Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy

/624/ Latino →

7º Du monastère de Sainte Foy, vierge et martyre, dans la ville de Schlestadt, au diocèse de Strasbourg

L’an du Seigneur mil quatre vingt sept, un monastère de la vierge sainte Foy fut fondé à Schlestadt, dans le diocèse de Strasbourg, dans des circonstances miraculeuses par Frédéric, duc d’Allemagne, comme il va être raconté.

Les miracles et les prodiges opérés par la sainte martyre Foy se sont tellement multipliés au loin et dans toutes les directions, par la volonté de Dieu, que l’esprit humain peut à peine en effleurer la plus petite partie. Cependant, afin d’exciter plus vivement, auprès des lecteurs et des auditeurs, la vénération due à une si glorieuse martyre, nous estimons qu’il convient de publier et de préserver de l’oubli, autant que nous le pouvons, le miracle par lequel la sainte acquit la possession d’un fief situé en Allemagne. Nous serions vraiment coupable, à notre avis, si nous négligions un pareil fait et si nous l’ensevelissions dans le silence comme une chose de peu de valeur.

Au temps du seigneur abbé Bégon (1), successeur du vénérable abbé Etienne, Frédéric (2), duc d’Allemagne, époux de la fille de l’empereur Frédéric Ier qui était le fils de Frédéric, duc de Souabe, et, à cause de cette alliance, le plus honoré de tous les princes de la province, avec ses deux frères, Othon, évêque de Strasbourg (3), et le comte Conrad, attirés par l’éclat inouï des miracles qui ont illustré, comme Il richiamo alla nota (4) manca nel testo nous l’avons dit (4), le nom de notre sainte martyre, ressentirent le désir de visiter sa basilique, en pénitence de leurs péchés, et se rendirent à Conques. L’abbé Bégon avec ses religieux se porta au-devant des illustres visiteurs, en procession solennelle et au son de toutes les cloches. Il les accueillit avec tous les honneurs qui leur étaient dus, les introduisit dans la salle capitulaire et les admit, eux et leurs héritiers à perpétuité, dans l’association des religieux et à la participation de tous les biens spirituels de l’abbaye et de ses dépendances. Les visiteurs furent charmés de voir ce lieu sur lequel l’illustre martyre a jeté tant d’éclat; ils ne furent pas moins charmés de leur commerce édifiant avec les frères du monastère. Aussi, après son heureux retour de ce long voyage, l’évêque Othon, qui par sa dignité et sa prudence exerçait un grand ascendant sur ses frères, se consulta avec le duc et ses autres frères. Ayant obtenu leur assentiment, il députa à l’abbé de Conques un messager chargé d’offrir à sainte Foy une église construite dans ses terres, sur le modèle de celle de Jérusalem (5), et de lui demander un moine pour la desservir. L’abbé, après /625/ avoir pris l’avis de la communauté, envoya un religieux nommé Bertram, versé dans les sciences et les belles-lettres, et d’un mérite et d’une vertu remarquables. Celui-ci reçut la charge de gouverner l’église et l’administra avec tout le zèle dont il était capable. Dans le principe, des pèlerins accouraient des provinces voisines et même des plus éloignées vers ce sanctuaire; leurs libéralités auraient suffi à l’entretien de plusieurs religieux. Mais peu à peu l’église devint comme déserte, et le religieux qui la desservait tomba dans une telle misère qu’il fut réduit souvent à mendier sa subsistance de porte en porte. Un compagnon, nommé Etienne, religieux d’une grande vertu, se joignit à lui dans la suite pour sa consolation. Pendant deux ans, tous deux endurèrent la faim, la soif et le froid. Enfin ils songeaient à abandonner ce lieu et à rentrer dans leur patrie, lorsque sainte Foy vint au secours d’une détresse si cruelle et leur rendit une joie inespérée en accomplissant le plus merveilleux des prodiges.

Un chevalier, nommé Walter de Tubelsheim (1), renommé par son extrême bravoure et son habileté dans le métier des armes, accomplissait sa pénitence en ce lieu; il était, selon la pratique de ce pays, couvert d’un cilice et marchait pieds nus. Il avait coutume de veiller toutes les nuits à la porte de l’église, et il prolongeait si longtemps ses exercices et priait avec une telle dévotion, qu’il ne se retirait que lorsque les moines avaient terminé l’office des matines. Or une nuit, après avoir assisté aux matines, prosterné, comme de coutume, il se relevait pour se retirer, lorsque, jetant les yeux du côté de la cour, où s’élèvent aujourd’hui le cloître et d’autres constructions accessoires, il la voit remplie d’hommes vetus de blanc, portant presque tous une escarcelle sur les épaules et tenant un bourdon à la main, à la manière des pèlerins. Puis, dirigeant ses regards un peu plus bas, sur la voie publique, il la voit encombrée de cavaliers vetus de rouge et montés sur des chevaux de même couleur. Prenant ces hommes pour des pèlerins, le chevalier se disposait à leur indiquer l’entrée du monastère, lorsque l’un des personnages blancs, l’appelant par son nom, lui défendit d’avancer et lui ordonna de rester à la même place et d’écouter attentivement ce qu’il avait à lui dire. Le chevalier stupéfait lui demanda qui il était pour oser ainsi lui donner des ordres.

« Je suis, répondit l’apparition, le comte Conrad dont tu as reçu, pendant ma vie, des bienfaits signalés qui te faisaient trouver tant de joie à mon service, que tu t’estimais le plus heureux parmi tes pareils. »

A ces mots, le chevalier, frappé d’étonnement et de terreur, tomba aussitôt à terre, privé de sentiment et comme anéanti. L’apparition le rassura et lui dit:

« Walter, ne soit pas effrayé par cette vision extraordinaire; ne tremble pas comme devant un fantôme. Voici une preuve à laquelle tu reconnaîtras avec certitude qui je suis. Un jour d’hiver, en revenant tous deux de la chasse, nous arrivâmes au bord de la rivière d’Ill, que nous devions franchir. La rigueur du froid me fit craindre une incommodité pour les chiens, s’ils la traversaient à la nage; je leur évitai ce danger en les conduisant sur une passerelle où ils franchirent le fleuve, tandis que tu traversais à gué avec les chevaux. Sache donc que c’est Dieu lui-même qui m’a permis de m’entretenir avec toi; je ne doute pas que mes frères n’ajoutent foi à ce que je vais dire.

« Je t’adjure, par le serment de fidélité qui t’avait lié à mon service, par les bienfaits dont je t’ai comblé, de dire à mon frère l’évêque qu’il soulage mon /626/ âme, qui n’est plus de ce monde, par ses prières et ses aumônes, surtout eu venant au secours de cette basilique dédiée à sainte Foy, en lui donnant la portion de cette terre qui devait me revenir, et en la couvrant de sa protection, afin que je sois délivré des flammes. Et de peur qu’il ne t’accuse d’imposture, voici une preuve certaine à laquelle il reconnaîtra la vérité de tes paroles. Lorsque le duc, lui et moi nous sommes rendus à Conques, nous avons tour à tour introduit le bras dans un brassard que l’on disait avoir appartenu à Charlemagne. Moi seul, à leur grande surprise, en ai pu remplir, avec mon bras, la large capacité. Dis-lui encore ceci qui n’est connu de nul que de lui seul. Lorsqu’il était encore bien jeune, une nuit, lui et moi nous nous dirigeâmes seuls vers une maison où nous avions fixé un certain rendez-vous. Ceux qui étaient dedans, refusant de croire qu’il fût l’évêque, ne consentirent à nous ouvrir que lorsque, à travers une fenêtre, il leur eut montré son anneau. Mon frère se rendra à ces preuves. Avant de mourir, qu’il le sache, il entreprendra le pèlerinage de Jérusalem et reviendra au bout de deux ans. S’il persévère dans l’accomplissement de mes recommandations, l’amour des biens célestes l’enflammera d’une suprême ardeur, en sorte que les biens terrestres auxquels il s’attache avec tant de passion, il les considérera comme périssables et dignes d’un souverain mépris. Mais s’il était infidèle à mes avertissements, qu’il sache qu’il perdrait le prix de ses travaux et qu’il serait enlevé de ce monde plus tôt qu’il ne pense.

« J’avertis mon frère Walter de songer au terme de son pèlerinage. En vain flatte-t-il son orgueil par la magnificence des vêtements, en vain recherche-t-il avec passion les coursiers de race et les armes de prix, en vain applique-t-il ses soins à amasser de grandes richesses, il sera le premier de mes frères qui me suivra.

« Voici la preuve manifeste de véracité que tu donneras au duc Frédéric. Lorsqu’il partît pour se rendre à la cour de l’empereur, je l’accompagnai jusqu’à la porte du bourg; alors il me révéla confidentiellement plusieurs secrets importants qu’il n’a confiés à personne. Il survivra à tous ses frères, sera leur héritier et deviendra le plus puissant et le plus riche de notre famille. Sa race régnera sans interruption sur l’empire romain, jusqu’à la cessation de cet empire, si lui-même et ses descendants ont le soin de couvrir de faveurs cette église que nous avons octroyée, par une donation commune, à sainte Foy, s’ils la placent sous leur protection et leur sauvegarde et s’ils lui procurent la paix et la liberté (1). Je le supplie, par égard pour mes souffrances, d’unir cette terre indivise à l’église de Sainte-Foy, s’il veut que sa famille soit exempte de toute adversité et jouisse d’une prospérité sans fin, et que moi-même je sois délivré des flammes expiatrices et admis à la félicité éternelle. »

Après ces paroles, Walter, rassuré et enhardi, ne craignit pas de lui demander quels étaient ces hommes semblables à des pèlerins, qui étaient rangés autour de la cour.

« Ceux que tu vois vetus de blanc, dit l’apparition, sont les âmes de ceux qui, ayant mené dans le monde une vie chaste et ayant fait pénitence de leurs péchés, se sont attiré la protection de sainte Foy, par des pèlerinages à son tombeau et par des libéralités à son église. Ils ont évité les peines de l’enfer; cependant ils ne jouissent /627/ pas encore du repos auquel ils aspirent; mais, en attendant la suprême béatitude, ils sont placés sous la conduite de sainte Foy. »

En prononçant ces paroles, Conrad montrait à son interlocuteur la grande sainte, sous la forme d’une tendre vierge éblouissante de beauté et couronnée d’un diadème; elle était appuyée sur le seuil de la porte par laquelle les religieux aujourd’hui entrent dans le cloître de leur monastère.

« Les cavaliers couleur de feu, que tu vois vetus de rouge, sont les âmes de ceux qui, transgresseurs des lois divines et humaines, ont été tués dans les combats ou sont morts sans faire pénitence. Leur châtiment est terrible. Je devais partager leur supplice, principalement pour le malheur que j’ai eu de rechercher, avec trop d’empressement et plus qu’il ne convenait, la société des vierges consacrées à Dieu. Mais sainte Foy a daigné me couvrir de sa protection, pour le seul motif que j’avais contribué avec mes frères à la donation de sa basilique. Ces malheureux te paraissent éprouver du relâche dans leurs tourments; mais ils n’en sont pas moins torturés par les flammes et relégués aujourd’hui jusqu’à Nivelle (1); ils y subiront le feu de l’enfer dans le sein d’une certaine montagne. »

A ces mots, le chevalier ayant légèrement détourné les yeux, Conrad disparut tout à coup avec tous les autres qui remplissaient la cour. Walter demeuré seul marqua de deux pierres la place que Conrad et lui-même occupaient pendant l’entretien. Il ne découvrit à personne cette vision et se retira lorsque le temps fixé pour sa pénitence fut écoulé.

Peu après, les frères de Conrad arrivèrent dans le bourg pour se partager cette terre. Les moines ne leur demandaient que le moulin, le jardin, le pré et le petit bois; ils ne purent rien obtenir. Déjà même chacun des trois frères se disposait à faire prêter serment aux tenanciers qui devaient s’établir sur la partie de territoire qui leur était échue, lorsque le chevalier Walter s’approcha d’eux et leur demanda aussitôt un entretien secret. Puis il leur fit un récit exact de la vision qu’il avait eue et des paroles qu’il avait entendues. Ceux-ci, persuadés par les preuves intimes qu’il leur manifesta, versèrent des larmes de regret au souvenir de la mort de leur frère et délibérèrent longtemps sur ce qu’ils devaient faire. Enfin ils opérèrent un nouveau partage et donnèrent une portion convenable avec des tenanciers à sainte Foy, pour le repos de l’âme de leur frère et de leurs parents et pour la rémission de leurs péchés (2).

Ainsi il arriva que les moines, qui avaient vécu misérablement jusqu’à ce jour, et qui s’étaient vu refuser une modique subsistance, furent subitement enrichis par la donation de toute cette terre, grâce à l’intervention de leur puissante patronne. Ils glorifièrent le Tout-Puissant qui, dans le secret de ses desseins impénétrables, précipite dans l’abîme et en retire, conduit à la mort et rappelle à la vie, réduit à la pauvreté et rétablit dans la richesse, abaisse l’homme et le relève (3), et vit et règne dans la Trinité divine durant les siècles éternels. Ainsi soit-il (4).

[Note a pag. 624]

(1) Bégon III de Mouret (1087-1108), Nous avons parlé plus haut (p. 152) de son tombeau et de son épitaphe, qui se voient encore dans un enfeu du mur méridional de l’église de Conques. Torna al testo ↑

(2) Frédéric de Büren, duc de Souabe et d’Alsace, † 1105. Torna al testo ↑

(3) Otton de Büren, évêque de Strasbourg (1086-1100). Torna al testo ↑

(4) Ce mot semble indiquer que ce récit aurait été écrit par le moine auteur des deux derniers Livres des miracles. Le style de cette pièce est conforme à celui des récits précédents. Torna al testo ↑

(5) La comtesse Hildegarde († 1094), épouse de Frédéric de Büren, et mère des quatre frères désignés dans ce récit, avait fait construire à Schlestadt, vers 1087, une église dédiée au Saint-Sépulcre dont elle avait fait reproduire exactement le plan, dans une chapelle souterraine, ad instar Jherosolymae, comme s’exprime notre narration. Cette crypte, comblée et oubliée depuis plusieurs siècles, a été récemment remise au jour (1893). L’église donnée à sainte Foy par la comtesse et par ses fils, en 1087, joignit le titre de Sainte-Foy à celui du Saint-Sépulcre dès l’an 1095 (Cartul., nº 575). Bientôt après, elle ne fut plus désignée que sous le nom de Sainte-Foy, surtout quand elle eut été agrandie au xiie siècle. Cette église, restaurée récemment par l’initiative de M. le curé Mury, est un monument intéressant du style roman. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 625]

(1) Aujourd’hui Diebolsheim, village du canton de Markolsheim, limitrophe de celui de Schlestadt. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 626]

(1) Les manuscrits d’Aarau (Monum. Germ. XV, p. 9), et de Rodez, antérieurs tous deux à la date de l’avènement des Hohenstaufen (1137), ne contiennent pas cette prophétie relative à l’Empire. – Cf. Bouillet, Un manuscrit inconnu du Lib. mirac. S. Fidis, dans les Mém. de la Soc. nation. des Antiq. de France, 1898. Torna al testo ↑

[Note a pag. 627]

(1) Nivelle, Nivella, à 31 kilomètres de Bruxelles, dans le Brabant. Ida, femme de Pépin de Landen y fonda un couvent, en 647. Torna al testo ↑

(2) La charte dont il est ici question se trouve dans le Cartulaire de Conques, nº 675; elle est datée du 23 juillet 1095. Elle contient d’amples donations et fait mention du comte Conrad et de sa mère, décédés tous deux. Torna al testo ↑

(3) I liv. des Rois, ii, 7. Torna al testo ↑

(4) L’histoire de la fondation de Sainte-Foy de Schlestadt a été publiée en 1842 par Dorlan dans ses Notices historiques sur l’Alsace, I, p. 48-53. Torna al testo ↑