Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/478/ Latino →

XIX.

Des manches d’or.

Le Seigneur a opéré par sainte Foy une telle multitude de miracles de cette sorte, qu’il est impossible de les retenir tous ou même d’écrire tous ceux que l’on a retenus. A ceux que j’ai dejà racontés j’en ajouterai cependant quelques-uns que j’ai appris; mais je më garderai soit d’être obscur par excès de laconisme, soit d’être fastidieux par excès de diffusion. Je connais le vieux dicton: Ce qui est rare est précieux. Voilà pourquoi, parmi cette masse de prodiges, je ne publie que de rares exemples, afin qu’ils soient précieux. Le Seigneur daignera donc me pardonner si j’en néglige volontairement un si grand nombre.

Arsinde, épouse de Guillaume (1), comte de Toulouse et frère de ce Pons qui fut tué perfidement par Artaud, son fils d’un premier lit, possédait deux bracelets d’or ou plutôt deux manches qui montaient jusqu’au coude, émaillées de pierres précieuses et d’un travail merveilleux. Une nuit qu’elle se trouvait seule dans sa noble couche, elle vit en songe une jeune vierge de la beauté la plus éclatante, qui semblait passer devant elle. Après avoir admiré sa grâce incomparable, elle lui adressa la demande suivante:

« Dites-moi, Madame, qui êtes-vous?

— Je suis sainte Foy, répondit la sainte de sa douce voix; bannissez tout doute, noble dame.

— O ma sainte dame, reprit la comtesse du ton le plus suppliant, pourquoi avez-vous daigné visiter une pécheresse? »

La sainte lui fit alors connaître le motif de sa visite:

« Donnez-moi, dit-elle, vos manches d’or, portez-les vous-même à Conques et déposez-les sur l’autel du Saint-Sauveur: tel est le but de ma visite auprès de vous.

La comtesse, pleine de prudence, ne se laissa pas dépouiller d’un tel bijou sans une compensation:

« O ma sainte dame, dit-elle, j’exécuterai vos ordres de grand cœur, si vous daignez m’obtenir un fils de la bonté de Dieu.

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— Le Créateur tout-puissant, répondit la sainte, accordera sans aucune difficulté cette faveur en considération de sa servante, si vous ne refusez pas ce que je demande. »

Le lendemain, la comtesse, mise en sollicitude par cette réponse, s’informa soigneusement dans quel territoire était situé le lieu nommé Conques. Le bruit des prodiges qui s’y accomplissaient s’était rarement jusque-là répandu au dehors. Quand elle eut appris ce qu’elle demandait, elle accomplit ses devoirs de pèlerin, apporta à Conques ses manches d’or et les offrit avec grande vénération à Dieu et à sa sainte, La noble idame demeura quelques jours à Conques, honora de sa présence la solennité de Pâques, puis retourna dans sa patrie. Conformément à la promesse de la céleste vision, elle conçut, puis mit au monde un enfant mâle; quelque temps après, elle eut encore un autre fils: l’aîné fut appelé Raymond, le cadet Henri.

Les manches d’or furent employées dans la suite à la confection de la table d’autel (1).

[Nota a pag. 478]

(1) Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, avait épousé Arsinde en premières noces, vers 975. La comtesse était, à ce que l’on croit, fille de Geoffroi Grisegonelle, comte d’Anjou. (Cf. Hist. de Languedoc, t. III, p. 75.) Torna al testo ↑

[Nota a pag. 479]

(1) Ce miracle a été célébré dans un chant composé en langue d’oc, au commencement du xie siècle, et reproduisant fidèlement notre récit. (Voir aux Appendices, nº 4.) Torna al testo ↑