Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Deuxième partie
Conques

Chapitre premier
L’Abbaye

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VIII. La revolution; état actuel.

Imitant les anciens barbares, la Révolution étendit son œuvre de destruction sur le monastère de Conques. En 1790, la saisie des biens du clergé fut prononcée; elle fut bientôt suivie de la suppression des ordres et des établissements religieux (2). La magnifique église de Conques ne subit aucune dégradation. Mais les archives immenses et inestimables, que dix siècles avaient accumulées dans l’abbaye et qui étaient déposées dans une salle latérale de la tribune de l’orgue, du côté de l’Évangile, furent brûlées sur la place publique. Les débris si intéressants échappés à ce désastre nous font connaître le prix de ces monuments perdus pour l’histoire. Le chanoine Bosc avait emporté avec lui des caisses de parchemins pour ses recherches historiques; c’étaient probablement les plus précieux; ils ont été sauvés.

Quant au trésor, nous verrons plus loin quelles furent les péripéties de son sauvetage dû au dévouement des habitants. Le cloître, comme nous le dirons, fut épargné; il tombait dejà en ruines; on a achevé de le démolir vers 1830; on n’en voit plus que des fragments mutilés. Les autres bâtiments ont été détruits peu à peu, en partie; le reste a été approprié à des usages privés. On sait que la période de 1800 à 1840 a été des pus ingrates pour l’archéologie, pour le simple respect des monuments les plus précieux. C’est durant cette époque que périrent tant de beaux restes du monastère de Conques, le cloître entre autres, ainsi que des bâtiments entiers qui furent rasés et dont l’emplacement forme aujourd’hui des terrasses ou des jardins supendus. On assure même que la municipalité de Conques, voyant l’église se dégrader chaque jour et reconnaissant son impuissance à entretenir seulement la toiture du monument, avait songé un instant à démolir la plus grande partie de l’édi- /123/ fice, devenu trop vaste pour la petite paroisse; elle aurait concentré ses soins sur l’aile qui serait conservée pour en faire l’église paroissiale.

Heureusement la Providence voulut que l’attention d’un inspecteur général des monuments historiques fût attirée vers Conques. Prosper Mérimée avait été reçu membre honoraire de la Société des Lettres de l’Aveyron, en 1838. Vers cette époque, il visita lui-même minutieusement l’église et le trésor de Conques et s’éprit d’enthousiasme pour ces monuments si remarquables. On peut dire qu’il fit comme l’invention de Conques auprès du monde des érudits et des artistes, qui né soupçonnaient même pas de tels trésors enfouis au fond de ces gorges sauvages et alors inaccessibles. Il fit plus encore. Il publia ses impressions et une description détaillée de l’église et du trésor dans ses Notes d’un voyage en Auvergne et dans le Limousin(1). Comme conclusion de ce mémoire, adressé au ministre, il sollicitait et obtenait une large subvention de l’État pour sauver, par des réparations urgentes, le monument voué à une ruine prochaine. C’est de cette époque que datent les premières restaurations faites à la toiture ainsi qu’au soubassement des murs septentrionaux.

Nous devons aussi un souvenir et un hommage reconnaissant au curé, M. Turcq Calsade, qui dirigea la paroisse de 1839 à 1873. Non seulement il ne laissa rien dépérir ni se perdre, mais il recueillit avec un soin pieux tous les débris épars des sculptures et des objets d’art, à une époque où on ne les appréciait pas aussi bien qu’aujourd’hui.

Ce que Mérimée avait été pour l’église de Conques, un initiateur, j’allais dire un inventeur, Alfred Darcel le fut pour le trésor devenu depuis si célèbre. « Conduit une première fois à Conques par le hasard, écrivait-il, j’y ai trouvé des richesses que je ne soupçonnais pas. J’y suis retourné, pour étudier à loisir, et j’en rapporte le livre qui en fait connaître le Trésor. » Il publia, en effet, en 1861, le Trésor de l’église de Conques(2), orné de nombreuses gravures sur acier, d’après ses propres dessins.

Mgr Ernest Bourret, évêque de Rodez, s’éprit de Conques, lui aussi, et il conçut aussitôt la pensée de ressusciter le monastère. Grâce à lui, après quatre-vingts ans de veuvage, l’antique abbaye retrouva sa parure et sa vie. Le 22 juin 1873, jour de la solennité du Sacré Cœur de Jésus, une colonie de religieux Prémontrés, détachée de l’abbaye de l’Immaculée-Conception et Saint-Michel de Frigolet, appelée et conduite par l’évêque, vint prendre possession de l’église abbatiale et du presbytère. L’église, privée, depuis près d’un siècle, de ses abbés crossés et mitrés, vit de nouveau, ce jour-là, briller les insignes /124/ pontificaux sur la personne du très révérend Père Edmond, abbé de Frigolet et prévôt de Conques. La cure de la paroisse fut confiée à ses religieux, qui la détiennent encore aujourd’hui. Aussitôt tout changea de face. Le culte reprit sa magnificence, le pèlerinage fut rétabli, de vastes constructions s’élevèrent pour un nouveau monastère dont l’essor fut arrêté par la force des événements.

En attendant, par l’initiative de Mgr l’évêque et du curé de Conques, qui l’a secondé avec tant de zèle, on a pu obtenir des allocations importantes du ministère des Beaux-Arts. Grâce à ces secours si nécessaires, la toiture d’une grande partie de l’église a été refaite, la façade réparée; le célèbre tympan, qui menaçait de s’écrouler, a été consolidé; les deux tours inachevées ou décapitées de la façade ont été exhaussées et munies d’une toiture pyramidale en pierre de taille; le pavé de la nef a été renouvelé, la voûte de la tribune refaite, la voûte entière de l’église affermie, sans parler d’autres réparations de détail. De leur côté les religieux, à leurs propres frais, ont enlevé l’épaisse couche de terre qui enserrait le mur septentrional de l’église et qui avait servi de cimetière pendant mille ans; c’était une cause désastreuse d’humidité.

Conques n’oubliera jamais ce qu’il doit au curé actuel, M. l’abbé Florens. Sans parler des œuvres merveilleuses qu’il a suscitées autour de lui et qui ont été couronnées par la construction d’une école religieuse, nous devons signaler, pour ce qui concerné notre objet, le soin avec lequel il a conservé, collectionné, acquis une multitude d’objets d’art, épaves de l’ancien monastère, ainsi que de vieux manuscrits, précieux restes des archives détruites. Il en à rempli un vaste musée et plusieurs salles de la cure. Le pèlerinage de sainte Foy lui doit, en grande partie, sa prospérité. Les registres, où les principaux pèlerins déposent leur signature et que nous avons parcourus récemment en entier, disent hautement et éloquemment la place eminente que le pèlerinage à reprise, attirant de toutes parts les pèlerins pieux et les savants artistes. Rien, en un mot, de tout ce qui intéresse le culte et la gloire de sainte Foy ne le trouve indifférent; la présente publication en est elle-même un témoignage (1).

[Note a pag. 122]

(2) Nous voyons le chapitre remplir ses fonctions jusqu’au 17 février de l’an 1791. Requis d’en fournir le motif, de Turine prévôt, de Baka doyen, Miramon ouvrier, de Nattes trésorier déclarent: « Que s’ils continuent leurs offices et fonctions, leur vray motif est de veiller à la conservation de l’argenterie, trésors et objets mobiliers de l’églize. » Deux jours après, des commissaires du district arrivaient pour mettre les scellés sur les reliquaires, de crainte, disaient-ils, « que les reliques ne l’eussent enlevées » (Archives communales de Conques.) C’est alors que les habitants sauvèrent le trésor, comme nous le raconterons au chapitre III. Torna al testo ↑

[Note a pag. 123]

(1) Ce travail fut reproduit, en 1840, dans le t. II des Mém. de la Soc. des Lett. de l’Aveyron. Torna al testo ↑

(2) Paris, Didron, in-4º; extr. des Annales archéologiques. Torna al testo ↑

[Note a pag. 124]

(1) Voir, aux Appendices, la liste chronologique des abbés de Conques. Torna al testo ↑