Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Deuxième

/507/ Latino →

IV.

Des miracles innombrables opérés par sainte Foy dans le cours d’une procession en Auvergne.

Dans une autre circonstance, la statue de sainte Foy, avec la châsse d’or donnée, dit-on, par Cbarlemagne et sans laquelle on ne porte jamais au dehors la vénérable statue, fut transportée solennellement en Auvergne, dans une terre appartenant à sainte Foy et désignée par les habitants de ce lieu sous le nom de Molompise (1). Cette procession avait pour objet de revendiquer contre tout envahisseur ce fief, qui devait contribuer à l’entretien du monastère. D’après un usage /508/ établi et une coutume constante, lorsque quelqu’une des terres de sainte Foy est injustement envahie, de quelque manière que ce soit, par des usurpateurs, les moines y portent solennellement la statue de leur sainte patronne, en témoignage de la revendication de ses droits lésés. Pour cela, ils ordonnent une procession solennelle du clergé et du peuple, portant à la main des cierges et des lampes, au milieu de la plus grande pompe. Les châsses vénérables sont précédées de la croix processionnelle couverte d’or, décorée de reliquaires et resplendissante de pierres précieuses. Parmi les jeunes novices, les uns portent les livres des Evangiles et l’eau bénite, les autres frappent sur des cymbales ou sonnent des olifants, sorte de cors d’ivoire que les nobles pèlerins ont offerts au monastère en guise de décoration. Dans ces processions, la sainte opérait une multitude vraiment incroyable de miracles. Mais, dans ce récit, nous ne parlerons que de celle qui fut exécutée en Auvergne.

La nouvelle de cette procession s’étant répandue au loin dans toute la région, des légions de malades se portaient de tous côtés sur sa route. La sainte en guérit un si grand nombre, qu’il serait impossible d’y croire, si nous n’avions l’attestation de ceux qui en ont été témoins. Les porteurs des vénérables châsses ayant fait une halte sous un poirier, pour se reposer de leurs fatigues, une multitude étonnante d’infirmes, pour ne parler que de ceux-ci, y recouvre la santé, par la grâce de Jésus-Christ; il est impossible d’en évaluer le nombre. Et encore la route entière avait été semée de pareils bienfaits de la largesse divine. Lorsque la procession fut arrivée à son terme, Dieu, dans sa bonté, opéra en ce lieu une multitude si inouïe de prodiges, que les moines n’eurent pas même le loisir, durant toute la journée, de prendre leur nourriture. Car, lorsqu’un miracle s’opérait, il était d’usage, pour le célébrer, de chanter à l’instant même, de faire retentir les trompettes et de sonner les cloches, mélange de sons graves et aigus qui n’était pas dépourvu de charme. Sur le soir, après l’office, les religieux, accablés, rompus de fatigue, s’étaient mis à table pour réparer leurs forces par une modeste collation, lorsque soudain, avant d’avoir eu le temps de goûter aux aliments, un nouveau miracle les obligeait de se lever à la hâte pour ne point priver la manifestation divine du tribut accoutumé de louanges solennelles. Ils s’empressaient de revenir à leur collation, mais aussitôt un autre miracle les rappelait auprès de la sainte. L’événement s’étant renouvelé jusqu’à trois et quatre fois, les moines furent forcés de passer à jeun la journée entière, jusqu’à l’entrée de la nuit. Entre mille nous choisissons trois de ces miracles qui offrent quelque chose des badinages de la sainte et surtout des leçons plus particulières.

Un sourd-muet de naissance, nommé Etienne, se tenait constamment comme attaché au brancard qui servait à porter la vénérable statue d’or. A la fin, sollicité par je ne sais quelle sensation, il plonge vivement les doigts dans le conduit de ses oreilles et le frotte avec force. Bientôt un flot de sang jaillit comme un ruisseau et rompt l’obstacle qui s’opposait à la parole et à l’ouïe. La première parole qu’il prononça fut celle-ci:

« Sainte Marie, venez à mon secours! »

Il n’avait jamais pu entendre jusque-là une voix humaine; c’est pourquoi, s’il put prononcer ces mots inconnus pour lui, ce ne fut incontestablement que par une intervention divine et par un effet inexplicable à la raison humaine. Au même moment, les chants éclatent, les cloches sonnent, les trompettes retentissent. Etienne, épouvanté par un tel fracas, si inouï pour lui, s’élançait de tous côtés, comme un insensé, pour prendre la fuite et faisait des efforts désespérés pour s’échapper des /509/ mains de ceux qui l’entouraient; il semblait avoir perdu la raison et être devenu furieux; il ne se calma que lorsque le bruit eut cessé. Il aurait été plus avantageux pour lui de rester sourd et muet en conservant l’usage de la raison, que de demeurer privé du don d’intelligence après être tombé en démence dans de telles circonstances. Mais le miracle fut complet; il ne laissa aucune trace d’infirmité ni dans son esprit ni dans son corps.

Une vieille femme, paralysée de tout le corps depuis six ans, n’avait cessé, mais en vain, de demander sa guérison à sainte Foy. Bien qu’elle eût habité Conques dès son enfance, et qu’un grand nombre d’infirmes de tous les pays eussent été guéris sous ses yeux, il ne lui fut pas donné d’être délivrée de son mal; ce bienfait était réservé pour la circonstance présente. La suprême bonté daigna, en ce jour, opérer ce miracle; bien mieux, elle l’enveloppa dans un badinage destiné à servir de leçon aux jeunes écoliers du monastère. La malade, pauvre et dénuée de tout, gisant à terre au milieu de la foule qui se pressait autour de la statue, n’avait éprouvé aucun soulagement, tandis que tous les autres infirmes étaient guéris et pleins de joie; elle n’était qu’un objet d’embarras pour la multitude. A la fin, les folâtres écoliers de la famille des moines, qui la connaissaient pour la plupart, se mirent à interpeller la pauvre femme et à l’accabler de leurs railleries:

« Que fais-tu là, disaient-ils, sotte vieille? Pourquoi encombres-tu la place? Es-tu assez simple pour croire que sainte Foy négligera les jeunes filles et les personnes de nôtre âge, pour accorder la santé à une femme décrépite qui est à charge? A quoi donc te servirait la santé? Tes rides font horreur; ta voix grêle fait rire; tes plaintes lamentables fatiguent tout le monde. Retire-toi de cette place, vieille importune; cesse de t’enrouer pour avoir crié tout le jour. Ton mal c’est l’extrême vieillesse; ce mal est le plus fâcheux de tous; il est incurable. Et tu oses implorer ta guérison! »

Tandis que ces jeunes écoliers débitaient tontes ces folies, tout à coup la vieille se lève vivement, entièrement redressée, délivrée de toute douleur et guérie subitement; elle marche d’un pas assuré et rend grâces à Dieu. J’ai vu moi-même plus tard cette femme à Conques, où elle s’est fixée, chez une pieuse veuve nommée Richarde, qui l’a recueillie. Elle est toujours pleine de santé et d’enjouement et a encore la force de se livrer à un travail actif. Ce miracle fut accueilli néanmoins avec une grande joie par ceux même qui venaient dé la railler, aussi bien que par les autres. Ils ignoraient donc, ces jeunes fous, que Jésus-Christ avait daigné rendre la santé à deux malades invétérés qui n’espéraient plus leur guérison: à une vieille femme, courbée depuis dix-huit ans (1), et à un vieillard paralytique qui gisait depuis trente-huit ans sous le portique de la piscine (2). Il était juste et sage, ce semble, que Dieu, après avoir différé si longtemps la guérison de cette femme, ou bien en punition de ses péchés, ou bien afin de manifester en elle les merveilles de son opération, daignât enfin lui faire miséricorde et la relever de son lit de douleur (3), afin de donner une leçon à ceux qui la raillaient. C’est ainsi que Dieu, dans sa bonté, diffère souvent d’exaucer nos vœux et qu’il en réserve l’accomplissement, malgré notre indignité, pour un temps que sa Providence juge plus opportun.

Là aussi se trouvait une jeune fille, originaire de l’Auvergne, qui avait été /510/ sourde et muette de naissance; en outre les doigts de ses mains, engagés dans l’intérieur de la paume, n’avaient jamais été développés. Déjà à Conques sainte Foy avait opéré en sa faveur un triple miracle, en lui donnant l’usage de l’ouïe, de la parole et de la vue, mais elle avait laissé ses mains dans leur infirmité native. Longtemps après, ayant appris la nouvelle de cette procession, la jeune fille se rendit eu toute hâte à Molompise et passa toute la journée devant la statue de la sainte, ne cessant de crier devant tous les assistants:

« Sainte Foy, vous m’avez autrefois rendu la vue, l’ouïe et la parole; je vous prie, en témoignage de ce miracle, de le compléter en guérissant ces mains, qui jusqu’ici ont été impropres au travail par leur contraction, et en les rendant entièrement aptes à remplir leur fonction. »

Elle répétait cette prière sans se lasser. Les assistants étaient émus et attendris par les accents suppliants de cette voix enfantine, rehaussée par l’éclatante beauté de la jeune fille, par sa rare distinction et par une fleur de grâce des plus charmantes. Le ciel ne fut pas moins touché de la ferveur de sa prière. La nuit suivante, la sainte veille avait été prolongée jusqu’au chant du coq, lorsque, à la vue de tous les assistants, les poings de l’infirme se redressent d’eux-mêmes peu à peu, les doigts émergent successivement et les mains contractées sont déliées par l’action du divin Ouvrier et rendues aptes au travail. Ce ne fut pas en vain qu’elle avait déposé sa plainte devant la relique de sainte Foy; elle reçut du divin médecin un don inappréciable et gratuit, la reconstitution de ses mains.

Cette procession fut vraiment merveilleuse; elle mérite d’être célébrée magnifiquement. Et si nous admirons les faits miraculeux qui se produisirent en présence de la relique, combien plus n’admirerons-nous pas ceux qui ont été opérés loin d’elle? Des malades accourus de loin, à la nouvelle de la procession, n’ayant pu, trahis par leurs forces, arriver à temps pour joindre le cortège dejà rentré au domicile, se portèrent vers l’arbre sous lequel, comme nous l’avons dit, la relique avait stationné; ils y obtinrent sans délai leur guérison. Leur nombre était si considérable, qu’il fut impossible de les compter; Dieu seul le connaît.

Une semblable procession, faite à une autre époque dans la Gothie, ne fut pas moins signalée par d’éclatants prodiges. Elle eut lieu lorsque sainte Foy prit possession de la terre ou des salines qui lui avaient été données par le comte Raymond (1). Nous avons vu, dans le premier livre, comment le jeune téméraire, qui s’opposait à cette donation, fut frappé par la foudre vengeresse. Le divin Créateur ne cesse d’opérer de semblables merveilles en faveur de sa sainte. Il les a prodiguées tant dans les processions dont nous venons de parler que dans celles qui eurent lieu dans plusieurs autres régions.

[Note a pag. 507]

(1) Molompise, Molendinum Pisinum, commune et paroisse du canton de Massiac, arrondissement de Saint-Flour, Cantal. L’abbaye de Conques possédait dejà un prieuré en-ce lieu, avant l’an 823. Cf. Cartul. p. VI, LXXXVIII; nº 460. – Déribier, Dict. statist. du Cantal, IV, p. 356. Torna al testo ↑

[Note a pag. 509]

(1) Luc, XIII. Torna al testo ↑

(2) Jean, V. Torna al testo ↑

(3) Ps. xl, 4. Torna al testo ↑

[Note a pag. 510]

(1) Cf. Liv. I, c. xii. Torna al testo ↑