Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Latino → /441/

Livre des Miracles de Sainte Foy

Ici commence le Livre des Miracles
de la sainte et glorieuse vierge martyre Foy,
publié par Bernard, écolatre, maitre de l’école d’Angers

Ici commence l’épître au seigneur Fulbert, évêque de Chartres.

Bernard, le dernier des écolâtres, au plus pieux et au plus savant des hommes, à Fulbert, évêque de Chartres, souhaite la faveur de la souveraine béatitude.

Lorsque j’avais l’avantage de vivre auprès dé vous, à Chartres, et de jouir, de vos leçons, il m’arrivait souvent de me rendre hors des murs de la ville, à la petite église de Sainte-Foy (1), pour y écrire ou y prier. Or, dans le cours de nos conversations, je m’en souviens, nous nous étions entretenus plusieurs fois de la sainte martyre et des miracles innombrables opérés par la toute-puissante bonté du Christ au monastère de Conques où sont conservées ses précieuses reliques. Ces prodiges étaient célébrés avec un tel enthousiasme par la renommée populaire, ils étaient tellement extraordinaires que je les regardais comme des fables et que je ne pouvais /442/ y ajouter foi. Mais la vérité devait, grâce à Dieu, se faire jour. Voyant que l’Europe presque entière s’entretenait de ces miracles et leur accordait créance, je conçus au fond de mon cœur le désir de plus en plus vif de visiter la basilique de la sainte martyre, dans le dessein de m’informer. Enfin la chose en vint à ce point que je formulai un vœu et que, pour le mieux fixer dans ma mémoire j’en inscrivis l’époque et le jour dans mon livret manuel. Sur ces entrefaites il arriva que je me rendis dans la ville d’Angers, à la prière de l’évêque de cette cité. Là, pendant trois ans, perdant, à vrai dire, en de futiles bagatelles un temps consacré à l’étude, j’ai laissé passer le terme de mon vœu. J’attendais une occasion favorable, mais par suite d’un enchaînement d’occupations et de soucis, je fus déçu dans mon attente et, comme le poisson prisonnier dans le filet, plus je faisais effort pour m’échapper, plus je m’embarrassais dans des liens qui se resserraient davantage. Enfin, craignant de paraître prendre conseil de l’indolence, sous le prétexte de l’opposition des événements, sentant aussi que ces embarras étaient des pièges cachés et presque inextricables, tendus contre moi par la perfidie du démon dans le but de me détourner entièrement de mon pieux dessein par ses artifices, je me suis soudainement arraché à toutes ces occupations, et me voici, par la grâce de Dieu, parvenu au terme désiré de mon pèlerinage auprès du tombeau de la glorieuse martyre.

Ici, dès que j’eus commencé à me livrer aux informations relatives aux prodiges de sainte Foy, j’entendis de diverses personnes le récit d’une telle multitude de miracles que j’en aurais été accablé et découragé, si j’avais eu moins d’ardeur à les recueillir. Or j’ai eu le bonheur de connaître et de voir moi-même un homme dont les yeux, violemment et complètement arrachés de leur orbite, ont été quelque temps après réintégrés sans aucune trace de mutilation, d’après le témoignage de la province tout entière; en ce moment même, il comparaît devant moi, je l’ai devant les yeux, et je vais écrire sa narration sous sa dictée. Ce miracle étant comme le fondement des autres, je crois devoir le placer en tête de ces récits et en reproduire la relation dans toute sa prolixité, telle que je la recueille de sa bouche, non seulement pour le sens, mais encore mot pour mot, sans souci des longueurs. A ce premier récit, dans ma hâte de m’en retourner, j’ai jugé à propos d’ajouter seulement quelques miracles, en très petit nombre. Quant aux autres, j’ai recueilli des notes rapides et sommaires sur les plus remarquables, parmi ceux qui sont de notre époque et dont les témoins, encore à ma portée, fournissent une relation exempte de fables et empreinte de tous les caractères de la plus évidente sincérité. Je me propose, avec l’aide de Dieu, de rapporter ces notes dans mon pays où je les rédigerai à loisir, pour leur donner une forme plus ample et plus digne du lecteur.

Lorsque vous aurez reçu ce recueil, ô le plus docte des hommes, retouchez-en seulement la forme; car, si mes récits témoignent de mon inexpérience et de mon inhabileté dans l’art de bien dire, du moins je n’ai pas accueilli leur relation avec crédulité et je me suis montré difficile pour leur accorder créance. Si donc il vous semble que le style déshonore un sujet si élevé en se montrant trop inférieur, vous qui, tous l’attestent, brillez sans rival au plus haut sommet de la science, prêtez, sans crainte de m’offenser, à un sujet d’une telle élévation et d’une telle richesse l’élévation et la richesse de votre langage; ainsi le lecteur ne sera pas dégoûté de cette histoire véridique par l’insuffisance du style, et une matière si excellente ne sera pas avilie par l’indignité de la forme. Ce serait en effet une témérité des plus blâmables d’offrir à l’attention des savants, auxquels ce serait manquer de respect, une histoire dont l’objet est si relevé et si ardu, si je ne m’étais excusé /443/ de cette audace par le motif que je viens d’exposer. Au surplus, j’ajouterai qu’il est préférable de recueillir ces merveilles divines, aujourd’hui qu’elles sont encore récentes et que leur authenticité est palpable, et de les voir publiées dans une forme quelconque, mais sans altération de la vérité, par un scolastique, si ignoré soit-il, plutôt que d’interroger dans l’incertitude tous les points de l’horizon et d’attendre l’apparition fort douteuse d’un historien. Je ne suis donc pas bien coupable, ce me semble, si, contraint par la disette des écrivains, j’ose entreprendre dans la mesure de mes forces la relation des divines faveurs.

Du reste je vous avertis, ô vous tous qui lirez ces pages, de ne point vous choquer au sujet de la disposition observée dans cet écrit et du défaut d’ordre chronologique; l’urgence inexorable de mon retour ne me laisse le loisir de corriger que les défauts nuisibles au fruit de cette lecture. C’est pourquoi, dans cet écrit où j’entreprends, avec l’aide de Dieu, de retracer les miracles de sainte Foy, les récits ne seront pas rangés par ordre chronologique, mais groupés par similitude. Et, comme je me suis attaché avec le soin le plus scrupuleux à la recherche de leur véracité qui est indiscutable, je vous prie d’accorder à cette relation une pleine croyance, afin que vous n’ayez pas à regretter plus tard d’avoir manqué aux égards dus à la sainte martyre. Que si vous êtes choqués par le caractère inouï de quelque récit merveilleux, je vous supplie avant tout, ô mes frères, prosterné humblement à vos pieds, de venir, vous aussi sans tarder, après mon départ, en ce lieu même, plutôt pour y chercher la preuve des faits que pour y faire des prières; de crainte que, sans cette épreuve, vous ne portiez un jugement précipité et contraire à la vérité sur des faits dont vous vous empresserez de proclamer l’authenticité, dès que vous les aurez contrôlés.

Ici finit l’Epitre.

[Nota a pag. 441]

(1) Voir, p. 279, la notice relative à cette église. Torna al testo ↑