Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/542/ Latino →

XIV.

De celui qui, à la tête de cinquante cavaliers, se disposant à envahir une terre de sainte Foy, fut frappé d’aveuglement avec ses compagnons.

Sainte Foy possédait, dans le Quercy, dès une époque reculée, une terre dont les tenanciers, se prévalant d’une longue possession, se prétendaient les légitimes propriétaires fonciers. Nos frères, résolus à revendiquer les droits de la sainte, furent unanimement d’avis de transporter solennellement dans ce lieu la statue d’or qui renferme le chef vénérable de notre patronne. Dès que l’on y fut arrivé, le précieux trésor fut déposé dans l’église construite dans ce lieu, qui porte le nom de Belmont (1). Le lendemain matin, la statue fut portée sur une autre terre de sainte Foy, usurpée depuis longtemps par un chevalier du nom de Rainfroi; de là on la reporta dans l’église de Belmont. A cette nouvelle, le chevalier usurpateur, saisi d’une violente colère, rassemble une troupe de cinquante cavaliers et se dirige vers ce lieu, pour tirer des moines une éclatante vengeance. Mais, ô prodige! dès que son pied foule cette terre, qu’il tenait d’un héritage illégitime, il est frappé d’aveuglement avec tous ses hommes. Il demande aussitôt à un paysan qui passait quel est le nom du hameau ou il se trouve. Celui-ci tout étonné lui répond que c’est le village de La Fargue (2). Le chevalier stupéfait déclare à ses hommes qu’il est frappé d’aveuglement; ceux-ci lui répondent qu’ils éprouvent tous le même effet.

« Nous avons agi en insensés, leur réplique Rainfroi; si nous ne renonçons de suite à notre dessein, nous serons plus fortement châtiés encore. »

Il députe donc aux moines des émissaires de paix, se fait conduire nu-pieds, avec ses compagnons, auprès des saintes reliques et, entièrement prosterné à terre au pied de la vénérable statue, il implore le pardon de sa témérité. Puis il déclare qu’il abandonne, après sa mort, cette terre à sainte Foy et qu’il la retranche de l’héritage de ses enfants, sauf le bon plaisir des frères de la sainte Congrégation. Dès qu’il a formulé ce vœu, il recouvre la vue avec tous ses compagnons.

La relique fut portée peu après au monastère de Conques, ed le chevalier se rendit aussitôt à Toulouse, pour exercer ses fonctions à la cour. Là, pendant la nuit, sainte Foy lui apparaît et lui dit:

« Rainfroi, me reconnais-tu?

— Madame, comment pourrais-je vous reconnaître, puisque je ne vous ai jamais vue?

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— Je suis sainte Foy à qui tu as abandonné, il y a trois jours, mais seulement après ta mort, là terre que tu possédais injustement. Je n’ignore pas combien ce désistement est artificieux. Je viens donc favertir de renoncer à tes prétentions avant ta mort, pendant ta vie même. »

Le chevalier, frappé de terreur, répondit qu’il ne manquerait pas d’exécuter ses ordres. Lorsque le jour fut arrivé, Rainfroi, dominé par la cupidité, ne fit plus aucun cas de cette vision. Un second avertissement de la sainte n’eut pas plus de succès. La troisième nuit, sainte Foy lui apparut encore et le menaça des plus terribles peines, s’il ne se désistait présentement de son usurpation; son châtiment serait irrévocable; sa postérité elle-même serait à jamais l’objet de l’horreur et de l’exécration universelle. Le chevalier, frappé d’épouvante, s’empressa de se rendre auprès du tombeau de la sainte, afin de désarmer son courroux. Là il fit une résignation définitive de ses prétentions et de celles de sa postérité sur le fief usurpé, en faveur de l’abbé Gerbert (1), d’heureuse mémoire, et des autres frères de la communauté, se bornant, en retour, à supplier l’aimable et puissante sainte de lui assurer une place parmi les élus.

[Note a pag. 542]

(1) Bellusmons, église de N.-D. de Belmont ou des Planques, commune de Tanus, canton de Pampelonne, arrondissement d’Albi, Tarn. Cette église fut donnée à sainte Foy vers 1060 (Cartul. n° 57). Aujourd’hui abandonnée, elle remonte au xe siècle dans ses parties les plus anciennes. Il sera encore question de ce lieu aux chapitres 30 et 31 du IVe livre. Torna al testo ↑

(2) La Fargue, Forgae, à quatre kilomètres de Las Planques, sur le territoire de la paroisse de Mirandol, était, d’après le Cartulaire, une dépendance de N.-D. de Belmont (n° 548). Torna al testo ↑

[Nota a pag. 543]

(1) Il s’agit probablement ici de l’abbé Girbert, qui gouverna le monastère de l’an 996 à l’an 1004. C’est donc à cette époque qu’il faudrait placer le fait raconté dans ce chapitre (Voy. plus haut, chap. vii du même livre, page 535, note 1). Torna al testo ↑