Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Deuxième

/506/ Latino →

III.

D’un homme dont l’œil fut guéri sur mer par sainte Foy, et du miracle d’un navire qui fit entendre un craquement.

Je vais raconter très brièvement le fait merveilleux qui suit.

L’abbé de Conques, alors simple moine (1), se rendait en pèlerinage à Jéru- /507/ salem. En passant à Ephèse, il prit pour compagnon de route et pour guide un clerc nommé Pierre, originaire de notre Gaule et de la ville du Puy: celui-ci avait quitté depuis longtemps sa patrie pour se fixer en Orient, avec l’intention d’y faire fortune. Comme tout négociant qui a parcouru les diverses parties de l’univers, il connaissait les routes de terre et de mer, les hôtelleries, les chemins, les lois, la langue et les moeurs de tous ces pays lointains. Nos voyageurs, pour se délasser des fatigues du chemin, entreprirent une excursion sur la mer voisine, dans l’intention de revenir au même point du rivage; Pierre éprouva alors une vive douleur à l’un de ses yeux, qui se mit à enfler progressivement. Comme le mal augmentait toujours et lui causait une douleur intolérable, le clerc, pressé par la souffrance, fit vœu d’offrir fine pièce d’or au Saint-Sépulcre, en l’honneur de sainte Foy. Dès qu’il eut prononcé ce vœu, il se trouva subitement guéri. Mais bientôt, rendu arrogant par cette guérison soudaine, il regretta le vœu qu’il venait de faire. Cette douleur, disait-il, ayant disparu fortuitement, il ne se croyait pas tenu d’offrir sans motif une telle somme. Ses compagnons de voyage se récrièrent alors et condamnèrent sa conduite; mais il ne renonça pas à son incrédulité et ne sut pas couvrir du silence la perversité de son cœur:

« Si sainte Foy, dit-il, a guéri mon œil, comme vous le prétendez, qu’elle le manifeste par un miracle plus éclatant, et j’y croirai. Que ce navire, par exemple, tremble et craque tout entier; sinon je me délie de mon vœu. »,

A peine eut-il parlé que le vaisseau, fortement ébranlé, fit entendre un craquement terrible; dans toute sa membrure, comme s’il avait touché un écueil et fait naufrage. Les matelots furent tellement épouvantés par ce fracas horrible, qu’ils cessèrent de diriger le navire et ne songèrent qu’à jeter un suprême cri d’angoisse. Mais ce n’était qu’un avertissement du Ciel à l’adresse du clerc incrédule; à l’instant le vaisseau redevint calme et tranquille comme auparavant. Tous, pénétrés de joie autant par la préservation du danger que par la vue du prodige, adressèrent les plus vives représentations au clerc sur son infidélité et ses résistances. Celui-ci, voyant que le danger était conjuré, accepta de bon cœur ces justes reproches qui le couvraient de confusion.

Je me proposais de négliger ce miracle; c’est à la prière pressante du seigneur abbé que j’en ai écrit le récit.

[Note a pag. 506]

(1) Il s’agit de l’abbé Adalgérius. – Cf. ch. XIII du liv. I. Torna al testo ↑