Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/482/ Latino →

XXIII.

Comment un faucon fut retrouvé.

Il s’est opéré, dans le même bourg, par la puissance de Jésus-Christ, une multitude de miracles pour des objets de si petite importance, que les habitants de ce lieu, dans leur langage naïf, les appellent les badinages de sainte Foy. A cause de leur multiplicité, ils n’ont pas trouvé d’historien, et, si l’on en raconte quelques-uns, leur singularité en rendra la croyance difficile. Cependant il est impossible d’étouffer ou d’éteindre de sitôt la vérité de ces faits, et plus elle est en butte aux attaques perfides des incrédules, plus en est accrue sa force de résistance. Comme un phare éclatant, s’il est battu par la fureur de la tempête, n’en brille que plus vivement, de même la vérité, au milieu du tumulte soulevé par les contradicteurs, continue-sa marche, la tête haute, et plus elle subit d’attaques, plus elle gagne en force et devient inexpugnable, faisant briller avec plus d’éclat sa lumière aux yeux des hommes. Mais s’il en est qui refusent d’ajouter foi à ces faits, que m’importe? Dieu, qui les a opérés et qui m’a inspiré de les recueillir, sait bien à quelles personnes, en quel lieu et en quel temps il sera donné d’y croire et de tirer profit de cette confiance.

Si, dans notre siècle pervers, la plupart des hommes ont dévié de l’esprit primitif de notre religion, pour s’égarer à la poursuite des caprices de leurs passions, néanmoins le souverain dispensateur de tout bien ne permet pas qu’aucun temps, aucune époque soient privés des témoignages de sa bonté, et de nos jours encore il n’a pas suspendu l’opération de ses merveilles par le ministère de ses saints, bien qu’elles soient devenues plus rares à cause des péchés des hommes. Et de même que sa sagesse est insondable et inépuisable, de même on ne pourra jamais mesurer ni déterminer la variété de ses œuvres, et, s’il lui plaît, il saura toujours opérer des choses nouvelles et inouïes. Car il est impossible au génie de l’homme, comme le dit Boèce, de concevoir toutes les ressources que le divin Ouvrier peut mettre en œuvre ou de les décrire par la parole. Mais revenons à notre sujet, et commençons le récit des petits miracles, ou, si l’on peut s’exprimer ainsi, des badinages de sainte Foy.,

Un chevalier, nommé Gérald (1), le même que nous avons mentionné à l’occasion de la résurrection de son mulet, était renommé pour son habileté dans tous les exercices de sa noble condition. Il se rendit à Rodez, auprès de son seigneur suzerain (2), et le pria de lui prêter un faucon incomparable dont: il était possesseur. Celui-ci y consentit aussitôt, mais à la condition expresse et acceptée que, si Gérald venait à perdre l’oiseau de chasse, tous ses biens seraient confisqués. Tous deux acceptèrent la convention; mais l’un, plus astucieux, y vit une occasion de satisfaire la convoitise insatiable de son avarice et l’espoir d’usurper le bien d’autruî, l’autre y vit l’avantage d’avoir à son service, ne fût-ce que pour un temps, un si noble oiseau (3).

Avant de retourner dans son pays, Gérald fut obligé de faire un voyage dans l’Albigeois. Là il lâcha une seule fois le faucon et le lança, mais sans résultat, et /483/ l’oiseau ayant plané au hasard, disparut dans l’immensité des airs. Le chevalier eut beau courir longtemps à sa poursuite; ses efforts pour le rappeler furent vains. Il retourna donc dans son pays, accablé de fatigue, le cœur percé par la tristesse et l’angoisse; c’est qu’il connaissait depuis longtemps l’impitoyable dureté, la colère implacable de son suzerain.

« Que je suis malheureux! s’écriait-il, que mon sort est cruel! Je vais devenir la proie d’un tyran inexorable! O honte! ô déshonneur! Que me reste-t-il, sinon l’alternative d’être dépouillé de mes biens et réduit à l’existence la plus ignominieuse? Quelle perspective cruelle de voir dejà poindre le jour où, réduit à la misère, je serai traité de mendiant par ceux qui me veulent du mal! »

Ses serviteurs s’empressèrent autour de lui pour adoucir l’amertume de sa douleur et lui prodiguèrent à l’envi leurs consolations; mais il ne les écouta pas et ne trouva aucun soulagement dans leurs paroles; sa plainte n’en devint que plus vive; il refusa toute nourriture et demeura à jeun jusqu’au soir. A la fin, son épouse affectionnée s’approcha de lui résolument:

« Mon ami, lui dit-elle, pourquoi te tourmenter de la sorte? Pourquoi cette inquiétude? A quoi bon succomber sous la désolation? Pourquoi défigurer par la tristesse ton visage autrefois si riant? A quoi bon gémir si amèrement et sans résultat sur un accident qui ne peut plus se réparer? Cependant, si tu fais vœu de te rendre nu-pieds, demain matin, auprès de sainte Foy, et de lui offrir un cierge, j’ai la confiance que Dieu te viendra en aide. Reprends donc virilement ton courage, affermis ton cœur et ne désespère pas d’obtenir grâce auprès de Dieu, par l’intercession de sainte Foy. Déride ton front, rends la joie à ton visage, et viens prendre place à table au milieu des tiens avec ta gaîté accoutumée. Il n’est pas difficile à Dieu d’accorder que tu te lèves de là plus joyeux. N’est-il pas juste qu’une épouse sensée donne de sages avis à son mari? Dans les peines, rien n’est aussi funeste que le désespoir. »

Consolé et fortifié par ces paroles, le chevalier formule avec ferveur le vœu qu’on lui a suggéré et se met à table sans aucune trace de tristesse, sentant bien que la joie lui avait été rendue par une intervention divine, et pressentant quelque heureux événement. Au milieu du repas, ô surprise! tout à coup une oie domestique s’élance du dehors, et volant dans la salle, occasionne du tumulte parmi les convives. Aussitôt le faucon perdu fait irruption dans l’appartement et fond sur l’oie avec la rapidité de la foudre. Ce qu’il y eut de plus merveilleux dans cet insigne prodige ce fut le retour du noble oiseau qui, parti d’un pays étranger, sut si industrieusement trouver le chemin de ce lieu qui lui était entièrement inconnu. Quelle allégresse! Quelle ivresse! Quelles actions de grâces adressées au ciel! Quelle joie de n’avoir plus à redouter le courroux du suzerain et d’avoir l’assurance de conserver son patrimoine! Le miracle en est célébré avec d’autant plus d’enthousiasme. Aussi, dès le lendemain, le chevalier s’empressa d’accomplir son vœu et de rendre, pour un tel bienfait, mille actions de grâces à Dieu et à sainte Foy.

[Note a pag. 482]

(1) De Vialarels (Decazeville); voir plus, haut, chap. iv. Torna al testo ↑

(2) Raymond III, comte de Rouergue; voir plus haut, chap. xii. Torna al testo ↑

(3) Le faucon était regardé, à cette époque, comme l’apanage distinctif clé la plus haute noblesse. Torna al testo ↑