Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/549/ Latino →

XXI.

D’un soldat qui enleva la paille d’un paysan de sainte Foy; d’un méchant cavalier qui fut frappé de mort.

Le lieu de Palais, dont nous venons de parler, est dominé par un château qui porte le nom de Loupian (1). Or un chevalier, nommé Bernard et surnommé le Velu (2), vint, à la tête de mille chevaux et d’un nombre presque aussi considérable de fantassins, mettre le siège devant le château. Il ravagea par le fer et le feu toute la campagne environnante et détruisit tout ce qui s’y trouvait. Les paysans cependant, à la nouvelle de cette attaque, avaient eu le temps de transporter leurs meubles et leurs provisions dans l’église (3); ils les y avaient entassés et n’avaient laissé derrière eux que leurs chaumières vides. Les soldats, frustrés du pillage, se répandirent dans les villages voisins et, emportant tout ce qu’ils purent, remplirent leur camp de butin.

Un soldat, pressé par la nécessité, eut la témérité de faire irruption dans l’église et d’enlever une botte de paille à un paysan. Il chargea son butin sur son cheval et piqua des deux pour s’éloigner. Mais, ô prodige! il eut beau ensanglanter des éperons les flancs de sa monture, il ne put la faire avancer d’un pas. Outré de dépit et de colère, il bondit à terre du côté de la croupe, saisit un pieu et frappa la bête à coups redoublés sur les cuisses et les côtes. Ce fut en vain. Il la décharge alors de son fardeau et s’élance de nouveau sur son dos. La bête aussitôt se précipite en avant avec une rapidité telle qu’elle n’en avait jamais déployé une pareille. Le soldat la ramène et la charge de nouveau de la botte de paille. Le cheval reprend alors sa première immobilité et résiste obstinément à tous les efforts. Peut-être, à l’exemple de la monture de Balaam (4), voyait-il, lui aussi, un ange armé d’une épée nue et menaçante; comme elle, il se serait plutôt laissé tuer par son maître, que d’avancer d’un pas. Entre ces deux bêtes de même genre, mais non de même espèce, la seule différence était que la première fut douce /550/ pour un moment de la parole humaine pour protester contre les mauvais traitements qu’elle n’avait pas mérités, tandis que notre coursier ne manifestait l’objet de sa vision que par des cris plaintifs. Mais n’insistons pas davantage. À la fin, le soldat vaincu fut forcé de reconnaître la main de Dieu; il déposa son fardeau, restitua au paysan l’objet enlevé et confessa sa faute devant la nombreuse assistance. Le cheval déchargé se livra aussitôt à des bonds impatients, comme si, au sortir d’un bain, il avait voulu se réchauffer par le mouvement.

Le paysan, touché de la protection merveilleuse que sainte Foy avait exercée sur son bien, fit, en l’honneur de la sainte, don au soldat de la botte de paille et la chargea lui-même sur le garrot de la monture. Alors, par une disposition merveilleuse de la toute-puissance divine, cet objet, que le soldat n’avait pu emporter quand il était le produit du vol, devint d’un transport aisé dès que sa possession fut légitimée par la donation.

De retour auprès de ses compagnons, le soldat leur fit le récit de ce qui lui était arrivé; tous étaient dans l’admiration. L’un d’eux cependant ne témoigna qu’un profond dédain pour cette manifestation de la puissance divine. Bien plus, suivi de deux complices, il fit violemment irruption dans le cloître de l’église, pénétra dans le garde-manger des moines et y enleva du pain et du vin. Puis, ayant considéré les troupeaux que les paysans avaient rassemblés dans cet asile, et toutes les subsistances qu’ils avaient accumulées, il assura ceux-ci, avec serment, qu’il reviendrait bientôt, pour enlever tout ce butin. Dès qu’il se fut éloigné, la troupe des paysans adressa aussitôt les plus vives supplications à sainte Foy, sous la protection de laquelle ils s’étaient réfugiés, la priant de leur épargner ce malheur. Le ciel ne fut pas sourd à leur demande. Le sacrilège envahisseur, enflé d’orgueil à la vue du succès de son entreprise, tenta, avant de revenir auprès de ses compagnons, de pénétrer seul dans le château assiégé. Mais il fut rencontré à l’écart par le fils du seigneur de ce manoir; celui-ci le perça d’un coup de lance, dont le téméraire mourut misérablement. A cette nouvelle, les paysans, reconnaissant l’intervention visible de leur sainte patronne, adressèrent les plus vives actions de grâces à Dieu et à la sainte martyre. Désormais nul n’osa les inquiéter.

[Note a pag. 549]

(1) Château de Loupian, Castrum Lupianum, dans la commune de ce nom (canton de Mèze, arrondissement de Montpellier, Hérault), près de Palais ou Pallas. Le Cartulaire mentionne (nº 17) Guarnerius de Loupian vers l’an 1010. (Cf. liv. I, c. xii.) Torna al testo ↑

(2) Cf. liv. I, chap. 12. Torna al testo ↑

(3) On sait que les églises étaient considérées comme des asiles inviolables pour les personnes et les choses. L’Eglise punissait de l’excommunication la violation de cette immunité. Torna al testo ↑

(4) Cf. Nombr. xxii, 25. Torna al testo ↑