Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/543/ Latino →

XV.

De celui qui, enchaîné par des entraves, invoqua sainte Foy et s’échappa sain et sauf.

Vers la même époque, un jeune homme, nommé Etienne, se dirigeait vers le château de Servières (2) pour s’en emparer, afin de venger la mort de son père qui y avait été tué. Il rencontra et attaqua, avant d’y arriver, un jeune chasseur, innocent de ce meurtre, mais possesseur d’une terre que l’agresseur convoitait comme étant à son gré. Etienne, qui le guettait depuis longtemps, se jeta sur lui et le saisit, et, comme celui-ci refusait de lui abandonner cette terre, il l’emmena prisonnier. Il le chargea d’énormes fers, l’enferma dans une haute salle, hors du donjon, fit passer sa chaîne à travers la charpente jusqu’au dehors et en fixa l’extrémité à un poteau de fer placé à l’extérieur. Dans son angoisse, le prisonnier ne cessait d’implorer l’assistance de sainte Foy avec les accents les plus suppliants et de se recommander à sa miséricordieuse pitié. Sa mère elle-même se rendit auprès du tombeau de la sainte martyre et, devant ses reliques, lui voua la cause de son fils captif.

Une nuit, le prisonnier fut averti en songe de tenter une évasion. A son réveil, il aperçoit à sa portée une scie de bois. Il la saisit aussitôt, en enlève le manche, introduit le nouvel instrument dans l’ouverture qui donnait issue à la chaîne, imprime des secousses répétées au poteau de fer qui la fixait au mur et réussit enfin à le détacher de l’anneau auquel il était assujetti. La chaîne ayant été arrachée du mur, il se demanda avec anxiété comment il pourrait s’échapper d’une tour si élevée. Cette tour, en effet, était perchée sur une roche telle que le Caucase, et au pied de cette roche était béant un abîme effroyable qui semblait menacer de mort quiconque /544/ d’en haut y plongeait les regards. Mais le captif, n’ayant, selon le mot du poète, d’autre ressource que le désespoir, et se voyant dans l’alternative de subir les embûches de ses ennemis ou de périr précipité au fond de l’abîme, préféra s’exposer lui-même à la mort plutôt que de supporter plus longtemps un si cruel traitement. Résolu à se précipiter, mais partagé entre la crainte et l’espérance, il aperçoit des balistes accrochées au mur. Il en détache aussitôt les cordes, les ajoute l’une à l’autre, en fixe l’extrémité à la porte de l’appartement et s’élance dans l’espace, suspendu par ce léger soutien. Parvenu au bout de la corde, il n’avait pas encore franchi la moitié de l’espace. Cependant, confiant en la protection de sainte Foy, il se lance dans le vide. Le cliquetis des fers avait réveillé les geôliers qui annoncèrent à grands cris l’évasion du prisonnier. Le jour commençait à poindre; le captif, embarrassé par ses chaînes, se cacha sous un amas de sarments. Le Seigneur le protégea si efficacement et le déroba si bien à tous les regards, qu’il échappa aux recherches minutieuses de la multitude des paysans, accourue des environs pour le marché qui devait se tenir en ce lieu (1) ce jour-là. Nul ne put le découvrir, car Dieu lui-même le cachait. Le jour se passa ainsi; lorsque la nuit fut venue, il profita des ténèbres pour prendre la fuite et, parvenu à une habitation isolée dans la campagne, il brisa ses entraves au moyen d’une hache, et, ainsi dégagé, il rentra à sa maison. Peu de temps après il apporta ses chaînes au tombeau de la sainte et nous fit le récit de son évasion que nous recueillîmes aussitôt par écrit. Puis il célébra solennellement la sainte veille au pied du tombeau de sa libératrice, et adressa à Dieu et à sainte Foy les plus ardentes actions de grâces.

[Note a pag. 543]

(2) Cerverium castrum, Cervières, aujourd’hui Servières, était un château-fort construit sur un rocher escarpé, et dominant un abîme du côté du midi (commune de Villecomtal, canton d’Estaing, Aveyron). Il fut la propriété successive des comtes de Rouergue, des comtes de Rodez et de la maison de Cervières (Bosc, Mém. p. 318, 405); il n’en reste aujourd’hui que quelques ruines. Torna al testo ↑

[Note a pag. 544]

(1) Servières, qui est aujourd’hui un hameau de la paroisse de Villecomtal, était jadis un chef-lieu de paroisse comprenant les hameaux qui entouraient Villecomtal; cette dernière localité ne fut fondée qu’à la fin du xiiie siècle. L’église de Servières subsiste encore. Torna al testo ↑