Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/457/ Latino →

V.

De celui qui, en se précipitant sur un moine de sainte Foy, fit une chute où il trouva la mort.

Le miracle que je vais raconter est de nature à exciter l’admiration des amis de Dieu et l’effroi des impies.

Un religieux de ce monastère, nommé Bergand, avait donné, avant de prendre le saint habit, tout son patrimoine à Dieu et à sainte Foy, à titre d’hérédité. Mais, ayant appris qu’un méchant homme avait fait invasion dans ce bien, il se rendit dans son pays, cette année même à l’époque de la moisson, afin de s’opposer par les moyens légaux à cette usurpation d’un bien dejà cédé. Or il advint que Rainon, du château d’Aubin en Rouergue (3), chevauchait, j’ignore pour quel motif, dans ces parages avec trente cavaliers. Il se trouvait dejà à six milles du château, lorsque de loin il aperçut le moine à cheval avec son escorte, traversant la routé où il se /458/ trouvait. Il demanda à ses hommes quels étaient ces voyageurs; lorsqu’il l’eut appris, un moment après, alléguant un motif imaginaire, il précipite les chevaux et, frémissant et pâle de fureur, il profère les menaces les plus insensées. Ce seigneur, depuis longtemps, avait été excommunié par les religieux du monastère, pour les indignes traitements qu’il leur avait infligés, et il se trouvait encore sous le coup de cette censure. Mais pourquoi m’attarder à retracer ses propos impudents et ses menaces furieuses, puisque le lecteur attend avec impatience le dénouement? Ce misérable, aveuglé par une triste cupidité, enflé d’un immense orgueil, jeté hors de lui par la rage d’une fureur bestiale, ayant perdu le sentiment de la crainte de Dieu et de sa sainte, enfonce violemment les éperons dans les flancs de son coursier, qu’il lance à toute vitesse, et se précipite avec furie vers les voyageurs inoffensifs. Il allait bientôt les atteindre, lorsque, par un effet de la vengeance divine, son cheval se renverse subitement, les sabots en l’air, la tête dans la poussière. Le cavalier, précipité en avant, est projeté au loin avec une telle violence, qu’il périt le cou tordu et le crâne fracassé et mis en pièces.

Ainsi, celui qui, prenant l’initiative, brûlait de maltraiter le pieux moine ou même de lui ôter entièrement la vie, fut lui-même prévenu par la justice divine qui le frappa de mort et le précipita dans l’enfer, où il devint l’associé des réprouvés ou la proie des démons. L’un de ses compagnons, son écuyer, l’ayant suivi dans cette démarche criminelle, mais avec l’intention, dit-on, de s’interposer dans l’attaque imminente, fit, lui aussi, une chute dangereuse, dans ce même lieu qui était cependant une plaine. Par la permission de Dieu, qui discerne les intentions, son épée seule fut brisée, et il se tira sain et sauf de cette aventure avec son cheval.

Quel spectacle, pour un écolâtre tel que moi, de contempler l’Orgueil, non dans l’abstraction, comme je l’ai lu dans la Psychomachie de Prudence, mais substantiellement incarné dans un corps, étendu terrassé, et précipité sans retour du faîte de son faste superbe dans le gouffre sans fond du grand abîme, creusé perfidement sous ses pieds par le piège du péché!

Le moine aperçut de loin cette chute; mais, ignorant quelle en était la cause et quel en fut le dénouement, il poursuivit tranquillement sa route, termina heureusement ses affaires et reprit le chemin du monastère. Or le frère de Rainon, nommé Hector, cherchait à se saisir du moine, comme si celui-ci était coupable de la mort de son frère; il se vantait de le mettre en pièces sans merci; mais la justice de Dieu le prévint, et il périt subitement dans une guerre.

Vous qui avez le cœur enflé d’orgueil, instruisez-vous par cet exemple, convertissez-vous enfin de votre perversité et apprenez â agir avec droiture, de crainte que l’heure du jugement ne sonne pour votre malheur, ou qu’une mort soudaine ne vous précipite dans la réprobation. Aussi bien l’injustice ne triomphe pas toujours, et les jugements de Dieu ne sont point chose digne de mépris.

[Nota a pag. 457]

(3) Aubin, chef-lieu de canton, arrondissement de Villefranche. Le château, dont on voit encore les ruines sur un coteau très escarpé, appartint d’abord aux comtes de Rouergue, puis à la maison d’Estaing, et plus tard aux comtes de Rodez. Raymond, comte de Rouergue, par son testament en 961, l’avait donné à deux enfants naturels. (Bosc, Mém., p. 378-404. – Cf. de Barrau, Docum. hist. et généal., I, p. 334.) Voir plus loin, liv. IV, c. iv. Torna al testo ↑