Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/472/ Latino →

XIII.

Combien est légitime la coutume locale, populaire et invétérée d’élever des statues aux saints, puisqu’elle ne nuit nullement à la religion. Du courroux céleste à cette occasion.

Les châtiments terribles exercés par la justice divine contre les blasphémateurs de sainte Foy sont innombrables, et, à cause de leur multitude, on ne peut les rapporter tous. Nous allons bientôt en raconter un des plus merveilleux; mais auparavant nous devons parler de la statue de la sainte martyre.

D’après un ancien usage et une coutume antique, spécialement en vigueur dans toute la région de l’Auvergne, du Rouergue et du pays Toulousain, et dans les autres pays voisins, chaque église fait confectionner une statue de son patron, en or, en argent ou en tout autre métal, selon ses ressources, et y renferme avec honneur soit le chef, soit quelque autre relique insigne du saint. Cette pratique était regardée par les hommes instruits – sans intention d’injure – comme une superstition; un tel rite semble, en effet, un reste du culte rendu aux dieux, ou plutôt aux démons. Moi aussi j’ai été assez peu sensé pour la regarder comme une chose digne de blâme et absolument opposée à la loi chrétienne. M’étant d’abord rendu à Saint-Géraud (1), je vis sur l’autel la statue de ce saint resplendissante de l’or le plus pur et des plus précieuses pierreries. Son visage était animé d’une si vivante expression, que ses yeux semblaient fixer ceux qui le considéraient et que le peuple prétendait discerner, à l’éclat de son regard, si la demande était exaucée. Me tournant alors en souriant – je confesse ma faute – vers mon compagnon Bernier, je lui demandai en latin:

« Que dis-tu, frère, de cette idole? Jupiter ou Mars auraient-ils trouvé cette statue indigne d’eux? »

Bernier, qui partageait mon sentiment, plaisanta agréablement au sujet de cette statue et la cribla des traits de ses ironiques louanges, non sans quelque semblant de /473/ raison. En effet le culte suprême n’étant dû qu’au seul Dieu souverain et véritable, il semble inconvenant et absurde de confectionner des statues de pierre, de bois ou d’airain, excepté pour représenter Notre-Seigneur sur la croix. Il est d’usage, dans la sainte Église universelle, d’employer la sculpture ou le métal fondu pour le divin Crucifié, afin que son image excite notre piété à l’égard de la Passion du Seigneur; mais pour représenter les saints au souvenir et aux yeux des hommes, on doit se contenter de l’écriture véridique du livre ou de la peinture qui reproduit leur image sur des murs enduits de couleurs. Employer la statuaire pour les saints, nous ne saurions le tolérer en aucune manière, sinon en raison de l’antiquité de l’abus et en faveur d’une coutume invétérée et irréformable parmi le peuple simple. Cet abus a tellement prévalu dans les régions signalées plus haut, que si j’avais exprimé ouvertement, dans cette occasion, quelque blâme contre la statue de saint Géraud, j’aurais peut-être été maltraité comme un grand criminel. Trois jours après, nous étions au sanctuaire de sainte. Foy, À notre entrée dans le monastère, il se trouva que l’on venait d’ouvrir le lieu réservé où l’on conserve la vénérable statue de la sainte. Lorsque nous avons paru devant elle, l’espace était si resserré, la foule prosternée sur le sol était si pressée, qu’il nous fut impossible de tomber à genoux. Alors, restant debout, à mon grand regret, j’élève mes regards vers là statue et je formule textuellement cette prière:

« O sainte Foy, vous dont une relique est renfermée dans cette statue, soyez-moi favorable au jour du jugement. »

Puis je jette à la dérobée à l’écolâtre Bernier, mon compagnon, un coup d’œil significatif accompagné d’un sourire moqueur; tant je trouvais absolument déraisonnable, insensé, de voir cette multitude d’hommes pourvus de raison adresser leurs supplications à un objet sans parole et sans intelligence. Ce discours peu sensé, ces conceptions étroites ne procédaient pas d’un esprit entièrement éclairé; j’ai donné avec mépris le nom de Vénus et, de Diane à cette statue, et pourtant elle n’est pas regardée comme un oracle que l’on consulte ou une idole à laquelle on offre des sacrifices; elle est simplement honorée en mémoire de la sainte martyre, pour glorifier le Dieu souverain. Dans la suite, j’éprouvai les plus vifs regrets de ma conduite peu sensée à l’égard de cette sainte amie de Dieu. A ce propos, voici, entre autres miracles, le récit qui me fut fait au sujet d’un clerc, nommé Odalric, par le seigneur Adalgérius, alors doyen et plus tard, comme je l’ai appris, abbé du monastère (1), homme des plus respectables et des plus sincères.

La vénérable statue de sainte Foy avait été, un jour, transportée en procession dans un autre lieu pour conjurer quelque calamité. Or ce clerc, qui s’estimait plus savant que les autres, égara tellement l’esprit du peuple qu’il détourna entièrement la foule d’offrir ses prières devant la statue, portant ainsi une grave, atteinte à l’honneur de la sainte martyre et se livrant à d’ineptes déclamations contre son image. La nuit suivante, tandis qu’il reposait ses membres appesantis par la boisson, la sainte lui apparut en songe comme une reine majestueuse et menaçante:

« Et toi, misérable, lui dit-elle, pourquoi as-tu l’audace de jeter le blâme sur ma statue? »

A ces mots, elle frappa son adversaire d’une verge qu’elle tenait à la main et le laissa meurtri. Il ne survécut que le délai nécessaire pour raconter, le lendemain, ce qui lui était arrivé.

/474/ Il n’y a donc plus lieu de contester la vénération due à la statue de sainte Foy, puisque le malheureux qui jeta le blâme sur elle fut traité comme s’il avait blasphémé contre la sainte elle-même. Ce n’est pas une idole immonde qui reçoive un culte d’oracle ou de sacrifice, c’est un pieux mémorial, devant lequel le cœur fidèle se sent plus facilement et plus vivement touché de componction, et implore avec plus de ferveur la puissante intercession de la sainte pour ses péchés. Ou mieux encore, d’une manière plus instructive pour l’esprit, c’est une châsse renfermant des reliques vénérables de la jeune vierge; seulement l’orfèvre à son gré lui a donné une forme humaine quelconque. Illustre comme l’arche de l’Ancien Testament, elle l’enferme un trésor bien plus précieux que celle-ci, le chef même tout entier de la célèbre martyre, de celle qui est sans contredit l’une des plus belles perles de la Jérusalem céleste et par l’intercession de laquelle Dieu opère des merveilles si étonnantes que, dans notre siècle, nous n’en avons jamais ouï ni appris de pareilles, opérées ailleurs en l’honneur de tout autre saint. La statue de sainte Foy n’est donc pas un objet que l’on doive détruire ou conspuer, car cette pratique du culte n’a induit personne dans les antiques erreurs, n’a nullement amoindri l’honneur dû aux saints et n’a causé aucun préjudice à la religion.

[Nota a pag. 472]

(1) A Aurillac, Cantal. – Saint Géraud avait été comte d’Aurillac. Il mourut en 009; son corps fut enseveli dans l’église de l’abbaye bénédictine qui prit son nom. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 473]

(1) Adalgérius, doyen en 1012, était abbé en 1019 (Cartul., nº 244, 80, 181, 209). C’est à lui que Bernard d’Angers adresse une épître (c. xxxiv de ce livre). Torna al testo ↑