Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/492/ Latino →

XXXI.

Comment sainte Foy délivre les prisonniers qui ont recours à elle.

Le genre de prodiges le plus renommé entre tous et le plus célèbre, celui qui est pour sainte Foy comme une spécialité, c’est la délivrance des prisonniers qui ont recours à son assistance. En leur donnant la liberté, elle leur recommande d’emporter leurs lourdes entraves ou leurs chaînes et de se diriger vers Conques pour y rendre grâces au Saint Sauveur. Elle ne fait aucune distinction entre l’innocent et le coupable. Tout captif qui implore son secours avec instance et persévérance ne tarde pas à expérimenter le pouvoir étonnant dont le Seigneur a doté sa servante. Les portes munies de chaînes et de serrures sont brisées, les verrous de fer sont arrachés; la miséricordieuse bonté de Dieu ouvre les antres que l’impitoyable cruauté des hommes tenait solidement fermés. Les prisonniers, délivrés de leurs liens, s’en échappent librement, chargés du trophée de leurs énormes fers; libres, ils serrent dans leurs mains ces chaînes qui naguère les tenaient captifs. Le cachot rend à la vie ceux qu’il gardait pour la mort; ceux que les passions avaient précipités depuis longtemps dans le crime reviennent à la lumière et au repentir après tant d’adversités; les malheureux, précédés par leurs trophées, sont ramenés /493/ dans le sanctuaire de l’église de la sainte martyre. Après avoir longtemps gémi dans les ténèbres horribles du cachot, ils saluent avec allégresse la lumière à laquelle ils sont rendus et ils font retentir la basilique des accents joyeux de leurs louanges et de leur reconnaissance envers Dieu et sa bienfaisante sainte.

Ce genre de miracles se reproduisit avec une fréquence si prodigieuse que l’amas énorme des entraves de fer, nommées en langue vulgaire bodies, encombrait le monastère. Les supérieurs des moines firent forger cette immense quantité de fers et l’employèrent à la confection d’un grand nombre de portes. La basilique offre à l’extérieur, par la diversité de ses toitures, l’apparence d’un triple édifice; mais à l’intérieur ces trois parties, par l’ampleur de leurs communications, se réunissent en un seul vaisseau. Cette trinité dans l’unité offre, à mon avis, de toute manière, l’image de la souveraine et divine Trinité. Le côté droit est dédié à l’apôtre saint Pierre, le gauche à la sainte Vierge Marie et la nef du milieu au Saint Sauveur. Mais comme cette nef est plus fréquentée à cause de la célébration de l’office divin, on y a transféré des reliques insignes de la sainte martyre (1), extraites du local spécial qu’elles occupent. Presque toutes les issues, tous les passages à travers une basilique si pleine de détours, sont fermés au moyen des portes dont ces entraves ou ces chaînes: ont fourni la matière. A vrai dire, elles sont la plus admirable décoration de l’église, après les richesses du trésor, où brillent, dans une gracieuse variété, tant de bijoux d’or et d’argent, tant d’ornements et de manteaux, tant de pierreries.

J’exprimai aux supérieurs du monastère mon regret de ce qu’ils n’avaient point conservé par écrit le nom, la lignée, la demeure d’un si grand nombre de prisonniers. La tâche aurait été peu aisée, dirent-ils; si jamais ils avaient espéré trouver un historien, ils lui auraient réservé des notes laconiques que celui-ci aurait rédigées et développées; enfin, ils l’avouaient à leur confusion, ils étaient familiarisés à tel point avec ces sortes de prodiges, renouvelés tous les jours, qu’ils n’y prêtaient plus leur attention. Ils ignoraient même le nom de celui qui avait apporté les énormes chaînes que j’ai vues suspendues sous les sculptures de la coupole. Le miracle étant tout récent, les fers n’avaient pas encore été soumis à la forge. J’appris cependant que le château où le prisonnier avait été enchaîné porte le nom de Broussadel (2), et le seigneur celui d’Emmon.

[Note a pag. 493]

(1) Il s’agit du chef de Sainte Foy, enfermé dans la statue d’or. Torna al testo ↑

(2) Broussadel, Brucciadul, autrefois Brossadol, simple ferme de la commune de Saint-Georges, canton de Saint-Flour, Cantal. Chez les seigneurs de Brossadol, le prénom d’Aimon, que l’on trouve dejà vers 1025 (charte de fondation du second monastère de Saint-Flour par saint Odilon), resta héréditaire pendant près de trois siècles. – Boudet, La Jacquerie des Tuchins, p. 134 et suiv.) Torna al testo ↑