Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/498/ Latino →

XXXIV.

Epître adressée à l’abbé et aux moines pour servir d’épilogue au premier livre.

Au révérendissime et sérénissime Adalgerius (1), abbé du saint monastère de Conques et à tous les autres frères, serviteurs de Dieu et de sainte Foy, que Bernard, le dernier des écolâtres, salue à jamais dans le Seigneur.

J’ai publié, comme vous me l’avez demandé, une nouvelle édition des miracles de sainte Foy. Au milieu des tourmentes de l’adversité, qui ont longtemps tenu mon âme dans l’abattement et m’ont laissé à peine le temps de respirer, ce travail a été mené à bonne fin, grâce au secours divin qui m’a assisté, j’en ai la confiance, dans ma faiblesse. De peur que plus tard, ne serait-ce que dans une seule occasion de peu d’importance, ce livre ne fût taxé d’être apocryphe, je n’ai pas voulu exclure de son titre le nom de l’auteur. Plus je suis empressé à publier mon nom, plus je me montre inférieur à Sulpice Sévère. Il était impossible de trouver, dans le monde entier, un écrivain plus autorisé que ce dernier pour raconter la vie de saint Martin, et cependant, pour éviter l’atteinte de la vanité, il mutila le titre préliminaire et voulut que cette page gardât la discrétion au sujet de son nom. Nous, au contraire, nous faisons parade de notre personnalité au commencement, au milieu et à la fin, de peur que l’ignorance du nom de l’auteur ne soit un motif de douter du contenu de son livre et que cette incertitude ne jette du discrédit sur les œuvres de sainte Foy.

On a agité vivement la question de la déclinaison du nom de notre sainte. D’aucuns veulent le soumettre aux règles de la cinquième déclinaison. Pour nous, fidèles à l’ancienne manière d’écrire, nous soutenons qu’il faut dire: Fides, génitif Fidis, comme on dit: nubes, pubis; soboles, sobolis. C’est aussi, si je ne me trompe, le sentiment du seigneur Fulbert, évêque de Chartres, l’homme assurément le plus savant de notre siècle. A sa table, le jour de la fête de la martyre sainte Foy, j’ai vu et lu moi-même, et j’ai entendu lire et répéter, jusqu’à deux ou trois fois, le génitif Fidis et non Fidei, Si nous adoptions l’autre déclinaison, le nom de notre sainte ne se distinguerait plus de celui de la vertu de foi ou de celui de cette autre vierge Foi, qui souffrit le martyre à Rome avec ses deux soeurs Espérance et Charité, sous l’empereur Adrien. Je vous engage donc charitablement à renoncer à l’usage contraire, que vous ayez pratiqué jusqu’ici, et à adopter; pour le nom de notre sainte les désinences que je vous ai signalées, suivant la troisième déclinaison.

Je vous adresse ce recueil des miracles de sainte Foy. C’est vous-même, ainsi que les habitants de la province, qui m’en avez communiqué la relation textuelle. Ces récits, dignes d’être publiés, je les ai rédigés dans un latin dépourvu de distinction, selon la faiblesse de mes moyens. Faites à ce volume un bienveillant accueil, et, par amour pour sainte Foy, donnez-lui hautement les louanges les plus magnifiques, non pour l’œuvre sans art de l’écrivain méprisable, mais pour la scrupuleuse exactitude de ses récits et sa fidélité à reproduire dans leur ordre les relations de vous tous qui – on le sait – avez été témoins de ces faits si merveilleux. Du reste, afin que rien de ce qui y est consigné ne paraisse appuyé ou affirmé sur ma seule autorité, notre livre a été soumis à des hommes compétents; je ne parle pas du seigneur Fulbert, à qui j’ai adressé l’épître préliminaire et qu’une; foule d’obstacles /499/ m’ont empêché d’aller trouver, mais de mon très révéré maître Raynold, écolâtre de Tours, homme très versé dans les sciences libérales. Il a fait un si grand cas de ce volume, que, se sentant gravement malade, dans ma maison, il l’appliqua sur sa tête, comme le livre des Évangiles lui-même, dans la persuasion qu’il serait soulagé par l’intercession de sainte Foy. Quelque temps auparavant, dans une occasion favorable, j’avais montré cette édition encore inachevée aux deux frères Wantelme et Léowolf, mes amis, chanoines de Saint-Quentin du Vermandois (1), d’une illustre naissance et d’un mérite plus illustre encore. Leur zèle, rehaussé par leur opulence, a porté leur renommée au loin dans toutes les régions de l’univers. Ils se jetèrent sur le volume avec une telle avidité, qu’ils me l’arrachèrent des mains. Ils y avaient quelque droit, disaient-ils, car, dans leur ville de Noyon (2), sous l’influence de la célébrité des grands prodiges dejsainte Foy, s’élevait une nouvelle église en son honneur. Mais comme je n’avais point d’autre exemplaire transcrit de mon livre, ils durent se retirer les mains vides, en me priant instamment de le leur envoyer sans retard. J’invoque j encore l’autorité de Jean Scot – non pas l’ancien, mais un autre – qui est le parent et l’élève de l’écolâtre Raynold, mentionné plus haut. Jamais la duplicité hérétique ni l’adulation mensongère n’ont pu trouver d’accès dans son âme. De nul autre, dans notre temps, on ne peut rapporter des actions plus éclatantes, sinon de celui qui hériterait de ses œuvres. Mu par son amitié fraternelle, il a porté sur ma chétive personne un jugement d’une telle bienveillance, qu’il n’a pas craint de me ranger au nombre des docteurs. J’attribue cette flatteuse comparaison à la même affection qui aveugle la tendresse des mères pour leurs enfants. Elles savent, en vertu du discernement inné à l’esprit humain, porter un jugement exact sur la beauté des autres; mais, lorsqu’il s’agit de leurs enfants, elles les trouvent toujours beaux, si difformes qu’ils soient réellement. C’est ainsi que l’amitié a influencé Jean Scot jusqu’à lui faire dire que je n’étais pas inférieur aux docteurs des anciens temps. Sa naïve indulgence m’a exalté au-dessus de mes mérites; mais je ne me laisse pas séduire par cette appréciation trop flatteuse, et je ne suis pas assez peu sensé pour m’estimer comparable à ces anciens docteurs auxquels je ressemble, pour ainsi dire, comme le singe ressemble à l’homme. A la vérité on doit approuver le maître qui donne des louanges à son disciple pour l’encourager; mais le disciple doit s’estimer bien inférieur à ces louanges, afin de réprimer l’orgueil qui l’entraînerait dans la chute. Plusieurs autres hommes savants et judicieux ont lu mon livre et lui ont donné à peu près le même témoignage.

Par cet écrit j’ai fait connaître sainte Foy à un grand nombre de personnes qualifiées qui entendaient parler d’elle pour la première fois; un grand nombre aussi ont appris de moi des miracles de la sainte qui leur étaient inconnus jusque là. Ainsi mon seigneur Hubert, évêque de cette cité d’Angers (3), jeune prélat plein de distinction, doué de la plus aimable bonté, se propose de dédier un autel au culte perpétuel de sainte Foy, dans la nouvelle cathédrale qu’il fait entièrement reconstruire. Le seigneur Gautier, le vénérable évêque de Rennes (4), touché par la renommée /500/ des miracles de notre sainte, m’assure lui-même qu’il lui dédie un autel secondaire dans la basilique de l’apôtre saint Thomas, qu’il fait élever dans sa ville épiscopale. Notre excellent et opulent compatriote, si connu pour ses éminentes qualités, Gui, prévôt de la cathédrale d’Angers, est animé d’un si ardent amour pour sainte Foy, qu’il se dispose à lui dédier une belle chapelle dans la splendide église de Saint-Martin de Vertou (1), qu’il fait reconstruire. Un grand nombre d’autres personnes, qu’il est inutile d’énumérer, pour ne pas rendre ces pages fastidieuses, et qui étaient privées du délicieux aliment des merveilleux gestes de l’illustre sainte, ont fait leurs délices de ce festin royal que je leur ai procuré, en ont rendu grâce à Dieu et m’ont comblé moi-même de louanges, malgré mon indignité, de ce que j’ai employé tant de soin et de sollicitude pour sauver de l’oubli et conserver par mes écrits les miracles si étonnants de sainte Foy.

Pour ce labeur je ne demande d’autre récompense que d’éprouver les effets de la puissante protection de sainte Foy, lorsque mon âme misérable, couverte de péchés, quittera cette vie. J’invoque cette sainte au-dessus de toutes les autres, comme ma patronne spéciale: puissé-je ressentir son intervention si efficace contre les suppôts de l’iniquité! Et lorsque, en vertu de la miséricorde de Jésus-Christ, notre doux Sauveur, j’aurai obtenu de participer au fruit éternel de la rédemption, daignez, ô sainte Foy, m’admettre avec vous dans l’éternelle félicité des saints et partager avec moi pour toujours un rayon de votre gloire. Ainsi soit-il.

Ici finit le premier livre des miracles de sainte Foy, vierge et martyre.

[Nota a pag. 498]

(1) Cf. ch. XIII. Torna al testo ↑

[Note a pag. 499]

(1) Chef-lieu d’arrondissement du département de l’Aisne. Torna al testo ↑

(2) Chef-lieu de canton, arrondissement de Compiègne, Oise, autrefois siège d’un évêché. Torna al testo ↑

(3) Hubert de Vendôme, évêque d’Angers (1010-1047) reconstruisit la cathédrale en 1020 et la consacra en 1030. – Cf. Gall. christ. XIV, col. 558. Torna al testo ↑

(4) Gautier est mentionné comme évêque de Rennes entre 1014 et 1022. (Gall. christ. XIV, col. 744). – Saint-Thomas de Rennes, d’abord hôpital ou prieuré, devint un collège au xvie siècle. (Cf. du Paz, Hist. génealog. I, p. 381. – Guillotin de Corson, Pouillé histor. du dioc. de Rennes, III, p. 321.) Torna al testo ↑

[Nota a pag. 500]

(1) Vertou, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Nantes (Loire-Inférieure). Saint Martin, abbé de Vertou, mourut en 601. (Cf. Auber, Hist. de saint Martin, abbé de Vertou, 1869, p. 95. – Acta SS. octob. X, p. 814). Torna al testo ↑