Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/458/ Latino →

VI.

Comment la vengeance divine s’exerça contre ceux qui tendaient de dérober le vin des moines.

Voici un trait non moins merveilleux de la bonté de Dieu en faveur de sainte Foy.

/459/ Il a eu pour théâtre le château de Cassagnes (1), situé dans la même province, à huit milles de Conques.

Le chevalier Hugues, qui commande dans ce château, voyant l’occasion favorable, il y a trois ans, donna à deux de ses serviteurs l’ordre de s’emparer du vin des moines, déposé dans un village appelé Molières (2), et voisin de sa résidence dont il n’est séparé que par une distance de deux milles. Ceux-ci, ayant pris un chemin différent, parcoururent, chacun de son côté, les maisons des paysans, à la recherche des chars nécessaires pour le transport du vin. Le premier, nommé Benoît, s’adressa à un paysan ingénu qui lui donna le pressant conseil de se désister de sa coupable; entreprise. Le serviteur lui répondit par les blasphèmes suivants:

« Est-ce que sainte Foy boit du vin? Sot paysan, ignores-tu que quiconque ne boit pas n’a nul besoin de vin? »

Ce misérable, indigne du nom qu’il portait, ignorait lui-même que celui qui touche aux serviteurs des saints touche aux saints eux-mêmes, et non seulement aux saints, mais encore à Notre-Seigneur, qui ressent lui-même toutes leurs injures, car ceux-ci sont vraiment ses membres, unis à sa personne et comme sa propre substance. Le paysan lui répondit que celui qui était chargé de la clé du cellier était absent. L’émissaire lui dit avec jactance qu’il portait la clef au bou de son pied et qu’il n’y avait point de porte si massive qu’il ne brisât du premier coup. A ces mots, il frappe un coup violent sur le mur de la maison où il se trouvait et qui en est ébranlée: il prétend montrer par là avec quelle vigueur il frappera sur la porte du cellier. Puis s’étant remis en marche, il arrivait encore loin du cellier, lorsque, s’apprêtant à frapper un second coup, il lève le pied avec arrogance et fléchit le jarret. Dans ce mouvement, les nerfs se paralysent, se raidissent entièrement et perdent leur jeu et leur vigueur; les membres sont frappés de rigidité, et le misérable tombe dans la poussière, le visage contracté jusqu’aux oreilles par un horrible rictus; le flux subit de ses entrailles trahit les douleurs aiguës qui le torturent; il meurt misérablement après deux jours de cruelles souffrances.

Après avoir raconté le trépas du premier émissaire, passons au second; il s’appelait Hildebert. Celui-ci avait enlevé de force à un paysan un quartier de porc. Insensible aux supplications et aux larmes de ce pauvre homme, et à l’invocation des saints, il refuse de restituer cet objet et répond par ces paroles d’insultante arrogance:

« Ce quartier succulent, je le ferai griller à point par tranches, sur des charbons ardents; je m’en rassasierai avec délices; puis le vin des moines arrosera mon gosier et le réjouira. Tel le vautour, après un jeûne prolongé, avisant dans une basse-cour une geline bien dodue, l’enlève dans ses serres, la déchire, assouvit sa faim, puis s’élançant à plaisir dans les airs, d’une aile plus légère, aspire la brise pour réjouir son gosier rassasié. »

Il achevait à peine ces paroles, qu’il se plaint d’une douleur à la tête; une violente inflammation s’étend rapidement jusqu’à la gorge qu’elle envahit entièrement; la douleur ne lui laisse aucun relâche et, chose horrible, son cou enfle au /460/ point que sa dimension surpasse celle de la tête. Spectacle hideux! Son gosier d’une gloutonnerie insatiable se remplit subitement d’une horrible pourriture gangreneuse; le misérable ne survécut pas plus de trois jours; il expira, frappé par la vengeance divine. C’est ainsi que sainte Foy connaît l’art de gonfler la gorge du vautour jusqu’à satiété et de repaître sa gloutonnerie au moyen de mets meurtriers. Il expie maintenant son mépris du pauvre; il est torturé par les peines de l’enfer, celui qui ne craignit pas d’offenser la bienfaisance des saints.

La renommée ne tarda pas à répandre jusqu’au château la nouvelle de ce prodige, dont le récit fût rapporté avec toutes ses circonstances. Mais le seigneur, loin d’être frappé de crainte, ne renonça point à son entreprise, et plein de fureur, il se disposa à partir lui-même pour enlever la proie qui lui avait échappé. Son épouse Sénégonde s’efforce de le détourner de son criminel dessein et lui en remontre l’impiété et l’abomination; la noble dame le presse d’y renoncer et de respecter lé vin du monastère, dans la crainte que ce sacrilège ne soit puni à l’avance par le châtiment d’une mort subite et que la sainte irritée ne frappe le téméraire d’un coup fatal. Loin de se rendre, cet homme féroce se laisse emporter par une aveugle fureur; il se précipite sur son épouse, la frappe du poing et lui inflige des blessures; le sang jaillit du visage de la dame jusque sur le vêtement du mari. Gelui-ci s’élance au dehors, se précipite plein de rage du haut du château sur la pente qui s’étend au-dessous et court accomplir son coupable dessein. Mais, en descendant la rampe tortueuse, il chancelle; dans le trouble de sa fureur, ses pieds glissent et il tombe sur le flanc en se brisant deux côtes; ses membres meurtris sont défaillants; lé misérable éprouve les effets mérités du courroux du souverain Juge, l’insensé a reçu le châtiment dû à ses méfaits. Ses serviteurs l’emportent à demi mort et le gardent trois mois dans sa couche, près du trépas. Il revint à la santé, grâce aux mérites de sa pieuse épouse; à mon avis, la femme fidèle rendit la vie au mari coupable. Elle lui persuada de faire un pèlerinage au tombeau de la sainte. Docile cette fois, il se rendit auprès de sainte Foy pour lui offrir les plus ardentes actions de grâces, et, à son retour, il renonça à ses habitudes d’orgueil et de violence.

[Note a pag. 459]

(1) Cassagnes-Comtaux, Casannas, Cassannias d’après le Cartulaire, canton de Rignac, arrondissement de Rodez. Hugues de Cassagnes, le héros de notre récit, est mentionné dans le Cartulaire (nos 14, 15, 295).) Torna al testo ↑

(2) Les Molières, Molaris, dans la commune et la paroisse d’Escandolières, canton de Rignac, étaient à deux milles du château de Cassagnes. Le Cartulaire mentionne la donation de la terre de Molarias (no 257) en 1001, et l’augmentation de ce domaine (no 125). Torna al testo ↑