Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Quatrième

/574/ Latino →

XVI.

D’un seigneur qui, dans de nombreuses occasions, offensa notre sainte.

Les pages des précédents livres sont remplies de récits qui font voir combien notre sainte, soldat et noble champion du Christ, s’est montrée clémente le plus souvent, mais parfois terrible, à l’égard de ses ennemis. Elle proportionnait ses châtiments de telle sorte qu’ils aboutissaient ordinairement à la correction des coupables, parfois cependant, mais à regret, à leur perte lamentable. Du haut /575/ du ciel, se conformant entièrement aux maximes divines, elle sait allier jusqu’à la perfection ces deux préceptes opposés: « Ne soyez pas toujours disposé à punir »; et: « Rendez aux superbes selon leurs mérites (1) ». La vierge sage, observant entre les deux un juste tempérament, retient le plus souvent sa main, et, au lieu de frapper, l’offre pleine de miséricorde aux coupables repentants. Mais parfois aussi, quand ils ont dédaigné trop longtemps sa longanimité, elle les frappe sans retour. Ceux à qui elle pardonne et qu’elle a comblés de ses grâces, elle ne les châtie que plus terriblement, s’ils abusent de sa bonté. Le récit suivant va, en peu de mots, justifier ces considérations.

Le château de Belfort (2) est bien connu. Son farouche seigneur, nommé Hector, voisin trop proche du bourg de Conques, pille, ronge jusqu’au bout les terres de sainte Foy. Pour comble de témérité, il attaque à main armée les serviteurs des moines et les met à mort. C’était le jour très saint où l’on célèbre l’anniversaire du martyre et du triomphe glorieux de notre sainte, solennité si vénérable pour tous les chrétiens. A cette fête accourt de diverses contrées une multitude de fidèles. Or il advint que ce méchant seigneur se mêla à la foule pieuse, attiré, non par la solennité, mais par sa passion insensée pour une malheureuse complice de ses désordres qu’il suivait en tout lieu. Il la conduisit à l’écart dans un bâtiment dépendant de l’abbaye et l’y fit asseoir, afin de s’entretenir à l’aise avec elle. Mais à cette grande solennité était accourue une telle affluence qu’il fallut faire place à un grand nombre d’autres dames, plus nobles, plus honorées et plus puissantes. Hector, aveuglé par sa passion, s’emporta jusqu’à les repousser par la force, et même à les frapper avec le poing. À la vue de cette grossière insolence, les hommes d’armes chargés de la garde, outrés d’indignation, se précipitent sur lui, et le frappent à leur tour. La lutte s’engage; on échange des coups de part et d’autre; le peuple s’agite au bruit de cette querelle; la basilique retentit des cris et du tumulte de la multitude. Désireux de mettre un terme à une lutte si malheureuse, les moines eurent la pensée de recourir à la Majesté de leur sainte; ils la tirèrent de son sanctuaire et la portèrent sur le lieu où la querelle était la plus ardente, au point de rappeler les fureurs d’Erinnys, la principale des Furies. A peine apparut-elle que, grâce à l’intervention de la sainte, les esprits s’apaisèrent, le combat cessa, et l’on n’eut à déplorer ni mort ni blessure grave. Mais le coupable seigneur, cause de tout mal, hors de lui et furieux de voir son insolence et sa scélératesse réprimées, sort secrètement avec les siens, se dirige vers les écuries du monastère, enlève les chevaux de ses adversaires et les emmène dans son château. Il ne les rendit que plus tard, contraint par la force.

Lorsque la statue d’or de la sainte fut apportée au milieu du tumulte des combattants, pour les apaiser, il arriva un trait merveilleux digne d’être rapporté. La statue est ornée d’un beau crucifix d’or et d’ivoire ciselé avec art et suspendu à son cou. Or l’un des combattants, poussé par ses adversaires, porta la main par mégarde sur la statue, et, ayant rencontré le crucifix, le fit tomber à terre. A cette vue, les moines reportent en toute hâte la précieuse statue dans l’église. Puis, le tumulte étant apaisé, ils allument des flambeaux, font les plus minutieuses recherches dans tous les recoins, recueillent épars sur le pavé les fragments du /576/ crucifix brisé et les renferment dans une salle close. Après les offices de la solennité et avant de se rendre au réfectoire, ils visitent de nouveau les membres brisés du crucifix, et, faisant retomber la faute de l’accident sur la sainte elle-même, ils lui reprochent sa négligence à le prévenir. Puis ils recueillent tristement les fragments brisés et les replacent sur la croix polie et rajustée.

Celui qui s’attribuait devant les Juifs en fureur le pouvoir de rétablir après trois jours le temple de son corps, qu’il leur laissait briser (1), daigna, aussitôt après le départ des moines, rétablir le crucifix dans son intégrité. Le divin ouvrier, par la vertu des mérites de sa sainte martyre, appliqua son pouvoir à relier les membres brisés, et il le fit avec une perfection telle que l’on ne put retrouver trace des fractures. Cependant il négligea de remettre à leur place les clous qui attachaient le crucifix. Le motif, à notre avis, en est que le Sauveur, quand il annonça le rétablissement de son corps, ne fit aucune mention des clous. Assurément s’il laissa ce détail inachevé, ce ne fut pas impuissance de sa part, puisqu’il avait fait le plus difficile. Quand les chefs du monastère s’aperçurent du prodige, ils furent transportés d’une immense joie et, faisant éclater leur allégresse, ils allèrent prendre leur repas, le cœur plein de reconnaissance.

Quant à celui dont l’arrogance avait causé cet accident, si quelqu’un souhaite de savoir ce qu’il devint, nous lui apprendrons qu’il fut honteusement surpris dans ses infâmes désordres et abandonné par son épouse et ses enfants indignés. Vagabond comme Caïn, il erra dans diverses contrées et termina sa vie dans la misère et l’opprobre. Tel fut le châtiment que sa méchanceté encourut de sainte Foy, non seulement pour le trait abominable que-nous venons de raconter, mais encore pour bien d’autres offenses dont il s’était rendu coupable envers elle.

[Note a pag. 575]

(1) Psal. xcviii, 2. Torna al testo ↑

(2) Voir liv. III, ch. v. – L’abbaye de Conques avait, depuis 838, d’importantes possessions à Flagnac et dans d’autres territoires voisins de Belfort. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 576]

(1) S. Math. xxvi, 61. Torna al testo ↑