Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Quatrième

/554/ Latino →

Ici commence le livre quatrième des miracles de sainte Foy, vierge et martyre de Jésus-Christ.

I.

D’un mort qui ressuscita et qui fut l’objet de plusieurs autres miracles, sur le chemin du pèlerinage de sainte Foy.

Gagné par l’ardent amour qui nous enflamme pour la très glorieuse vierge Foy, l’athlète invincible du Christ, nous reprenons aujourd’hui cet écrit, resté longtemps interrompu, et nous supplions cette sainte si illustre, cette martyre si chérie de Dieu, de nous accorder le secours de son intercession souveraine. Du haut des célestes demeures, mêlée aux chœurs des anges, tandis que nous nous taisons, elle remplit des prodiges de sa puissance le monde entier et le fait retentir de l’éclat de ses merveilles. Si elle ne se montre pas visiblement aux peuples, elle ne cesse pourtant de se manifester par les prodiges les plus étonnants. Il n’y a pas un seul pays, d’un pôle à l’autre, qui ne connaisse son nom et qui ne redise sa gloire. Un tel honneur n’est-il pas dû aux mérites de cette illustre vierge, en qui, dès ses plus tendres années, a brillé la noble fleur de la chasteté avec l’or éclatant d’une vie parfaitement pure? N’est-ce pas d’elle qu’il a été dit « : Tandis que le roi se reposait sur son trône, je l’ai embaumé du parfum le plus exquis (1) » ? Oui, le parfum de sa vie sainte et pure a embaumé le roi suprême jusqu’au plus haut des cieux où il la posé son trône. Dans toute sa personne, elle était la bonne odeur de Jésus-Christ, selon le mot de l’Apôtre (2). Les flammes allumées pour la torturer ont fait montée vers le ciel les vapeurs de cet encens; du vase d’albâtre de son corps, brisé par les tourments du martyre, s’est échappée une myrrhe exquise dont l’odeur très suave, après avoir embaumé la cour céleste, s’est répandue jusqu’aux extrémités du mondé. Partout le nom illustre de la glorieuse vierge est accueilli avec un religieux amour; sa mémoire sera éternellement entourée d’une juste vénération. Ainsi que l’attestent ses étonnants miracles, dès que les tourments du martyre l’ont délivrée du poids de ce corps mortel, elle a échangé cette existence pour une autre, affranchie de tout lien, et grâce à laquelle elle parcourt avec la rapidité de la pensée les espaces de ce monde et se trouve présente dans tous les lieux où les affligés implorent son intercession. Dès qu’elle paraît, toutes les maladies perdent leurs propriétés nuisibles et sont anéanties par la seule invocation de son nom; l’impitoyable mort elle-même se voit obligée dé reculer et d’abandonner ceux qu’elle avait dejà marqués du sceau de sa pâleur livide, dès que la vierge bénie, appelée par d’ardentes prières, intervient pour rendre aux cadavres les couleurs de la vie. Que dis-je? L’abîme qui engloutit tant d’âmes /555/ avec avidité, comme un monstre dévorant, est forcé de rendre les victimes dont sa faim insatiable aspire à se repaître avec une voracité de harpye. Si le Seigneur a couronné l’illustre vierge de tant de gloire, c’est pour récompenser son amour envers lui, car elle n’a pas craint d’affronter les supplices les plus rigoureux et de subir la mort la plus cruelle. L’éclatante renommée, visitant d’une aile infatigable les lieux les plus reculés de la terre, invite tous les infortunés à recourir à sa protection comme à un refuge assuré. Ils savent avec quelle facilité elle exauce les prières, avec quelle prodigalité elle répand ses bienfaits.

Un habitant du pays toulousain, nommé Hunald, eut le bonheur de recevoir de notre sainte martyre l’un de ces bienfaits les plus merveilleux et d’éprouver l’un des effets les plus admirables de cette puissance.

Il avait un fils à qui il avait, selon l’usage, confié la garde d’un troupeau de bœufs. Or un soir, celui-ci ayant ramené le bétail, laissa par mégarde l’un des bœufs dans le pâturage. En faisant rentrer ses bêtes à l’écurie, il s’aperçut qu’il restait une place vide et qu’il manquait un bœuf à son troupeau. Anssitôt il part secrètement et court, mais en vain, la plus grande partie de la nuit, à la recherche de la bête égarée. Ne l’ayant pas retrouvée, il revient triste et abattu. Que faire? Il redoute si fort la sévérité de son père, qu’il n’ose rentrer ouvertement et faire connaître la perte qu’il vient de subir. Il attend que tous soient endormis, et gagne clandestinement sa couche. Mais dès qu’il reposé ses membres rompus de fatigue par la course, il est subitement saisi d’un mal si douloureux qu’il lui semble que tous ses os se disloquent. Bientôt les souffrances deviennent plus aiguës encore; ses membres se paralysent; il perd toute connaissance.

Le matin, le père voyant son fils atteint d’un mal si grave, ne songe plus à sa colère; il éclate en sanglots dans l’appréhension de la mort imminente de l’enfant. Dans sa douleur extrême, il implore à grands cris le secours si efficace de sainte Foy et supplie ardemment la sainte de rendre la santé à son fils. Néanmoins le malade demeure plongé dans son immobilité; la chaleur de la vie semblait réfugiée au fond de sa poitrine. Il demeure privé de ses sens durant neuf jours; ses yeux sont fermés et comme éteints. Enfin le dixième jour, un dimanche, à ses yeux vitreux, à la sueur froide qui découle de son front sur son visage, à la suspension des pulsations de son cœur, constatée par la main posée sur son côté gauche, on reconnaît clairement tous les caractères de la mort; c’en est fait. On se dispose à la sépulture; on dépose le cadavre sur un cercueil et on célèbre ses funérailles par les pleurs et les lamentations. Le lendemain, on transportait le cadavre à sa dernière demeure, lorsque le père, emporté par la vivacité de son amour, se précipite tout éploré sur le corps glacé de son fils, l’inonde de ses larmes, et fait retentir l’air de ses cris de douleur. A ces plaintes lamentables, il mêle l’invocation fréquente de sainte Foy; il la supplie avec des accents déchirants de lui rendre son fils, et il réitère incessamment cette demande:

« Illustre vierge chérie de Dieu, brillante lumière du monde, sainte martyre, qui êtes si prompte à porter secours aux malheureux, exaucez ma voix suppliante, manifestez votre puissance et daignez m’assister dans ma cruelle infortune. Nul de ceux que le malheur a jetés à vos pieds ne s’en est retourné déçu; jamais vous ne lui avez retiré votre main. Ce que j’implore de vous, je sais que vous pouvez me l’accorder; ma confiance n’est pas vaine, car vos mérites ont obtenu du Seigneur ce pouvoir. Il n’est plus, mon fils unique, mon seul bien ici-bas, l’objet de tout mon amour, l’unique espérance de ma race. Après ce malheur, /556/ la vie m’est odieuse; elle ne sera plus pour moi qu’une trop longue amertume. O vierge du Seigneur, si jamais votre cœur a été touché par les plaintes des affligés, si jamais vous vous êtes laissé fléchir par leurs larmes, de grâce, rappelez à la vie mon enfant qui n’est plus. »

Tandis que ce père éploré exhalait en ces termes et de bien d’autres manières ses plaintes désolées et se jetait avec des cris déchirants sur le corps inanimé de son fils, tous les assistants, émus et attendris, mêlaient leurs pleurs aux siens et suppliaient, d’un commun accord, la puissante sainte d’exaucer celui qui invoquait ainsi son nom.

Aussitôt, ô merveille! la cruelle mort, forcée de reculer, abandonne son butin et prend la fuite; là gueule du monstre avide rend à regret la proie qu’elle avait saisie. Tout à coup le cadavre glacé se réchauffe à là chaleur d’un foyer vivifiant; on le voit tourner lentement la tête d’un côté et de l’autre; l’âme, infusée tout à coup dans ses membres raidis, fait circuler la vie jusqu’à leurs extrémités. Le mort se lève sur son séant, et ouvre ses paupières encore vacillantes. Puis il met tous ses membres en mouvement et se dresse sur ses pieds; alors il reprend avec son père le chemin de la maison.

A la vue de ce miracle inouï, les assistants versent des larmes de joie, se répandent en actions de grâces, acclament la puissance des mérites de sainte Foy et, lui offrant leurs vœux et leurs présents, ils lui consacrent leur, personne et leur famille. Puis ils sortent de l’église de Saint-Georges (2), où ils s’étaient rendus pour la sépulture, et s’en retournent chez eux.

Peu après, le père du ressuscité et sa parenté l’interrogèrent curieusement et lui demandèrent ce qu’il avait vu ou éprouvé durant les neuf jours qu’il était demeuré couché, privé de ses sens et comme mort, et comment, et par quelle intervention, au moment de la sépulture, il était revenu à la vie. Le ressuscité pousse alors un profond soupir et tout tremblant fait le récit suivant:

« Je passe tout ce qui précède et j’arrive à ce que j’ai éprouvé au moment de mon trépas; je vais le dire brièvement et avec toute la sincérité de mon cœur. Lorsque mon âme fut dégagée des liens de mon corps, elle fut livrée à des esprits noirs et affreux qui l’entraînèrent jusqu’au bord d’un épouvantable! abîme. O terreur inexprimable! Dois-je le taire ou le dire? J’étais sur le point d’y être précipité, lorsqu’un homme d’une beauté et d’un éclat merveilleux, qui était, comme je l’appris plus tard, l’archange saint Michel, le grand prévôt du paradis, apparut en la compagnie de sainte Foy, plus éclatante que le soleil. A la vue de ces barbares bourreaux, qui se préparaient à exercer avec une fureur inextinguible leurs tortures contre moi, le prévôt du paradis s’écria: « Artisans de tous les maux, pourquoi déployez-vous ainsi ivotre cruauté sur cette jeune victime? Eh quoi! cette âme créée par notre grand Dieu, vous allez la plonger sans pitié dans cet abîme? Cessez de la tourmenter: tel est l’ordre de Dieu; grâce à l’intervention de la glorieuse vierge Foy qui m’accompagne, il veut que cette âme vous soit arrachée et soit réunie à son corps. »

« A ces paroles, les agents infernaux, saisis d’une horrible terreur, retirèrent /557/ leurs mains toujours prêtes au mal et s’arrêtèrent tremblants, frappés d’une épouvante indicible, â la vue des célestes messagers. Alors la bienheureuse Foy se précipite au travers des noires phalanges, arrache violemment mon âme de leurs mains, la conduit près de mon corps prêt à être enseveli, et l’y unit de nouveau pour revivre merveilleusement, comme vous voyez (1). »

Après le récit de cette vision ou plutôt de ces faits véridiques, le père et le fils, accompagnés de leurs voisins, se rendirent avec empressement en pèlerinage au monastère de la sainte, en actions de grâces d’un bienfait si extraordinaire. Or, à la descente d’une montagne abrupte qui domine le Dourdou (2), la monture du jeune homme broncha et s’abattit avec grand fracas, et le cavalier fut précipité à terre. Mais, par une intervention divine et une protection particulière de la sainte, le jeune homme ne roula pas dans les abîmes affreux qui bordent l’étroit sentier et se releva aussitôt sans aucun mal.

Enfin les pèlerins, arrivés à la basilique, adressèrent avec allégresse leurs remercîments au Dieu tout-puissant et, prosternés aux pieds de la glorieuse sainte, lui offrirent avec, leur vénération les présents d’usage, bénirent et proclamèrent hautement les merveilles de sa puissante intercession. Puis ils se rendirent à l’hôtellerie, et lorsque la nuit fut venue, ils se dirigèrent, munis de flambeaux, vers la basilique, pour y célébrer la pieuse veille, aux pieds de la sainte. Or notre ressuscité (3), qui s’appelait Bernard et à qui le démon tendait une embûche, ayant marché sur un plancher où se trouvait une ouverture cachée, fut précipité en bas, de toute la hauteur de l’étage. Ses amis accoururent aussitôt; par une nouvelle protection de sainte Foy, non seulement il n’eut aucun mal, mais encore dans sa chute il s’était trouvé comme sur un lit de plumes. Le lendemain, les vénérables frères de ce monastère, désireux d’apprendre tous les détails du miracle opéré en sa faveur, le prirent à part et lui posèrent avec sagacité les interrogations les plus minutieuses, au sujet de ce qu’il avait vu dans l’autre monde. Celui-ci, invoquant à l’appui de sa sincérité le témoignage de Dieu même, pour qui rien n’est caché, leur fit un récit entièrement conforme à celui que nous venons de retracer.

Voici un autre trait de protection dont fut l’objet notre ressuscité; nous ne pouvons le passer sous silence. On y verra briller la puissance exercée au-dessus /558/ de tous les autres saints par notre patronne, l’illustre vierge sainte Foy, la sainte si admirable qui sait arrêter les criminels dans l’exécution de leurs forfaits.

Un an plus tard environ, le jeune homme ressuscité, plein de reconnaissance pour sa bienfaitrice, revenait en pèlerinage à son tombeau, en compagnie d’un homme nommé Garsias, nom fréquemment usité parmi les Gascons, originaire du bourg de Saint-Orens, appelé vulgairement Marciac (1). Garcias emportait une pièce de toile, pour en tirer plus de profit par une exportation lointaine, selon la pratique du commerce. En arrivant devant l’église de Lucasine, il fut attaqué par des voleurs qui lui enlevèrent sa toile. Mais sa grande piété l’eut bientôt consolé de cette perte et il poursuivit son chemin. Le larron convoque aussitôt les couturières, leur livre joyeusement la pièce d’étoffe et les presse de lui confectionner prompte-ment des braies ou hauts de chausses.

Mais c’est ici qu’éclata la merveilleuse puissance de Dieu. Lorsque les ouvrières voulurent entreprendre leur travail, l’étoffe prit subitement la dureté de la pierre et émoussa le tranchant des ciseaux, comme si elle eût été de bois. Les tentatives réitérées ne firent que multiplier les miracles. Il fallut reconnaître l’intervention de Dieu et de la sainte martyre, qui protégeait de toute atteinte l’étoffe volée. Le coupable, frappé de terreur à la vue de ce prodige, serra l’étoffe merveilleuse, la restitua aux pèlerins à leur retour, et leur demanda humblement pardon de son méfait. Ceux-ci, remplis d’admiration pour la protection miraculeuse de la sainte, retournèrent dans leur pays en rendant mille actions de grâces à leur bienfaitrice.

[Note a pag. 554]

(1) Cant. i, 11. Torna al testo ↑

(2) S. Paul, 2 Cor. ii, 15. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 556] [Manca la nota 1]

(2) Il s’agit sans doute de Saint-Georges, commune du canton, de Cologne, arrondissement de Lombez, département du Gers. Avant 1318, toutes les paroisses du diocèse de Lombez appartenaient au diocèse de Toulouse. Saint-Georges est à peu de distance de Saint-Oreus, dont il sera question dans la suite de ce récit. Torna al testo ↑

[Note a pag. 557]

(1) Il serait possible que le lieu d’expiation ici désigné fût seulement le purgatoire. La présence des démons ne nuit pas a cette supposition. Car, dit saint Thomas, si « les âmes dans le purgatoire ne sont pas punies par les démons... mais par la justice divine..., cependant il est possible qu’ils les conduisent au lieu des supplices et que les démons, qui se réjouissent des peines des hommes, les accompagnent et assistent à leur purification. » (Somme théolog. Append. II, 3.) Il semble cependant plus probable que l’historien veut désigner l’enfer même comme le lieu, l’abîme, où les démons voulaient précipiter l’âme de Bernard. Saint Thomas nous fournira une explication qui enlèvera à ce miracle ce qu’il semble présenter d’hétérodoxe au premier abord. Après avoir mentionné le récit d’un miracle semblable opéré par le pape saint Grégoire-le-Grand en faveur de l’empereur Trajan, et accepté par tout le moyen âge, il ajoute: « Parmi ceux qui ont été miraculeusement ressuscités, il y en a plusieurs qui avaient été damnés. Il faut penser qu’ils n’étaient pas finalement condamnés à l’enfer, à cause de leurs mérites, mais qu’il devait être autrement disposé d’eux, d’après les causes supérieures, selon lesquelles il était prévu qu’ils reviendraient à la vie. » (Somme, Suppl., lxxiii,  5.) Torna al testo ↑

(2) Le Dourdou est une petite rivière qui prend sa source au sud-est d’Espadon, coule au fond de l’abîme de Bozouls, arrose les vallons de Villecomtal, Nauviale et Saint-Cyprien, s’engage dans les gorges schisteuses de Conques et se jette, 7 kilomètres plus loin, dans le Lot, près de Grandvabre. La couleur rouge qui caractérise ses eaux lui vient des grès rouges qu’elle traverse avant d’arriver à Conques. Torna al testo ↑

(3) Le texte lui donne ici le surnom de Virbius, qui devint celui d’Hippolyte, quand Esculape lui eut rendu la vie. Torna al testo ↑

[Note a pag. 558]

(1) Marciac, Marciacus, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Mirandé (Gers). Saint-Orens, commune du canton de Mauvezin (arrondissement de Lectoure, Gers). Les moines de Conques avaient, dans le voisinage, un prieuré à Saint-Martin-de-Goine, arrondissement et canton de Lectoure (Cf. Cartul., nº 398). Saint Orens est le nom d’un évêque d’Auch. Torna al testo ↑