Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 4 – Manuscrit de Londres

/616/ Latino →

V.

Comment Guillaume de Reims fut guéri d’une paralysie.

Mu par l’affection profonde que nous avons vouée à sainte Foy, nous nous étudions à retracer les éclatants prodiges qu’elle opère et nous nous efforçons de tout notre pouvoir à ne point nous trouver au-dessous d’une si noble tâche. Aussi, ô Dieu de bonté! nous nous croyons obligé de ne point accepter les récits fondés sur des témoignages étrangers, bien que véridiques, et de ne reproduire que les faits dont nous sommes nous-même témoin; c’est le moyen de leur donner une entière certitude.

Un habitant de Reims, nommé Guy, absorbé par les affaires dé la vie mondaine et engagé dans l’état militaire, entreprit d’appliquer son fils Guillaume à l’étude des lettres. Père d’une très nombreuse famille, il avait pensé, pour ce motif, à consacrer ce fils au service du Seigneur. Mais combien l’esprit des gens du monde est sujet à la versatilité! Le véridique Horace l’a dit excellemment:

Chassez le naturel, il revient au galop (2).

Le père ne tarda pas à arracher son fils aux lettres pour d’enrôler dans la milice, et, poussé par l’inclination qui porte chacun à rendre les siens semblables à soi-même, il ne craignit pas d’exposer ce fils aux pièges et aux séductions du monde. Mais la Providence divine, pleine de compassion pour les misèrjes humaines et attentive à ne laisser personne hors de l’atteinte de sa justice et i surtout hors de l’influence de sa miséricorde, usa envers ce jeune homme de sa verge toute paternelle pour le ramener. Voici comment. Selon l’usage des jeunes gens de son âge, notre milicien se livre à son ardeur pour les jeux, les fêtes et lès spectacles; il ne songe qu’à jouir du présent, oublieux du passé et dédaigneux de l’avenir. Tel qu’un coursier indompté, il prend les goûts de ses compagnons, il déprave son cœur en le nourrissant des vanités mondaines. Or, tandis qu’il se livrait à la fougue de ses passions et qu’il courait à la recherche des plaisirs, il dut, un jour, accompagner le prince, au service duquel il était attaché, dans une expédition assez lointaine contre des ennemis qu’il s’agissait de repousser. Il y avait quelques jours qu’ils étaient dans ce pays, lorsque la troupe fut eu proie à deux fléaux: la famine qui la torturait, le froid qui l’abattait par sa rigueur.

/617/ Dans ces conjonctures, notre jeune soldat, après un long jeûne, n’eut pour sa part qu’un pain de seigle; il s’en nourrit avidement. Après quoi il versa d’abondantes larmes sur son triste sort et sur ses souffrances. Pour apaiser sa faim, il en vint jusqu’à dévorer des aliments malsains qui, en trompant la nature, causaient les maux les plus funestes. Ainsi nourri, il est saisi par un profond sommeil; le froid de la nuit l’engourdit et le laisse sans force. Au milieu de la nuit, une fièvre ardente et une soif dévorante brûlent ses entrailles jusque dans leurs profondeurs et consument la moelle même de ses os; la mort est imminente. Ne pouvant supporter les ardeurs d’une telle souffrance, il se voit forcé de boire à la vase d’un marais empesté, comme à la coupe du Phlégéton. Ainsi le mal ne pouvait qu’empirer et aboutir à une mort prochaine. Aussitôt de ce corps débilité jaillit une sueur abondante, le ventre se gonfle, le visage s’altère, les autres membres éprouvent une contraction extraordinaire. Tout le monde, les médecins eux-mêmes hésitaient, se demandant s’il y avait hydropisie ou paralysie. Au bout de quelque temps, les soins assidus des médecins rendirent bien la santé à la partie supérieure du corps; mais la partie inférieure, celle qui est, au-dessous des reins, demeura comme morte et paralysée. Ses parents, navrés de douleur, étaient comme humiliés d’une telle infirmité, car ils tenaient un haut rang parmi leurs concitoyens par leur opulence, le nombre de leurs serviteurs et la quantité dés redevances qu’ils percevaient. Malgré cela, ils en furent réduits à ne plus attendre de remède que de Dieu seul.

Un jour, muni d’un seul cheval et accompagné de deux serviteurs, à l’insu de son père, comme il l’a avoué lui-même, il entreprit de visiter, de divers côtés, les saints pèlerinage, dans l’alternative ou bien d’obtenir par les mérites des saints la guérison d’un mal si grave qui ne permettait plus de compter sur aucun soulagement humain, oh bien de mourir dans les fatigues de ces pérégrinations. Telle est, en effet, la fierté de ces hommes de noble lignée, qu’ils aiment mieux s’exiler de leur pays que n’y pouvoir rester sans quelque déshonneur. C’est ainsi que notre infirme, exilé volontaire pour toujours, parcourut non seulement la France, mais encore la Germanie, la Celtique, la Belgique, la Ligurie (1). De l’Italie, il retourne sur ses pas; avec l’intention de visiter l’Hibernie et l’Espagne entière. Bien qu’il eût traversé le Rouergue, il n’avait point passé dans la région de Conques et n’avait point visité la glorieuse sainte Foy dont le martyre a reçu un éclat si singulier. C’est pourtant elle à qui, de préférence aux autres saints, était réservée la gloire de cette guérison, comme nous allons voir. Notre pèlerin, de retour de Saint-Jacques (2), passe par Toulouse, se détourne, comme pour l’éviter, du pèlerinage de la grande sainte, par crainte des abîmes et de l’escarpement de la route, et se dirige vers Limoges, afin d’adresser ses prières à l’insigne confesseur Martial. En ce lieu, il se trouve dépourvu de tout secours; ses serviteurs avaient pris la fuite en secret et l’avaient abandonné à la Providence divine. Telle est la méchanceté des serviteurs: s’ils ne sont réduits par la sévérité des maîtres, ou retenus par l’appréhension intéressée de l’avenir, ils ne connaissent point la fidélité.

Dans cette ville, le pèlerin eut un songe pendant la nuit; il lui sembla qu’il se trouvait au pied du tombeau de sainte Foy. Le matin, il demanda conseil sur ce /618/ songe aux habitants de la cité. Tous furent d’avis que s’il entreprenait le pèlerinage de Conques et s’il implorait le secours de la grande sainte, il obtiendrait sa guérisom car elle exauce tous ceux qui l’invoquent. Fidèle à ce conseil, il s’adjoint un compagnon et se met en marche vers Conques. S’étant arrêté dans un bourg, pour y passer la nuit, il se trouva, le lendemain, privé de sa monture. Son compagnon, qui pourtant, mu comme par une inspiration du ciel, l’avait engagé lui-même dans ce pèlerinage, avait enlevé le cheval, cette nuit même, et s’était enfui, en abandonnant le client de sainte Foy. Celui-ci achète une autre monture à un prix qui semble vil à son empressement, refuse tout compagnon de route, s’engage seul dans les chemins abruptes et gagne le lieu du pèlerinage de la sainte martyre.

O vierge céleste, épouse du Roi éternel, c’est maintenant que vont être glorifiés la puissance de vos mérites et vos privilèges merveilleux que la terre entière acclame de ses louanges.

Le pèlerin, arrivé au terme, persévéra deux jours dans la prière. Le troisième jour, saisi de découragement, il s’en retourna. Il n’était pas encore bien loin, lorsque, rentrant en lui-même, il se sent tout à coup comme convaincu qu’il doit revenir sur ses pas; l’espérance était rentrée dans son cœur avec la fermeté de la foi et la vigueur de la charité. De retour à Conques, il se fait déposer devant le tombeau de la sainte; là il invoque la puissante martyre et se recommande à sa miséricordieuse bonté. Tout à coup il est ravi hors de lui-même, comme dans une extase, et il attend le bon vouloir de Dieu. Soudain sa peau éclate, ses muscles et ses nerfs reprennent leur jeu, son sang coule de toutes parts; l’infirme se trouve guéri subitement, il se redresse sur ses pieds. Il y avait dejà quatre ans, m’a-t-il appris lui-même, qu’il souffrait de son mal. Il adressa de vives actions de grâces à Dieu et exalta la grande sainte auprès de laquelle il était arrivé perclus et qu’il quittait, grâce à ses bienfaits, entièrement guéri. Il retourna plein d’allégresse dans sa patrie; il avait été apporté auprès de la sainte; il s’en revint marchant seul et sans effort.

[Note a pag. 616]

(2) Epit. I, 10. Torna al testo ↑

[Note a pag. 617]

(1) La Celtique comprenait la région de la Gaule située entre la Garonne et la Seine, et s’étendait à l’est jusqu’au delà de la Suisse. La Ligurie comprenait la région qui s’étendait entre le golfe de Gênes, les Alpes, le cours du Pô et la Trébie. L’Hibernie est l’Irlande actuelle. Torna al testo ↑

(2) Cf. Le Codex de Saint-Jacques de Compostelle. Torna al testo ↑