justice considérables, la valeur d’une prébande canoniale affectée au précepteur pour l’enseignement de la jeunesse de la ville, une consorse de prêtres de la ville qui trouvaient dans les revenus de l’église de quoi vivre décemment (5),  »

Conques est la patrie du célèbre médecin Chirac, d’abord élève de la maîtrise du chapitre, plus tard premier médecin de Louis XV; il mourut en 1732.

Les chanoines avaient fermé la nef de l’église, au moyen d’un jubé dépourvu de sculptures. Ce jubé fut enlevé vers l’an 1840. La paroisse célébrait ses offices particuliers dans le transept du nord, auquel donnait accès une porte réouverte depuis peu, dans sa face occidentale. L’autel de la paroisse était dédié à la Sainte Vierge (6). Dans l’église de Conques, il y avait une chapellenie fondée par Bernard Preyssac, à la présentation du recteur ou curé, et à l’institution de l’évêque (7).

/121/ Le prieuré de Conques, avant la sécularisation, était uni à l’office du cellerier et, après, à la mense du chapitre. La cure, rectoria, d’abord à la présentation de l’abbé, fut unie à la mense capitulaire par la bulle de sécularisation: elle fut remise à la présentation de l’abbé, en 1544 (1).

Vis à vis du transept septentrional de l’église, s’élevait une chapelle ou petite église séparée de la basilique par la faible largeur du cimetière. Elle avait un maître-autel et deux autels latéraux. La porte principale s’ouvrait à l’occident; une seconde porte était percée à l’orient, derrière un angle du maître-autel. Cette chapelle, dédiée a saint Thomas de Cantorbéry, avait un plafond de bois en forme de voûte, et un plancher sur le sol. Elle servait de siège à la fraternité des prêtres originaires de la ville de Conques. C’est là qu’ils faisaient le service de leurs obits et fondations. Le curé avait part aux obits, comme les autres membres de la fraternité. Cette fraternité jouissait de rentes foncières et d’une rente constituée de deux cent trente livres d’argent (2).

Plus tard, la chapelle de Saint-Thomas servit, jusqu’à la Révolution, de centre à la confrérie des Pénitents. Elle fut détruite vers l’an 1840. L’autel fut transporté dans la grande église et adossé au mur qui forme le fond du transept septentrional; on l’y voit encore aujourd’hui. Auparavant, cet emplacement était occupé par des confessionnaux surmontés d’une tribune en bois appuyée sur les piliers. Cette tribune partait de la porte et s’étendait jusqu’à l’autel de Saint-Joseph. La boiserie de la chapelle de Saint-Jean-Baptiste, près de la porte du clocher, provient aussi de la chapelle de Saint-Thomas (3),

Quant à la chapelle du château, placée sous le vocable de Notre-Dame, /122/ elle était le siège d’un prieuré sans cure, avec des revenus exigus. Le prieuré était à la collation de l’abbé, La chapelle était le but de certains vœux et de quelques pèlerinages (1).

[Note a pag. 117]

(1) Liv. II, c. v. Torna al testo ↑

(2) Cartul., nº 558. Torna al testo ↑

[Note a pag. 118]

(1) Liv. III, c. xvii. Torna al testo ↑

(2) Liv. III, c. iv. Torna al testo ↑

(3) Liv. III, c. v. Torna al testo ↑

(4) C. Coudere, Les privilèges municipaux de Conques, p. 8. Torna al testo ↑

(5) Codex de S. Jacques de Compostelle (Lib. de Miraculis S. Jacobi), publié par lé P. Fita, p. 3 et 28. Torna al testo ↑

[Note a pag. 119]

(1) C. Couderc, Les privilèges municipaux de Conques; compromis de 1288, Torna al testo ↑

(2) Le détail en est long et intéressant dans le document précité. Torna al testo ↑

(3) Même document. Torna al testo ↑

(4) Le livre de l’Epervier, publié par Constans, p. 71. Torna al testo ↑

[Note a pag. 120]

(1) Le livre de l’Epervier; p. 71. Torna al testo ↑

(2) Mém., p. 558. Torna al testo ↑

(3) E. de Barrau, 1789 en Rouergue, p. CXXXVIII. Torna al testo ↑

(4) Revue relig. de Rodez, 13 décembre 1895. Torna al testo ↑

(5) Archives communales de Conques. Torna al testo ↑

(6) Pouillé de Conques. Torna al testo ↑

(7) Id. Torna al testo ↑

[Note a pag. 121]

(1) Pouillé de Conques. Torna al testo ↑

(2) Id. Torna al testo ↑

(3) La charpente de la toiture de Saint-Thomas a été utilisée pour la couverture de l’appartement de l’abbaye qui confine à la place de la Lausse. Torna al testo ↑

[Note a pag. 122]

(1) Pouillé de Conques. Torna al testo ↑