Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/456/ Latino →

IV.

Autre miracle semblable.

Un chevalier d’illustre naissance, nommé Gérald (1), habitant d’un bourg du Rouergue appelé Vialarels (2), distant de Conques de six mille pas environ, revenait de Rome. Or le mulet qui lui servait de monture, et que son frère le clerc Bernard lui avait prêté, vint à tomber, frappé de je ne sais quel mal. Le pèlerin, se souvenant des miracles opérés par sainte Foy, dont il était le voisin, fit vœu d’offrir à la sainte, pour la guérison de l’animal, un cierge aussi long que celui-ci. Le mulet, loin de se remettre, s’affaiblit de plus en plus et succomba. A cette vue, le pèlerin proposa au maître de l’hôtellerie de lui vendre la peau du mulet. Mais l’hôtelier, qui était un rusé fripon, lui en présenta un prix dérisoire, persuadé que le cuir lui resterait toujours, même pour rien. Gérald, outré d’indignation à la vue de cette mauvaise foi, saisit un couteau et trace de grands sillons en long et en large sur les flancs du cadavre de l’animal pour que l’hôte déloyal, après son départ, n’ait pas sujet de se féliciter d’avoir gagné un cuir en bon état. Après cette opération, le chevalier s’arme de son bâton de pèlerin, en enfonce la pointe dans l’œil du mulet gisant à terre, frappe l’animal sur la croupe et s’écrie avec emportement:

« En aurait-il coûté beaucoup à sainte Foy d’ajouter la guérison de cette bête à celles qu’elle a dejà opérées et de s’attirer ainsi le don d’un cierge d’une telle longueur? C’est un double malheur qui me frappe: me voici sans monture au milieu de ma route, et, de retour dans mon pays, je devrai payer cent sols à mon frère. »

Telle était en effet la somme convenue entre les deux frères, pour le cas de perte du mulet. Il achevait à peine ces paroles, lorsque l’animal, subitement rendu à la vie, se dresse d’un bond sur ses pieds. Et, pour que personne ne puisse douter de la réalité de la mort de la bête, les cicatrices des sillons tracés sur la peau avaient toutes pris, dès le premier moment, l’éclat des traits du pinceau sur une toile; on ne voyait aucune trace fraîche de sang; mais, par un effet semblable à celui qui a été signalé dans le récit précédent, les poils qui bordaient les cicatrices avaient dejà pris comme une teinte de vétusté. Au comble de la joie à la vue d’un tel miracle, Gérald reprend le chemin de son pays, rend les actions de grâces les plus éclatantes à Dieu et à sa sainte, et raconte partout ce prodige extraordinaire. L’honorabilité et la sincérité du gentilhomme étaient connues de tous; d’ailleurs à /457/ ceux qui auraient eu la pensée d’accuser la véracité ou le sérieux de son récit, il montrait à l’appui les flancs du mulet zébrés de cicatrices.

Je tiens ce miracle non seulement des moines, mais d’une multitude d’autres personnes qui ont vu mille fois Gérald lui-même. Je suis suffisamment certain de la vérité de leur relation; cependant, si Gérald était encore en vie, je ne me tiendrais pour satisfait que lorsque je lui aurais rendu visite en retournant dans mon pays; je n’aurais pas jeu d’ailleurs à me détourner considérablement de mon chemin, car son habitation est peu éloignée d’ici.

Je suis, il est vrai, par l’incapacité de mon esprit et le poids de mes péchés, bien indigne de la tâche que j’ai entreprise. Mais du moins je suis loin d’être assez imposteur pour publier sciemment des mensonges, et je n’aurais eu garde d’affronter les nombreux démentis que m’attirera le récit d’un prodige si singulier, si je n’avais été convaincu de la vérité indubitable de ce fait. C’est qu’il serait criminel de taire les œuvres véridiques de Jésus-Christ par crainte des hommes; quant à ceux qui se rendent coupables de cette lâcheté, je redoute vivement que Jésus-Christ ne refuse de les reconnaître dans le ciel auprès de son Père, car il a dit lui-même: « Celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux (1). » Il a dit encore: « Si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui à son tour devant son Père et devant les anges du ciel, lorsqu’il reviendra dans tout l’éclat de sa majesté (2) ». Loin de moi, ô Christ, la pensée de rougir de manifester vos œuvres de vérité devant les hommes; loin de moi la crainte de les retracer dans mon livre, de peur que vous-même ne rougissiez de me reconnaître devant votre Père qui est dans les cieux, et que vous ne m’effaciez de votre livre de vie, écrit de votre main divine. Mais c’est assez; quel est l’insensé qui pourrait douter de la résurrection future des hommes, lorsque nous voyons les bêtes elles-mêmes revenir à la vie?

[Note a pag. 456]

(1) Avant le xie siècle, les seigneurs n’ajoutaient pas encore à leur nom celui de leurs terres. Ce ne fut que dans le cours de ce siècle qu’ils commencèrent à prendre le nom d’un château ou d’un fief. Voilà pourquoi, dans ces récits, composes au commencement du xie siècle, les nombreux seigneurs mentionnés ne sont désignés que sous les simples noms de Gérald, Bernard, etc. Torna al testo ↑

(2) Villaris n’est pas Villecomtal, comme le pensent les Bollandistes, mais Vialarels, distant de Conques de 16 à 17 kilomètres par le sentier direct. C’était un petit village construit sur le penchant de la colline au bas de laquelle se trouve aujourd’hui Decazeville. (Voir Cartul., nº 155, 156, 184, 335, 428, 452.) L’église de Vialarels fut unie, en 1087, au monastère de Monlsalvy (Cantal). – Cf. Bosc, Mém., p. 416. Torna al testo ↑

[Note a pag. 457]

(1) S. Math., X, 33. Torna al testo ↑

(2) S. Luc, IX, 26. Torna al testo ↑