Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/490/ Latino →

XXX.

De celui qui, pendu aux fourches patibulaires, fut délivré par l’intervention de sainte Foy.

Tandis que je poursuivais mon œuvre relative à sainte Foy et que divers narrateurs, pour satisfaire à mes pressantes demandes, me faisaient le récit de tous /491/ ces miracles, je notai parmi tous ces prodiges celui que je vais raconter; il était en effet célébré à l’envi par toute la population avec magnificence et enthousiasme. J’attendis, pour le livrer à la publicité, l’occasion de m’informer exactement auprès des témoins eux-mêmes du fait miraculeux.

Un très noble seigneur, Adhémar, surnommé d’Avallène, lieu situé dans les montagnes du Limousin, avait à son service des serviteurs et des vassaux innombrables. L’un d’eux lui avait enlevé plusieurs chevaux et s’était enfui. Plus tard son seigneur, l’ayant rencontré par hasard, lui fit arracher les yeux et le laissa aller. Quant au compagnon du malheureux, un ami inséparable, mais qui n’avait pas été complice du larcin, le seigneur le fit enchaîner, comme s’il eût été coupable du même crime. L’infortuné eut beau nier et protester de son innocence au sujet de ce vol, ce fut en vain; il en appela alors à sainte Foy, mais il reçut de cet homme barbare la réponse suivante:

« Les scélérats, quand ils se voient saisis, ne songent-ils pas toujours à invoquer l’assistance de sainte Foy? J’en donne ma parole; ton appel sera puni du dernier supplice. »

A ces mots, il le fait placer sur un cheval et le dirige vers le château; là il le jette dans un cachot ténébreux, creusé profondément sous terre, d’où il devait, le lendemain, le livrer aux fourches, pour être pendu. Que fait alors l’infortuné? Plongé dans les plus épaisses ténèbres, tremblant à la pensée du sort qui l’attendait, il ne put goûter le sommeil durant la nuit entière, et il ne cessa d’adresser toutes les prières qu’il savait à Dieu et à sainte Foy. Vers le milieu de la nuit, il vit venir, du côté de la porte, une jeune vierge d’une ineffable beauté. Il pensa d’abord que c’était une servante du château, mais, ne voyant dans sa main ni cierge ni flambeau d’aucune sorte, il ne s’expliquait pas pourquoi elle était toute brillante de clarté. Elle s’approcha de lui et lui demanda, comme si elle l’ignorait, pour quel crime il avait été jeté dans cette prison. L’infortuné lui raconte tout; puis il lui demande qui elle est. Elle lui répond qu’elle est sainte Foy.

« Gardez-vous, lui dit-elle, de perdre courage et de vous livrer à la défiance; mais au contraire ne cessez d’invoquer hautement le nom de sainte Foy. Demain vous subirez néanmoins le supplice auquel vous avez été condamné; mais je vous promets que le Dieu tout-puissant vous arrachera aux étreintes mêmes de la mort. »

A ces mots, la vision céleste disparut, et le prisonnier passa le reste de la nuit tout tremblant d’émotion à la suite de cette apparition surnaturelle et extraordinaire; mais, comme cette vision était un bienfait de Dieu, son cœur ne ressentit aucun trouble.

Le matin, on le tire de sa prison pour le conduire devant le tribunal du seigneur. Plus l’infortuné s’applique à invoquer le nom de sainte Foy, plus son juge, plein de méchanceté, se hâte de le condamner au gibet. On le conduit donc au lieu du supplice, et le seigneur, non content de donner ses ordres à ses serviteurs, veut paraître lui-même, escorté d’une nombreuse suite d’hommes à cheval. Le condamné que l’on menait enchaîné, docile à la recommandation reçue, ne cesse un seul moment d’invoquer le nom de sainte Foy, jusqu’à ce que, sous la pression de la corde qui le suffoque, la voix expire dans son gosier. Peu après, les hommes abandonnent le pendu et s’éloignent; mais, parvenus à une petite dislance, ils se retournent et s’aperçoivent que la potence est vide. Ils reviennent en tumulte, serrent plus étroitement encore le condamné et le pendent de nouveau, puis ils s’en vont.

/492/ Ils jettent encore une fois un regard en arrière, retournent vers la potence et trouvent de nouveau le pendu détaché et étendu à terre. Quelques-uns commencent alors de s’écrier que c’est un miracle de sainte Foy; mais le seigneur, comme une bête féroce, les réduit au silence par ses objurgations menaçantes; puis, employant des cordes neuves, il fait serrer le cou du patient avec un redoublement de vigueur et de cruauté et observe le pendu jusqu’à ce qu’il se croit certain d’une complète strangulation. Néanmoins, en descendant la pente de la colline, il ne peut s’empêcher, dans son inquiétude méchante, de tourner en arrière un regard haineux. A la vue du miracle renouvelé, il accourt et, ayant trouvé le pendu délié et sain et sauf, il hésite sur ce qu’il doit faire. La troupe tout entière acclame alors hautement le miracle de sainte Foy, proclame son maître coupable d’un attentat monstrueux et proteste qu’elle ne souffrira plus le renouvellement d’un crime si abominable. Le seigneur, touché de repentir à la vue de ce prodige, implora le pardon de sa victime qui s’y refusa, disant que c’était à sainte Foy qu’il fallait aller exposer le litige. Adhémar, ne pouvant vaincre la résistance de cet homme, s’empressa de se rendre, lui aussi, à Sainte-Foy, nu-pieds et sans armes, accompagné de quinze pages de sa maison. Ce fut un touchant spectacle de voir les deux Adhémar – tous deux portaient le même nom – plaidant au pied de la statue d’or, le condamné accusant son puissant juge, et celui-ci confessant sa faute et offrant de la réparer. Les principaux du lieu, intervenant, infligèrent au coupable l’amende légale pour le meurtre d’un homme et réconcilièrent les parties.

Ce miracle, je l’ai dejà dit, était dans la bouche de tout le monde; mais les moines m’en ont fait un récit plus concordant et plus exact. Et, afin d’en confirmer encore la certitude, ils ont fait venir en témoignage un cousin d’Adhémar, qui l’avait accompagné à Conques, après le fait miraculeux. Si le temps ne m’eût manqué, j’aurais pu mander le pendu lui-même ou me rendre auprès rie lui; il est encore plein de vie, car il n’y a que cinq ans, m’a-t-on dit, que le miracle a été opéré.