Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/467/ Latino →

XI.

Comment un blasphémateur de sainte Foy périt écrasé sous les ruines de sa maison.

Voici encore un trait miraculeux de la vengeance divine, qui était arrivé à une autre époque, avant mon voyage de Conques. Il sera, pour les clercs et pour ceux qui sont employés au service religieux dans la maison de Dieu, un stimulant de leur zèle dans le culte divin; il sera aussi un sujet d’effroi pour les violateurs des biens de la sainte Église de Dieu, ou bien pour ceux qui ont envahi injustement les possessions des saints et en jouissent comme si elles étaient leur propriété légitime. A notre époque en effet, il en est un grand nombre qui, méritant d’être appelés antéchrists, ont l’audace, dans leur aveugle cupidité, d’usurper les droits de l’Église, de ne témoigner aucun respect aux ministres sacrés, de les accabler d’injures et de mauvais traitements, et même de les mettre à mort. Nous avons vu des chanoines, des moines, des abbés, déposés de leur dignité, dépouillés de leurs biens et massacrés; nous avons vu des évêques, les uns proscrits, les autres chassés sans motif de leur siège, d’autres mis à mort par le fer ou soumis au supplice atroce du feu pour la défense des droits de l’Église. Et c’étaient des chrétiens qui commettaient ces forfaits, si toutefois on peut encore donner le nom de chrétiens à des hommes qui attaquent la religion dans sa constitution et se montrent en toute circonstance les ennemis de Jésus-Christ et de la vérité. Ces hommes criminels, rassurés par l’impunité dont ils ont joui jusqu’ici, ne témoignent aucune crainte des châtiments divins, ne les appréhendent pas même pour l’avenir et refusent de croire au jugement futur, parce que, malgré leurs forfaits, tout leur réussit constamment, qu’ils voient tous leurs vœux comblés et qu’ils poursuivent le cours de leur existence, préservés de tout châtiment et de tout mal. On ne constate dans leur vie aucune atteinte de la vengeance divine; aussi, quand ils entendent parler du futur jugement du Christ, ils le traitent de fable absurde. Il est donc opportun que la justice divine châtie dans cette vie quelques-uns de ces mécréants, afin qu’une impunité trop prolongée n’enhardisse pas leur insolence jusqu’à les porter à croire que l’on peut en vain provoquer la justice de Dieu. Au surplus, lorsque l’impiété, qui décrie le joug si suave du service de Jésus-Christ et se rit des avertissements les plus sacrés, sera intimidée par les châtiment présents, elle modérera sa malice par crainte d’une punition plus sévère ou bien elle se convertira entièrement pour rentrer amendée dans la voie du salut. Quant à ceux qui étaient /468/ disposés à marcher sur ces traces perverses, qu’ils soient terrifiés par de tels exemples, qu’ils renoncent à leurs mauvais desseins, et qu’ils s’empressent de faire pénitence et de se ranger dans la société des enfants de lumière. Mais c’est assez de préliminaires; arrivons donc à notre sujet.

Une noble dame, nommée Doda, commandait un château nommé Castelnau (1), situé dans le Quercy, sur la rivière de la Dordogne. Elle avait détenu injustement, pendant sa vie, un fief de sainte Foy, à savoir une ferme qui porte le nom d’Alans (2). Parvenue au terme de sa carrière et sentant dejà les douleurs et les défaillances de la fin, elle pourvut au salut de son âme et restitua cette terre à l’abbaye de Conques. Son petit-fils Hildegaire, héritier de ses grandes richesses et de tous ses autres titres, seigneur d’un château renommé, situé dans l’Albigeois et connu sous le nom de Penne (3), eut la témérité d’envahir de nouveau cette ferme et de l’enlever au monastère de Conques. Les moines eurent recours à l’assistance divine pour arracher leur propriété des mains de ce puissant ravisseur; c’est pourquoi ils résolurent de porter, selon leur coutume, avec toute la pompe d’une nombreuse procession, la vénérable statue de leur sainte patronne dans leur terre envahie. Au sujet de cette statue, comme l’on pourrait croire à quelque superstition, j’exposerai plus loin mon sentiment.

Or l’un des vassaux d’Hildegaire, dont le nom m’échappe – il ne m’est pas possible en ce moment de courir à Conques pour le retrouver – voulant fêter solennellement le jour de Noël, se trouvait dans un grand festin, au milieu d’une brillante réunion de ses vassaux et de ses serviteurs. Echauffé par le vin, il se livra, comme il arrive en pareil cas, à divers propos orgueilleux et insultants; dans le cours de ses vaines déclamations, il en vint à dénigrer et à attaquer les serviteurs de sainte Foy, les traitant honteusement d’impur fumier, et protestant qu’il ne tenait aucun compte de la démarche des moines qui transportaient, dans la terre; contestée de part et d’autre, leur statue ou plutôt une larve grotesque et hideuse. Cette déclaration ne l’empêcherait nullement, disait-il, de soutenir par la force et à outrance le droit de son suzerain, et même il trouverait son bonheur à accabler cette statue de toutes sortes d’opprobres et enfin de l’écraser sous ses pieds. Avec quelles moqueries et quels rires insultants l’insensé se complut à répéter ces indignités jusqu’à trois et quatre fois, il serait oiseux de le dire.

Tout à coup un tourbillon envoyé par la vengeance divine se déchaîne avec un fracas épouvantable; la terrasse tombe réduite en pièces d’un seul coup, la charpente craque et se disloque, la toiture entière s’écroule avec l’étage; inférieur. Cependant personne ne périt de cette nombreuse assemblée, si ce n’est le blasphémateur, /469/ son épouse et ses cinq serviteurs. Et, afin que personne ne puisse attribuer, comme il arrive en pareil cas, la chute de la maison à un cas fortuit et la mort de ces hommes à cette simple chute et non à un coup de la justice divine, Dieu voulut que les sept victimes, emportées au loin à travers les fenêtres, fussent retrouvées à une grande distance de la maison. Leurs restes sont ensevelis dans le cimetière de Saint-Antonin (1), en Albigeois.

Apprenez; vous tous, hommes rapaces et envahisseurs des biens de l’Église, combien sont irrésistibles les châtiments de Dieu et équitables ses jugements. Sa vengeance ne cède à aucune puissance; si elle épargne dans le présent, elle frappera plus durement un jour; si elle diffère de châtier dans le temps, elle vous réserve une punition plus redoutable et plus terrible dans les flammes éternelles.

[Note a pag. 468]

(1) Castelnau, Castellum Novum, désigne le château de Castelnau de Bretenoux, à la lisière septentrionale du Quercy, au bord de la Dordogne (commune de Prudhomat; canton de Bretenoux; arrondissement de Figeac; Lot). Ce château, construit en partie vers 1080, fut incepdié en 1851 et n’offre plus aujourd’hui que des ruines imposantes. – Cf. Poulbrière, Castelnau de Breleiwux, 1874. – Cartul. de l’abbaye de Beaulieu, 1859. Eclaircissement XXI. Torna al testo ↑

(2) Le Cartulaire conserve la charte (nº 480) en vertu de laquelle Déda (vraisemblablement notre Doda) légua, au xe siècle, à l’abbaye de Conques l’église d’Alans avec un manse, afin de pourvoir au salut de son âme. Il est question, dans cette charte, d’un fief que détenaient les enfants de Saxet d’Hildegaire, peut-être le même qu’Hildegaire dont il est question dans ce récit. D’après une autre charte (nº 302), l’abbé Bégon II acquit de l’abbaye, par échange, Alans, près de Coubisou. M. Desjardins pense que l’Alans de Doda pourrait bien être l’Alans de Coubisou (Cartul., p. LXX1). Coubisou, canton d’Éstaing; arrondissement d’Espalion; Aveyron. Torna al testo ↑

(3) Penne, sur la rivière de l’Aveyron et sur la frontière du Tarn-et-Garonne, à 13 kilomètres de Saint-Antonin (canton de Vaour; arrondissement de Gaillac; Tarn). Torna al testo ↑

[Nota a pag. 469]

(1) Saint-Antonin, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Montauban, appartint au Rouergue et au diocèse de Rodez jusqu’à la formation du département de Tarn-et-Garonne, en 1808. Torna al testo ↑