Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/551/ Latino →

XXIII.

D’un chevalier, en considération duquel sainte Foy rendit la parole à trois muets.

Le fait suivant, arrivé vers la même époque, est assez remarquable pour prendre rang dans ce recueil.

Un chevalier, se rendant au pèlerinage de notre sainte pour y prier, amenait avec lui un jeune homme qui était muet de naissance. Ils célébrèrent, selon la coutume, la sainte veille. Dès que l’aurore, abandonnant la couche de Titon, se fut levée, le muet parla distinctement; les prémices de sa parole furent une action de grâces à sa bienfaitrice. Le chevalier qui l’avait amené, rempli de joie à la vue de ce miracle, rendit grâces avec allégresse, lui aussi, à la sainte, et retourna dans son pays. L’année suivante, il revint auprès de sainte Foy, en compagnie d’un autre muet; par l’effet de la divine miséricorde il le ramena aussi bien guéri que le premier. Une troisième fois, le soldat, se rendant encore au même pèlerinage, rencontre, sur son chemin, un muet nommé Gozmar, qui s’adresse à lui et lui demande l’aumône par un simple mouvement des lèvres. Le chevalier le prend en croupe et l’amène auprès de la sainte afin d’obtenir d’elle sa guérison, comme il avait obtenu celle des deux autres. En entrant dans l’église, il donne un cierge au muet et adresse à la sainte de longues prières pour tous deux. Mais le muet ne recouvrait pas la parole. A la fin, le chevalier, attribuant cet insuccès à ses péchés, s’écria:

« O grande sainte, les années précédentes vous m’avez accordé deux fois la faveur d’un miracle; deux fois je m’en suis retourné d’ici plein de joie. Mais cette année, je le vois bien, mes péchés me rendent indigne de recevoir le bienfait auquel votre bonté m’avait accoutumé. Je présume que mon âme doit être souillée de quelque péché, puisque j’ai la douleur de me voir privé des faveurs qui m’étaient accordées jusqu’ici. »

Ayant ainsi exhalé sa plainte:

« Allons à l’hôtellerie, dit-il, et après y avoir restauré nos forces, nous viendrons prendre congé de la sainte et nous partirons. »

Ils avaient à peine traversé la moitié de la basilique, que le muet, par un effet de la volonté divine, s’écria distinctement:

« Auparavant, mon seigneur, je dois offrir ce cierge, car je n’en ai pas encore offert. »

Aces mots, le chevalier, plein d’une joie inexprimable, s’emp resse de revenir /552/ à l’autel de là sainte, se prosterne sur le pavé et rend les plus vives actions de grâces à Dieu et à la sainte martyre, qui lui avaient accordé trois fois une faveur si prodigieuse. Il est assez puissant pour donner la parole aux muets, par les mérites de son illustre vierge, celui qui, la veille de la mort de César, fit parler distinctement un bœuf qui labourait et lui fit dire ces paroles: « Rome, prends garde à toi (1) ».

[Note a pag. 552]

(1) Valère-Maxime rapporte un prodige analogue: « Bello etiam punico secundo constitit Cn. Domitii bovem dixisse: Cave tibi, Roma. » (De dictis, lib. 1, c. vi, § 5.) C’est sans doute celui que notre auteur attribue à César. Torna al testo ↑