Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 4 – Manuscrit de Londres

/618/ Latino →

VI.

Comment un mort fut rendu à la vie par sainte Foy.

Tandis que, marchant sur les traces de nos devanciers, je poursuis ma carrière d’un pas mal assuré, mais affermi par la protection de l’illustre sainte Foy, les artifices de la contradiction m’accablent de leurs traits; bien plus, les attaques manifestes de la haine cherchent à entraver mon œuvre. Jusqu’ici j’avais échappé aux injures des langues médisantes; elles se sont déchaînées dès que j’ai entrepris l’œuvre présente. Il arrive ainsi souvent que, par la disgrâce de la fortune, la méchanceté des hommes de mal est assez puissante pour enlever à l’homme de bien le fruit de ses bonnes œuvres et même, ô ignominie! pour le jeter sous les pieds des envieux et, après l’avoir comme déshonoré, lui infliger le châtiment dû aux malfaiteurs. Qui donc aurait pu croire qu’une habitante du ciel, notre illustre sainte Foy, serait en butte à des attaques si téméraires! Devant tant de perversité, écoutez le cri de notre indignation

« O vous dont la puissance éclate par tant de merveilles, vous dont les mérites brillent si vivement, et qui êtes notre gloire, notre honneur, notre secours, notre espérance suprême, notre lumière, notre remède, notre salut, notre ressource /619/ toujours prête, vierge Foy, daignez exaucer mon humble prière. Accordez-moi de mépriser les clameurs de la haine jalouse, de connaître la vérité et de la faire briller pour toujours; réprimez les tromperies et les entreprises de l’ennemi, ne permettez pas qu’il ait la puissance de prévaloir contre celui qui exalte vos louanges. Je suis accablé de maux; que votre protection les écarte toujours et m’accorde de monter près de vous au royaume céleste. Inclinez votre oreille, vierge fidèle, à ma prière, et que votre gloire éclate et aujourd’hui, et dans tous les siècles et dans toute l’éternité. »

Mais, comme nous mêlons souvent la plainte de notre cœur aux louanges de notre illustre vierge, on pourrait croire que nous nous détournons de notre sujet. C’est pourquoi il est de toute convenance que la plume, vouée à un si noble emploi, dédaigne absolument les extravagances de ces histrions. Fidèle aux enseignements de notre maître, je me refuse à rechercher leur approbation pour ce panégyrique sincère. Mais c’est assez. Voyons encore une fois combien notre sainte se montre, charitable.

Naguère, sur le territoire de notre Rouergue, des hommes nobles et vaillants firent construire le château qui s’appelait Cingna(1), refuge à l’usage des bestiaux, ou fort d’Aigremont (2). Or les seigneurs de ce château étaient en lutte continuelle avec ceux d’un autre château. Hélas! combien les puissants du monde se laissent entraîner par la mobilité de leur fortune et emporter misérablement par leurs passions sur des jpentes qui les égarent! Ce n’est que dans le royaume du bien souverain et ineffable que l’on sera à l’abri de ces fluctuations. Mais revenons à notre récit.

Un jour que le château était attaqué par une forte troupe armée, il arriva un événement qui devait porter la douleur parmi les agresseurs, mais aussi, par ses suites, la joie parmi nous. Les habitants du château d’Aigremont opposent une résistance acharnée aux envahisseurs, et, encouragés par la force des remparts qui les protègent, ils déploient toute leur vaillance pour leur défense et s’efforcent de se montrer, par leurs exploits, dignes du nom de leur château.

Leurs ennemis ayant tourné le dos, ils se livrent à de grandes démonstrations de joie; la fuite des assaillants excite l’ardeur des assiégés. Dans la mêlée, chacun déploie toute sa vigueur pour se défendre. Mais dès que l’un des partis lâche pied, il arrive constamment que l’autre trouve de nouvelles forces pour le poursuivre. Aussi les défenseurs d’Aigremont s’empressent de tourner toutes leurs flèches et toutes leurs balistes contre le dos des fuyards. C’est alors que la fortune montra un visage sévère. En effet, dans cette conjoncture, un soldat, nommé Bernard et surnommé Gérald, tournant honteusement le dos à l’ennemi sans se défendre, fut atteint par le trait d’une baliste qui lui perça le crâne par le milieu; il fut porté mourant dans sa maison par ses compagnons survivants. Tous ceux qui fuient et tournent le dos à l’ennemi ne peuvent ordinairement montrer les cicatrices de leurs blessures que de ce côté. Ainsi fut-il pour celui-ci.

Grand Dieu! à la nouvelle de cette terrible blessure, aussi difficile à explorer que le labyrinthe, sa mère éclata en sanglots sur le malheur de son fils et ne sut à quel parti se résoudre. Alors dans sa douleur, elle se meurtrit le visage, laisse tomber ses cheveux épars, déchire le vêtement qui couvre son sein et, dans l’anxiété de /620/ son âme, ne sait où porter ses pas. Cependant ses amis s’empressent et délibèrent sur ce qu’il convient de faire dans cette triste circonstance. Mais la douleur de tous était si grande que, ainsi qu’il arrive souvent, les avis étaient partagés; les uns étaient empressés d’appeler le médecin, les autres convaincus de l’imminence de la mort, d’autres au contraire rassurés par l’espérance de la guérison. Enfin on court vers le médecin. Celui-ci fait appel à toutes les ressources de son art, se renferme dans un silence méditatif, cherche à lire dans le ciel, interroge anxieusement les pulsations du pouls. Mais, ayant remarqué que des particules de cervelle s’échappaient à travers la blessure, il déclare sur le champ qu’il n’y a plus d’espoir, et que son art est absolument impuissant.

Le blessé demeure dans le même état douloureux durant trois mois. Ayant épuisé toutes les ressources, voyant sa mort assuré, il invoque sainte Foy du fond de son cœur: ses amis l’avaient comme abandonné, il n’avait plus d’espoir que dans la Providence divine. Il la suppliait donc d’avoir compassion de lui et de venir à son aide; telle était son incessante prière. Quelques jours après, ses membres défaillants annoncent l’approche de la fin; le mal s’aggrave rapidement; le malade rend le dernier soupir. On place le cadavre sur un brancard, on prépare les obsèques selon l’usage. Chacun accourt pour pleurer le mort et se livrer à des lamentations impuissantes.

C’est maintenant que va éclater le pouvoir de notre sainte et qu’elle va montrer pourquoi elle a différé de se rendre aux prières des amis du mort, à celles du blessé lui-même et refusé de rétablir sa santé. C’est maintenant qu’elle va montrer ce qu’elle sait faire dans l’alternative de ces deux extrémités, la mort et la vie. La mère du défunt, à demi morte elle-même, élevant alors la voix, implore en ces termes lé merveilleux pouvoir de sainte Foy:

« O sainte vierge Foy, ma confiance vous implore en ce moment; venez à mon secours, vous qui êtes l’épouse du roi des cieux. Voyez mon fils; il était le constant objet de mon amour; l’infortuné, le voilà tombé victime du sort le plus cruel. Je vous en supplie, rendez-le moi par votre puissante intervention; arrachez-le à cette mort cruelle, rendez-lui la vie et le bonheur, vous qui savez si bien consoler dans le malheur. Otez l’angoisse du cœur brisé, calmez sa douleur, rendez-lui l’allégresse, ô vierge bénie; en retour, nous chanterons d’un cœur reconnaissant vos gloires éclatantes. Hâtez-vous, ô martyre incomparable, modèle de sagesse, daignez exaucer les vœux que nous vous adressons d’un cœur confiant. L’univers entier atteste la légitimité de notre foi; oui, nous croyons que, par un privilège céleste, vous pouvez rendre la vie et dompter la mort. O vierge fidèle, accueillez favorablement nos prières, que votre cœur compatissant s’attendrisse au spectacle de nos malheurs. »

Devant cette mère éplorée qui frappait à la porte du ciel sans se lasser, par l’abondance de ses prières, notre vierge ne peut résister à tant de larmes, à des plaintes si touchantes. Elle va mettre la main aux grandes œuvres (1) et montrer son pouvoir merveilleux. Déjà elle commence d’apparaître et de faire briller sa ceinture d’or; mais son urne n’a pas encore puisé dans la source des prodiges. Il est donc opportun d’adresser cette exclamation à la vierge bénie: Revenez ô Sunamite, revenez afin que nous vous contemplions (2).

/621/ On avait gardé la dépouille du mort, le jour du décès et le lendemain, afin de donner plus longtemps un objet aux regrets des amis de la famille et aux préparatifs des funérailles solennelles. Mais voici que la troisième aurore d’Hypérion a, par sa clarté, mis les astres en fuite; elle doit apporter une grande joie aux amis du défunt. L’intervention de sainte Foy va faire briller à leus yeux un prodige qui affermira leur croyance aux futures destinées.

Notre sainte, qui a si souvent fait fléchir les lois de l’Averne sans avoir besoin du charme de la lyre, apparaît dans le royaume de Pluton en brisant tout obstacle; elle vient lui redemander sa proie. Les portes du Ténare s’ouvrent devant elle; elle pénètre dans les antres de l’Erèbe. Les ténèbres fuient à son approche; les prisons de l’enfer s’ouvrent. La mort tremble en se voyant forcée de céder ses droits. La sainte victorieuse emporte son trophée jusqu’au séjour des humains.

Ceux qui assistaient aux obsèques et qui avaient retardé jusqu’alors la sépulture remplacent les larmes de la douleur par les larmes de la joie, d’une joie inexprimable. Ah bout de quelques jours, le ressuscité recouvre entièrement la santé; il se félicite à juste titre de la protection de la sainte martyre. Tous avec lui sont d’avis qu’il doit se rendre aussitôt à Conques et y déposer, en ex-voto et comme Un mémorial du miracle, le linceuil qui avait enveloppé son corps et les couvre-mains que nous appelons gants en langue populaire. Car il y a toujours la détraction de la haine qui s’efforcera, sans doute, selon sa coutume, de dénigrer ce miracle si éclatant; j’ignore pourquoi elle n’est jamais satisfaite; pourtant je ne connais pas de moyen plus efficace que celui qui a été employé pour faire briller pour toujours la certitude de ce prodige aux yeux de tous, et pour glorifier le Dieu qui règne dans les siècles.

J’atteste que le ressuscité est venu à Conques et que je l’ai vu, comme tant d’autres, et contemplé avec admiration. Qui pourra dignement célébrer un miracle si étonnant et élever assez haut son langage après avoir vu sainte Foy opérer de telles merveilles? Enfin, ce qui dissipe les doutes de l’incrédulité, on voit encore, suspendu devant la statue de la sainte, le suaire qui atteste le prodige.

Ici se terminent les miracles de notre vierge.

[Note a pag. 619]

(1) Refuge fortifié? Cinctus? Torna al testo ↑

(2) Aigremont, Acer Mons, paroisse de la commune de Villefranche-de-Rouergue, chef-lieu de l’arrondissement de l’Aveyron, est situé sur une colline qui domine cette ville, vers l’est. C’est un lieu fort ancien. Au xiiie siècle, Villefranche, avant sa fondation proprement dite, n’était qu’un petit village dépendant de la paroisse de Saint-Carpil ou Saint-Jean d’Aigremont (Cabrol, Annal, de Villefr. t. I, p. 127-142). Au commencement du xvie siècle, Aigremont était devenu une chapelle annexe de Villefranche (Pouillé de 1510). Torna al testo ↑

[Note a pag. 620]

(1) Prov. xxxi, 19. Torna al testo ↑

(2) Cant. VI, 12. Torna al testo ↑