Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/483/ Latino →

XXIV.

D’un marchand malhonnête.

Un marchand auvergnat se rendit un jour à Sainte-Foy, pour y faire ses dévotions. Son attention fut sollicitée par l’activité du commerce de la cire; celle-ci, /484/ à cause de la multitude des pèlerins qui offrent des cierges, est à un très bas prix. A cette vue, il songe à son habileté bien connue dans l’art du commerce, et il se dit à lui-même:

« Que j’ai été peu avisé! Quels beaux profits j’eusse pu réaliser, si j’avais su! J’aurais pu m’enrichir et faire fortune. Mais ce que j’ai négligé par ignorance, je vais le réparer sans retard et vivement par mon activité et mes fréquents voyages d’aller et de retour. Prenons résolument nos dispositions, et mettons à l’instant même la main à l’œuvre. »

Là-dessus, il aborde le marchand de cierges, débat minutieusement le prix d’une quantité de cire, en achète une grande masse pour dix sols et en remplit plusieurs sacs. Notre homme, tout satisfait, se proposait de réaliser un profit pour le moins quatre fois supérieur à cette somme; il se disait en lui-même:

« Oh! oh! voilà certes un beau début; que sera-ce donc lorsque j’aurai fait plusieurs voyages? »

Mais arrivons vite au dénouement. Il restait encore un beau cierge qui n’avait pu trouver place dans la masse vendue. Poussé par la cupidité, cet homme le cache dans son sein, le gros bout sous sa ceinture, l’autre extrémité sortant de ses vêtements sous sa barbe. Mais la toute-puissante justice de Celui qui voit tout ne voulut pas laisser plus longtemps cachée l’impudence de ce voleur. Tout à coup le cierge, allumé par le feu du ciel, se met à brûler vivement le sein qui l’emprisonnait et à laisser échapper au dehors des vapeurs enflammées, au milieu d’un tourbillon de fumée; un faisceau de flammes jaillit vivement, enveloppe la barbe dans un grand incendie et s’élève jusqu’à la chevelure qui brûle en crépitant. La poitrine ne peut même protéger le dos; les flammes enveloppent et brûlent les épaules dans leurs tourbillons. Quel spectacle terrifiant! Le malheureux, affolé, poussait des hurlements horribles, piétinait avec fracas, grinçait des dents, ouvrait des yeux hagards, tordait affreusement tous ses membres et, dans l’excès de la souffrance, courait çà et là. Tel un serpent, frappé à l’improviste, tantôt roule ses spirales en boule, tantôt s’élance comme un trait redoutable, en dressant sa tête flexible; puis prend la fuite, mais en est empêché par sa blessure; alors il se retourne menaçant contre celui qui l’a frappé, fixe sur lui son œil sanglant, et sa gorge fait entendre un sifflement. Ainsi notre infortuné court d’un côté, puis de l’autre, se jette: en avant, se rejette en arrière, se roule sur le pavé, se redresse vivement et perd entièrement la respiration, sous la violence de l’impulsion qui l’agite. Enfin, à bout de forces dans tout son être, il est pressé du regret de sa faute. Il se précipite alors avec des cris lamentables vers le tombeau de la sainte martyre, et il n’a pas plutôt jeté toute la cire à ses pieds, que les flammes vengeresses s’évanouissent. Il ne songea pas à regretter la perte de son argent, trop heureux d’avoir échappé à une telle torture.

Dans cet événement, je ne crois pas exagérer en proclamant combien la bonté de sainte Foy fut grande et merveilleuse, pour avoir sauvegardé le bon marché de la cire, en faveur de ses pèlerins, contre les entreprises de la cupidité, si bien réprimées.