Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/455/ Latino →

III.

D’un mulet mort qui fut ressuscité.

Par un effet de la toute-puissance de Dieu, sainte Foy a ressuscité des animaux; ce genre de miracles mérite, non moins que les autres, d’être publié et célébré. Il ne conviendrait nullement qu’une créature raisonnable rougît de rapporter ce que le souverain Créateur n’a pas dédaigné lui-même d’opérer. Lecteur ou auditeur, gardez-vous de traiter d’absurde la relation suivante d’un prodige de cette sorte, car elle sera accompagnée d’une seconde de même nature, que vous serez obligé d’écouter. Est-il donc inouï que l’Auteur de toutes choses, qui est plein de bonté, témoigne de la condescendance pour sa créature, quelle que soit sa nature, puisqu’il est écrit: « Seigneur, vous répandrez vos bienfaits sur les hommes et sur les bêtes (1)? » Voici donc le récit.

Un chevalier, du nom de Bonfils, dont le fils porte le même nom et vit encore, se rendait du pays Toulousain à Sainte-Foy, lorsque, arrivé à peu de distance du bourg de Conques, à deux milles environ, il voit le mulet qui lui sert de monture tomber atteint de je ne sais quel mal et périr aussitôt. Il livre donc le cadavre à deux paysans et les charge de le dépouiller de sa peau. Puis il se rend auprès de la sainte pour l’amour de laquelle il avait entrepris son voyage, et, prosterné sur le pavé, lui adresse ses prières et formule ses vœux. A la fin, se trouvant au pied de la statue d’or de la sainte martyre, il exprima sa plainte au sujet de de la perte de son mulet. C’était une bête très remarquable et pour ainsi dire incomparable; c’est pourquoi sa perte lui avait été très sensible, d’autant que l’ennemi de tout bien avait causé lui-même ce dommage pour décourager le pèlerin dans l’exercice de son œuvre de piété. Tant de constance dans la foi nous parait digne de grandes louanges. Aussi, dans le moment même où le pèlerin terminait sa prière, ô prodige! le mulet, dont on avait saisi les jambes pour le dépouiller de son cuir, se met à ruer, repousse loin de lui les paysans et, revenu à la vie, se redresse d’un bond soudain sur ses pieds; puis il court en hennissant à travers les sommets des montagnes, sur les traces d’autres animaux de son espèce et s’élance dans le bourg de Conques. Là, comme se plaisent à nous le répéter les témoins de cette scène, ce fut un curieux spectacle de voir cette bête bondir de joie à la manière des êtres sans raison, témoigner ainsi son allégresse de son retour à la vie et galoper dans tous les sens devant l’église, sur la place publique, reconnaissant en quelque sorte la bonté, de son Créateur et, par des hennissements répétés, rendant grâces à Dieu, « qui donne leur nourriture aux bêtes de somme et entretient les petits des corbeaux qui crient vers lui (2) ».

Les paysans, accourus à la poursuite du mulet, leurs couteaux sanglants à la main, racontent à ceux qui doutent encore le prodige qu’ils ont vu. La vérité de ce fait ne fut pas assurée seulement par la déposition orale des témoins, mais encore par une sorte d’écrit fortement gravé et enlevant tout doute et toute erreur, c’est-à-dire les sillons tracés fraîchement par le couteau sur chacune des cuisses de l’animal; cependant les déchirures en avaient été subitement et solidement fermées et ne laissaient que des cicatrices qui paraissaient fort anciennes et même bordées /456/ de poils blanchissants. Tout le reste de sa vie, le mulet porta sur lui cette marque visible de son retour à la vie.

Le chevalier, en reconnaissance, offrit à Dieu et à sa sainte un écu d’or et retourna dans son pays. Puis il renvoya le mulet et le laissa au service de sainte Foy, et chaque année pendant longtemps il offrit de nombreuses donations à sa bienfaitrice.

[Note a pag. 455]

(1) Ps. xxxv, 7. Torna al testo ↑

(2) Ps. cxlvi, 9. Torna al testo ↑